Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser M. Alain Milon, président de cette mission, qui m'a demandé de le représenter.
Merci, monsieur le professeur, d'avoir accepté notre invitation ainsi que le changement d'horaire de votre audition lié au report, à sa demande, de l'audition de Mme la directrice générale de l'offre de soins. Comme vous le savez, notre mission d'information s'intéresse à la psychiatrie des mineurs. Plusieurs questions se posent : celle de l'organisation des soins sur le territoire, celle du rôle des différents acteurs, médecine de ville généralistes et spécialistes, hôpital mais aussi médecine scolaire et, de manière récurrente, celle de la formation des pédopsychiatres. Sur ce dernier sujet, vos fonctions vous donnent un point de vue particulièrement intéressant.
Je vous cède donc la parole pour un bref propos introductif à l'issu duquel le rapporteur, Michel Amiel, puis les autres sénateurs vous poseront quelques questions.
Je rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse.
Professeur Jean-Philippe Raynaud, chef de service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (SUPEA) au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse. - Sur le secteur de la Haute-Garonne, nous disposons de trois secteurs de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et je dirige celui rattaché au CHU. Un autre est rattaché à l'hôpital psychiatrique et le dernier à une association. Nous disposons donc des trois modèles du secteur public de pédopsychiatrique.
En tant que professeur des universités praticien hospitalier (PUPH), j'enseigne la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent dans les deux facultés de médecine de Toulouse puisqu'il n'y a qu'un seul professeur de pédopsychiatrie. Je suis également membre élu par mes collègues du conseil national des universités qui sélectionne les candidats pour être PUPH. J'ai également des fonctions au sein de l'Association européenne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.
Je souhaite vous remercier pour cette audition : ma discipline est assez peu écoutée et connue. En tant que régional, je suis également heureux d'être reçu par vous car nous ne rencontrons pas tout à fait les mêmes problématiques qu'à Paris.
Notre discipline est très convoquée, on nous demande d'être sur plusieurs fronts : radicalisation, victimologie... Ce matin encore, je participais avec M. Amiel à une table ronde sur les personnes victimes d'attentats ou de catastrophes. On attend beaucoup de notre discipline : on lui reproche d'en faire trop - prévention, thérapeutique - mais aussi de ne pas en faire assez. Cette discipline est à la charnière du sociétal et du social. Plusieurs fois, on m'a traité d'assistante sociale, ce que je prends plutôt comme un compliment. Ainsi, nos collègues des urgences nous disent qu'ils n'ont pas le temps d'écouter les patients ; que c'est un travail d'assistante sociale.
L'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) a publié des chiffres très intéressants : en 2015, sur 2 millions de patients suivis en ambulatoire en psychiatrie hospitalière, 25 % sont des mineurs.
La pédopsychiatrie a été créée en France il y a 70 ans à la Pitié-Salpêtrière. Elle se caractérise par sa pluridisciplinarité. C'est pourquoi il faut parler des pédopsychiatres mais aussi des équipes pluri-professionnelles très riches : psychologues, éducateurs spécialisés, infirmiers, rééducateurs... Tous ces professionnels ont une culture et une compétence partagée.
Cette discipline dispose de trois atouts : la proximité sur les territoires, j'y suis très attaché. L'égalité d'accès aux soins : ce service public est gratuit et sans avance de paiement. Lorsqu'on consulte dans un centre médico psychologique (CMP), nul besoin de fournir sa carte vitale ni sa mutuelle. Enfin, les progrès ont été considérables ces dernières décennies.
Comment concevez-vous le champ de notre mission d'information ? Devons-nous nous en tenir à la psychopathologie avérée ou l'étendre à la souffrance psychique « ordinaire » ou même au bien-être.
En fin de matinée, vous avez parlé de tronc commun pour la formation des pédopsychiatres mais aussi pour tous ceux qui interviennent dans le domaine sanitaire, médico-social, voire social.
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Notre dispositif n'est certes pas parfait mais son maillage territorial est satisfaisant grâce aux centres médico-psychologiques (CMP) et aux centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Ce dispositif mériterait des renforts qualitatifs et quantitatifs et j'attends qu'on le conforte, qu'on le valorise.
De nombreux centres experts et centres de compétences se développent actuellement, qui portent notamment sur l'autisme. À Toulouse, nous avons un centre de ce type : un médecin hospitalier de mon service dirige le centre de ressources autisme (CRA) Midi-Pyrénées. Nous disposons aussi de centres experts pour les apprentissages. Mais une fois que les expertises sont réalisées, une fois que les enfants ont été bardés d'évaluations, de questionnaires, de tests, il faut que les prises en charge s'inscrivent dans la durée. Si tel n'est pas le cas, cela ne sert à rien, si ce n'est de fabriquer un sentiment d'insuffisance et de culpabilité chez les parents et les professionnels.
Il y a quelques années, je présidais à l'ARS Midi-Pyrénées un comité territorial « santé mentale des jeunes »pour préparer le projet régional de santé (PRS). Nous avions estimé qu'il fallait un poste d'infirmier par CMP ou par CMPP pour recevoir les adolescents dès que l'infirmier, le médecin scolaire ou les parents le souhaitaient. Nous avons fait cette expérience dans le CMP de Fronton qui a récemment été créé : un adolescent a été hospitalisé aux urgences du CHU cette année, alors que nous comptons 1 200 adolescents hospitalisés après être passés par les urgences enfants et les urgences adultes, pour motifs psycho-comportementaux. Or, une fois que ces enfants sont aux urgences, les choses se compliquent.
Il faut donc conforter l'existant.
Il existe un continuum entre le bien-être, le mal-être et la pathologie. En tant que professeur de médecine, je soigne des pathologies mais les diabétologues font de la prévention et des interventions auprès de populations à très haut risque de diabète. Nos priorités restent les pathologies avérées mais nous savons tous qu'il existe des facteurs de risque et de vulnérabilité. L'ARS Midi-Pyrénées essaye de repérer les adolescents à haut risque de dépression et elle a formé les infirmiers de l'éducation nationale pour les détecter. En même temps, nous avons formé les secteurs de pédopsychiatrie en Aveyron, en Haute-Garonne, en Hautes-Pyrénées et dans le Gers afin qu'ils répondent très rapidement à ces infirmiers lorsqu'ils détectent des adolescents en danger. Nous appelons cela de la prévention interventionnelle mais ce n'est pas forcément la pédopsychiatrie qui intervient.
Depuis 2005, quatre grandes lois ont été votées : la loi sur le handicap en 2005, la loi sur la protection de l'enfance en 2007, la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) en 2009 et la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. En outre, les groupements hospitaliers de territoires (GHT) ont été créés.
Pour vous, les GHT doivent-ils être généralistes ou doit-il exister des GHT psy ?
Ces quatre lois ont-elles amélioré le champ de votre activité ?
Ce matin, la table ronde a évoqué l'extrême urgence. À un degré moindre, lorsqu'un mineur se retrouve aux urgences de pédiatrie, il est souvent difficile de savoir qui doit intervenir, surtout lorsque l'hospitalisation est nécessaire. Comment améliorer la prise en charge aux urgences du mineur en situation clinique de psychopathologie ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Dans mon département, nous avons un GHT dont l'établissement porteur est mon CHU. À l'intérieur de ce GHT, nous avons constitué une communauté psychiatrique de territoire (CPT). L'hôpital psychiatrique Gérard Marchant de mon département adhère au GHT mais il est porteur de la CPT. Pour moi, la pédopsychiatrie doit se trouver au milieu des autres disciplines. Il existe huit secteurs d'adultes et d'enfants à l'hôpital psychiatrique et deux - un d'adulte et un d'enfant - au CHU. Il nous est apparu naturel que ce soit l'hôpital psychiatrique qui soit porteur de la CPT. Nous en voyons aujourd'hui les premiers effets : nous avons déposé ensemble un projet avant l'été 2016 auprès de l'ARS pour créer des dispositifs réactifs pour les adolescents afin qu'ils ne restent pas trop longtemps aux urgences. L'ARS, qui nous avait incité à nous réunir pour présenter un même projet, a été extrêmement sensible au fait que nous ayons déposé de concert - hôpital psychiatrique, CHU, association pédopsychiatrique - ce projet. La pédopsychiatrie et la psychiatrie ont toujours été précurseurs en ce domaine car elles travaillent depuis longtemps sur le terrain avec les médecins libéraux, le médico-social, le social.
À mon sens, la psychiatrie doit donc être pleinement intégrée dans les projets des hôpitaux généraux. Étonnement, la partie psychiatrique de l'hôpital de Lavaur est également rattachée à notre GHT et à notre CPT.
Les moyens étant trop limités, nous n'avons d'autre choix que de nous entendre.
Vous avez dit tout à l'heure qu'une fois que les enfants entraient aux urgences, les choses se compliquaient. Qu'entendez-vous par-là ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Il existe un problème d'âge : en-dessous de 15 ans, les jeunes sont dirigés vers l'hôpital des enfants. A partir 15 ans, c'est l'hôpital pour les adultes. Qui a décidé que le seuil se situait à 15 ans ?
Pensez-vous qu'il serait préférable de retenir l'âge de la majorité ? Nous savons tous que le passage de la pédopsychiatrie à la psychiatrie adulte ne va pas sans difficulté. Quid du parcours de soins depuis le plus jeune âge jusqu'à l'âge adulte ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - De zéro à 15 ans, les patients sont pris en charge par l'hôpital des enfants, ce qui n'a jamais posé de problèmes importants. Les équipes d'accueil de pédopsychiatrie savent gérer ces différences d'âge. Certains locaux mériteraient d'être adaptés comme au CHU de Toulouse. À partir de 15 ans, les malades relèvent des urgences psychiatriques adultes. Il y a longtemps, un de mes collègues m'avait dit qu'il faudrait des pédopsychiatres pour gérer les « enfants énergumènes ». Mais il ne comptait par an que trois cas d'enfants posant véritablement problème en raison de leur violence. Pour moi, il n'était pas question de créer une équipe spécifique pour trois enfants par an ! En revanche, un adolescent de 15 ans a du mal à comprendre pourquoi il se retrouve aux urgences psychiatriques d'adultes. Cela pose aussi des problèmes d'organisation. Par exemple, ces hôpitaux ne proposent le plus souvent que des chambres à deux lits : or un mineur ne peut être que seul dans une chambre. Donc, l'hôpital perd un lit et des patients se retrouvent dans les couloirs.
En outre, les équipes d'adultes ne sont pas habituées à gérer les situations de crise des adolescents, même si, à titre personnel, je trouve qu'elles y arrivent assez bien. Mais mes collègues qui gèrent ces services nous demandent de nous occuper de ces jeunes. L'ARS Midi-Pyrénées nous a d'ailleurs sollicités pour mettre en place un nouveau dispositif. Nous proposons ainsi des équipes de liaison : dans les services de médecine, il doit y avoir des psychiatres d'enfants pour s'occuper des patients. N'oublions pas que de jeunes cancéreux peuvent avoir des troubles associés, se trouver en grave dépression et montrer des syndromes de stress post-traumatique car chimiothérapie et radiothérapie sont traumatisantes. Ce sont des catastrophes individuelles que vivent les enfants. Dans mon service, j'ai une équipe extraordinaire de liaison composée de médecins, d'infirmiers et de travailleurs sociaux. En psychiatrie d'adultes, mes collègues sont en train de constituer des équipes analogues car les malades mentaux ont aussi le droit d'être malades dans le droit commun.
Pour améliorer ces situations en amont et en aval, il faut développer l'ambulatoire, même si, bien sûr, les lits restent indispensables : j'ai ainsi déposé un projet de six lits de crise pour adolescents car il n'est pas possible de laisser partir un jeune en détresse en pleine nuit. L'ARS s'est engagée à ce que nos trois secteurs disposent chacun d'une consultation pour adolescents afin de les recevoir dans les 72 heures puisqu'un des grands reproches qui nous est fait tient aux délais d'attente.
Avec des moyens suffisants sur l'ambulatoire, il est possible de désamorcer les montées de crise. Mais il en va de même en somatique : en cas d'AVC, il est préférable d'être hospitalisé immédiatement plutôt que d'attendre le lendemain.
Peut-on parler de virage ambulatoire en pédopsychiatrie ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - La psychiatrie a toujours défendu l'ambulatoire.
Dans mon département, la dynamique n'est pas mauvaise. En revanche, la démographie y est galopante et les problématiques des enfants et des adolescents sont de plus en plus sévères. Je dirige un hôpital de jour : en 20 ans, la précarité s'est installée, nous voyons arriver des familles totalement démunies tant sur le plan social que financier ou culturel. Nous voyons beaucoup de mamans seules, d'enfants issus de l'immigration. Les consultations hospitalières ne sont pas gratuites puisqu'il faut présenter la carte vitale. Lorsqu'une rééducation orthophonique est prescrite, il en coûte 5 euros par semaine. Ces 5 euros sont remboursés trois mois après mais nous avons des familles qui arrêtent de venir à l'hôpital public car elles ne peuvent avancer 20 euros par mois pendant trois mois.
Le rapport de M. Brison et Mme Moro insiste à juste titre sur le nécessaire renforcement de l'ambulatoire. Bien sûr il faut aussi des lits mais sachez que les lits sont aussi des pièges, surtout pour les adolescents, car ils risquent de ne plus pouvoir partir. Je dispose de onze lits d'hospitalisation et nous avons trois à quatre adolescents qui sont là depuis plusieurs années. Imaginez le prix de la journée dans ce CHU de pointe ! Au bout de quelques mois d'hospitalisation d'un jeune, mon équipe estime le plus souvent que nous fabriquons de la comorbidité car il ne pourra plus s'adapter à l'extérieur dans un dispositif médico-social, social ou ordinaire.
Contrairement à notre rapporteur, je ne pense pas qu'il faille parler de virage ambulatoire en pédopsychiatrie.
Je fais partie de celles et ceux qui sont opposés aux GHT s'ils ne reposent pas sur un projet médical partagé. Malheureusement, c'est rarement le cas. Nuançons donc nos propos.
Le grand problème actuel de l'hôpital tient au peu de lits en aval : peut-on dire la même chose pour la psychiatrie ? Vous estimez que certains adolescents restent trop longtemps dans ces lits mais pourquoi ne pas créer des centres adaptés à certaines pathologies ? Devrait-il s'agir de centres spécialisés ou de centres plus généralistes qui traiteraient diverses pathologies mais avec des équipes pluridisciplinaires ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Je parlerai plutôt de deuxième virage ambulatoire. Le premier date des années 1970 avec la création des secteurs et la volonté, que je partage, de sortir les malades mentaux, a fortiori les enfants et les adolescents, de l'hôpital psychiatrique ou de l'asile.
Les moyens de l'ambulatoire n'ont pas beaucoup augmenté ces 25 dernières années. On a certes créé un CMP mais on n'a pas pu renforcer les CMP existants. Il est d'ailleurs souvent plus facile d'obtenir des moyens lorsqu'on crée de nouveaux dispositifs que de renforcer ceux qui existent déjà.
Pour vous répondre, nous disposons déjà de toutes les structures nécessaires : les Instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) pour les jeunes qui ont des troubles des conduites, les Instituts médico-éducatifs (IME) pour les enfants qui ont des retards mentaux. Mais nous devons aujourd'hui les adapter parce que les définitions ne sont plus les mêmes que dans les années 1970 ou 1980 et qu'il faut tenir compte des comorbidités. Par ailleurs, grâce aux progrès qui ont été réalisés, les jeunes qui fréquentaient ces structures il y a 20 ans peuvent aujourd'hui être pris en charge en ambulatoire.
La loi de 2005, au sujet de laquelle j'ai été interrogé tout à l'heure, nous a ouvert les portes de la scolarisation qu'on appelait à l'époque « l'inclusion » pour les enfants handicapés et autres. Il faut savoir que le handicap s'est élargi au point que la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) notifie également les cas de dyslexie, de dyspraxie ou de troubles instrumentaux.
Je ne suis pas convaincu qu'il faille multiplier des structures autour de thématiques. Nous n'en avons d'ailleurs pas les moyens.
Je crois plutôt qu'il faut former le plus grand nombre de praticiens. Je voudrais notamment former deux professionnels dans chaque CMP à la gestion des catastrophes et à la victimologie, que ce soit pour se mobiliser comme on l'a vu à Nice ou à Toulouse avec AZF il y a 15 ans, ou pour prendre le relais une fois le feu éteint car nous savons aujourd'hui que ces traumatismes ont des effets à très long terme.
Il y a de très bonnes compétences dans le médico-social, mais il faut les renforcer.
Par exemple, en Haute-Garonne, département très attractif pour les médecins, nous avons huit temps plein de pédopsychiatres budgétés mais non occupés en médico-social. Est-ce qu'on ne pourrait pas les articuler avec le sanitaire, quitte à ce que leur temps soit partagé entre différentes structures, ce qui serait par ailleurs pertinent sur le plan clinique ? En France, on aime bien cliver, par exemple le médical, le médico-social et le sanitaire, et il faut bien dire que le législateur ne simplifie pas toujours les choses en décidant que les budgets sont fongibles dans un sens mais pas dans l'autre...
Par exemple, lorsque le Conseil départemental a créé la Maison des adolescents, on nous a demandé de mettre à disposition des médecins et des infirmiers compétents en pédopsychiatrie. Nous l'avons fait bien volontiers mais cette manière de procéder est assez nouvelle.
Autre exemple, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) de Midi-Pyrénées vient de lancer un appel à projet pour une équipe mobile ITEP. Quand un jeune dans un ITEP n'ira pas bien, cela permettra, avant de l'adresser directement au sanitaire, de demander du soutien auprès de cette équipe mobile qui va se mettre en place le 1er avril.
Permettez-moi une parenthèse sur le fait que nous avons beaucoup de professionnels très jeunes car des pédopsychiatres, des éducateurs et des infirmiers très expérimentés prennent leur retraite. Or les élèves infirmiers ne bénéficient que d'une formation de 10 heures à la pédopsychiatrie. Comment voulez-vous qu'un infirmier qui sort de l'école puisse démarrer en pédopsychiatrie et sécuriser des adolescents en étant si peu formé ?
Cette équipe mobile qui va travailler dans le médico-social nous a demandé la mise à disposition d'un pédopsychiatre. La Guidance a, pour sa part, fourni des travailleurs sociaux. Cela permet de créer des liens et de faire des « tuilages », notamment entre les différentes équipes qui prendront en charge le tout-petit, l'enfant puis l'adolescent. L'état d'esprit commence donc à changer.
Les spécialistes que nous avons auditionnés nous ont expliqué la difficulté de faire des études épidémiologiques en psychiatrie infantile et de l'adolescent.
Vous avez parlé de l'évolution de la précarité ces 20 dernières années. Voyez-vous un lien entre les pathologies et l'augmentation de la précarité ?
Constatez-vous une évolution des pathologies psychiatriques chez les enfants ces 20 dernières années ? Nos modes de vie modernes ont-ils un impact important de ce point de vue ?
Faut-il créer un secteur spécifique pour la prise en charge des adolescents ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - L'unité d'épidémiologie 10-27 de l'Inserm, au sein de laquelle je travaille, fait partie d'une fédération de recherche, l'Institut fédératif d'études et de recherches interdisciplinaires santé société (IFERISS), qui travaille sur les inégalités sociales en santé. Mes collègues chercheurs montrent depuis des années que plus on est pauvre, isolé, habitant dans les territoires où il y a une moins forte densité de dépistage, de soins, de ressources, d'accès aux informations, plus les risques d'infarctus du myocarde, de cancer, de maladies neurodégénératives, mais aussi de maladies mentales, sont élevés.
Il faut évidemment faire très attention à la manière dont on le présente et c'est pourquoi je préfère le mot précarité à celui de pauvreté.
Nous savons que le Valproate de sodium, ou Dépakine, qui est très souvent prescrit dans l'épilepsie et dans les troubles bipolaires, donne des troubles développementaux sévères. Il est désormais bien connu que lorsqu'il est pris pendant la grossesse, ce traitement « fabrique » de l'autisme.
Les équipes de liaison que nous avons dans deux maternités publiques voient régulièrement de jeunes mères qui ont pris du Valproate pendant toute leur grossesse parce que, pour des raisons d'isolement, de précarité, de manque d'informations ou parfois de jeune âge, elles ont été très peu suivies. Des troubles graves dans le développement de l'enfant peuvent être évités grâce à l'information.
Dans mon unité Inserm, j'ai participé à une étude sur l'autisme avec retard mental qui a montré qu'il est plus fréquent dans les territoires de grande précarité et d'isolement. Cela va à l'encontre de toutes les représentations qu'on a depuis la découverte de l'autisme par Kanner et Asperger car on a toujours pensé que les milieux favorisés étaient les plus touchés.
Il n'y a pas de pathologie de gens surinformés, à part peut-être l'hypocondrie car la consultation des sites internet médicaux rend très anxieux.
L'évolution des pathologies est liée à nos progrès communs. L'éducation nationale dépiste mieux, l'information circule mieux et les médecins généralistes sont bien formés. Cette mobilisation permet de dépister les pathologies de plus en plus tôt et de plus en plus finement. Il y a donc un effet d'augmentation de la prévalence, auquel il faut ajouter l'élargissement du spectre pour quelques pathologies dont l'autisme, d'où des effets de progression assez vertigineux.
Quand j'ai appris la pédopsychiatrie, on apprenait la névrose et la psychose. Aujourd'hui, on a beaucoup plus de pathologies intermédiaires, avec des troubles de la personnalité et des troubles limite ou borderline. Jusqu'à 18 ans, les classifications sont ainsi faites qu'on ne pose pas de diagnostic de trouble de la personnalité, même si l'on voit bien les choses se dessiner. Roger Misès parlait de troubles de la personnalité « en train de se constituer ». Cela permet de travailler de plus en plus tôt et c'est bien utile.
Par ailleurs, il faut prendre en compte la multiplication des addictions et des expérimentations. Je n'ai pas un patient adolescent qui n'ait pas expérimenté ou qui ne consomme pas régulièrement de cannabis. Dans la plupart des cas, ce n'est pas la raison principale de leurs difficultés.
Entre le mal-être ordinaire et la maladie mentale, il y a la tentative de suicide ou le suicide avéré. La prévention du suicide étant un point important pour cette mission d'information, pourriez-vous préciser votre opinion à ce sujet ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Le grand plan lancé il y a 20 ans par Bernard Kouchner a été très suivi et je crois qu'il porte ses fruits. On observe une diminution de 16 % des décès par suicide en 10 ans chez les moins de 25 ans, ce qui est encourageant, particulièrement en matière de prévention de la récidive, même si la Finlande et le Portugal font beaucoup mieux que nous.
Quant à la prévention primaire, elle se fait chez les plus petits. Un exemple : une association m'a invité dans sa crèche située dans un quartier difficile. J'ai pu apprécier la qualité de la prise en charge des seize enfants qu'elle accueille. L'équipe, qui est constituée exclusivement d'éducateurs de jeunes enfants et d'un psychologue qui vient deux heures par semaine, effectue un travail de prévention, y compris de la radicalisation, du suicide et de certaines pathologies de la personnalité qui s'étayent sur les sentiments d'impuissance ou d'humiliation. Ce n'est pas une crèche « mièvre » mais une crèche qui apprend la confiance en soi. Or on souhaite diminuer sa subvention annuelle de 25 000 euros, ce qui empêcherait son équipe de continuer à travailler comme elle le fait. Dans ce quartier, il y a beaucoup de mères qui élèvent leurs enfants seules, qui ont subi des violences ou sont dans des situations interculturelles. C'est pourquoi il est important que cette crèche survive. C'est d'ailleurs en raison de cette action de prévention que le Conseil départemental lui accorde une subvention.
J'aimerais revenir sur le lien entre les conduites addictives, notamment la consommation de cannabis, et les pathologies mentales. Pensez-vous qu'il existe un lien de cause à effet entre la consommation de cannabis et les troubles psychiatriques, ou, qu'à l'inverse, cette consommation serait favorisée par les troubles psychiatriques ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Je pense que les deux sont vrais. Emmanuelle Godeau est médecin de l'éducation nationale et coordonne HBSC, Health Behaviour in School-Aged Children, une enquête européenne auto-déclarative s'adressant aux enfants et aux adolescents. Les données montrent qu'un grand nombre d'adolescents ont expérimenté le cannabis et qu'un certain nombre d'entre eux en consomment régulièrement.
Ceux qui consomment beaucoup, c'est-à-dire plusieurs fois par jour et de manière non festive, ont effectivement plus de fragilités, voire des pathologies déjà avérées.
J'ai reçu un adolescent de 13 ans et demi la semaine dernière à qui j'ai proposé un sevrage. Le jeune interne qui m'accompagnait m'a dit que cet adolescent avait fumé avant de venir en consultation alors que je me souviens de l'époque où les adolescents faisaient attention à ne pas avoir bu ou avoir fumé avant un rendez-vous. Il reste que nous sommes très inquiets sur le trouble de la personnalité sous-jacent de ce jeune.
Il faut poser la question brutalement car c'est un enjeu politique, voire électoral à l'heure actuelle. Est-ce que le cannabis génère ou décompense des épisodes sous-jacents ?
La consommation de cannabis ne fabrique pas de psychose ou de trouble de la personnalité mais elle peut les provoquer ou les décompenser.
Je dirais aussi que c'est aussi un facteur révélateur. Nous ne sommes pas tous égaux. Je pense à ce champion de tennis qui se vante de fumer du cannabis avant de jouer un match de finale à Roland-Garros : il a certainement une constitution biologique, génétique, affective, narcissique qui rend cela possible mais c'est assez exceptionnel.
Tous mes patients qui ont connu des épisodes psychotiques aigus après avoir fumé du cannabis avaient des fragilités.
J'ai participé à l'audition sur la recommandation en vue de la réduction des risques et des dommages organisée par la Fédération française d'addictologie. J'étais le seul pédopsychiatre. Une recommandation assez ouverte a été faite en faveur de la dépénalisation. J'y ai fait ajouter que nous ne savons pas aujourd'hui ce que fait le cannabis sur un cerveau en développement et que nous ne sommes pas tous égaux.
Ne consomme-t-on pas parce qu'on est fragile ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Cela joue certainement mais je pense également que pour certains jeunes un peu fragiles sur le plan narcissique, la consommation de cannabis fait partie de la panoplie de l'adolescent accompli.
J'ai grandi à la campagne où, après les matchs de foot, les adolescents mineurs faisaient des concours de pastis dans le bar du village et ces comportements étaient socialement valorisés.
Vous avez évoqué le fait que certains enfants ou adolescents restaient à l'hôpital plusieurs années.
Quelles sont les causes de cette situation ? Tient-elle aux pathologies ou aux démarches qui sont mises en oeuvre ?
Quels seraient selon vous les moyens de sortir de cette situation ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Ces enfants très jeunes et ces adolescents sont en général polyhandicapés : ils ont par exemple à la fois un retard mental, des troubles autistiques, de gros troubles du comportement et, bien souvent, ils se trouvent dans des situations familiales complexes, par exemple avec des parents qui n'en peuvent plus.
Du fait de leur polyhandicap, ces enfants connaissent les institutions depuis longtemps et parfois ces dernières n'en veulent plus au motif qu'ils sont trop violents, trop compliqués à gérer ou qu'elles ne sont pas assez équipées.
Notre travail est d'accueillir ces jeunes quand ils sont en phase de décompensation. Mais lorsque nous les avons aidés à retrouver un équilibre, il arrive que toutes les portes se ferment à l'extérieur. C'est parfois du fait du jeune lui-même qui peut avoir laissé un souvenir épouvantable, avec des actes très violents comme d'essayer d'étrangler un éducateur.
Deuxièmement, c'est aussi un problème d'image ou de représentation. À partir du moment où un jeune a passé plusieurs mois en psychiatrie, on a tendance à penser qu'il va être très difficile de le prendre en charge ailleurs qu'en psychiatrie. Mais quand un patient est suivi en soins intensifs ou en réanimation de cardiologie, son médecin traitant prend le relais à sa sortie. De plus, des tuilages sont toujours possibles.
Il y a maintenant des commissions pour les cas complexes mais je dois reconnaître que sur ces trois ou quatre adolescents qui font de séjours longs dans mon service, elles ne nous aident pas beaucoup. Le dernier qui est sorti est parti en psychiatrie d'adulte le jour de ses 18 ans. Nous n'en sommes pas très fiers.
Où est-il aujourd'hui ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - À l'hôpital psychiatrique Marchant. Je sais par un collègue que cela ne s'y passe pas si mal. C'était aussi le cas chez nous mais le problème est qu'un séjour de 3 ou 4 ans à l'hôpital lui a fait perdre le peu d'adaptation qu'il avait avant.
Que font les malades toute la journée ?
Pr Jean-Philippe Raynaud. - Nos services sont très riches et les malades sont loin d'y être désoeuvrés. Ils ont des soins, des ateliers, de la rééducation, des activités ludiques et ils peuvent bénéficier d'une scolarité. Mais il ne faut pas confondre la psychiatrie avec de l'animation. Il s'agit d'abord de soins. Je compare souvent les soins psychiatriques aux soins intensifs : ils sont coûteux et ils demandent beaucoup de personnel ; c'est pourquoi les patients qui vont mieux doivent laisser la place à ceux qui en ont besoin. Nous devons donc aider le médico-social sur ces cas de polyhandicap.
J'ajouterai pour conclure que je suis favorable à la création d'un DES de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Une réforme du troisième cycle des études médicales est en cours. Au niveau européen, les pédopsychiatres sont formés en moyenne en trois ou quatre ans. En France, ils sont formés au maximum en deux ans, ce qui est insuffisant pour leur garantir des compétences solides. Il est clair que nous serons moins nombreux. Il faut donc que nous soyons mieux formés et plus armés.
En Allemagne où existent un DES de psychiatrie de l'enfant et un DES de psychiatrie de l'adulte, on note, premièrement, une reconnaissance de la pédopsychiatrie ; deuxièmement, la transition dans le parcours de soins ; et troisièmement, une amélioration des relations entre la psychiatrie de l'adulte et la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Nous ne sommes pas les parents pauvres mais l'enfant pauvre de la psychiatrie et de la médecine ! Ce qu'il faut garder en tête, c'est que je reconnais l'autre lorsqu'on est sur un pied d'égalité.
Merci pour cette audition très intéressante.
La réunion est close à 16 heures.