Intervention de Élisabeth Lamure

Réunion du 23 février 2017 à 10h00
Bilan du « choc de simplification » pour les entreprises — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en demandant l’organisation de ce débat, la délégation aux entreprises a voulu se faire l’écho des centaines d’entrepreneurs qu’elle a rencontrés depuis sa création.

Depuis deux ans, nous sillonnons le territoire ; partout, le poids de l’administratif est vécu par les entreprises comme l’un des premiers blocages à leur développement.

Ce blocage se décline en excès de normes, en maquis de règles, en rigidité, en instabilité : plus les entreprises se voient imposer de règles, plus leur espace de liberté est réduit, ce qui nuit à leur créativité et à leur croissance. Ce poids pèse surtout sur les petites et moyennes entreprises, qui sont moins armées pour suivre l’emballement du droit.

Le coût du fardeau administratif est réel. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, l’estime à 60 milliards d’euros. Mais ce coût se mesure aussi en emplois perdus.

Selon le critère du poids de la réglementation, la France est classée 115e sur 138 pays par le Forum économique mondial. C’est une piètre performance ! Il s’agit donc d’un enjeu économique majeur, car notre compétitivité et notre attractivité sont affectées.

De nombreux pays européens l’ont bien compris et se sont saisis du problème. On peut se demander si la France a bien pris la mesure de l’enjeu, même si le Président de la République a annoncé en mars 2013 un « choc de simplification ».

Qu’en est-il quatre ans plus tard ? La délégation aux entreprises s’est saisie de cette question en adoptant le rapport Simplifier efficacement pour libérer les entreprises, qu’elle avait confié à Olivier Cadic et à moi-même.

Pour élaborer ce rapport, nous avons effectué des déplacements en Europe afin de comprendre la démarche de simplification menée par plusieurs de nos voisins : l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas.

Nous avons ensuite entendu à Paris une vingtaine d’acteurs qui sont au cœur du sujet : d’abord, les représentants des entreprises et de ceux qui les accompagnent pour gérer la complexité ; ensuite, les institutions chargées de la simplification, à commencer par le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, M. Jean-Vincent Placé, qui aurait dû être présent aujourd’hui. Comment interpréter sa défection, monsieur le secrétaire d'État ? Vous nous direz si nous devons y voir un désintérêt pour le sujet, ce que je n’espère pas, ou, peut-être, l’expression d’une difficulté à assumer un bilan délicat…

Nous avons également entendu des acteurs extérieurs au Gouvernement, mais bien placés pour analyser la situation française, que ce soit à l’Assemblée nationale, à la Cour des comptes ou chez France stratégie. Enfin, nous avons exploré certaines idées avec les membres de think tanks et des universitaires.

La volonté de simplification, affichée en haut lieu, a-t-elle produit des résultats pour les entreprises françaises ?

L’inflation législative ne date pas d’hier, mais, fait nouveau, elle va en s’accélérant. Si le nombre de projets de loi évolue peu, leur volume augmente, notamment à la faveur de leur examen au Parlement : le nombre d’articles des projets de loi est en moyenne doublé à l’issue de la navette.

On a tôt fait d’accuser les parlementaires, mais le Gouvernement est comptable du cinquième de cette dérive imputée aux amendements. En outre, pour légiférer, le Gouvernement recourt à l’ordonnance aussi bien qu’au projet de loi, contribuant ainsi directement à l’hyperactivité législative, sans l’aide du Parlement. S’ensuit mécaniquement un emballement réglementaire, toutes ces normes enchevêtrées créant de la complexité et de l’insécurité juridique.

L’Union des industries chimiques nous a transmis une courbe frappante qui manifeste l’emballement normatif depuis une quinzaine d’années, et encore ne concerne-t-elle que le domaine de l’hygiène, de la santé et de la sécurité. Il aurait été intéressant d’avoir la même courbe en matière fiscale ou de droit du travail.

La France resserre encore un peu plus cet étau normatif en transposant souvent les directives européennes au-delà des obligations standards, ce qui disqualifie nos entreprises et, même, les incite à délocaliser leur production.

Cela fait des années que l’on tente d’améliorer la situation sans grand succès visible, malgré le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, un secrétaire d’État dédié, un conseil de la simplification pour les entreprises et un gouvernement qui se félicite d’avoir initié 463 mesures de simplification.

Toutefois, l’élan initial s’est rapidement essoufflé. Le 10 juin 2015, M. Thierry Mandon annonçait, pour le 1er juillet 2015, la mise en place d’un comité permettant d’expertiser les études d’impact du Gouvernement. Ce comité n’a pas vu le jour, M. Mandon a changé de portefeuille une semaine plus tard et, depuis lors, trois ministres se sont succédé à ce poste en trois ans !

Le Conseil de la simplification pour les entreprises, malgré son dynamisme, a produit des mesures en tout genre. Notre rapport les classe en catégories : anecdotiques, symboliques, anti-Kafka, sans-papiers, sécurisantes, en trompe-l’œil, à la réputation simplificatrice carrément usurpée, voire à effet boomerang

Tout cela forme un tableau pointilliste : la politique de simplification n’arrive pas à convaincre, prise entre effets d’annonce et difficultés de mise en œuvre. D’ailleurs, 43 % des mesures annoncées par le Conseil de la simplification ne sont pas effectives. On évoquera des blocages, qui tiennent à la résistance au changement de ceux à qui profite la complexité, mais il faut aussi reconnaître que la volonté politique du Gouvernement a été défaillante.

Pourtant, le Gouvernement soutient que son action a dégagé une économie potentielle pour les entreprises d’environ 5 milliards d’euros annuels. Un tel chiffrage, effectué à partir des études d’impact produites par l’administration, reste invérifiable. Aucun audit préalable n’a été fait. Surtout, il néglige le coût qui résulte du flux parallèle d’obligations nouvelles : pénibilité, compte personnel de formation, transition énergétique… Si les entreprises ne ressentent pas un choc de simplification, elles ressentent assurément un choc de réglementation !

Or il est tout à fait possible de réussir : nos voisins d’Europe du Nord, eux, ont misé durablement sur l’amélioration de leur réglementation. L’Union européenne elle-même s’est engagée dans une telle démarche : sous l’impulsion du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le flux de textes nouveaux a objectivement ralenti.

Que conclure de nos déplacements en Europe ? Là où elle fonctionne, la simplification est un objectif politique, généralement transpartisan, qui mobilise l’ensemble du Gouvernement. L’évaluation préalable des coûts y est perçue comme un moyen de rendre efficace la décision politique, pas de s’y substituer. La simplification obéit à une méthodologie rigoureuse et repose sur des objectifs et le suivi d’indicateurs. Surtout, des résultats chiffrés et vérifiés sont obtenus. L’Allemagne a ainsi allégé le coût de la bureaucratie pour ses entreprises de 14 milliards d’euros entre 2006 et 2011. Enfin, la réduction du stock de règles s’articule souvent avec une régulation du flux de normes, grâce à une règle de compensation entre création et suppression de normes.

Dans tous ces pays, un organe indépendant contrôle la qualité des études d’impact, sur lesquelles repose le pilotage de la simplification pour les entreprises. Chacun de ces organes est doté d’un collège de quelques membres experts issus du monde économique, sans mandat politique ni fonction administrative. Il rend un avis qui est publié en même temps que le texte du projet de loi ou de règlement envisagé.

La majorité sénatoriale s’est également saisie du sujet et a présenté de nombreuses propositions. Des mesures d’ordre général, comme le one-in, two -out ou la fin de la surtransposition des normes européennes.

Nous avons également fait adopter au Sénat des mesures attendues par les entreprises, malheureusement balayées d’un revers de main par le Gouvernement : la mise en place d’une date fixe annuelle pour l’application des nouvelles obligations pesant sur les entreprises, la diminution des délais de paiement à trente jours fin de mois ou encore la transformation du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, en allégement de charges.

Sur le volet du droit du travail, la majorité sénatoriale a également été une force de propositions ; Jean-Baptiste Lemoyne y reviendra certainement.

Je laisse maintenant le soin à Olivier Cadic de présenter la suite du rapport de la délégation : il analysera la situation française, au regard des enseignements que nous avons pu tirer de nos observations à l’étranger, et vous présentera les propositions de la délégation aux entreprises.

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