Si encore Suez les avait conviés à un colloque sur l'intérêt qu'il y aurait à construire un géant européen de l'énergie, nous aurions peut-être compris, mais qu'il n'hésite pas, alors qu'un projet de loi le concernant directement est en débat au Parlement, à emmener en jet privé des parlementaires assister à une finale de Coupe du monde, voilà une méthode qui se situe davantage entre le lobbying et la corruption !
Nous tenterons d'y voir plus clair en portant l'affaire en justice et en demandant au Sénat la création d'une commission d'enquête sur de telles pratiques !
Oui, chers collègues de l'UMP, vous étiez gênés, car vous n'ignorez pas qu'en France les services publics de l'énergie fonctionnent bien. Pour être, malgré tout, au contact des citoyens, vous auriez sans doute préféré voir les camionnettes bleues de GDF continuer de sillonner les routes de France, comme vous souhaitiez conserver les camionnettes jaunes de la poste. Mais comment, me direz-vous, s'adapter à l'Europe libérale tout en conservant la poste, EDF et GDF services publics ?
Parce qu'il y aurait obligation de « s'adapter à l'Europe libérale » ? Pas du tout ! Nous pouvons très bien refuser une Europe libérale, une Europe commerciale, et construire, au contraire, une Europe des services publics. C'est ce à quoi nous devons travailler.
M. le rapporteur l'a bien dit, et je suis d'accord avec lui sur ce point, il faudrait une directive-cadre sur les services d'intérêt général. Mais cela ne se fera pas avant le 1er juillet, et nous sommes obligés de transposer maintenant la directive européenne et donc de libéraliser le marché de l'énergie.
Vous voulez créer un géant du gaz ? Quel bricolage ! Votre géant sera bien fragile, car il nous faudra toujours consommer davantage pour rentabiliser les investissements de ce géant énergétivore. Or, non seulement c'est exactement le contraire de ce que nous devons faire eu égard à notre objectif de maîtrise de l'énergie, mais aussi et surtout nous aurons bien du mal à garantir les contrats. En effet, monsieur Laffitte, il s'agira non plus de la négociation entre un distributeur et un petit producteur, mais bien d'un face-à-face entre un distributeur sans moyen et un gros producteur. Nous sommes donc complètement ligotés !
Sous un angle plus géopolitique maintenant, à quelles concessions la nouvelle entreprise sera-t-elle poussée face aux pays producteurs ? Et la démocratie dans ces pays ?
Nous avons déjà une petite idée de ce qui se passera avec l'expérience que nous avons des rapports entre Google et la Chine, et l'assassinat d'Anna Politkovskaya en Russie ! Le fait d'être ainsi liés aux économies de pays producteurs sans coopération politique à de quoi inquiéter. Nous aurons des rapports marchands, exclusivement marchands, et, pour la liberté de notre pays, c'est vraiment très inquiétant !
Comme je l'avais précisé lors de la discussion générale, ce géant aura une démarche maladroite et lourde, car on va lui demander de continuer à assurer des missions de service public, alors que les autres entreprises sur ce marché concurrentiel n'auront pas la même charge : c'est une mission impossible s'il est le seul groupe à assumer de telles missions ! Et à quel prix le fera-t-il ?
Sur ce point, la démarche de M. Longuet a été plus logique. Selon lui, quitte à libéraliser, il faut le faire jusqu'au bout et ne surtout pas fixer de seuil à 34 %, ce qui obligerait à repasser devant le Parlement au cas où l'on envisagerait une augmentation de capital. Alors, libéralisons, libéralisons et voyons ! Mais libéraliser tout en maintenant des contraintes de service public, c'est une démarche vouée à l'échec !
Permettez-moi, mes chers collègues, d'insister sur un dernier point qui a été évoqué sur les travées de l'opposition : comment maintiendrons-nous les prix et le statut des salariés ?
Souvent, j'entends dire qu'en raison de leur statut les salariés des entreprises publiques telles que la SNCF, Air France, EDF ou GDF, sont des privilégiés. Mais ceux qui tiennent de tels propos gagnent souvent mille fois ce que gagne un smicard !