Nous vous remercions de cette invitation. Le Haut conseil à la santé publique a été créé en 2004, reprenant les missions du Haut comité de la santé publique et du Conseil supérieur d'hygiène publique. La loi de modernisation de notre système de santé a rénové ses missions, qui sont principalement de contribuer à l'élaboration du plan national de santé, de fournir une expertise et des réflexions prospectives aux agences sanitaires et aux pouvoirs publics. Surtout, le Haut conseil à la santé publique contribue à l'élaboration d'une politique : cette année, il s'agit d'établir une politique de l'enfant globale et concertée.
Pour conduire ces missions, le Haut conseil à la santé publique évalue des plans : récemment, nous avons évalué le plan psychiatrie et santé mentale et le programme national d'action contre le suicide.
Le Haut conseil à la santé publique peut être consulté par les ministres intéressés, ainsi que par les présidents des commissions compétentes du Parlement, sur toute question relative à la prévention, à la sécurité sanitaire ou à la performance du système de santé. Si toutes les directions générales nous saisissent, la direction générale de la santé est notre principale commanditaire.
Le Haut Conseil regroupe des équipes pluridisciplinaires. Je suis psychiatre, avec une formation de santé publique, Claudine Berr est médecin et chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; s'ajoutent également des profils des sciences humaines, des économistes, des géographes, des sociologues, ainsi que des médecins de diverses spécialités. Nous sommes reconnus pour notre capacité à fédérer les organismes partenaires et les praticiens de terrain.
Ces précisions faites, je vais vous présenter le contexte de la psychiatrie et de la santé mentale, puis Claudine Berr récapitulera les principaux enseignements de l'évaluation.
La santé mentale et les maladies mentales forment un sujet très vaste et complexe, ce qui n'empêche pas un traitement rigoureux. En premier lieu, les maladies mentales constituent un ensemble de symptômes ayant un retentissement significatif sur le fonctionnement des personnes. Elles font l'objet de classifications, à l'instar de la classification américaine DSM, dont la cinquième version a introduit de nombreuses modifications en psychiatrie infanto-juvénile. Elle a consacré l'évolution de différentes catégories d'autisme et de troubles du développement au profit d'une conception plus large de troubles du spectre autistique, regroupant ces différentes maladies classées en trois niveaux de gravité en fonction de l'assistance nécessaire. Cette évolution a des répercussions sur la quantité de patients concernés : un enfant sur quatre cents pour les troubles autistiques, contre un pour cent pour les troubles du spectre autistique. D'une façon générale, ces classifications sont adaptées pour tenir compte de la spécificité des enfants.
En second lieu, la détresse psychologique regroupe des symptômes psychologiques, souvent passagers, et très fréquents en population générale : qu'il s'agisse des enfants, adolescents ou adultes, environ 15 % à 20 % de la population a des symptômes de ce type. Il est important de garder en mémoire ces masses différentes de populations. En fonction du groupe de pathologies considéré, si le système psychiatrique doit connaître 20 % de la population, il va avoir du mal à remplir son rôle. C'est pourquoi il est important de faire cette distinction entre des maladies mentales ayant des conséquences importantes sur le développement, et des symptômes passagers. Je ne dis pas que rien ne doit être fait pour ces symptômes passagers, mais il n'est pas certain que ce soit la psychiatrie qui doive intervenir.
En troisième lieu, la santé mentale positive correspond à la notion plus large du bien-être.
À ces concepts différents répondent des besoins de soins distincts : des soins psychiatriques ou des soins de santé mentale.
Une des spécificités de la pédopsychiatrie est que l'enfant ne demande pas lui-même des soins. L'adolescent peut le faire, mais pas le jeune enfant. C'est donc son entourage qui va porter sa parole. Or les enquêtes épidémiologiques en pédopsychiatrie soulignent bien que les symptômes sont perçus très différemment par l'enfant, les parents et les enseignants. Ainsi l'agitation est-elle beaucoup mieux perçue par les enseignants que par les parents. Surtout, les symptômes qui gênent sont perçus très différemment par l'entourage : les principaux motifs de consultation d'un pédopsychiatre sont l'échec et les difficultés scolaires, ainsi que les troubles des acquisitions et du comportement. Par conséquent, les troubles dépressifs et anxieux ne sont pas les plus rapportés à la psychiatrie.
Les problèmes se forment très tôt, et l'adolescence s'inscrit en continuité avec l'enfance. En matière de politique publique, il faut donc s'interroger sur l'intérêt de s'intéresser à la petite enfance et à la période de 6 à 11 ans, dès lors qu'il est plus facile de traiter certains troubles à cet âge que lors de l'adolescence.
En outre, l'enfance concerne des intervenants multiples : la famille, l'enseignement, la justice, les services sociaux. Chacun veut de bonne foi protéger l'enfant et faire son bien. L'articulation des différentes instances autour de l'enfant est particulièrement complexe. D'une façon générale, le monde de la psychiatrie infanto-juvénile ressent un déni général de la maladie mentale. Ce déni existe pour l'adulte, mais il est encore plus fort en psychiatrie infanto-juvénile : il est difficile d'admettre que la maladie mentale existe chez les enfants. Ce déni général va de pair avec une stigmatisation de la psychiatrisation, des médicaments psychotropes, en contradiction avec les pratiques réelles, dans la mesure où environ 7 % des jeunes filles de moins de 15 ans ont pris au moins un anxiolytique dans l'année.
S'ajoutent des clivages entre les soignants, les rééducateurs, les enseignants, les travailleurs sociaux, les intervenants judiciaires : ces professionnels éprouvent des difficultés à travailler ensemble autour de l'enfant.
La question est de savoir si la pédopsychiatrie, qui dispose de moyens non négligeables, exerce bien dans son domaine de compétence. La pédopsychiatrie intervient dans des domaines qui ne sont pas de son ressort, et se trouve de facto exclue des champs où sa compétence pourrait être la plus utile et où se trouvent les troubles les plus graves : l'aide sociale à l'enfance, le médicosocial. Alors que ces domaines devraient constituer le coeur de métier des pédopsychiatres, quand ils sont appelés à l'aide sociale à l'enfance ou dans le médicosocial, c'est le plus souvent pour « éteindre un feu ».