Intervention de Thibaud de Saint-Aubin

Mission d'information inventaire et devenir des téléphones mobiles — Réunion du 14 septembre 2016 à 14h00
Audition de M. Thibaud Saint-aubin coordinateur du réseau prévention et gestion des déchets de france nature environnement

Thibaud de Saint-Aubin, coordinateur du réseau de prévention et gestion des déchets de France Nature Environnement :

Nous vous remercions de cette invitation à nous exprimer sur ce sujet, qui est, à nos yeux, important. Le téléphone mobile, qui est un produit de consommation de masse et à forte valeur technique, soulève un certain nombre de problèmes spécifiques.

France Nature Environnement est une fédération regroupant environ 3 500 associations affiliées, qui traitent de différents sujets liés à la protection de la nature, depuis la biodiversité jusqu'à la protection des océans en passant par l'économie circulaire.

Le réseau prévention et gestion des déchets que je coordonne comprend environ 600 contributeurs bénévoles, dont un certain nombre travaillent au niveau national avec une petite équipe salariée, notamment via la participation aux commissions des filières REP, dont celle des D3E depuis son démarrage en 2006.

Vous avez déjà auditionné beaucoup de structures sur l'ensemble de la filière. Afin d'éviter les répétitions, je centrerai mon propos sur une vision de l'intérieur de la filière REP et de ses liens avec le devenir des téléphones mobiles.

Il est difficile de travailler sur les téléphones mobiles du fait de l'opacité de la filière et de la difficulté à trouver des chiffres précis, que ce soit en France ou à l'échelle européenne ou mondiale. Ce sujet constitue néanmoins, pour nous, une bonne porte d'entrée pour comprendre les dynamiques des filières de produits à haute technologie. Celles-ci sont à la fois mondialisées et surtout très concurrentielles, ce qui oriente la manière dont on doit aborder le problème. Avant de discuter de la filière REP D3E des téléphones mobiles, je voudrais reprendre quelques éléments qui me semblent importants.

Il s'agit d'une filière à la fois très segmentée et très concurrentielle, qui amène les acteurs, et donc les constructeurs, à utiliser une stratégie de différenciation à marche forcée. Pour conquérir de nouvelles parts de marché, et même pour conserver celles qu'ils contrôlent, les acteurs doivent proposer des développements techniques innovants, qui ont des implications directes sur les composants.

Cette situation entraîne, d'une part, la miniaturisation croissante des composants, et, d'autre part, le développement d'alliages et de composites spécifiques aux fonctionnalités que l'on cherche à développer. Il en résulte une classification des matériaux, avec, d'un côté, des matériaux de base liés aux fonctions de base d'un téléphone - alimentation, affichage, sonorisation -, parmi lesquels le cuivre, l'étain et l'or, et, de l'autre, des alliages ou des métaux plus spécifiques pour des fonctions plus spécifiques, telles que l'écran tactile, le GPS ou l'appareil photo.

Il en résulte également un accroissement du nombre des substances minérales - on compte plus de soixante éléments métalliques aujourd'hui -, et du nombre des composés plastiques également, ainsi qu'une récupération limitée des éléments valorisables, pour des raisons économiques ou techniques. Ils se trouvent en effet en proportion plus faible, et l'accès est rendu plus complexe du fait des mélanges de substances. Certains auteurs parlent d'une dissipation lente de la matière à travers ces mécanismes, qui rendent une valorisation matière complète difficilement atteignable.

Seulement la moitié des métaux présents - essentiellement les métaux de base et certains métaux plus spécifiques - sont recyclés à 50 % ou plus. Enfin, on peut regretter le manque de valorisation matière de métaux rares et spécifiques, que ce soit pour des contraintes techniques ou économiques.

Comme l'ont expliqué plusieurs intervenants, nous disposons en France d'un gisement, puisque près de la moitié des téléphones mobiles vendus sont stockés chez les particuliers. Les teneurs des métaux qui les composent sont très supérieures à l'extraction primaire minière, mais pour assurer une valorisation matière satisfaisante, il faudrait faciliter l'accès grâce au développement d'une filière complète, notamment avec un effort de soutien de la part des pouvoirs publics.

La question des risques sanitaires a été évoquée assez largement. Je rappellerai qu'un certain nombre de métaux et de composés plastiques dangereux pour la santé humaine et pour l'environnement sont visés par la directive européenne RoHS : le plomb utilisé dans les soudures, qui est un neurotoxique important ; le mercure, présent dans certaines anciennes versions de batteries ; le cadmium, qui provoque l'ostéoporose ; et enfin le chrome hexavalent, qui est aussi sous la contrainte de la directive RoHS mais qu'on trouve encore à l'état de trace dans certains téléphones. Une concentration des téléphones peut donc provoquer des pollutions si le problème est mal géré.

Ce premier état des lieux montre que la filière va avoir du mal à progresser dans la voie de l'écoconception, du fait de sa nature même, et qu'elle devra faire appel à différents leviers pour aller dans ce sens. Une valorisation matière convenable prendra encore du temps. Pour y parvenir, une volonté politique forte sera nécessaire, notamment pour relocaliser certaines activités de production et de recyclage.

On a donc deux boucles positives destinées à réduire les prélèvements primaires et les rejets de matière par un allongement de la durée de vie, ce que l'on a un peu traité au travers de l'écoconception, mais pas seulement. Cette question est aujourd'hui essentiellement portée par les filières à responsabilité élargie du producteur, notamment celle des D3E.

Pour la FNE, trois enjeux principaux se dégagent aujourd'hui : une gouvernance plus démocratique, ce qui concerne l'ensemble des filières REP ; l'atteinte des objectifs de collecte et de traitement, pour éviter les fuites qui alimentent l'exportation des déchets à l'encontre de la convention de Bâle ; enfin, la réduction de l'impact environnemental des équipements, par l'allongement de la durée de vie des produits et la réduction de l'utilisation de substances dangereuses ou polluantes.

Sur le premier enjeu, nous disposons d'un retour d'expérience intéressant, puisque nous sommes présents à la fois dans les commissions de filières, dont celle des REP, et dans la commission dite « transfilières ». Nous animons, coprésidons ou participons à des groupes de travail qui se formalisent selon les enjeux et les sujets au sein des REP. Nous avons notamment été initiateurs du groupe de travail sur l'écoconception qui, à son démarrage, avait vocation à travailler sur la définition des modulations.

Nous avons noté les réticences d'un certain nombre d'acteurs à contribuer en temps et en heure aux groupes de travail relatifs à la question des modulations, et ce malgré l'implication de certains de leurs membres.

Nous sommes également préoccupés par la question du partage équilibré des connaissances. En tant que représentants d'associations de protection de la nature et de l'environnement, nous ne sommes pas des spécialistes de ces questions, mais notre présence est absolument nécessaire pour garantir un jeu d'acteurs équilibré. Cela demande du temps, de l'implication et des moyens, et cela passe aujourd'hui par la formation de nos propres membres, la diffusion des compétences au sein de notre réseau, notamment la remontée d'informations du terrain, ce qui est chronophage et difficile à mettre en oeuvre, et, enfin, la possibilité de développer une vision plus prospective de ces filières en lien avec les autres filières REP et notre propre travail sur l'économie circulaire.

Nous avons déjà proposé la mise en place d'un budget par collège au sein des filières REP, afin d'autonomiser celles-ci en termes de formation et de compréhension des enjeux. Ce budget ne serait pas un blanc-seing : il devrait être assorti d'un projet annuel et d'un bilan en fin d'année devant les commissions ad hoc.

En ce qui concerne ce problème, nous observons que le modèle de concertation est grippé. Vendredi dernier, pour la quatrième fois, le cahier des charges de la filière emballage a été rejeté, de même que celui de la filière papier, ce qui montre bien les difficultés qui existent aujourd'hui. Cela montre également que les groupes de travail et les commissions qui sont censés avancer sur des sujets précis autour de la définition des cahiers des charges sont en fait généralement contournés par des discussions bilatérales qui nuisent à la mise en place de discussions multipartites et sur lesquelles nous, FNE et représentants d'associations, ne pouvons pas forcément rivaliser en termes de disponibilité et de compréhension des enjeux. Nous sommes un peu le parent pauvre dans ces discussions qui sont souvent centrées autour des questions financières. Certes, c'est normal, mais cela rend notre tâche d'autant plus compliquée que nous défendons pour notre part des objectifs ambitieux et des contributions assorties de modulations.

Pour information, le groupe de travail sur l'écoconception ne s'est pas réuni depuis plusieurs années. Nous voudrions le relancer.

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