Intervention de Alain Anziani

Réunion du 31 janvier 2017 à 14h30
Efficacité de la justice pénale — Discussion générale

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Faut-il alors, par dogme, renouer avec le fil rouge des années Sarkozy ? Répondre systématiquement à l’émotion causée par une nouvelle loi toujours plus répressive que la précédente, toujours plus favorable à l’incarcération, toujours plus aveugle sur les causes de la récidive et le travail de réinsertion du détenu ? Votre programme est un long pensum de redites : des peines planchers, une réduction du quantum des peines aménageables, un abaissement des seuils d’aménagement des peines, le refus de considérer la surveillance électronique comme une peine privative de liberté… La liste n’est pas exhaustive, j’y reviendrai.

Pour permettre cette restauration, il vous fallait bien réidentifier un obstacle, l’obstacle qui vous empêche de transformer un discours à la population en un mandat de dépôt. Cet obstacle, vous l’avez maintes fois dénoncé, Nicolas Sarkozy le premier : c’est bien entendu le juge. Il faut donc écarter celui-ci en plaçant au-dessus de lui des peines automatiques, en l’enfermant dans un champ d’amendes forfaitaires, en l’obligeant à révoquer le sursis simple ou bien en le contournant par le référé-détention.

Voilà où nous conduisait cette proposition de loi. Heureusement, notre collègue François Pillet est arrivé et il a rétabli du bon sens. Il l’a fait à sa manière, avec beaucoup de finesse, en rappelant ici quelques principes fondamentaux qui avaient été largement oubliés et en soulignant là qu’une réforme nécessite des moyens, au moment même où on annonce la suppression de nombreux postes de fonctionnaires. Vous avez, cher François Pillet, procédé avec beaucoup de finesse sur la forme, tout en faisant preuve d’une rigueur de procureur sur le fond, un procureur extrêmement sévère refusant tout sursis à des dispositions, il est vrai, irréalistes ou dangereuses.

Le texte initial n’en restera pas moins comme une sorte de témoignage méritant de figurer au musée des textes anticonstitutionnels. Il est en effet remarquable d’avoir oublié autant de principes fondamentaux.

Le principe d’opportunité des poursuites, que nous connaissons tous, est nié par différentes dispositions et notamment par cette volonté d’automatiser les poursuites en cas d’échec d’une mesure alternative ou en matière de récidive légale.

Le principe d’individualisation de la peine, que nous pensions être inscrit pour des siècles dans notre culture juridique, est écarté. Les peines planchers, l’extension des amendes forfaitaires au-delà des contentieux de masse, le nouveau régime des réductions des peines sont autant d’illustrations du refus de la réalité pénale qui implique toujours un homme et des circonstances.

Heureusement, notre rapporteur a redonné au juge un pouvoir d’appréciation grâce à une décision spéciale et motivée, c’est-à-dire grâce à une mesure qui sera l’exception, alors que la règle sera le refus de l’individualisation.

Comment a-t-il pu vous venir à l’esprit de nous proposer des dispositions reposant sur une détention sans titre ? Le principe « pas de détention sans titre » se trouve ainsi malmené par l’extension du référé-détention, qui est contraire à l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu », ainsi qu’à l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui pose que tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.

Avant qu’il soit modifié, ayant provoqué un tollé, le texte a même tenté d’instaurer une interdiction de mentir, en imposant aux personnes suspectées de prêter serment de dire la vérité sous peine d’une condamnation pour témoignage mensonger.

Il suffit toutefois de feuilleter quelques revues de droit pour savoir qu’une telle disposition a déjà fait l’objet de condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en 1993 et en 2000 pour violation du droit de ne pas s’incriminer. Plus récemment, le 4 novembre 2016, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’elle était contraire à l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le texte fait également fi du principe de légalité. Vous avez en effet réussi cet exploit d’inventer une peine qui ne soit ni claire ni intelligible, en précisant qu’il fallait réprimer une manifestation d’adhésion ou de soutien à une organisation prônant la commission d’actes portant atteinte à des ressortissants français ou aux intérêts fondamentaux de la nation française. Évidemment, personne ne connaît les contours exacts d’une telle manifestation, ce qui contredit le principe de légalité.

Poursuivant dans l’inconstitutionnalité, le texte a même imaginé que lorsque l’on pose un bracelet électronique à une personne, le temps pendant lequel elle le porte pouvait ne pas s’imputer sur la durée de la détention. Outre que cette mesure serait évidemment contre-productive – sachant en effet que l’autorisation de la personne concernée est requise, on se doute que celle-ci refusera le port du bracelet électronique dans ce cas –, elle serait évidemment incompatible avec l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon lequel le port du bracelet électronique constitue bien une privation de liberté.

Une fois tous ces principes fondamentaux oubliés, votre proposition de loi s’en remet au règne de l’opinion. Celle-ci souhaite de l’incarcération ; qu’à cela ne tienne !

La contrainte pénale est également supprimée, au motif, de prime abord pertinent, que les magistrats ne s’en servent pas. Mais il faudrait alors appliquer le même type de raisonnement aux peines planchers, dont le bilan n’est pas fameux. En 2010, dans 62 % des cas éligibles, ces peines minimales ont été écartées par les juridictions répressives. En 2014, à la fin de la période, l’Union syndicale des magistrats précisait que les statistiques ne laissaient apparaître ni une régression de la récidive ni une baisse de la délinquance, ce qui tend à démontrer que ces peines n’ont eu aucun effet curatif ou préventif.

Les mêmes principes, ou plutôt la même absence de principes s’applique aux aménagements de peine, que je ne détaillerai pas à ce stade.

Je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, la loi pénitentiaire de 2009, défendue par Mme Rachida Dati. Avec le concours de Jean-René Lecerf, nous avons presque modifié tous les articles de ce texte. Mais la discussion de cette loi avait eu le mérite de poser des questions incontournables : quel est le sens de la peine ? Quelle est l’efficacité de la détention ? Comment éviter la récidive ? Autant de questions qui ne semblent pas intéresser les auteurs de la proposition de loi.

Les règles pénitentiaires européennes, dont nous avons pourtant longuement débattu, sont également oubliées, notamment la recommandation du Conseil de l’Europe selon laquelle la peine privative de liberté ne devrait être prononcée qu’en dernier recours.

C’est un texte de circonstance électorale, dont il ne fallait sans doute pas attendre une vision de la justice et de son fonctionnement.

La proposition a pour ambition d’accroître les pouvoirs du parquet. Ce débat, ancien, n’est pas inacceptable, mais on ne peut pas l’engager sans lever quelques hypothèques au préalable.

L’article 4 du texte permet au procureur de la République de solliciter, à l’issue d’une garde à vue, le recours à des mesures coercitives, notamment le placement en détention provisoire.

Que l’on puisse ainsi imaginer de placer en détention provisoire, sans respecter les droits de la défense, des personnes qui ne sont ni poursuivies ni mises en examen m’inquiète profondément. Je ne vois pas comment vous pourriez accepter une telle mesure, mes chers collègues, et je ne comprends pas qu’elle puisse figurer dans votre proposition.

Il faudrait évidemment engager un plus vaste débat sur l’équilibre de nos institutions judiciaires. Voulons-nous, oui ou non, supprimer le juge d’instruction, comme l’avait imaginé le président Nicolas Sarkozy ?

Qui, parmi vous, mes chers collègues, pourrait accepter la confusion opérée par ce texte entre l’autorité qui poursuit, l’autorité qui enquête et l’autorité qui place en détention provisoire ? Et comment pourriez-vous accepter la disparition des droits de la défense dans une procédure non contradictoire et sans accès au dossier ?

Chacun a certes le droit de vouloir accorder plus de pouvoir au parquet. Mais nous n’échapperons pas, alors, à cette question insistante, posée durant tout le quinquennat, et reprise par l’actuel garde des sceaux : comment garantir l’indépendance du parquet ? Le Sénat avait accepté une avancée en permettant au Conseil supérieur de la magistrature d’opposer un veto à des nominations, mais, à l’Assemblée nationale, un député de vos rangs, M. Larrivé, a préféré expliquer qu’il ne fallait pas « s’aventurer vers l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire ». La majorité qualifiée nécessaire à la révision constitutionnelle n’a donc pas pu être réunie.

Vous voulez renforcer les pouvoirs du parquet, mais acceptez-vous préalablement de renforcer son indépendance ? Vous devez éclaircir votre position sur cette question fondamentale.

Cette proposition de loi a au moins pour mérite de montrer que, en matière pénale, les Républicains n’ont pas d’autre doctrine que le retour au passé et, finalement, le souci de plaire, sans se préoccuper des droits fondamentaux, sans évoquer les moyens qu’une telle proposition nécessite, sans s’inquiéter d’une justice forte et indépendante.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion