Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 31 janvier 2017 à 14h30
Efficacité de la justice pénale — Discussion générale

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes encore en début d’année et voilà déjà un nouveau texte qui réforme la justice. Et il ne manquera pas d’en venir d’autres après les élections !

J’ai recensé les textes consacrés à la justice depuis une douzaine d’années : nous en sommes à une vingtaine – j’en ai communiqué la liste précise au président de la commission des lois. Ce constat est alarmant…

Car, pour bien fonctionner, la justice a d’abord besoin de stabilité et de moyens. Or, en France, elle ne dispose d’aucun des deux. Il n’est pas un chef de cour ou de juridiction qui ne s’en plaigne. Comme moi, vous avez, j’imagine, mes chers collègues, assisté ces derniers jours à des audiences de rentrée. Et cette année, comme les précédentes, le message est le même : les magistrats n’ont pas les moyens d’exercer correctement leur mission. Notre justice est toujours insuffisamment dotée, eu égard à ses besoins et à la comparaison de son budget avec celui des pays voisins. Certes, nos systèmes judiciaires sont différents, et il faut se méfier des comparaisons. Malgré tout, quelle que soit la méthode utilisée, nous sommes toujours les bons derniers des pays occidentaux.

La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, dont j’ai été le rapporteur pour le Sénat, devrait améliorer quelque peu cette situation en déjudiciarisant certaines procédures, notamment avec la sanction systématique de certaines infractions routières par une amende forfaitaire ou l’instauration du divorce par consentement mutuel sans juge.

Mais, parallèlement, d’autres réformes récentes accroissent les tâches des juridictions. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers, les contestations des placements en centre de rétention administrative passent du juge administratif au juge judiciaire, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention.

Évidemment, si les questions budgétaires ne doivent pas nous interdire de réfléchir à des pistes d’amélioration, la question des moyens doit rester une préoccupation permanente, afin que telle ou telle mesure nouvelle ne vienne pas aggraver une situation qui, dans la plupart des juridictions, est déjà plus que préoccupante.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est ambitieux, puisqu’il aborde presque tous les aspects de la politique pénale, depuis les mesures alternatives aux poursuites jusqu’à l’application des peines.

Certaines de ses propositions sont la reprise de critiques anciennes formulées par notre commission. On peut citer la contrainte pénale, dont nous avions dit à l’époque qu’elle serait inutile et inefficace.

Les faits nous ont donné raison, puisque, notre rapporteur l’a rappelé, les magistrats, parfaitement familiers du sursis avec mise à l’épreuve, ne se sont absolument pas approprié ce nouvel outil, quasi similaire, dont ils ne voient pas l’intérêt.

Les statistiques parlent d’elles-mêmes : depuis 2014, 2 000 mesures de contrainte pénale ont été ordonnées, contre 80 000 sursis avec mise à l’épreuve. Y renoncer aujourd’hui serait donc une mesure de bon sens.

Je partage, avec notre rapporteur, le souci de renforcer l’effectivité de l’exécution des peines. Celle-ci est absolument essentielle pour la crédibilité de la réponse pénale. Comment justifier une exécution des peines plusieurs mois, voire un an après leur prononcé ? Nos concitoyens, confrontés à cette réalité, en sont ulcérés et ils ont raison.

Cette proposition contient plusieurs dispositions qui concourent à améliorer l’exécution des peines ; nous les soutenons.

La proposition de loi comprend également plusieurs mesures de simplification procédurale : lecture de décision de renvoi devant la cour d’assises, possibilité pour les enquêteurs d’avoir un support papier lors de leurs auditions… Ces mesures vont dans le bon sens et participent à la bonne administration de la justice.

Je tiens, enfin, à saluer le travail réalisé par notre collègue François Pillet sur ce texte. Comme d’habitude, il s’est montré précis, vigilant et constructif.

Il a proposé, à juste titre, à notre commission de ne pas retenir plusieurs dispositions du texte initial qui lui paraissaient inopportunes, voire contre-productives. Suivant ses conseils, nous avons ainsi supprimé les articles 1er et 2, considérant notamment que l’automatisation de l’engagement des poursuites en cas d’échec d’une mesure alternative, contraire au principe d’opportunité des poursuites, risquait d’avoir des effets contre-productifs et de réduire le taux de réponse pénale.

Plus généralement, il a su éviter les a priori et les caricatures. Non, il ne faut pas laisser penser que certaines mesures de ce texte constitueraient une forme de défiance vis-à-vis des juges. Grâce aux modifications de notre rapporteur, que ce soit pour les peines planchers, la révocation du sursis ou la réduction des peines, le dernier mot reviendra toujours au juge.

Malgré les réserves que j’ai exprimées en introduction, notamment sur la surabondance de textes, et la nécessité absolue de s’attaquer prioritairement au renforcement des moyens matériels et humains de la justice, nous voterons ce texte amendé par notre commission des lois.

Pour être cohérents, pour que ce ne soit pas un simple texte de plus sur la justice, nous serons attentifs à ses évolutions dans le cadre de la navette, mais surtout au corollaire budgétaire qui l’accompagnera, et qui sera sans doute de la responsabilité de la prochaine majorité.

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