Intervention de Didier Deris

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 12 janvier 2017 : 1ère réunion
Normes en matière de construction d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer — Audition en visioconférence avec la martinique

Didier Deris, directeur du bureau de contrôle ANCO 972 :

Le bureau de contrôle ANCO que je dirige intervient dans les trois départements d'outre-mer (DOM) de la Caraïbe, ainsi que dans l'Hexagone. Nous avons participé à toutes les évolutions réglementaires depuis 1981.

En préambule, je tiens à dire que la Martinique dispose de bureaux d'étude et d'architectes bien formés, si bien que la question n'est pas tant d'avoir moins de réglementation qu'une réglementation mieux adaptée. On ne constate pas vraiment de chantier achoppant essentiellement à cause de la réglementation. Les problèmes relevés sont plutôt de l'ordre de la tracasserie administrative, qui se constate par exemple dans la longueur des délais d'obtention des permis. Les questions de coût sont un autre facteur pénalisant. Toutefois, il est manifeste que certaines normes sont inadaptées. Je pense en particulier à la réglementation sur la sécurité-incendie qui prévoit l'obligation de désenfumer les cages d'escalier. La difficulté vient de ce que les cages d'escaliers de Martinique sont déjà largement ventilées sans qu'elles puissent pour autant être considérées comme situées à l'air libre au sens de la réglementation.

Il me semble que deux normes pourraient être utilement amendées pour réduire les coûts de construction. La réglementation parasismique en vigueur classe la Martinique en zone de risque 5 comme la Guadeloupe. Pourtant, les deux îles n'ont pas exactement le même profil car la Martinique présente des accélérations de sols plus faibles. En m'appuyant sur plusieurs études sérieuses et en tant que membre du conseil de l'Association française du génie parasismique (AFPS), je préconiserais de distinguer les deux cas et de ramener la Martinique en zone 4. Nous pourrions ainsi diminuer les ferraillages dans les structures et ainsi alléger les coûts. Par ailleurs, la réglementation PMR instaure un seuil à R+3 sans ascenseur. Pour limiter l'impact financier, tous les bâtiments sont construits en R+3. Une dérogation, ne serait-ce qu'à R+4, permettrait d'augmenter les capacités de logement à moindre coût.

Pour l'instant, la production locale de matériaux de construction se concentre sur le gros oeuvre, la menuiserie et la voirie et réseaux divers (VRD). Pratiquement, tout le second oeuvre est importé. L'intensité des échanges commerciaux entre les DOM est relativement faible. Le développement de la production locale se heurte au problème majeur de la certification. En l'absence d'un organisme de certification implanté en Martinique, il est nécessaire pour les entreprises d'envoyer des échantillons dans l'Hexagone pour les faire examiner par le CSTB, ce qui génère des délais et des coûts importants. Il me semble qu'il serait très pertinent de pouvoir faire certifier les matériaux aux normes européennes et françaises en Martinique. Cela constitue une vieille revendication des entreprises locales.

Notre appréciation du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) est plutôt mauvaise. La comparaison de la règlementation thermique de la Martinique (RTM), dont la préparation a été confiée par contrat au CSTB, et de la réglementation thermique, acoustique et aération spécifique aux DOM (RTAADOM), fruit consensuel d'une longue élaboration par les professionnels sous l'égide de la DEAL, la confirme encore. Trop rapidement entrée en vigueur, la RTM présente déjà des conséquences déplorables. Nous la jugeons sévèrement ; elle a été produite sans concertation et son contenu même en pâtit. La RTAADOM est fondée sur la volonté d'éviter la climatisation tout en garantissant le confort thermique, ce qui implique de jouer sur la ventilation. Elle donne aux maîtres d'oeuvre les solutions techniques pour parvenir à ce résultat. À l'opposé de cette démarche orientée sur le confort, la RTM est le type même d'une réglementation purement logicielle. Elle est basée sur des calculs du CSTB partant du principe d'une généralisation de la climatisation qui implique une isolation des logements, directement contraire au souci de ventilation. J'ajoute que le logiciel du CSTB a été payé fort cher - plus d'un million d'euros - et qu'il souffre de nombreux problèmes techniques, des « bugs » à répétition. Nous ne savons pas exactement ce que le logiciel contient, ni comment le modifier. Enfin, la RTM ne couvre que les logements, commerces, bureaux ou parties de bureaux, tout en retenant la conformité globale d'un établissement dès lors que ses parties soumises à la RTM sont déclarées conformes. Autrement dit, si un bâtiment globalement très mal isolé comprend un bureau conforme à la RTM, l'ensemble du bâtiment est considéré comme conforme. De plus, les autres types de bâtiments ne sont soumis à aucune réglementation thermique : nous ne disposons d'aucune base pour effectuer le calcul thermique d'un hôpital ou d'une école. Nous sommes dans le désert ! Il faut donc revoir et reprendre la RTM dans la concertation pour parvenir à un système normatif correct.

Concernant la sinistralité, les pathologies les plus marquées relèvent de défauts d'étanchéité. Pour les régler, on pourrait poser des doubles murs comme en métropole mais cela gonflerait les coûts de construction. Je n'hésite pas à dire que l'assurance est un véritable problème, pour ne pas dire un fléau, alors que la Martinique se voit frappée de surcoûts incompréhensibles et qu'elle présente plutôt moins de sinistres que l'Hexagone. Il n'y a aucune raison que les frais d'assurances ne soient pas les mêmes en tout point du territoire national. Les surcoûts en Martinique résultent d'une décision prise par les assureurs sans qu'on puisse la justifier.

La Martinique connaît les « Règles Antilles » réalisées par les professionnels sur plusieurs années pour l'adaptation des documents techniques unifiés (DTU). Malheureusement, ces derniers sont constamment modifiés sans que leur évolution ait été suivie, si bien que les règles Antilles sont devenues obsolètes. Afin d'adapter les normes techniques au contexte local, il faut absolument créer une commission technique paritaire locale composée de professionnels et d'experts, en lien avec les DEAL. Je pense que sa compétence devrait être très large pour qu'elle puisse avoir autorité sur tout ce qui touche à la construction.

L'adaptation des normes doit être poursuivie. On travaille aujourd'hui beaucoup sur les séismes, ce qui est positif, mais pas assez sur les cyclones. Or, la réglementation paracyclonique a été modifiée et prévoit désormais l'application des eurocodes, dont la partie relative au vent n'est pas pertinente puisqu'elle est bâtie sur des scénarios éminemment européens. Par exemple, la force du vent est censée diminuer en s'éloignant de la mer. Appliquée en Martinique, cette règle aboutit à diminuer de 50 % les charges qui doivent être supportées par le bâtiment dans l'intérieur de l'île par rapport au bord de mer. Je considère que nous prenons là de gros risques alors que l'oeil d'un cyclone est plus grand que la Martinique, si bien que dans ce genre d'épisodes violents le scénario européen n'est plus pertinent. Le vent a la même force sur toute l'île, sans diminuer au-delà de 3 km du rivage. Les eurocodes sous- estiment la charge de vent qui doit être supportée sur l'ensemble de l'île pour résister à un cyclone. Des bâtiments calculés et bâtis de façon parfaitement conformes risquent donc d'être détruits ou emportés en cas de cyclone.

Les maîtres d'ouvrage expriment une demande forte de classification des bâtiments pour le vent comme c'est le cas pour les séismes car nous risquons d'être confrontés à des cyclones plus puissants que ceux sur lesquels s'appuient nos calculs, effectués sur la base d'une période de retour de 50 ans. Établies sur la base d'une période de 100, 200 ou 700 ans, les valeurs seraient bien supérieures. Un hôpital, par exemple, pourrait ainsi être certifié en prenant en compte des contraintes plus fortes qui lui permettraient de garantir la résistance à un cyclone comme le cyclone Hugo qui a frappé la Guadeloupe.

Les normes sont correctement respectées en Martinique. Nos bureaux d'étude sont bien équipés et nos ingénieurs formés et compétents. Ils savent gérer les calculs complexes. Ce n'est encore une fois pas de moins de normes mais de meilleures normes dont nous avons besoin.

De nombreux bâtiments sont situés en bord de mer, en zone dite « liquéfiable », ce qui impose la pose de pieux. Or, ces bâtiments ont souvent une faible largeur en façade, si bien que cette solution n'est tout simplement pas praticable. Nous souhaiterions qu'une réflexion soit menée pour trouver des solutions alternatives aux pieux pour des bâtiments de niveau 3 maximum, notamment sur la base d'un renforcement des sols.

La Martinique participe à de nombreuses réflexions sur les normes en matière de construction dans la Caraïbe. Nous sommes leaders dans ce domaine. En liaison avec l'université, notre territoire pourrait devenir un pôle de savoir-faire dans le domaine de la réglementation. Nous pourrions également disposer d'un organisme de certification, aussi bien pour les matériaux produits en Martinique que dans l'environnement régional. Ceci permettrait de diminuer les coûts d'achat de certains matériaux qui sont, à l'heure actuelle, forcément importés d'Europe et de diffuser notre savoir-faire dans la Caraïbe sur les questions parasismiques et paracycloniques.

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