La réunion est ouverte à 14 heures.
Nous reprenons les auditions de notre mission d'information et nous entamons d'ailleurs notre dernière demi-journée d'auditions.
Nous recevons M. Christian Thomas, que je remercie d'avoir accepté d'être entendu par notre mission d'information, créée à la demande du groupe écologiste et qui achèvera ses travaux à la toute fin de ce mois de septembre. Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui, en fin du cycle de nos auditions.
Vous avez en effet trois « casquettes ». Vous êtes membre du Comité pour les métaux stratégiques (COMES) : au vu des différents composants, et notamment des terres rares, des téléphones mobiles, votre avis nous intéresse.
Vous êtes président du pôle de compétitivité Team 2, qui se présente comme une « véritable plate-forme d'innovation collaborative pour l'économie circulaire ». Comme tous les pôles de compétitivité, il rassemble des entreprises, des laboratoires de recherche et des établissements de formation. Dans le cadre de nos interrogations sur la recherche en matière de récupération ou de recyclage des déchets issus des téléphones portables, ainsi que dans la perspective de l'émergence d'une filière dans ce domaine, nous sommes impatients d'entendre votre point de vue.
Vous êtes enfin fondateur de la société Terra Nova, dont nous avons beaucoup entendu parler au cours de nos travaux. Nous avons effectué un déplacement sur le site d'Umicore, en Belgique, et nous avons reçu lundi le fondateur de la société Morphosis. La spécificité de l'activité de Terra Nova, mais aussi les freins voire les difficultés que l'entreprise rencontre, nous intéressent également.
Sans plus attendre, je vais vous laisser la parole ; nous vous interrogerons par la suite.
Je vous remercie de me recevoir en ce lieu. Dans un premier temps, je vais tenter de répondre aux questions que vous m'avez fait parvenir.
La première concernait les composants et matériaux que l'on trouve dans les téléphones portables. Se borner aux téléphones portables est quelque peu réducteur ; mieux vaut élargir notre réflexion à l'ensemble des appareils nomades, comme les tablettes ou les ordinateurs portables qui sont tous constitués d'une batterie, d'une carte électronique, d'un écran et sont contenus dans un caisson en plastique. En disant cela, je viens d'ailleurs de vous donner les grandes composantes d'un téléphone portable.
Quels sont donc ses composants ? Débutons notre description par une caisse plastique autour d'un appareil. Ces plastiques qui sont la plupart du temps des acrylonitriles butadène styrène (ABS) ou des époxy, soit des ensembles de plastiques, qui contiennent des retardateurs de flamme bromés en quantité assez importante. On retrouve également du brome dans les cartes électroniques.
Un travail de recherche a été conduit, il y a quelques années, sur la possibilité de recycler complètement un téléphone portable : le recyclage de ces plastiques est pratiquement impossible, leur destruction ou leur utilisation pour faire de l'énergie posant problème. La présence de brome rend difficile le traitement de ces plastiques en raison des émanations gazeuses qu'engendre le brome. Les plastiques bromés se retrouvent dans de nouveaux produits car le brome est un excellent ignifugeant : les plastiques bromés doivent être séparés. Ils ne sont pas recyclables et finissent soit en incinération, ce qui ne devrait normalement pas être le cas, soit en enfouissement. À cet égard, leur enfouissement génère notamment, avec leur détérioration, des organiques du brome. Il s'agit donc de produits qui sont, en termes de décomposition, dangereux à long terme. Il est donc indispensable de mettre en place une filière propre de destruction de ces plastiques. Le développement d'une technologie de récupération ou de recyclage du brome permettant d'éviter sa diffusion dans l'atmosphère, est l'un des enjeux du traitement global non pas seulement du téléphone portable, mais de tout ce qui en est connexe. Notre société a d'ailleurs travaillé sur la captation du brome et son recyclage et ces questions font l'objet de programmes de recherche-développement.
Outre les plastiques, il convient d'aborder les batteries qui sont généralement au lithium et dont le démantèlement devrait être séparé. Or, dans un Ipad, la batterie est soudée. On estime ainsi que 10 % des batteries qui restent attachées soit à leur téléphone, soit à leur plaquette ou tablette. Ces batteries, passées au broyeur, prennent feu. D'un point de vue industriel, il convient de mettre en oeuvre des techniques ignifugeantes. Une fois ces batteries démontées, celles-ci contiennent, outre du lithium, du cobalt, qui est un métal stratégique, et des contacts en or. Le lithium n'est pas encore classé dans les métaux stratégiques, mais il le deviendrait si les voitures électriques venaient à s'équiper, de cette façon intense, de cette technologie. À ce stade, le futur des véhicules électriques reste encore mal défini : on ne sait si les batteries au lithium ou les technologies hydrogènes seront, à l'avenir, privilégiées. Des technologies alternatives existent. Si le lithium s'imposait, il faudrait prévoir son recyclage. Or il n'y pas, pour l'heure, de recherche dynamique dans ce domaine.
Il y a ensuite les cartes électroniques, qui contiennent l'essentiel des métaux stratégiques d'un téléphone. Ces cartes pèsent entre 15 et 20 grammes et représentent près d'un tiers du poids d'un téléphone portable, de 15 à 20 % d'une tablette et de l'ordre de 10 % d'un écran plat de grande taille.
Ces cartes contiennent un substrat de résine époxy résultant de l'enchaînement de bisphénols les uns aux autres. On trouve également des retardateurs de flamme qui sont à nouveau du brome, ainsi que du trioxyde d'antimoine. Cette résine représente environ 30 % du poids de la carte. La carte comprend également des fibres de verre, qui représentent également 30 % des composants et le reste est composé de métaux.
Parmi les métaux, le cuivre peut représenter entre 15 et 20 % du poids de la carte, et dans les masses, on trouve du fer, notamment pour les vis, de l'aluminium, utilisé pour les radiateurs, ainsi que des métaux en traces ou utilisés pour les soudures, comme l'étain et le plomb. L'étain est d'ailleurs assez important puisqu'il représente quelque 3 % d'une carte électronique et le plomb, qui aurait cependant dû disparaître des téléphones portables. On retrouve cependant dans la plupart des appareils électroniques des soudures au plomb qui devrait disparaître de la composition des téléphones portables. Ces cartes sont fabriquées en Asie du Sud-Est et personne ne vient contrôler leur teneur en plomb. Il est plus aisé de réaliser des soudures avec ce matériau qu'avec d'autres alliages qui réclament, quant à eux, des températures plus élevées !
On trouve également d'autres métaux intéressants, comme l'or - on peut en trouver jusqu'à un kilo par tonne de cartes -, l'argent - autour de deux à trois kilos par tonne -, du palladium, reconnu comme métal stratégique et présent à hauteur de quatre-vingts grammes par tonne, et enfin du tantale, autre métal stratégique que l'on trouve dans les très petits condensateurs. Plus les appareils sont fins, plus ils contiennent du palladium ou du tantale qui peut être présent jusqu'à dix kilogrammes par tonne. Il s'agit de quantités importantes.
On trouve enfin d'autres métaux en traces, puisque certains alliages sont composés d'un peu de nickel et permettent de faire de l'acier ou de l'inox. On ne trouve d'autres métaux, comme le galium ou le germanium, que sous forme de traces. Ainsi, l'émetteur à hautes fréquences d'un téléphone portable est composé de minuscules quantités de gallium.
Ce sont des quantités de métal à des niveaux extrêmement élevés, comparés à ceux que l'on trouve dans les mines. Ainsi, en Afrique de l'Ouest, on exploite des mines d'or avec des rendements de moins d'un gramme par tonne. On se situe ainsi dans des teneurs plusieurs centaines de fois plus élevées, comme pour l'argent, le palladium ou encore le tantale. On parle à bon escient de « mines urbaines ».
L'écran est le dernier composant : il comprend du verre à la fois destiné à la protection et à la fabrication de l'écran plat. Ces verres ne sont pas en soi très intéressants à recycler, à la différence des bouteilles. On trouve cependant sur ceux-là un glaçage d'oxyde d'indium-étain (ITO) en surface. On trouve également, dans le rétro éclairage de l'écran, des LED qui contiennent de l'épitaxie d'arséniure de gallium, qui sont des traces infimes, de l'ordre de quelques atomes, ainsi que des pigments qui sont des terres rares, à savoir des luminophores, qui ne sont certes pas parmi les plus recherchées.
Pour résumer, un téléphone portable comprend des composants relativement désagréables, comme les organiques et la présence de brome. Il n'y a certes pas d'arsenic ni de mercure. S'y trouve du plomb en quantité faible, qui est appelé à disparaître. Il contient aussi des métaux qui demeurent valorisables et sont très intéressants. Comme ce sont des matériaux extrêmement riches, on peut les collecter et les recycler de façon extrêmement avantageuse. Encore faut-il s'organiser pour le faire !
S'agissant de la combustion des composants qui dégage des gaz toxiques, comment cette problématique est-elle abordée par Umicore ? Celle-ci met-elle en oeuvre des procédés destinés à filtrer ces émanations ou les laisse-t-elle s'échapper dans la nature ?
Plusieurs caractéristiques du brome doivent ici être prises en compte. Lorsqu'on détruit le brome, on recueille plusieurs familles de composants, soit de l'acide bromhydrique (HBR) qui peut être facilement filtré avec un filtre à base de chaux, et du BR2, soit le brome natif, qui est une grosse molécule assez difficile à saisir. Umicore respecte des limites d'émissions pour les substances HBR ; je n'ai pas d'information pour le BR2.
Dans notre usine d'Isbergues, nous avons été confrontés à cette problématique et nous travaillons sur une technologie visant à recycler ce brome que nous sommes en train de breveter. Je sais qu'à l'usine d'Aurubis, le brome BR2 est arrêté sous la forme d'un bromure de zinc et j'imagine qu'Umicore met en oeuvre la même technique, le bromure de zinc étant ensuite traité en Chine, puisqu'aucune fonderie européenne n'accepte de recevoir du bromure de zinc.
Par ailleurs, s'il y a du monoxyde de carbone dans les gaz, ce qui est logique dans une postcombustion, des dioxines de brome vont être formées et devront être arrêtées, avec du charbon actif notamment. Il existe des composés bromés organiques qui sont également dangereux. Voilà les sujets sur lesquels il faut se concentrer.
S'agissant des cartes électroniques, on en produit dans le monde quelque deux millions de tonnes par an. Celles-ci se retrouvent dans nombre d'appareils, depuis le sèche-cheveux jusqu'à la voiture : 500 000 tonnes sont collectées en fin de vie. Une dizaine d'usines dans le monde, dont trois se trouvent en Europe et le reste en Asie du Sud-Est, s'occupent du traitement de ces cartes. Ce sont des fonderies de cuivre qui ont été conçues pour traiter à la base des concentrés miniers et ont adapté leur outil pour traiter les cartes électroniques à hauteur de 10 % de leur production globale.
Le coût de l'adaptation est assez élevé en raison du traitement des gaz qui en résultent et les difficultés engendrées par le traitement de ces cartes dans une fonderie qui n'est pas initialement destinée à le faire initialement sont assez importantes. Seules les unités qui disposent d'un savoir-faire métallurgique élevé sont en mesure de le faire. C'est la raison pour laquelle leur implantation reste limitée à certains pays, comme la Corée du Sud, le Japon et l'Europe.
Ensuite, il existe certains traitements de carte qui sont plus primitifs, comme ce qui est désigné comme l'« Acid Process » en Asie du Sud-Est et qui consiste à attaquer les cartes avec soit de l'eau régale ou du cyanure, voire du mercure, pour essentiellement récupérer l'or. Le reste de la carte est perdu, faute de son véritable recyclage au terme de cette opération qui donne un assez mauvais rendement métal. Une telle démarche, très polluante, réclame peu de moyens et permet, en extrayant l'or, à des personnes ne disposant que de peu de ressources d'obtenir un revenu. Le secteur informel de l'Inde travaille ainsi et nous avons évoqué avec nos homologues indiens la perspective de mettre en oeuvre des technologies plus propres. Nous sommes d'ailleurs en discussion avec le grand fondeur de cuivre indien qui pourrait être intéressé par l'installation d'une pyrolyse. Une telle perspective reflète le délicat dilemme entre, d'une part, le souci de préservation de l'environnement et de la santé des gens et, d'autre part, la nécessité de leur assurer un revenu.
La troisième gamme de technologies porte sur un démantèlement plus poussé : il s'agit de sortir et valoriser les composants, en mettant en oeuvre toutes sortes de « bricolages » plus ou moins sophistiqués pour dessouder les composants et les trier à la main. Ce type de démarche n'existe pas en Europe. Certes, la société Morphosis assure cette première étape d'extraction de l'or avant de vendre ce qu'il reste des cartes à d'autres sociétés comme Umicore. Il y a là une application où l'on enlève une partie du métal. Par ailleurs, Morphosis travaille actuellement sur un projet de four à plasma pour sortir les autres métaux. À cet égard, nous sommes, avec notre société Terra Nova développement, deux lauréats du concours mondial de l'innovation dans cette filière de recyclage de cartes électroniques et nous travaillons chacun sur des technologies complémentaires ou différentes.
Je veux à présent aborder le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), dont je préside le groupe de travail n° 3 relatif à l'évaluation des possibilités de recyclage des métaux stratégiques. L'Union européenne a arrêté une liste des différents métaux stratégiques et chaque pays fournit également sa liste. On ne parle ici que des petits métaux et non du fer, de l'aluminium et du zinc qui sont des grands métaux de base. Il s'agit de métaux comme le germanium, les platinoïdes, le cobalt ou encore le tantale.
La liste des métaux stratégiques de 1990 diffère complètement de celle qui prévaut aujourd'hui. Le critère « stratégique » a également évolué. La durée de vie de l'application d'un métal stratégique peut ne pas excéder une quinzaine d'années puisque, durant cette période, certains substituts peuvent être conçus. Ce domaine est en évolution rapide et implique une adaptation constante.
On définit les métaux stratégiques de manière assez simple par les usages dont nous avons besoin. Ainsi, le tantale est utilisé dans des alliages spéciaux pour concevoir certaines pièces des turbines aéronautiques ou d'autres applications de haute technologie. Si le tantale venait à manquer, il serait plus difficile de construire des avions. Aujourd'hui, les cartes électroniques représentent 70 % des applications du tantale. Les sources du tantale sont doubles : une société australienne, d'une part, qui reste vulnérable en terme de contrôle puisqu'elle peut toujours être rachetée par des investisseurs notamment chinois, et d'autre part, des producteurs de la région des Grands Lacs en Afrique où le tantale est extrait dans des conditions plus que discutables. Les industriels européens préfèrent acheter aux Australiens ce métal dont les réserves ne sont pas menacées d'épuisement, mais qui présente un risque géopolitique certain qui le rend stratégique. Cette situation est la même pour les platinoïdes, l'indium, le gallium ou encore le germanium.
La criticité des métaux est ainsi définie par leur abondance et la diversité de leurs sources comparées aux besoins de notre industrie et de ses fournisseurs.
Le COMES a été créé lorsque les Chinois ont institué un embargo sur les terres rares. On pense souvent que seules les terres rares seraient stratégiques. En réalité, la liste des métaux stratégiques est plus large et, parmi les terres rares elles-mêmes, seuls quelques métaux sont effectivement reconnus comme stratégiques. Nous avons, dans notre mine urbaine, une partie de ces métaux et nos téléphones portables en contiennent quelques-uns, à savoir le cobalt, le palladium, l'indium, certes en traces, et le tantale. La question est de savoir comment extraire ces métaux.
Le COMES a pour mission de définir une politique des pouvoirs publics dans ce domaine. Il a conduit, pour le moment, un inventaire des différents métaux, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a conduit des études sur les acteurs, les quantités et l'historique qui sont accessibles d'ailleurs sur internet. Puisque les choses évoluent vite, cette synthèse doit être fréquemment mise à jour.
Le COMES assure également l'inventaire des travaux de R&D dans le domaine de l'extraction des métaux stratégiques. Parmi les acteurs que nous connaissons se trouvent des grands groupes métallurgiques : hormis Umicore qui conduit une recherche active, ces groupes recherchent uniquement l'amélioration de l'outil existant. Cet outil a été conçu pour traiter autre chose que ces cartes et les métaux extraits des déchets : il faut l'adapter pour traiter ces matières. Pour recourir à une image, disposer d'un marteau ne permet guère de visser une vis et le travail que ces groupes effectuent tente de transformer ce marteau en tournevis.
Des travaux de recherche académique sont également conduits par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), la chimie des terres rares étant assez proche de celle des actinides. Le développement de la chimie des matières radioactives a ainsi entraîné celui de la chimie des terres rares. D'autres acteurs sont très actifs dans ces domaines, comme le BRGM ou le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou, plus récemment, ParisTech. Si les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) commencent donc à s'intéresser à cette problématique, ils n'ont pas cette culture de spin-off et ne savent pas construire une usine. Il faut ainsi s'assurer que ces établissements et des sociétés industrielles travaillent ensemble ; les uns apportant de la compétence scientifique et les autres du savoir-faire technique. Cette synergie fonctionne de mieux en mieux avec les PME et les TPE, mais peu avec les grands groupes car deux systèmes de recherche quasiment incompatibles s'opposent : la recherche d'un grand groupe vise prioritairement à améliorer un outil existant, comme Eramet ou Umicore. Ces groupes considèrent comme des menaces les technologies de rupture. En outre, les grands groupes, qui pensent détenir de réels secrets de fabrication, ne vont pas être ouverts à de la recherche participative et à l'entrée de tierces personnes. On va se retrouver dans une situation où les grands groupes disposent de laboratoires assez lourds, comme à Trappes pour Eramet, où les personnels restent longtemps. Il est ainsi impossible d'avoir des compétences dans les nouvelles technologies dans des groupes de plus de cent personnes. Une sorte de consanguinité va s'établir progressivement et limiter leurs capacités de création.
À l'opposé, des structures comme les nôtres ou Morphosis vont inventer sans aucun frein, mais sans disposer des ressources financières suffisantes. La collaboration avec des EPIC permet alors de concevoir des systèmes novateurs et très performants. Avec les ordinateurs dont on dispose désormais et l'accès aux publications par l'internet, tout ingénieur peut désormais conduire un travail sans commune mesure avec ce qu'il était possible de réaliser il y a vingt-cinq ans. Avec des moyens de recherche plus réduits, on est ainsi capable d'innover davantage et de mettre en oeuvre des technologies de rupture.
Le domaine des téléphones portables et, d'une manière générale, des appareils nomades, est ouvert à des technologies de rupture. Leur développement résultera de l'installation d'usines nouvelles aux procédés innovants et non de la copie de dispositifs existants. Telle est l'opportunité qui est la nôtre dans ce secteur. Nous n'avons plus d'industrie métallurgique en France, mais nous disposons des moyens d'en développer d'autres radicalement différents de ceux qui existaient jusqu'à présent.
L'inventaire des sites post-industriels ou finissants - je pense notamment à Aubry ou à Florange - dans le but de créer des espaces de fonte associés à des restes de minerais, n'est-ce pas la voie de l'avenir ?
L'exemple de l'usine d'Auby est révélateur. Cette usine était condamnée à la fermeture. Je suis un ancien de Metaleurop et j'ai pu suivre toute cette affaire ! Le directeur de l'usine d'Auby nous a fait part de la présence d'indium dans les circuits. Lors d'une revue stratégique mondiale des différentes fonderies de zinc de son groupe, il a été décidé de fermer la plus petite, celle d'Auby. En six mois, on a trouvé la technologie assurant le retrait de l'indium, ce qui témoigne d'ailleurs de notre capacité d'innovation. Au terme de négociations conduisant à une joint-venture, nous avons vendu la technologie d'extraction de l'indium et l'usine a construit un atelier consacré à cette nouvelle technologie ; ce qui a permis au passage de sauver l'usine. Cet atelier indium, qui produit cinquante tonnes d'indium par an, a changé la donne. Cette usine d'Auby, qui compte deux-cent-cinquante emplois, a été sauvée par l'apport technologique. Malgré cette réussite, le directeur de l'usine accusé par sa hiérarchie d'avoir conduit des travaux de recherche sans accord préalable, ainsi que le responsable de la stratégie mondiale du groupe qui n'avait pas vu qu'on pouvait changer la face des choses avec des petits métaux, ont été licenciés. Depuis, ce type d'extraction est devenu une source d'intérêt et une usine d'extraction du germanium devrait également être installée à la fois sur Dunkerque et sur Auby. Cette usine apporterait ainsi un nouveau métal stratégique dans le Nord-Pas-de-Calais.
On a changé la culture d'une entreprise qui ne faisait pas de R&D, mais qui la sous-traite, et on voit naître dans cette région un cluster de métaux stratégiques. Nous appelons de nos voeux le développement d'entreprises, comme Morphosis ou la nôtre, capables d'engendrer ce genre de projets.
Si l'usine d'Auby travaille avec son zinc, est-elle cependant en mesure de recycler les téléphones ?
Non, mais les dalles des écrans plats oui ! On va commencer à recycler l'indium extrait des dalles des écrans plats de grande taille. C'est l'amorce d'un recyclage intelligent : à partir de ces « briques technologiques », on pourra construire une industrie progressivement.
Il faut conduire une veille technologique pour savoir qui recherche et quels sont les laboratoires, les idées et les brevets pertinents. L'image est d'ailleurs brouillée par l'abondance de brevets chinois qui demeurent sans grande pertinence et saturent les études conduites actuellement. Tel est le travail du COMES. Cependant, il n'y a pas, pour l'heure, de politique publique définie dans ce domaine.
Comme je l'évoquais précédemment, les développements des grands groupes sont internes et concernent essentiellement l'amélioration des outils existants, tandis que les technologies de rupture sont portées par les PME et TPE et peuvent aller jusqu'à la construction d'usines. Ces dernières sont cependant confrontées à un difficile problème de financement.
J'évoquerai une anecdote afin d'illustrer ce propos. Nous sommes allés chercher des capitaux auprès des fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) financés par les personnes qui acquittent l'impôt sur la fortune et bénéficient d'un avantage fiscal lorsqu'elles soutiennent les entreprises innovantes. Ils privilégient le financement de maisons de retraite au rendement et à la sûreté financière exceptionnels, et investissent le peu d'argent qui leur reste dans ce qu'ils considèrent être des « jackpots ». Nous sommes placés en situation de concurrence terrible avec les applications numériques et les objets connectés dont le financement relève du pari. L'industrie est mal lotie face au monde de la finance. Nous sommes des « orphelins financiers ». C'est là une grosse difficulté pour nous. Ainsi, l'usine d'Isbergues est la propriété des Américains. La culture financière française entrave le développement d'initiatives remarquables des TPE et des PME. C'est un vrai sujet qui est d'ailleurs discuté au niveau du COMES, sans que ne soit pour autant précisée une vision claire au niveau de l'État.
L'avantage du COMES est d'avoir fait se rencontrer des gens qui ne se connaissaient pas a priori. Le pôle de compétitivité TEAM 2, consacré à l'analyse du cycle de vie, répond à cette même logique et est essentiellement constitué de PME. Il repose sur différents axes : la gestion des déchets du bâtiment et les sédiments, qui sont une spécificité régionale, mais il s'agit d'un domaine qui ne connaît pas d'importantes innovations. Un deuxième grand domaine, qui concerne le recyclage des plastiques et des organiques, est en situation difficile. En effet, si l'on parvient à recycler le polypropylène d'une batterie ou la bouteille de sodas, en revanche, on ne parvient qu'à recycler que près de 5 % de l'ensemble des plastiques qui ne sont jamais purs en tant que tels. En outre, lorsqu'ils arrivent en fin de vie, ces plastiques sont sales, ce qui rend d'autant plus difficile leur recyclage sous forme de plastiques. Certaines tentatives ont certes tenté de les transformer en produits de moindre qualité, comme les planchers. Mais une telle démarche n'en concerne que des faibles quantités. Il faudrait ainsi étudier l'utilisation énergétique de ces plastiques, qui est un domaine d'avenir. Toute une série de réflexions est actuellement conduite sur les combustibles solides de récupération (CSR), mais il faut être prudent au niveau environnemental, compte tenu de leur composition qui comprend des retardateurs de flamme. C'est un domaine sur lequel le pôle essaie de susciter l'intérêt des acteurs, au-delà de projets relativement limités.
Notre troisième grand domaine concerne les métaux stratégiques. Cette démarche est plutôt une réussite et tous les acteurs français du secteur se connaissent. Dans le Nord-Pas-de-Calais, on voit arriver des sociétés de plus en plus intéressées par ce domaine. Il faudrait arriver à attirer la masse critique de talents complémentaires qui souhaitent innover et sans laquelle il n'est pas possible d'innover efficacement. Tel est le rôle de Team 2, qui est une équipe composée de trois personnes très motivées.
Un rôle de plus en plus important. Nous avons été approchés par une école de technologie située au nord de Lille. Cette école, qui nous a sollicités pour des sujets d'études pour leurs nombreux étudiants, dispose d'un microscope à balayage électronique qui peut préciser la répartition des différents métaux sur les cartes électroniques.
J'en viens à présent à Terra Nova, qui est une longue épopée débutée en 2003 à la fin de Metaleurop. L'idée était d'utiliser les compétences existantes dans une métallurgie qui soit innovante et qui assure le traitement de métaux stratégiques. Notre entreprise a ainsi été constituée en 2006, avec un actionnaire irlandais, faute d'en avoir trouvé un en France. Notre procédé visait à extraire les métaux des cartes électroniques. Il était prévu deux phases : l'une de pyrolyse et une autre de métallurgie destinée à sortir les métaux. La crise économique est survenue et nous n'avons pu trouver le financement nécessaire à la seconde phase. On détruit ainsi tout ce qui est organique, ce qui présente un avantage considérable en ce que la matière peut être traitée dans les fonderies de cuivre plus traditionnelles. On a ainsi ouvert le spectre des usines capables de traiter ces matières. Il faut savoir que toute création de nouvelle matière dans la métallurgie implique sa qualification. Or, nous avons éprouvé des difficultés lors de la qualification des dispositifs qui prend d'ordinaire un temps assez long, soit en moyenne six mois et examine leur impact notamment sur l'usine et l'environnement. Nous avons ainsi qualifié notre produit dans une bonne dizaine de fonderies. Nous sommes confrontés à des dispositions réglementaires, car le produit final est classé comme déchet. On ne peut envoyer ces déchets vers le Sud-Est asiatique, du fait de l'interdiction par la Chine de leur transit dans ses eaux territoriales. Cette difficulté réglementaire n'a toujours pas été levée.
Terra Nova est également une unité de recherche et développement. Nous avons construit une usine qui emploie une quarantaine de personnes, et a connu des difficultés financières du fait de la mésentente entre nos actionnaires. Après notre dépôt de bilan en 2013, nous avons été repris par un trader américain spécialisé dans les matières spécifiques. Ce trader connaissant actuellement des difficultés financières, notre entreprise n'a pu réaliser les investissements nécessaires. L'aventure continue, mais avec des difficultés. En réalité, nous n'avons jamais pu trouver, depuis le début de ce projet, l'investissement nécessaire pour construire une usine pérenne.
Vous n'avez pas pu bénéficier de différents fonds européens de reconversion ?
De façon très limitée par rapport à nos besoins. Quelques garanties sur des prêts bancaires ont également été données. Force est de constater que nous n'avons jamais pu trouver l'actionnariat idoine pour contribuer au développement significatif de Terra Nova. Construire Umicore a coûté au moins 1,5 milliard d'euros, tandis que des entreprises comme Terra Nova ou Morphosis demandent des investissements bien moindres, de quelques dizaines de millions d'euros, pour des rentabilités très bonnes, à la condition toutefois de réaliser la totalité de leur projet.
J'ai bien compris ce qui sort de Terra Nova et la phase de pyrolyse, mais qu'est-ce qui y rentre ?
Des cartes électroniques uniquement. Notre usine y est dédiée.
S'agissant de l'activité R&D, que je viens de vous évoquer avec le succès de l'indium, celles-ci sont conduites par une entité propre qui est séparée des activités de production. Cette société, Terra Nova Développement (TND), située à Armentières, fait de la recherche et développement pour extraire les métaux. Chaque année, nous examinons en moyenne trois sujets de R&D : par exemple, il y a cinq ans, les terres rares des luminophores. Nous avions rencontré les acteurs, parmi lesquels Solvay et les collecteurs de verre, avant de faire des essais de laboratoire. Ainsi, pour chaque sujet, nous sollicitons les acteurs pour faire le point de l'état de l'art avant de faire des essais d'orientation destiné à définir le marché pour les innovations que nous comptons lancer. Si les essais sont positifs, nous décidons alors de continuer. À l'issue de ce travail d'évaluation assez poussé, nous éliminons deux sujets sur trois et nous avons ainsi retenu, sur ces dix dernières années, une dizaine de sujets.
En l'occurrence, sur les luminophores, nous avions conclu que l'apparition des LED comme principal élément d'éclairage du futur, allait entraîner l'arrêt de cette technologie, ce qui nous a dissuadé d'entrer dans cette filière. Solvay a investi, avant d'arrêter. Telle est notre méthode d'évaluation et de recherche que nous suivons dans nombre de domaines qui vont bien au-delà des téléphones portables.
À partir de là, on va créer un consortium de recherche, dans lequel nous allons tenter d'entraîner l'EPIC le plus compétent et motivé possible avant de solliciter un financement public. Y parvenir est déjà une garantie de succès pour les essais de laboratoire. En général, on y arrive assez bien, avec un taux d'échec, à ce stade, de 10 %. Une fois cette étape franchie, vient la phase de pilotage impliquant la construction d'une sorte de mini-usine avant d'en construire une grandeur nature. En effet, le temps qu'il faut pour arriver à une usine - « Time to Market » - est de cinq ans en moyenne, ce qui fait fuir les financiers ! En outre, après l'étude initiale, il nous arrive d'arrêter les essais pour des raisons d'ordre exogène, comme nous le fîmes lors de notre étude du recyclage de l'indium, du gallium, à partir des panneaux solaires. Malheureusement, EDF Énergies nouvelles, qui avait investi dans ce projet, a fermé son installation et nous avons dû interrompre le développement de cette technologie que nous avions, du reste, bien amorcé.
Si la recherche que nous conduisons est à spectre relativement large, elle n'en demeure toujours pas moins axée sur les métaux stratégiques.
Nous en bénéficions en effet.
Mais le fait d'avoir créé une seconde société spécialisée dans la R&D prive-t-il Terra Nova de telles aides ?
Nous faisons de la recherche pour Terra Nova, dont nous sommes toujours actionnaire, certes minoritaire. Mais Terra Nova ne souhaite pas, quant à elle, faire des recherches sur la phase 2.
Certains de nos travaux de recherche sont consacrés aux cartes riches et aux téléphones portables ; je pense notamment à un projet par eau supercritique, Remetox, qui a été lauréat du Concours mondial pour l'innovation organisé en partenariat avec le BRGM et le CNRS d'Orléans. Un autre projet, conduit avec l'Institut de chimie séparative de Marcoule, sur le recyclage du tantale à partir des cartes électroniques, notamment des téléphones portables : cela a abouti à la mise au point d'un procédé qui est désormais en phase pilote. On espère pouvoir construire une unité industrielle dans les trois ans qui viennent.
S'agissant de la comparaison des activités de notre société par rapport aux deux opérateurs Umicore et Morphosis, je dirai que notre société se situe vraiment dans une stratégie de rupture par rapport à Umicore et que son spectre de recherches est beaucoup plus large que celui de Morphosis. D'autres sociétés émergent également en France dans le domaine de la séparation physique.
L'une des spécificités de Terra Nova Développement est de travailler avec un réseau d'ingénieurs, que nous engageons pour des missions ponctuelles. C'est la grande différence avec une recherche autocentrée conduite par les grands groupes.
Tout à fait. Dès que nous en avons la possibilité, c'est-à-dire un programme pilote qui est financé, nous cherchons à embaucher les jeunes docteurs.
Toutes les personnes auditionnées sur ces filières de recyclage ont plaidé en faveur d'un effort significatif en matière de collecte. Certains ont pointé des fuites à l'étranger. Avez-vous connaissance de ce phénomène ?
Oui. C'est un marché mondial : nous achetons nos cartes aux États-Unis et celles-ci circulent dans le monde entier. Si vous voulez attirer les matières premières, il faut disposer d'une technologie meilleure que celle des autres. Le jour où nous sommes les seuls à extraire le tantale, nous disposons d'une technologie meilleure et la demande afflue chez nous. Naturellement, des ventes se font à l'étranger.
On nous a parlé en l'occurrence de réseaux illicites, à l'instar de départs de déchets qui n'auraient pas le droit de sortir, hors de l'Union européenne.
Pas trop dans les domaines qui sont les nôtres. Les fraudes que l'on constate concernent des containers de déchets électroniques au regard de l'écotaxe. Le principe est simple. Lorsque vous achetez un nouveau réfrigérateur, vous acquittez l'écotaxe qui est redonnée à celui qui collecte et est sensée couvrir les coûts de démantèlement et de logistique. En vendant les métaux, vous allez gagner de l'argent en parvenant à l'équilibre. Mais vous pouvez très bien empocher les vingt euros par appareil et les placer dans les containers destinés à l'Afrique en labellisant ces appareils comme des réfrigérateurs de réemploi.
De telles pratiques sont connues dans le secteur des matériels électroniques ?
En effet. C'est là un côté un peu pervers du système, avec un coût de démantèlement supérieur à celui d'une expédition lointaine et frauduleuse. À cet égard, les Américains ont donné l'exemple, car ils n'ont pas signé la convention de Bâle et en envoient des bateaux entiers vers l'Afrique et l'Inde.
Je souhaiterais reprendre votre propos. Le COMES aide à produire du savoir qui permettrait de définir une stratégie, mais il n'y a pas, à ce jour, de politique publique claire sur ce sujet.
M. Christian Thomas. - Pas encore.
Il n'y a donc pas de dispositif clair d'encouragement de l'investissement adossé à une stratégie.
En dehors de ces deux points, auriez-vous des recommandations ou des propositions à nous faire ?
Je souhaiterais tout de même apporter une nuance. Il y a tout de même une initiative comme le concours mondial de l'innovation qui a permis de lever quelques fonds. Cela reste encore assez limité.
Existe-t-il quelque part dans le monde une usine modèle qui capterait ces technologies ?
La France est plutôt bien avancée dans ce domaine, alors que les États-Unis sont très en retard.
Est-ce que le COMES ou Team 2 va envoyer des messages dans le domaine de l'écoconception, pour mieux travailler en aval ?
M. Christian Thomas. - Ce serait bien, mais l'écoconception nous échappe complètement car la fabrication ne se fait pas chez nous.
On peut aussi admettre sur son territoire des choses, ou ne pas les admettre.
Il est difficile de ne pas admettre les téléphones portables, d'une façon générale ! Dans le cadre de Team 2, nous avons organisé des journées avec les constructeurs automobiles qui ont progressivement pris conscience de l'importance de prendre conscience de l'ensemble de la supply chain et de voir les éléments critiques dans une voiture. Renault, par exemple, a divisé par cinq sa consommation de terres rares grâce à l'innovation. Une des questions est : peut-on reconcentrer toute l'électronique dans une voiture afin qu'elle devienne démontrable et recyclable ? Ce sujet est d'actualité pour les constructeurs qui pourraient ainsi reconnaître ce principe comme une nouvelle norme fabrication. En effet, le manque d'un métal stratégique peut interrompre le fonctionnement de la chaîne de production des automobiles !
Je vous remercie pour votre intervention fort intéressante et complète.
Nous poursuivons nos auditions en entendant, par visioconférence depuis Grenoble, Mme Françoise Berthoud, ingénieure au CNRS.
Merci beaucoup, Madame, d'avoir accepté d'être entendue par notre mission d'information, qui achèvera ses travaux à la toute fin du mois de septembre.
Nous sommes très heureux de vous entendre aujourd'hui, en fin de cycle de nos auditions. Nous avons en effet entendu un large panel d'acteurs et nous sommes heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui sur des problématiques aussi variées que les travaux menés en matière d'écoconception, sur l'expérience du Fairphone, sur les procédés industriels de récupération des métaux précieux contenus dans les téléphones mobiles.
Vous avez été destinataire d'un premier questionnaire, qui a exposé nos curiosités essentielles. Je vous laisse donc la parole ; nous vous interrogerons éventuellement par la suite.
Je commencerai mon exposé en présentant le groupe de travail EcoInfo.
Je suis ingénieure de recherche en informatique, après des études initiales en écologie. J'ai couplé ces deux disciplines dans le groupement que j'ai cocréé il y a une dizaine d'années, dont l'objectif est de mettre en lumière les impacts des technologies de l'information et de la communication, notamment de l'informatique, sur l'environnement.
Nos objectifs ont essentiellement trait à la sensibilisation, l'information, la formation et l'expertise. À ce titre, nous assurons des conférences pour les services de l'État, mais aussi pour des services publics, dans les communes notamment. Il nous arrive d'intervenir dans des cadres privés, mais cela est extrêmement rare - ce n'est pas notre principale mission. Par ailleurs, nous proposons des formations, essentiellement pour l'enseignement supérieur et la recherche.
Concernant l'expertise, nous travaillons parfois avec des entreprises privées sur des projets particuliers. En ce moment, nous avons un contrat avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) pour dresser un état des lieux des analyses de cycle de vie des technologies que l'on trouve dans la littérature scientifique et les rapports, afin de poser un regard critique sur ces travaux. Nous avons également participé à des travaux concernant les cycles de vie de la facture papier et de la facture numérique, par exemple.
EcoInfo est, il faut bien le comprendre, un groupement de service : cette structure n'a pas de personnel dédié. Les personnels, qui ont tous une activité régulière très dense au CNRS, donnent un peu de leur temps, avec l'accord de leur laboratoire, à ce groupement ; c'est un point important que je tenais à souligner. Ce groupement comprend vingt-cinq personnes, mais très peu sont à temps plein.
Nos méthodes de travail sont les mêmes que celles du CNRS : nous avons une mission de bibliographie, nous lisons des articles scientifiques lorsque nous décidons de traiter un problème particulier. Ainsi, nous nous sommes focalisés sur les effets rebonds, les métaux et bien d'autres sujets encore. Après avoir lu les articles scientifiques sur le sujet, nous établissons des synthèses, qui sont généralement mises à disposition sur notre site web. Les informations que nous diffusons sont de première main, car elles proviennent directement de la littérature scientifique.
Vous m'avez demandé dans quelle mesure notre activité concernait votre mission d'information relative à l'impact des smartphones. Même si nous nous attachons plutôt à l'informatique en général, des recoupements forts existent avec les smartphones. Aussi, je puis vous donner un certain nombre d'éléments sur ce sujet.
Je commencerai par aborder un point important, à savoir l'analyse de cycle de vie d'un smartphone. Savez-vous ce qu'est cette analyse ?
Je vais vous le dire très rapidement, car la dénomination est assez explicite.
Dans une analyse de cycle de vie, qui est normée et correspond à un certain nombre de critères, on étudie tous les entrants et tous les sortants pour tous les process et sous-process de fabrication d'un produit ou d'un service, depuis l'extraction des métaux, en passant par la fabrication, le transport, l'usage, jusqu'au traitement de fin de vie. Il importe de savoir que ces analyses sont faites à partir de bases de données. Ecoinvent, la principale base de données, est utilisée dans un logiciel dénommé SimaPro. Les données ne sont pas remises à jour tous les trois mois, ni même tous les six mois - la mise à jour est longue, car c'est extrêmement coûteux -, et elles sont assez incomplètes.
Ainsi, toute la modélisation de fin de vie est imparfaite. Les résultats que l'on peut extraire de ce logiciel sur ce sujet sont entachés d'erreurs. On n'a donc pas une bonne vision des impacts, qui sont largement sous-estimés.
Par ailleurs, ce secteur industriel connaît, vous le savez bien, une dynamique d'évolution très forte ; les processus et les métaux utilisés dans les smartphones évoluent donc sans cesse. Les bases de données n'étant pas, je le répète, suffisamment mises à jour, elles ne nous permettent pas d'avoir une vision correcte.
En dépit de cette observation, un certain nombre d'articles montrent que les données dont nous disposons restent réalistes.
Si l'on ne prend pas en compte la connectivité avec les data centers, le cloud computing, la phase de cycle de vie la plus dominante d'un smartphone est l'extraction des métaux et la fabrication. Mais si l'on y inclut toute la partie concernant l'utilisation, le stockage de données, l'usage devient plus important.
Les impacts d'un smartphone sur l'environnement - je ne parlerai pas des impacts sur le cerveau -, concernent la dépression des métaux, des ressources non renouvelables, le réchauffement climatique, avec tous les effets induits, et l'écotoxicité. La carte électronique est le composant ayant l'impact le plus fort en la matière, devant l'écran LCD et la batterie, qui sont quasiment au même niveau.
Vous le savez, les téléphones portables comprennent de nombreux métaux et composants différents. On constate une augmentation du nombre de métaux différents, même si on note une diminution en quantité, liée à la réduction de la taille de certains métaux. L'introduction de nouvelles fonctionnalités passe en fait par de nouveaux métaux, dont certains sont évidemment critiques. Je ne puis vous donner ici la liste des quarante métaux concernés, mais je peux vous envoyer des éléments d'information sur ce sujet par mail.
Aucun constructeur ne peut nous assurer de la composition des téléphones portables qu'il propose. Si vous détenez ces informations, je serai très curieuse de les connaître.
Aucun en effet ! Les opérateurs nous ont affirmé ne pas savoir ce que contenaient les téléphones portables, émettant quelques suggestions floues. Ils nous renvoient vers les éco-organismes ou vers les fabricants, lesquels ne donnent pas d'informations.
En effet ! En fait, seul le groupe Umicore est susceptible de vous donner des informations proches de la réalité, car ils procèdent à des analyses.
Ce sont les seuls qui seront en mesure de vous dire quels métaux sont les plus fréquemment utilisés en quantité, voire peut-être quasiment tous. Avez-vous réussi à obtenir cette liste ?
Oui, par recoupement de données, je pense que nous avons la liste exhaustive des métaux, avec des pourcentages de masse variables, ce qui est normal d'un téléphone à l'autre. En tout cas, nous avons une idée assez claire des métaux utilisés.
Vous le savez, certains de ces métaux sont dangereux pour la santé. Mais, là encore, les problématiques de l'écotoxicité et de la toxicité humaine sont très compliquées, car la toxicité d'un métal dépend des conditions dans lesquelles le métal est mis à la disposition d'organismes vivants : cela dépend du PH, de la salinité, de nombreux paramètres. Les études réalisées sur ce que l'on appelle les « micropolluants » sont assez récentes dans la mesure où elles datent d'une dizaine d'années ; nous ne sommes donc pas au bout de nos découvertes, loin de là.
On sait que certains métaux sont bio-accumulables et que certains éléments sont des perturbateurs endocriniens - je suis sûre que vous trouverez de la documentation sur ce sujet -, mais cette question soulève encore beaucoup d'interrogations, notamment du fait de la biodisponibilité des métaux pour les organismes vivants.
Comme je l'ai déjà souligné, ces informations ne sont pas disponibles ou sont peu disponibles ; il faut effectivement faire des recoupements. D'une façon générale, ce qui se passe chez les constructeurs reste extrêmement flou. En la matière, les pays du Nord tels que l'Allemagne ou la Suède ont une dynamique beaucoup plus forte que la France. Ils ont essayé d'avoir des éléments d'information sur les conditions d'approvisionnement des métaux par exemple. On imagine que les constructeurs ont des données, mais ils ne les rendent pas publiques. On ne parvient pas à avoir les rapports. Peut-être les avez-vous, mais le CNRS n'en dispose pas, alors qu'il fait pourtant des appels d'offres avec un pourcentage, qui est loin d'être négligeable - autour de 13 ou 15 % - sur le développement durable. Il serait souhaitable de légiférer sur ce point.
C'est mal parti ! La directive européenne sur la protection du secret des affaires, bien qu'elle ne soit pas encore transmise, s'ingénie à rendre ces données encore plus opaques.
C'est un problème important, notamment en raison des conditions dans lesquelles les métaux sont extraits. Seuls les fabricants du Fairphone, sur lequel je reviendrai ultérieurement, ont essayé de faire quelque chose de pratico-pratique.
Je répondrai maintenant rapidement à la question de limiter l'utilisation de certains matériaux, en y substituant d'autres matériaux, une question intéressante.
La directive RoHS, qui a interdit l'utilisation d'un certain nombre de métaux au-delà d'un certain pourcentage, constitue une avancée très importante. Mais la question de savoir si les métaux qui les remplacent ne sont absolument pas toxiques reste ouverte. Les études sur la toxicologie sont complexes. Qui plus est, elles ne sont pas publiées. Il n'est pas certain que les constructeurs s'intéressent à la toxicologie des métaux de remplacement. Quoi qu'il en soit, même si ces nouveaux métaux sont moins toxiques, ils présentent d'autres défauts - en témoignent les matières qui remplacent le plomb -, tels que la réduction de la durabilité du produit. Ce n'est donc pas si simple.
Si l'on substitue un composant à un autre, sans changer la fonctionnalité du produit visé, il est fort probable que le nouveau composant présentera les mêmes caractéristiques ou à peu près les mêmes eu égard à l'environnement. De plus, on lit régulièrement que l'on n'a pas encore trouvé de substituts à de nombreux métaux.
Par ailleurs, quand on demande aux constructeurs ce qu'ils font en matière d'écoconception pour les équipements informatiques, hormis le Fairphone, ils avancent 9,5 fois sur 10 des mesures visant à réduire la consommation électrique en phase d'usage, car cela a un impact très important. Les chiffres qu'ils annoncent en termes de réduction de gaz à effet de serre sont donc énormes. Mais ils ne cherchent pas vraiment à augmenter la robustesse, par exemple. On ne peut pas dire que les constructeurs mettent beaucoup d'énergie à faire de la recherche dans l'écoconception. D'ailleurs, pourquoi le feraient-ils ? Ils vendent très facilement des produits que les personnes renouvellent très souvent. Ils savent donc parfaitement que le produit proposé ne restera sur le marché que quelques années. De plus, les consommateurs ne sont pas prêts à payer un équipement très cher dans la mesure où ils ne le conserveront pas plus d'un an et demi, deux ans, voire trois ans. C'est un véritable problème, et cela limite beaucoup en fait l'intérêt des constructeurs pour l'écoconception. Certes, certains d'entre eux s'y sont intéressés, mais c'est rarissime, et ce n'est pas dans le domaine informatique. Je prendrai l'exemple de Miele dans le secteur de l'électroménager.
En la matière, l'exemple du Fairphone est intéressant. Il s'est vraiment agi d'engager une réflexion approfondie sur la manière de fabriquer un téléphone plus écoresponsable et plus durable. Ainsi, le constructeur propose un équipement réparable par l'utilisateur final ; il est possible de changer facilement des modules. Avez-vous eu des échanges avec le constructeur du Fairphone ?
Je peux vous communiquer les coordonnées du cocréateur de Fairphone, qui parle français.
Volontiers ! Je dois dire que nous avons entendu au début de nos auditions des considérations quelque peu dévalorisantes - le Fairphone contiendrait autant de matériaux toxiques et ne serait pas aussi génial que cela ! -, qui nous ont un peu découragés.
C'est vrai, on ne peut pas le nier, le Fairphone contient autant de matériaux toxiques qu'un Samsung, mais ce dernier n'est pas réparable, et c'est quand même une grande différence.
Les fondateurs du Fairphone s'attachent de façon très sérieuse à aller voir sur place dans quelles conditions quatre métaux, me semble-t-il, sont extraits et ils suivent leur flux. Ils consentent donc des efforts très importants. Mais, c'est vrai, ce téléphone n'est pas la panacée, car il contient aussi du verre - il peut donc se casser comme les autres ! -, et le logiciel a parfois des bugs. On peut leur reprocher d'essayer d'y mettre les mêmes fonctionnalités que dans un Samsung. Qui dit mêmes fonctionnalités dit alors mêmes métaux et donc mêmes éléments susceptibles de tomber en panne. Certes, on pourrait leur demander de fabriquer un téléphone plus simple, mais notons que le Fairphone est actuellement le seul téléphone réparable, pour certaines de ses parties. C'est pourquoi je vous invite à échanger avec ce fabricant.
J'aborderai maintenant la question du recyclage.
Le recyclage est un peu un rêve : être en circuit fermé si l'on était plus performant sur le plan technologique. Mais, malheureusement, cela n'est pas possible.
Vous l'avez déjà entendu, j'en suis sûre, chaque fois que l'on recycle, il y a des pertes. Concernant l'aluminium, les pertes sont de 12 %, ce qui n'est pas négligeable. Par ailleurs, on ne sait pas récupérer tous les métaux contenus dans un smartphone. Umicore récupère actuellement dix-sept métaux, mais tout le monde n'est pas capable d'en récupérer autant : Boliden, par exemple, en récupère moins. Si vous connaissez la composition complète d'un smartphone, vous connaissez sans doute le nombre de métaux contenus. En général, on dit qu'un smartphone contient quelques dizaines de métaux.
Il s'agit là d'un problème complexe, mais j'imagine que les représentants d'Umicore vous ont expliqué qu'il s'agissait aussi d'un problème économique : si une valeur économique n'est pas associée au métal, il n'y a pas de chance de pouvoir recycler ce dernier, car cela coûte extrêmement cher.
Ils nous ont expliqué que l'or, l'argent et le palladium paient le reste.
Et le cuivre ! C'est vrai. Mais le recyclage des autres métaux n'est pas rentable, sauf si leur valeur finit par augmenter, ce qui peut arriver un jour... De ce fait, cela se disperse, ce qui accroît les difficultés de récupération. Il serait intéressant a minima que cela ne se disperse pas. C'est un véritable problème. Une partie de l'électronique part chez Umicore, une autre dans des centres beaucoup moins performants et le reste est constitué de déchets ultimes, qui se retrouvent à droite et à gauche, parfois sur les routes, et ne sont donc pas récupérables, sauf à inventer quelque chose d'extraordinaire. Mais cette question n'est pas à l'ordre du jour.
En la matière, la recherche porte sur la manière de récupérer certains téra dans les disques durs. Des recherches sont aussi menées sur certaines parties du téléphone. Mais on n'en est qu'au niveau de la recherche et pas à celui du déploiement industriel, en vue de traiter des milliards de smartphones. Ce problème est similaire à celui de l'indium des écrans LCD. On est capable de récupérer l'indium, mais pas à l'échelle actuelle, considérant le nombre d'écrans existants. Je ne dis pas que cela ne se fera pas, mais ce n'est actuellement pas possible.
Vous m'avez demandé si la France disposait d'un potentiel de développement/reconversion dans ce domaine. Une usine a pas mal fait parlé d'elle, mais je ne me souviens plus de son nom.
Il s'agit de Terra Nova en effet. Même si cette entreprise ne recycle pas dix-sept métaux, elle en recycle certains que d'autres ne recyclent pas, ce qui présente aussi un intérêt. L'idée serait donc de coupler tous ces métaux.
Considérant l'éloignement des sites qui traitent les cartes électroniques, par exemple, l'impact du transport en camion n'est pas négligeable. Il faut donc trouver le bon équilibre entre la récupération et le coût induit pour l'environnement. Mais les impacts sont différents, avec, d'un côté, la dépression des métaux, et, de l'autre, les émissions de gaz à effet de serre, la décision est donc compliquée.
Une réflexion est-elle menée sur l'aide à la prise de décisions publiques des centres de recherche stratégique en quelque sorte afin de savoir où placer le curseur entre l'évitement des toxiques, les centres de retraitement, le recyclage ? Où faut-il mettre les fonds dévolus au soutien à l'investissement ? Quelle politique adopter en la matière ?
Je n'ai pas la prétention de connaître toutes les personnes qui travaillent sur ce sujet, mais je puis vous dire que peu d'articles s'attachent à décortiquer les impacts à la fin du cycle de vie. En fait, ce problème a longtemps été ignoré par la communauté scientifique et la société civile. Mais on commence à s'y intéresser. D'ailleurs, au CNRS, une personne va commencer une thèse dans un mois sur ce sujet, en vue d'aider les politiques à faire des choix éclairés.
En France, de façon globale, la recherche s'intéresse très peu aux smartphones, contrairement à ce qui se passe en Allemagne, en Suède ou en Suisse.
À cet égard, j'ai une proposition à formuler à la mission d'information.
Au-delà de la recherche, nous nous demandons de quelle façon il est possible d'améliorer la situation : il faut acheter mieux, et, en la matière, l'État devrait être exemplaire. Voir les services de l'État continuer d'acheter des iPhones me fait bondir ! Cela devrait être interdit. L'État devrait être exemplaire dans ses achats électroniques, en s'attachant au pourcentage accordé au développement durable.
Je ne sais pas.
Oui, il faudrait déjà fixer des critères : plus de 4 % pour le développement durable.
Pour notre part, nous travaillons actuellement avec la Direction des achats de l'État en ce sens, qui fait des efforts en la matière. Mais il faudrait généraliser ce mouvement et imposer des contraintes. Je ne comprends même pas que tel ne soit pas le cas.
Par ailleurs, il faut que les agents de l'État cessent de changer de téléphone tous les ans ou tous les dix-huit mois. On devrait commencer par là.
Vous avez constaté que les achats d'équipements pour les agents dans les ministères, par exemple, sont plus fréquents que nécessaire ?
Ils ne sont pas plus fréquents que pour le reste de la population, me semble-t-il, sauf, peut-être, chez les cadres, mais ils sont plus fréquents que nécessaire. Et c'est la même chose pour la société civile.
Avez-vous une évaluation de la durée de vie d'un téléphone ? Dans la pratique, les utilisateurs changent de téléphone au bout de dix-huit à vingt-quatre mois. Vu la durabilité des téléphones, peut-on imaginer une durée sinon idéale, du moins plus raisonnable ?
Si l'on doublait déjà le temps en rachetant une batterie, ce serait bien. Mais cela suppose évidemment d'avoir acheté un téléphone dont la batterie peut être remplacée ; d'où l'importance de fixer des critères dans les achats. On diviserait déjà par deux le nombre de téléphones, et ce serait un exemple. Mais bien d'autres critères peuvent figurer dans un appel d'offres. Chaque fois que l'on pose des questions aux constructeurs, que l'on exige des rapports, cela les incite à aller plus loin dans l'écoconception par exemple. Les services de l'État ont des volumes importants, qui représentent des dizaines de millions par an. Les critères ont un impact.
Le CNRS qui forme un marché avec un grand nombre d'universités fixe depuis plusieurs années déjà des critères relatifs au développement durable. Le fait de fixer des exigences fortes permet de faire bouger les constructeurs.
Oui, nous les avons.
Nous devons nous assurer de la confidentialité des éléments que nous vous enverrons, car l'appel d'offres est en cours.
Alors non, mais peut-être pourrez-vous nous les faire parvenir plus tard !
Je peux vous fournir la liste des critères que nous avions fixés il y a quatre ans, même si nous l'avons beaucoup modifiée.
Nous voulions annexer cette liste au rapport d'information pour inciter nos ministères, voire le Sénat, à s'emparer de ces critères.
Dans ce cas, je peux vous envoyer un document qui reprend un certain nombre d'éléments.
L'autre idée est de faire durer plus longtemps les équipements. Comme je l'ai dit au début de mon propos, la fabrication a un impact essentiel. Il faut faire en sorte que les équipements soient réparables.
Lors de l'examen de la loi Hamon, qui avait commencé à engager une réflexion sur la question de l'obsolescence, nous avions suggéré de former des techniciens à réparer les équipements, un savoir-faire que la France a perdu. On peut imaginer que les utilisateurs seront fiers de faire réparer leur téléphone ; l'évolution passe aussi beaucoup par des aspects psychologiques.
Tout à fait ! La formation est une porte d'entrée intéressante.
Enfin, des efforts sont consentis pour ce qui concerne le recyclage. Les éco-organismes oeuvrent en ce sens, notamment en termes d'information. Les utilisateurs sont donc un peu plus sensibilisés à cette question et ont moins tendance à jeter leur téléphone à la poubelle, même si le taux d'équipements électroniques qui passe par la filière officielle n'est pas très élevé.
Tout à fait !
Vous avez évoqué le pire, en affirmant que vous ne compreniez pas qu'on achète encore des iPhones, et vous avez fait l'éloge du Fairphone, arguant que ce téléphone est plus exemplaire que les autres. Entre ces deux démarches, certains modèles sont-ils plus vertueux que d'autres ?
Honnêtement, je ne peux pas vous répondre sur ce point. Nous nous attachons surtout à l'informatique et je ne puis vous répondre à propos des smartphones.
Si je me souviens bien des articles que j'ai lus, Nokia et Samsung essaient de communiquer des analyses de cycle de vie et d'être un peu plus transparents, mais cela ne fait pas d'eux des fabricants beaucoup plus vertueux.
Au-delà de cet aspect, c'est la politique de renouvellement qui compte. De quelle manière incitent-ils les utilisateurs, qui peuvent être captifs, à renouveler leur équipement ? À cet égard, je prends toujours l'exemple de l'iPhone. Outre les caractéristiques techniques du produit, le marketing entre en jeu. Chez Nokia, par exemple, on ne ressent pas cette politique de marketing.
Au-delà de la politique de marketing développée pour l'iPhone, pourquoi les utilisateurs seraient-ils davantage captifs de cette marque ?
C'est un système d'exploitation spécifique. Le système d'exploitation mobile Android proposé par Samsung, Nokia et bien d'autres encore existe sur presque tous les téléphones, même sur le Fairphone. Les utilisateurs peuvent donc naviguer de l'un à l'autre, sans être perdus.
C'est une question de souplesse intellectuelle. Il n'y a tout de même pas de verrou technologique...
Ce problème est compliqué. Les utilisateurs d'un iPhone ont souvent un Mac, ce qui est optimal pour la communication. Il est donc certain que le confort joue beaucoup. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous parlons non pas d'obsolescence d'un produit, mais d'obsolescence systémique. C'est l'interconnexion de tous ces équipements qui incite à changer, si l'iPhone n'a pas la bonne version pour communiquer avec la dernière version du Mac, par exemple.
Concernant la question spécifique des « minerais de sang », des produits stratégiques pour des raisons géostratégiques - enfants exploités, zones de guerre -, avez-vous retenu des critères spécifiques ?
Dans nos appels d'offres ?
Dans vos commentaires sur l'impact d'un produit, sa fabrication, son usage.
Vous avez dit que la fabrication constitue le plus grand impact. Dans la recherche des métaux, il y a des métaux rares, chers, et certains proviennent de zones de conflit. Cet aspect des choses est-il plus pondéré dans vos analyses ?
D'une part, ce point est mis en évidence dans nos articles, et nous en parlons de manière systématique lors de nos conférences et au cours des formations que nous dispensons. D'autre part, nos appels d'offres comportent une question spécifique sur ce sujet : on demande aux fabricants comment les métaux issus de zones de conflit sont tracés dans tout le processus. Nous avons déjà posé cette question il y a quatre ans, mais sans obtenir de réponse précise. Dans le prochain appel d'offres, on sait que l'on aura plus d'éléments.
Le tantale. Ce métal a été introduit parce qu'il résiste de façon exceptionnelle aux hautes températures. Comme on a voulu de plus en plus miniaturiser les équipements - c'est encore la tendance actuelle ! -, on a dû fabriquer des condensateurs de plus en plus petits. Pour ce faire, on a introduit le tantale. Lors de la sortie du nouvel iPhone ou du Samsung Galaxy S7, il y a eu une pression énorme pour avoir ces métaux.
Cette histoire a fait des millions de morts, et ce n'est pas terminé.
Les utilisateurs sont-ils prêts à avoir des appareils plus gros avec moins de fonctionnalités ? Non. Dès lors, quelles sont les solutions ? Aucune pour l'instant. On continue donc d'utiliser le tantale, qui n'est pas recyclé ou quasiment pas. À cet égard, avez-vous les taux de recyclage des principaux métaux ?
Je vais vous les envoyer par mail.
Dans nos échanges, nous avons seulement pu glaner quelques chiffres.
Même si ce point est couvert par le secret industriel, notamment, savez-vous si les fabricants s'approvisionnent dans les sites dont les unités de fonderie sont issues du recyclage ? Existe-il une ébauche d'économie circulaire ?
Oui, un peu pour certains métaux. Le taux est assez significatif pour le cuivre, l'or et l'argent, des métaux à haute valeur ajoutée. Mais même si la fabrication était issue à 100 % de l'économie circulaire, il faudrait sans arrêt remettre des métaux dans le circuit, car on connaît une phase de forte croissance de ces produits. Cette problématique est liée à la croissance.
Il y a quand même une perte énorme de matériaux potentiellement recyclables avec la disparition importante du nombre de téléphones mobiles.
Le taux de recyclage des téléphones mobiles est effectivement faible.
Il se situe en dessous de 10 %. Mais on a tous chez soi, dans nos tiroirs, des téléphones mobiles. Le pourcentage de téléphones non recyclés ne tient pas compte de tous ceux que nous avons chez nous.
On nous a dit que les utilisateurs conservaient leur vieux téléphone en cas de panne. Par ailleurs, a également été évoquée la peur de livrer ses données personnelles, ses photographies à n'importe qui. Nous avons visité les Ateliers du Bocage dans les Deux-Sèvres : leurs dirigeants ont beaucoup insisté sur la qualité du logiciel qui leur permet de nettoyer complètement la mémoire des téléphones. C'est d'ailleurs l'une des questions qui leur sont le plus souvent posées lors de la revente de matériels d'occasion.
Oui, c'est normal ! Le Fairphone a une option permettant d'effacer toutes les données contenues, pour en revenir à la configuration d'usine.
Comment procéder pour commander un Fairphone ? Par internet ? Quels sont les délais de livraison ?
Pour l'instant, dans la grande majorité des cas, le modèle économique n'est pas adapté aux usages qu'on en fait en France. L'utilisateur qui veut changer de téléphone se rend dans une agence et en obtient aussitôt un nouveau. Le Fairphone se commande sur internet. Pour ma part, j'ai attendu trois mois pour le recevoir. Je ne connais pas les délais actuels, mais je sais que la situation n'est pas identique partout. L'opérateur Swisscom propose aujourd'hui un forfait avec le Fairphone. Mais, je le répète, ce téléphone n'est pas la panacée.
Nous vous remercions de votre intervention. Nous comptons sur vous pour nous faire parvenir le tableau concernant les taux de recyclage des principaux métaux, ainsi que les coordonnées de la personne à contacter pour le Fairphone.
Votre mission d'information donnera-t-elle lieu à un rapport public ?
Le rapport de la mission d'information, qui présentera nos préconisations, sera mis en ligne sur le site du Sénat et sera disponible en version papier. Vous pouvez d'ores et déjà consulter toutes les auditions que nous avons organisées depuis le mois de juillet dernier.
C'est génial ! Nous allons vous faire de la publicité.
Cette mission brève, qui a duré deux mois, vise à réveiller les esprits sur ce sujet.
C'est une très bonne idée, et je vous remercie de cette initiative.
Nous terminons notre journée, et même notre cycle d'auditions avec l'association France Nature Environnement, la FNE.
Monsieur de Saint-Aubin, vous êtes coordinateur du réseau prévention et gestion des déchets de la FNE. Je vous remercie d'avoir accepté d'être entendu par notre mission d'information, qui achèvera ses travaux à la fin du mois de septembre.
Nous avons d'ores et déjà entendu un large panel d'acteurs, des fabricants aux opérateurs de la téléphonie mobile, en passant par les éco-organismes ou les associations de consommateurs, et nous sommes heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui sur des questions aussi variées que l'écoconception des téléphones portables, la collecte des téléphones portables usagés, le fonctionnement de la filière REP D3E ou encore la fin de vie des téléphones portables - reconditionnement, recyclage, élimination... Sans plus attendre, je vous donne la parole.
Nous vous remercions de cette invitation à nous exprimer sur ce sujet, qui est, à nos yeux, important. Le téléphone mobile, qui est un produit de consommation de masse et à forte valeur technique, soulève un certain nombre de problèmes spécifiques.
France Nature Environnement est une fédération regroupant environ 3 500 associations affiliées, qui traitent de différents sujets liés à la protection de la nature, depuis la biodiversité jusqu'à la protection des océans en passant par l'économie circulaire.
Le réseau prévention et gestion des déchets que je coordonne comprend environ 600 contributeurs bénévoles, dont un certain nombre travaillent au niveau national avec une petite équipe salariée, notamment via la participation aux commissions des filières REP, dont celle des D3E depuis son démarrage en 2006.
Vous avez déjà auditionné beaucoup de structures sur l'ensemble de la filière. Afin d'éviter les répétitions, je centrerai mon propos sur une vision de l'intérieur de la filière REP et de ses liens avec le devenir des téléphones mobiles.
Il est difficile de travailler sur les téléphones mobiles du fait de l'opacité de la filière et de la difficulté à trouver des chiffres précis, que ce soit en France ou à l'échelle européenne ou mondiale. Ce sujet constitue néanmoins, pour nous, une bonne porte d'entrée pour comprendre les dynamiques des filières de produits à haute technologie. Celles-ci sont à la fois mondialisées et surtout très concurrentielles, ce qui oriente la manière dont on doit aborder le problème. Avant de discuter de la filière REP D3E des téléphones mobiles, je voudrais reprendre quelques éléments qui me semblent importants.
Il s'agit d'une filière à la fois très segmentée et très concurrentielle, qui amène les acteurs, et donc les constructeurs, à utiliser une stratégie de différenciation à marche forcée. Pour conquérir de nouvelles parts de marché, et même pour conserver celles qu'ils contrôlent, les acteurs doivent proposer des développements techniques innovants, qui ont des implications directes sur les composants.
Cette situation entraîne, d'une part, la miniaturisation croissante des composants, et, d'autre part, le développement d'alliages et de composites spécifiques aux fonctionnalités que l'on cherche à développer. Il en résulte une classification des matériaux, avec, d'un côté, des matériaux de base liés aux fonctions de base d'un téléphone - alimentation, affichage, sonorisation -, parmi lesquels le cuivre, l'étain et l'or, et, de l'autre, des alliages ou des métaux plus spécifiques pour des fonctions plus spécifiques, telles que l'écran tactile, le GPS ou l'appareil photo.
Il en résulte également un accroissement du nombre des substances minérales - on compte plus de soixante éléments métalliques aujourd'hui -, et du nombre des composés plastiques également, ainsi qu'une récupération limitée des éléments valorisables, pour des raisons économiques ou techniques. Ils se trouvent en effet en proportion plus faible, et l'accès est rendu plus complexe du fait des mélanges de substances. Certains auteurs parlent d'une dissipation lente de la matière à travers ces mécanismes, qui rendent une valorisation matière complète difficilement atteignable.
Seulement la moitié des métaux présents - essentiellement les métaux de base et certains métaux plus spécifiques - sont recyclés à 50 % ou plus. Enfin, on peut regretter le manque de valorisation matière de métaux rares et spécifiques, que ce soit pour des contraintes techniques ou économiques.
Comme l'ont expliqué plusieurs intervenants, nous disposons en France d'un gisement, puisque près de la moitié des téléphones mobiles vendus sont stockés chez les particuliers. Les teneurs des métaux qui les composent sont très supérieures à l'extraction primaire minière, mais pour assurer une valorisation matière satisfaisante, il faudrait faciliter l'accès grâce au développement d'une filière complète, notamment avec un effort de soutien de la part des pouvoirs publics.
La question des risques sanitaires a été évoquée assez largement. Je rappellerai qu'un certain nombre de métaux et de composés plastiques dangereux pour la santé humaine et pour l'environnement sont visés par la directive européenne RoHS : le plomb utilisé dans les soudures, qui est un neurotoxique important ; le mercure, présent dans certaines anciennes versions de batteries ; le cadmium, qui provoque l'ostéoporose ; et enfin le chrome hexavalent, qui est aussi sous la contrainte de la directive RoHS mais qu'on trouve encore à l'état de trace dans certains téléphones. Une concentration des téléphones peut donc provoquer des pollutions si le problème est mal géré.
Ce premier état des lieux montre que la filière va avoir du mal à progresser dans la voie de l'écoconception, du fait de sa nature même, et qu'elle devra faire appel à différents leviers pour aller dans ce sens. Une valorisation matière convenable prendra encore du temps. Pour y parvenir, une volonté politique forte sera nécessaire, notamment pour relocaliser certaines activités de production et de recyclage.
On a donc deux boucles positives destinées à réduire les prélèvements primaires et les rejets de matière par un allongement de la durée de vie, ce que l'on a un peu traité au travers de l'écoconception, mais pas seulement. Cette question est aujourd'hui essentiellement portée par les filières à responsabilité élargie du producteur, notamment celle des D3E.
Pour la FNE, trois enjeux principaux se dégagent aujourd'hui : une gouvernance plus démocratique, ce qui concerne l'ensemble des filières REP ; l'atteinte des objectifs de collecte et de traitement, pour éviter les fuites qui alimentent l'exportation des déchets à l'encontre de la convention de Bâle ; enfin, la réduction de l'impact environnemental des équipements, par l'allongement de la durée de vie des produits et la réduction de l'utilisation de substances dangereuses ou polluantes.
Sur le premier enjeu, nous disposons d'un retour d'expérience intéressant, puisque nous sommes présents à la fois dans les commissions de filières, dont celle des REP, et dans la commission dite « transfilières ». Nous animons, coprésidons ou participons à des groupes de travail qui se formalisent selon les enjeux et les sujets au sein des REP. Nous avons notamment été initiateurs du groupe de travail sur l'écoconception qui, à son démarrage, avait vocation à travailler sur la définition des modulations.
Nous avons noté les réticences d'un certain nombre d'acteurs à contribuer en temps et en heure aux groupes de travail relatifs à la question des modulations, et ce malgré l'implication de certains de leurs membres.
Nous sommes également préoccupés par la question du partage équilibré des connaissances. En tant que représentants d'associations de protection de la nature et de l'environnement, nous ne sommes pas des spécialistes de ces questions, mais notre présence est absolument nécessaire pour garantir un jeu d'acteurs équilibré. Cela demande du temps, de l'implication et des moyens, et cela passe aujourd'hui par la formation de nos propres membres, la diffusion des compétences au sein de notre réseau, notamment la remontée d'informations du terrain, ce qui est chronophage et difficile à mettre en oeuvre, et, enfin, la possibilité de développer une vision plus prospective de ces filières en lien avec les autres filières REP et notre propre travail sur l'économie circulaire.
Nous avons déjà proposé la mise en place d'un budget par collège au sein des filières REP, afin d'autonomiser celles-ci en termes de formation et de compréhension des enjeux. Ce budget ne serait pas un blanc-seing : il devrait être assorti d'un projet annuel et d'un bilan en fin d'année devant les commissions ad hoc.
En ce qui concerne ce problème, nous observons que le modèle de concertation est grippé. Vendredi dernier, pour la quatrième fois, le cahier des charges de la filière emballage a été rejeté, de même que celui de la filière papier, ce qui montre bien les difficultés qui existent aujourd'hui. Cela montre également que les groupes de travail et les commissions qui sont censés avancer sur des sujets précis autour de la définition des cahiers des charges sont en fait généralement contournés par des discussions bilatérales qui nuisent à la mise en place de discussions multipartites et sur lesquelles nous, FNE et représentants d'associations, ne pouvons pas forcément rivaliser en termes de disponibilité et de compréhension des enjeux. Nous sommes un peu le parent pauvre dans ces discussions qui sont souvent centrées autour des questions financières. Certes, c'est normal, mais cela rend notre tâche d'autant plus compliquée que nous défendons pour notre part des objectifs ambitieux et des contributions assorties de modulations.
Pour information, le groupe de travail sur l'écoconception ne s'est pas réuni depuis plusieurs années. Nous voudrions le relancer.
Vous parlez bien du groupe de travail sur l'écoconception dans les D3E ?
Tout à fait. Chaque filière a ses propres groupes de travail et la commission transfilières a elle-même un groupe de travail transfilières.
Notre deuxième préoccupation relative à la gouvernance concerne la disponibilité de l'information. Nous souhaiterions qu'un tableau de bord clair soit établi pour l'ensemble des filières et pour les D3E en particulier, car les informations en termes d'obligations et de respect des obligations qui circulent dans ces commissions sont assez difficilement accessibles. Vous avez peut-être pu constater que le rapport annuel de l'ADEME pour 2015 sur les D3E comporte quantité de chiffres et d'informations, qu'il faut d'abord digérer avant de pouvoir les utiliser. Pour nos bénévoles qui doivent les traiter dans des délais très courts pour justifier nos positions, cela reste difficilement utilisable. Nous souhaiterions disposer de tableaux de bord uniformisés entre les différents éco-organismes et entre les différentes filières. Surtout, nous pensons que l'animatrice qu'est la direction générale de la prévention des risques (DGPR) aurait besoin de plus de moyens pour assurer ce travail de suivi et d'animation. Actuellement, dans le meilleur des cas, une personne gère une filière et une personne de l'ADEME est chargée des aspects plus techniques, ce qui est insuffisant.
Enfin, le dernier problème en termes de gouvernance des filières est la place importante des éco-organismes. Ce n'est pas le cas pour les D3E, puisqu'il existe quatre éco-organismes agréés, dont deux qui s'occupent entre autres des téléphones mobiles. Parmi ces deux derniers, Eco-systèmes représente environ 80 % des écocontributions et reste un acteur fort malgré l'ouverture à la concurrence.
Cette position dominante a plusieurs effets. Premièrement, cela peut provoquer des abus entre l'éco-organisme et les prestataires de traitement. Certaines remontées de terrain montrent que les premiers font pression, notamment sur les coûts, afin de justifier ensuite une baisse de l'écocontribution. En effet, les montants étant calculés en fonction des coûts en aval, cela leur permet de prendre des parts de marché aux éco-organismes concurrents. Il faudrait réussir à éviter ces effets pervers.
Le deuxième problème lié à la place centrale des éco-organismes est la question des sanctions. Aujourd'hui, la principale sanction en cas de non-respect des obligations est le retrait de l'agrément. Nous pensons qu'il serait intéressant d'envisager des sanctions graduelles. Cela permettrait de dégager des fonds, qui pourraient être utilisés pour la prévention des déchets électroniques ou le suivi des filières illégales. Cela permettrait également de maintenir le dialogue et d'éviter des batailles juridiques, qui peuvent conduire à un retrait d'agrément, au risque de déstabiliser la filière. Même si Eco-systèmes ne respectait plus les objectifs qui lui ont été fixés pendant un certain temps, il est difficilement imaginable de lui retirer complètement son agrément, eu égard au poids qu'il a dans la filière et dans sa structuration. Ce système devrait, à nos yeux, comprendre une analyse des causes de non-atteinte de l'objectif, car la responsabilité peut être partagée par plusieurs acteurs de la filière et ne pas reposer uniquement sur l'éco-organisme.
Le deuxième enjeu que j'évoquai sur les REP est d'assurer le traitement des flux. Aujourd'hui, les taux de collecte visés sont encore trop peu ambitieux, et la relative stagnation que nous observons ces dernières années nous fait craindre qu'il ne faille surveiller les dispositifs mis en place autour de la collecte pour atteindre l'objectif de 65 % d'ici à 2019. Il faudrait qu'un meilleur encadrement des moyens alloués à l'information et au soutien d'acteurs qui font de la collecte soit prévu dans le cahier des charges. Si ce dernier comporte actuellement des objectifs de résultat, les objectifs de moyens sont parfois peu clairs, ou en tout cas mériteraient d'être clarifiés. Il faut privilégier les méthodes qui fonctionnent, quitte à aller voir ce qui se passe dans d'autres filières REP que celle des D3E. Nous insistons actuellement au sein de la commission transfilières pour obtenir un retour d'expérience sur les différentes méthodes d'information, de sensibilisation, de répartition des points de collecte, et les nouveaux enjeux qui se font jour. Dans le cadre d'une enquête sur les taux de reprise, la CLCV a montré qu'à peine 49 % des nouveaux acteurs de la distribution en ligne respectaient la communication sur le dispositif de reprise « un pour un ».
En matière d'information des consommateurs, il semble que les efforts doivent se poursuivre, afin de rendre les messages plus clairs et plus uniformes.
Concernant la question de la consigne, notamment pour les téléphones mobiles, FNE a adopté une position proche de celle des Amis de la Terre en préconisant une consigne autour de 50 euros, voire un peu moins. Nous pensons que la réflexion doit en tout cas se poursuivre sur cet outil qui nous semble important pour améliorer le taux de reprise, mais nous n'avons pas assez d'éléments aujourd'hui pour nous prononcer sur un niveau d'engagement.
Pour vous, c'est donc un scénario possible, bien que le processus de réflexion ne soit pas encore abouti.
Tout à fait !
Mais vous ne disposez pas d'une somme repère pour le moment. Nous avons entendu des avis mitigés sur la consigne, certains craignant de créer une espèce de cagnotte gigantesque, avec les risques que cela comporte... L'idée d'une consigne ne fait pas l'unanimité, y compris chez les acteurs vertueux qui seraient prêts à rechercher un système.
J'ai également entendu des positions assez différentes. La FNE considère que le dispositif a son intérêt, dans la mesure où il conduira les utilisateurs à prendre conscience de ce qu'ils ont chez eux et où il constituera une manne financière, dont la gestion devra bien sûr être prévue. De nombreuses discussions portent actuellement sur d'autres formes de consigne, y compris sur des matériaux d'emballage industriels et commerciaux, et, malgré les réticences de certaines d'entre elles, plusieurs filières mènent une réflexion conjointe sur ce sujet.
Le dernier point concerne l'allongement de la durée de vie des produits, qui englobe à la fois la question de l'écoconception et le secteur de la réparation et du réemploi. Cette question présente deux enjeux essentiels. Le premier est la mise à la disposition des acteurs de la réutilisation d'un gisement de déchets réutilisables. Celui-ci ne fait pas forcément défaut aujourd'hui, mais il est insuffisamment suivi dans la mesure où il n'y a pas d'obligation ni d'objectif fixé en termes de gisement, ce qui est d'autant plus dommageable que les acteurs sont souvent dans des équilibres économiques précaires. Il reste toutefois difficile de proposer un objectif de mise à disposition pour ces acteurs dans la mesure où le besoin repose aussi sur la demande que font les utilisateurs en termes d'objets réutilisés. Nous pourrions éventuellement réfléchir à une sanctuarisation ou à un plancher minimal d'influx, qui serait destiné à ces acteurs de manière sécurisée, ainsi qu'à des modalités logistiques permettant de diminuer un peu les coûts.
Le deuxième appui des REP dans l'allongement de la durée de vie est bien sûr l'écoconception. Notre philosophie de l'écoconception est beaucoup plus large que ce qui est généralement proposé par les fabricants ou par certains acteurs. Pour la FNE, l'écoconception est une méthode permettant de faciliter la prévention à la fois qualitative et quantitative des déchets par une réflexion portant sur une production intelligente, qui développerait la standardisation, sur un approvisionnement de matières secondaires et sur l'intégration de celles-ci directement dans les produits. Aujourd'hui, aucun téléphone n'utilise de produits issus du recyclage pour ce qui concerne les métaux, ou très peu.
Je l'ai lu sur le site de l'écolabel européen TCO. Il me semble même que ce soit le cas pour le Fairphone. À ma connaissance, les téléphones neufs ne sont pas fabriqués avec une part significative de matières issues du recyclage. Il faudrait que je vérifie ce point avant de vous le certifier, mais cette part, si elle existe, reste en tout cas très marginale, notamment parce que l'on a besoin de matériaux d'une certaine qualité, que l'on ne peut pas forcément atteindre avec des métaux issus du recyclage.
L'écoconception renvoie pour nous à la fois à une production intelligente et à un usage « apaisé » - je tire cette conception d'un projet qui avait été engagé il y a quatre ans : fairtrade electronic n'a jamais vu le jour, mais, un peu à l'image du Fairphone, il voulait proposer des produits électroniques plus vertueux en interrogeant aussi l'usage et les fonctionnalités d'un téléphone. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il existe un vrai lien entre les fonctionnalités des composants et les matériaux. Pour les écrans, il serait par exemple possible d'utiliser des encres liquides et un système différent de touches métalliques. Je ne dispose pas d'éléments très précis sur ces sujets. Toutefois, nous avons pu montrer l'intérêt de mener une réflexion sur l'usage en termes d'écoconception, puisque ce dernier conditionne également les composants. Alors que l'on a tendance à prendre le téléphone tel qu'il est aujourd'hui et à essayer de trouver quelque chose de mieux, nous pensons qu'il faut repartir de la base.
Enfin, le dernier point souvent mis en avant est celui du démantèlement facilité et de la recyclabilité. Cette dernière n'est pas du tout le seul critère à mettre en oeuvre. Les critères d'écomodulation qui figurent dans les cahiers des charges pour les téléphones mobiles sont loin d'être appliqués. La FNE avait travaillé sur la définition de ces modulations, en s'adossant sur l'écolabel européen TCO, qui permettait d'avoir des critères contrôlables, simples et partagés par la profession. Cela n'a pas forcément suffi à convaincre les constructeurs, et les discussions nous ont conduits à nous rabattre sur des scénarios de moins en moins ambitieux.
La prochaine étape sera le futur agrément à partir de 2020. Nous souhaiterions commencer assez rapidement notre réflexion sur l'écoconception et les modulations, afin d'y intégrer les trois critères qui ont déjà été longtemps discutés, à savoir la toxicité, la recyclabilité et l'allongement de la durée de vie via une modularité ou un accès aux pièces détachées. Nous espérons reprendre rapidement les discussions pour essayer de trouver des terrains d'entente avec l'ensemble des acteurs.
Vous parlez d'un agrément en 2020. Pourriez-vous préciser de qui et par qui ?
Il s'agit de l'agrément des éco-organismes actuels. Nous souhaitons de nouveau travailler sur ces modulations pour donner aux éco-organismes un peu plus d'ambition. La question est de savoir si ces écomodulations ont un effet réel compte tenu du montant de l'écocontribution : un centime d'euro, et deux centimes d'euros en cas de non-respect, ce qui reste très faible. Nous souhaitons uniformiser les modulations au niveau de l'ensemble des REP, en passant par la commission transfilières dans un premier temps, afin que cette uniformisation devienne automatique chaque fois qu'il y aura un nouveau cahier des charges à définir dans n'importe quelle REP. Cela permettra d'avoir une visibilité beaucoup plus claire des bonus et malus attribués aux produits.
Aujourd'hui, les informations sur les quantités et les montants associés aux produits qui bénéficient d'un bonus ou d'un malus ne figurent pas dans les rapports. Nous voudrions corriger cette lacune et rendre l'information visible pour les consommateurs : dans l'idéal, directement sur le produit, mais a minima via un site internet. Cela permettrait d'avoir un impact sur les constructeurs en termes d'image, l'incitation financière restant faible.
D'autres leviers pourraient être actionnés, afin de garantir un devenir plus vertueux des téléphones mobiles. La recherche de la compétitivité et de la différentiation, qui permet de gagner des parts de marché dans la filière électronique, rend difficile la mise en oeuvre d'une écoconception vertueuse, si celle-ci n'est pas accompagnée d'un cadre réglementaire. Il faut casser un peu cette course à l'innovation en termes de marketing. D'ailleurs, la directive européenne sur les chargeurs universels va dans le bon sens. Elle a donné lieu à beaucoup de discussions et elle constitue finalement un point d'appui important. C'est aussi sur ces modules-là, qui ont peu de valeur ajoutée et qui sont bien maîtrisés par la filière électronique, que l'on peut s'appuyer. Il faudrait continuer à standardiser un certain nombre de fonctionnalités, ainsi que le démontage, avec la question des vis, des colles ou des polymères utilisés. Le travail de réglementation sur la standardisation ne devrait pas être un frein aussi important au développement d'une électronique plus vertueuse.
Il faut aussi engager un travail de normalisation sur les substances toxiques. Il faut étendre la directive RoHS pour casser cette spirale. En parallèle de la question de la standardisation ou de la déspécialisation, se pose le problème des pièces détachées. Dans un autre secteur, des acteurs comme Seb mettent en place de leur propre initiative des garanties de disponibilité et de reprise à dix ans. Il pourrait en être de même pour d'autres filières, notamment celle des téléphones mobiles, qui constitue un marché conséquent et est marqué par un renouvellement important, quitte à l'accompagner au travers de la standardisation et de la normalisation.
La question de l'information sur la durée de disponibilité des pièces détachées est également importante. La loi Hamon du 17 mars 2014 rappelle qu'on doit rendre visible la disponibilité. Nous souhaitons qu'une mention indique également l'absence de pièces disponibles, pour assurer une visibilité plus complète.
Enfin, des discussions sont en cours sur la garantie légale de conformité et le soutien au secteur de la réparation et du réemploi. Un rapport au Parlement est attendu d'ici au début de l'année prochaine sur l'extension de la garantie légale de conformité. À cet égard, la FNE a été auditionnée. Nous sommes favorables à l'extension de la garantie légale, ainsi que de la durée de présomption. Mais il nous est difficile de dire si elle doit être augmentée à dix ans ou à une durée moindre. Quoi qu'il en soit, ce signal nous semble important : il faut au moins la porter à cinq ans, même si on doit l'accompagner d'un certain nombre de mesures, que ce soit en termes de formation ou d'accessibilité à la formation continue et initiale. Il convient aussi de faire évoluer certaines formations, puisque les imprimantes 3D et l'usage de l'électronique se développent. En la matière, le secteur de la réparation n'est pas complètement au point et mériterait d'être assisté.
Le rapport du Parlement dont vous avez parlé concerne-t-il seulement l'extension de garantie pour les téléphones ?
Il concerne tous les biens meubles, dont les téléphones mobiles.
Pour en finir avec le secteur de la réparation, des discussions sont aujourd'hui en cours au niveau européen sur la directive relative à la TVA. Notre partenaire européen demande une baisse du taux de TVA sur les activités de réparation et une augmentation de ce taux sur des produits à usage unique, mais je m'éloigne là de la question des téléphones mobiles.
Enfin, la FNE est sensible à la question des moyens en matière de contrôle. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) manque de moyens, pour suivre la question de l'exportation illégale de déchets ou celle de l'information et de la mise à disposition de l'information auprès du consommateur. Il est essentiel à nos yeux de montrer que la réglementation a un sens et qu'elle contribue à aller dans la bonne direction. Même si les associations font parfois un travail d'enquête ou de reporting, il convient que les institutions s'en chargent également. Cela reste marginal et il est surtout très chronophage pour nous de travailler sur cette mission, qui est par ailleurs intéressante pour comprendre les réalités de terrain.
Tels sont les principaux éléments que nous souhaitions vous communiquer. Je suis naturellement à l'écoute de vos questions.
Quelle connaissance avez-vous de l'exportation illégale, du mécanisme qui la permet, des destinations éventuelles et des pourvoyeurs ?
Malheureusement, je ne dispose pas vraiment d'éléments sur cette question. Nous pensons qu'il faut agir sur la collecte pour assécher ces filières. La mise en place d'un système de consigne pourrait avoir un effet de levier important pour inciter les utilisateurs à sortir leur téléphone portable de leurs tiroirs.
Le terme « nanomatériaux » n'a jamais été prononcé par ceux qui ont abordé la toxicité éventuelle du démantèlement et du broyage. Or je pense que ces téléphones, avec leur miniaturisation, en regorgent. Avez-vous connaissance d'études ou d'alertes portant spécifiquement sur cette question ?
Non. Nous travaillons sur la question des nanomatériaux plutôt dans le domaine de l'alimentaire, mais il conviendrait d'engager une réflexion sur ces questions. J'interrogerai toutefois ma collègue chargée de ces sujets.
Si vous disposez d'informations spécifiques, cela nous sera utile.
Ma préoccupation concerne le broyage, car celui-ci libère des substances non contrôlables par les filtres classiques dont on pourvoit les travailleurs dans le meilleur des cas. Concernant les nanomatériaux, une deuxième question porte sur le secret industriel qui accompagne l'imbrication de certains atomes et qui gênerait le recyclage, mais elle ne se pose pas dans la mesure où ces derniers se trouvent en quantités tellement infimes qu'il ne serait pas économiquement intéressant d'aller les chercher.
Je vous remercie de votre intervention et du regard spécifique que vous avez porté sur l'accompagnement associatif de la vie des REP et de leur fonctionnement. Personne ne nous avait parlé de la gouvernance, ni du côté digeste ou indigeste de l'information.
Nous avons déjà tellement de mal à nous investir sur les REP que c'est, pour nous, un enjeu de renouvellement, d'implication des bénévoles et des salariés sur ces questions. Aujourd'hui, nous sommes présents dans cinq des quatorze REP, et si nous sommes soutenus dans notre action, nous nous heurtons à un frein assez direct en raison de la mise en défaut du modèle de discussion multipartite : le jeu d'acteurs n'est pas équilibré. Il m'importait de le rappeler, parce que nous avons du mal à le faire entendre au sein de la REP directement.
Je vous remercie aussi de votre suggestion visant à sortir de l'opposition manichéenne entre agrément et non-agrément. Aujourd'hui, personne ne prendrait la responsabilité de détruire un major de la gestion des déchets. Or se savoir invulnérable ouvre la porte à tous les comportements faisant fi des règles établies...
Il est plus difficile de faire ressortir des choses litigieuses, on a tendance à les camoufler un peu.
La progressivité de la sanction contribuerait en outre à apporter davantage de moyens, au service des buts que vous avez évoqués.
Nous menons une réflexion sur les objectifs de résultats, mais aussi de moyens. Actuellement, ces derniers ne sont pas du tout explicites dans les agréments, que ce soit dans les D3E ou ailleurs. Nous y réfléchissons depuis plusieurs années, afin de proposer des fonds dédiés, notamment un fonds de 1 % pour les activités de prévention des déchets, qui sont souvent mises un peu de côté dans l'ensemble des REP. Nous avions calculé que cela permettrait de dégager 14 millions d'euros pour l'ensemble des REP. Ce fonds, qui pourrait être géré par un comité ad hoc avec l'ensemble des parties, permettrait de soutenir les acteurs du réemploi et de financer des campagnes d'information et de sensibilisation. Les éco-organismes proposent de telles initiatives, mais, pour aller plus loin, il faudrait disposer d'un minimum de moyens, notamment via le soutien aux associations qui réalisent ce travail de sensibilisation tout au long de l'année auprès des collectivités, des particuliers et en milieu scolaire.
En dehors de la FNE, qui occupe les sièges associatifs, de vigilance et de débat dans les filières REP ?
Au sein du collège des associations de protection de la nature et de l'environnement, d'un côté, et de celui des associations de consommateurs, de l'autre, on retrouve toujours à peu près les mêmes acteurs, à savoir Zero Waste France ou les Amis de la Terre. Je ne sais pas si Halte à l'obsolescence programmée fait partie des collèges associatifs. Nous constatons toutefois un vrai problème de mobilisation, notamment sur la REP de l'ameublement, qui va donner lieu à un nouvel agrément.
Merci beaucoup ! Vous étiez la dernière personne à être auditionnée au cours de cette courte mission d'information.
La réunion est levée à 17 h 30.