Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme notre collègue vient de l'exposer excellemment, l'article 12 organise la privatisation de la distribution.
En effet, pour bien comprendre le sens de cet article, il faut l'examiner au regard de l'article 6 qui prévoit la filialisation de la distribution, des articles 8 et 9 qui mettent fin à la péréquation sur le territoire national et, surtout, de l'article 10 qui permet la privatisation de GDF.
Si l'entreprise GDF est privatisée, sa filiale de distribution le sera bien entendu aussi.
Si le service de distribution est dorénavant privé, comment justifier le maintien d'un monopole ?
Dans la mesure où aucun monopole ne peut être confié à une entreprise privée, vous préférez revenir sur les fondements mêmes de la politique énergétique française en privatisant la distribution et en faisant exploser le monopole public, ainsi que les principes de péréquation qui lui sont attachés.
Nous ne pouvons approuver une telle démarche. Nous vous l'avons dit et répété : nous estimons que seule la maîtrise publique de la politique énergétique permettrait de répondre aux enjeux en la matière et de garantir l'accès de tous à l'énergie.
La création d'un géant européen privé de l'énergie - d'ailleurs, pas si géant que cela ! - ne constitue pas un progrès pour l'Europe, c'est le strict remplacement d'un monopole public par un oligopole privé.
Les citoyens et leurs représentants seront dépossédés de tout pouvoir de décision sur la politique énergétique au profit du marché et des actionnaires de Suez.
Nous estimons qu'il s'agit non seulement d'une erreur politique, mais également de mesures inconstitutionnelles.
En effet, Gaz de France est un service public national, reconnu par toutes les lois sur l'énergie depuis 1946. Ainsi, même l'article 1er de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique l'affirme : « La politique énergétique repose sur un service public de l'énergie qui garantit l'indépendance stratégique de la nation [...]. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique ».
Selon l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, dès lors que le caractère de service national est reconnu, l'entreprise doit devenir propriété nation.
C'est donc une première infraction à la Constitution.
Sur les questions de distribution, là encore, la contradiction avec la Constitution est flagrante. En effet, comment l'entreprise Gaz de France, une fois privatisée, pourrait-elle garder son monopole actuel sur les concessions de distribution publique ?
En France, les réseaux publics de distribution de gaz, comme les réseaux publics d'électricité et d'eau, sont la propriété de la puissance publique. Ils ont été construits avec l'argent public.
Ainsi, ces actifs constituent des monopoles de fait au sens de l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946.
La justification en est simple : deux réseaux concurrents dans la même rue, c'est un gâchis économique ! Deux réseaux de distribution de gaz, en termes de sécurité publique, c'est un non-sens !
Pour cette raison, la loi de 1946 a confié le monopole légal de distribution du gaz à GDF sur l'ensemble du territoire national, hors territoire de desserte des DNN, les distributeurs non nationalisés.
Avec la loi du 3 janvier 2003, les communes non inscrites au plan de desserte et non desservies en gaz en 2003 ont le choix de leur opérateur de distribution.
Hormis cette petite exception, GDF n'ayant jamais été mise en concurrence sur ces monopoles de distribution, l'entreprise est bien titulaire d'un monopole légal, et donc de fait, sur les concessions de distribution publique de gaz de son territoire de desserte.
Or l'alinéa 9 de la Constitution de 1946 interdit la création d'un monopole de fait pour une entreprise privée. Par conséquent, la privatisation de Gaz de France est bien inconstitutionnelle.
Si GDF devient une entreprise privée, elle sera, comme tous les opérateurs privés, soumise aux règles de mise en concurrence.
Cette dernière aura pour conséquence directe la disparition du distributeur mixte EDF-GDF Distribution, la coopération entre deux acteurs en concurrence directe sur les concessions de distribution étant incompatible avec les règles de concurrence.
En ce sens, l'article 7 de votre projet de loi est fallacieux puisque, si GDF est privatisée, il faudra y revenir pour diviser ce service commun.
Ces perspectives ne permettent pourtant pas de garantir un service public national de la distribution du gaz dans des conditions de tarifs et de sécurité satisfaisantes.
La fin de la péréquation laisse également craindre l'érosion de la notion même d'aménagement équilibré du territoire national et celle d'égal accès au service public.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que la distribution reste un monopole public et, par voie de conséquence, que GDF demeure une entreprise publique.
Telles sont les remarques que nous souhaitions livrer à ce moment du débat, tout en sachant - nous l'avons bien compris - qu'elles ne sont déjà plus d'actualité puisque le Sénat a, hélas ! adopté l'article 10.