Pensez-vous qu'il serait préférable de retenir l'âge de la majorité ? Nous savons tous que le passage de la pédopsychiatrie à la psychiatrie adulte ne va pas sans difficulté. Quid du parcours de soins depuis le plus jeune âge jusqu'à l'âge adulte ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - De zéro à 15 ans, les patients sont pris en charge par l'hôpital des enfants, ce qui n'a jamais posé de problèmes importants. Les équipes d'accueil de pédopsychiatrie savent gérer ces différences d'âge. Certains locaux mériteraient d'être adaptés comme au CHU de Toulouse. À partir de 15 ans, les malades relèvent des urgences psychiatriques adultes. Il y a longtemps, un de mes collègues m'avait dit qu'il faudrait des pédopsychiatres pour gérer les « enfants énergumènes ». Mais il ne comptait par an que trois cas d'enfants posant véritablement problème en raison de leur violence. Pour moi, il n'était pas question de créer une équipe spécifique pour trois enfants par an ! En revanche, un adolescent de 15 ans a du mal à comprendre pourquoi il se retrouve aux urgences psychiatriques d'adultes. Cela pose aussi des problèmes d'organisation. Par exemple, ces hôpitaux ne proposent le plus souvent que des chambres à deux lits : or un mineur ne peut être que seul dans une chambre. Donc, l'hôpital perd un lit et des patients se retrouvent dans les couloirs.
En outre, les équipes d'adultes ne sont pas habituées à gérer les situations de crise des adolescents, même si, à titre personnel, je trouve qu'elles y arrivent assez bien. Mais mes collègues qui gèrent ces services nous demandent de nous occuper de ces jeunes. L'ARS Midi-Pyrénées nous a d'ailleurs sollicités pour mettre en place un nouveau dispositif. Nous proposons ainsi des équipes de liaison : dans les services de médecine, il doit y avoir des psychiatres d'enfants pour s'occuper des patients. N'oublions pas que de jeunes cancéreux peuvent avoir des troubles associés, se trouver en grave dépression et montrer des syndromes de stress post-traumatique car chimiothérapie et radiothérapie sont traumatisantes. Ce sont des catastrophes individuelles que vivent les enfants. Dans mon service, j'ai une équipe extraordinaire de liaison composée de médecins, d'infirmiers et de travailleurs sociaux. En psychiatrie d'adultes, mes collègues sont en train de constituer des équipes analogues car les malades mentaux ont aussi le droit d'être malades dans le droit commun.
Pour améliorer ces situations en amont et en aval, il faut développer l'ambulatoire, même si, bien sûr, les lits restent indispensables : j'ai ainsi déposé un projet de six lits de crise pour adolescents car il n'est pas possible de laisser partir un jeune en détresse en pleine nuit. L'ARS s'est engagée à ce que nos trois secteurs disposent chacun d'une consultation pour adolescents afin de les recevoir dans les 72 heures puisqu'un des grands reproches qui nous est fait tient aux délais d'attente.
Avec des moyens suffisants sur l'ambulatoire, il est possible de désamorcer les montées de crise. Mais il en va de même en somatique : en cas d'AVC, il est préférable d'être hospitalisé immédiatement plutôt que d'attendre le lendemain.
Peut-on parler de virage ambulatoire en pédopsychiatrie ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - La psychiatrie a toujours défendu l'ambulatoire.
Dans mon département, la dynamique n'est pas mauvaise. En revanche, la démographie y est galopante et les problématiques des enfants et des adolescents sont de plus en plus sévères. Je dirige un hôpital de jour : en 20 ans, la précarité s'est installée, nous voyons arriver des familles totalement démunies tant sur le plan social que financier ou culturel. Nous voyons beaucoup de mamans seules, d'enfants issus de l'immigration. Les consultations hospitalières ne sont pas gratuites puisqu'il faut présenter la carte vitale. Lorsqu'une rééducation orthophonique est prescrite, il en coûte 5 euros par semaine. Ces 5 euros sont remboursés trois mois après mais nous avons des familles qui arrêtent de venir à l'hôpital public car elles ne peuvent avancer 20 euros par mois pendant trois mois.
Le rapport de M. Brison et Mme Moro insiste à juste titre sur le nécessaire renforcement de l'ambulatoire. Bien sûr il faut aussi des lits mais sachez que les lits sont aussi des pièges, surtout pour les adolescents, car ils risquent de ne plus pouvoir partir. Je dispose de onze lits d'hospitalisation et nous avons trois à quatre adolescents qui sont là depuis plusieurs années. Imaginez le prix de la journée dans ce CHU de pointe ! Au bout de quelques mois d'hospitalisation d'un jeune, mon équipe estime le plus souvent que nous fabriquons de la comorbidité car il ne pourra plus s'adapter à l'extérieur dans un dispositif médico-social, social ou ordinaire.