Intervention de Mohamed Beddy Ebnou

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 14 mars 2016 à 16h00
Audition de M. Mohamed Beddy ebnou enseignant de la finance internationale et de la finance islamique à l'université de dauphine dans le cadre de l'executive master « principes et pratiques de la finance islamique »

Mohamed Beddy Ebnou, enseignant à Paris-Dauphine :

Elle repose sur un principe général qui est l'interdiction de faire des gains sans cause. Les gains doivent forcément résulter, soit d'un effort, soit d'une responsabilité assumée. Il y a d'abord l'interdiction de lancer des contrats sur certains produits comme les psychotropes, les vins, les jeux de hasard ou la pornographie. Tous les produits considérés par la jurisprudence musulmane comme « susceptibles de provoquer des séditions », à savoir les armements, sont également ségrégués. Quant aux contrats, on prohibe ceux qui ne sont pas suffisamment déterminés ou qui portent des informations asymétriques, au désavantage du client.

Autre particularité, la finance islamique est participative. Toutes les transactions doivent être adossées à des actifs tangibles. Les profits et pertes sont partagés. À cela s'ajoute le principe des externalités sociales, selon lequel toutes les activités financières doivent générer un environnement social favorable.

Cela étant, la finance islamique est loin d'être à la hauteur des principes qu'elle affirme. Parmi les contrats, on en compte 20 à 30 % relatifs aux sociétés où la banque est actionnaire, contre 60 % de contrats commerciaux convertis en contrats financiers. Par exemple, le contrat Mourabaha s'est largement développé depuis 2009. La banque acquiert à la demande d'un client un bien immobilier en vue de le lui revendre à son coût d'acquisition plus une marge bénéficiaire convenue d'avance. La banque assume ainsi les responsabilités classiques du vendeur, à l'image du commerçant qui assume ses responsabilités par rapport à ses clients entre le moment où il achète un produit et celui où il le revend. Cette justification morale reste cependant contestable, dans la mesure où la banque capte dans cet intervalle de temps un intérêt qu'elle calcule sous forme de bénéfice. Ces intérêts sont fragmentés et payés par l'acheteur en versements mensuels, comme dans la finance classique.

Les banques tentent en général d'écourter au maximum l'intervalle de temps entre l'achat et la revente, au point de le rendre fictif, l'achat auprès du fournisseur finissant par coïncider avec la revente au client. Ce n'est pas sans rappeler le sketch de Chevallier et Laspalès « On passe par Pau, mais on ne s'y arrête pas ». En réduisant à rien ce délai, la banque supprime le caractère commercial de l'opération et la convertit en une simple opération financière.

Les banques prétendent rester fidèles à l'éthique de la finance islamique, dans la mesure où il n'y a pas d'intérêt coextensif au temps. Si le client doit payer un demi-million d'euros sur cinq ans, cette somme n'augmentera en principe pas s'il n'est pas en mesure de s'en acquitter dans les délais. C'est sans compter les manoeuvres des banques auprès de leur comité de conformité pour trouver des moyens de pénaliser les clients retardataires.

En France, certaines institutions non bancaires pratiquent des produits qui relèvent de la finance islamique, comme ce cabinet d'avocats, à Lyon, qui réalise des acquisitions immobilières en collectant un certain nombre de moyens financiers auprès des investisseurs. Il procède ensuite à peu près selon le mécanisme que je viens de décrire, sans avoir besoin d'aucun agrément relatif à l'existence d'une banque, puisque rien ne l'interdit dans le droit français.

Quatre ou cinq fonds, enregistrés au Luxembourg et exerçant à Paris, proposent des mécanismes d'assurance solidaire conformes à la finance islamique. Le droit français n'y fait pas obstacle. La difficulté reste d'obtenir un partenariat financier avec les banques conventionnelles. Pour l'instant, l'offre en matière de finance islamique reste limitée en France, malgré les annonces répétées de la Banque islamique du Qatar qui tente depuis sept ou huit ans d'ouvrir des fenêtres en France. La Banque islamique de France promue en son temps par Christine Lagarde n'a pas non plus obtenu d'agrément et a dû déplacer son centre à Londres.

On recense 10 % de produits faisant appel à un mécanisme autre que la Mourabaha, comme la micro finance islamique, pratiquée en Thaïlande, où l'on compte 15 % de Musulmans. L'expérience avait d'abord été tentée en Malaisie, où une banque prétendait ne facturer à ses clients que des frais de gestion, alors que le micro crédit implique habituellement un niveau d'intérêts élevé. Soupçonnée de fixer ces frais à un niveau anormalement élevé pour compenser les pertes, cette banque a fait l'objet de contrôles répétés de la part de l'État malaisien, dont la Banque centrale dispose d'un comité de régulation dédié à la finance islamique. Cette expérience s'est achevée par un échec en 2001. Mais en Thaïlande, une autre banque s'en est inspirée en développant un mécanisme qui relève du droit musulman : l'aumône régulière à laquelle sont soumis les Musulmans au-dessus d'un certain niveau de ressources. Une fois ces aumônes collectées, la banque les utilise pour financer des projets de micro crédit, dont elle devient partenaire, avant de se retirer progressivement du capital. L'expérience connaît un grand succès, auprès de clients, dont d'ailleurs seulement 30 % sont musulmans, le reste de la clientèle étant à l'image de la composition sociologique du pays. La Banque islamique d'Algérie offre ce type de financement à ses clients depuis 2011. La pratique s'élargit à des pays comme le Sénégal ou le Maroc, où le micro crédit n'avait pourtant pas fonctionné jusque-là.

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