La République ne reconnaît aucun culte, mais elle les connait tous - et c'est mon ministère qui a la charge de cette fonction. L'Islam, qui n'était quasiment pas présent sur notre territoire il y a quelques décennies, s'y installe et s'institutionnalise : comment réussir ces changements, dans le contexte de la séparation de l'Église et de l'État ?
Combien y a-t-il de musulmans en France ? Personne ne le sait précisément, puisque le dernier recensement indiquant la religion date... de 1872 ; cependant, des estimations sont faites, en se fondant sur les lieux de naissance, et nous disposons également de l'enquête « Trajectoires et origines » de 2008, qui évalue à 2,1 millions le nombre de musulmans parmi les 18-50 ans, soit environ 4 millions pour la population entière (6,4 %) ; contrairement à une approximation souvent usitée, il n'y a pas entre 6 et 8 millions de musulmans dans la France contemporaine. S'agissant de la pratique, un sondage Ipsos évalue à 41 % la proportion des musulmans pratiquants, mais nous savons également que les références aux valeurs de l'Islam sont en progrès, en particulier dans les habitudes vestimentaires - un mouvement parallèle, cependant, à une sécularisation parmi les populations musulmanes migrantes.
Quelle est la définition d'un lieu de culte ? Juridiquement, il n'y en a pas - et les règles qui s'appliquent sont celles du code de l'urbanisme et celles des établissements recevant du public (ERP). Cependant, le ministère de l'intérieur estime qu'il y a quelque 2 500 lieux de culte musulman en France, dont 300 outre-mer, contre 1 300 en l'an 2000, et seuls 64 d'entre eux peuvent recevoir plus de 200 personnes. Par comparaison, notre pays compte 45 000 églises, 3 000 temples protestants et 280 synagogues. Les lieux de culte musulman sont donc, pour la plupart, des pavillons, des garages et des locaux divers. Les trois régions que sont l'Île-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur regroupent la plupart de ces lieux de culte et nous constatons une très forte demande pour l'implantation de nouveaux lieux. On estime à une centaine le nombre de mosquées sous influence salafiste.
Sur le financement, il faut distinguer la construction et le fonctionnement des mosquées. Dans la plupart des cas, les projets sont auto-financés, notamment par des collectes qui se font parfois l'étranger - environ 10 % des projets ont des financements étrangers, sans que nous puissions établir cependant de lien avec une idéologie particulière qui démontrerait une volonté d'intrusion. Les frais de fonctionnement, eux, peuvent être pris en charge par des Etats étrangers, c'est le cas depuis 1982 avec l'Algérie pour la Grande mosquée de Paris, mais aussi à Evry, Saint-Etienne ou Strasbourg. Dans son rapport d'information, sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, Hervé Maurey préconise de rendre publics les financements, c'est une piste intéressante sur laquelle nous travaillons - en particulier pour vérifier la constitutionnalité de la publicité des comptes d'associations. Les salaires des imams, ensuite, représentent l'une des principales charge de fonctionnement. Quelques centaines d'imams sont détachés et rémunérés par des États musulmans : 150 par la Turquie, 120 par l'Algérie, 30 par le Maroc; c'est un avantage dans un Islam de France qui manque de moyens matériels, mais cela présente des inconvénients certains, car ces imams étrangers sont rarement francophones et méconnaissent souvent la culture du pays d'accueil. Les autres imams, ensuite, sont bénévoles.
Comme État laïc, la France ne prend pas en charge la formation religieuse, mais nous avons progressivement mis en place des diplômes laïcs sur le fait religieux, sa sociologie, ses rites, mais aussi des questions très pratiques comme le droit de la construction et l'environnement juridique des associations religieuses ; ces diplômes universitaires laïcs - il y en a treize - sont ouverts à tous, en particulier aux fonctionnaires, car nous constatons, dans la fonction publique, un manque de connaissance sur le fait religieux et sur la laïcité.
Créé en 2003, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a très vite été décrié et connu des problèmes de légitimité, mais il demeure l'organe le plus représentatif du culte musulman dans notre pays - avec la participation des grandes fédérations algérienne, turque, marocaine, la Grande mosquée de Paris, le rassemblement des musulmans de France, la Fédération française des associations islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles, mais pas l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), avec laquelle des conflits existent. Le CFCM représente le tiers des mosquées. L'équilibre est fragile, en raison de la fragmentation de l'Islam en France, mais l'exercice est nécessaire, c'est un atout pour les musulmans et pour le pays tout entier.
Face aux attentats de janvier 2015, le Gouvernement a réuni une instance de dialogue de l'Islam de France. Alors que le nombre d'actes antimusulmans a progressé de 123 % entre 2014 et 2015, on perçoit un risque de rupture dans le dialogue entre la société dans son ensemble et la communauté musulmane : le but de la nouvelle instance, c'est donc bien de dialoguer, elle n'est pas un parlement qui représenterait le culte musulman, qui prendrait des décisions concernant ce culte, mais bien une instance de dialogue avec le Gouvernement, comme il en existe avec l'Église catholique depuis 2001. Cette nouvelle instance s'est réunie une première fois le 15 juin 2015, associant l'État, l'Association des maires de France, les représentants du culte musulman ; l'ensemble des participants a salué cette initiative et nous y avons identifié des sujets très concrets sur lesquels travailler : la fondation des oeuvres de l'Islam de France, un guide de l'Aïd, la construction des lieux de culte, les questions funéraires, la formation. Une nouvelle réunion devrait se tenir en mars, avec pour thème unique la prévention de la radicalisation. Des consultations locales se réunissent préalablement à l'instance nationale, afin de raffermir le dialogue entre responsables musulmans locaux et préfectures. Pour prévenir la radicalisation, nous recherchons l'implication de la société civile, les initiatives sont éparses mais je crois pouvoir dire que la communauté musulmane se mobilise davantage depuis que les départs pour la Syrie ont pris plus d'ampleur. Enfin, tous les représentants du culte musulman, réunis à l'Institut du monde arabe le 29 novembre 2015, ont approuvé le principe de cette instance de dialogue consacrée à la radicalisation.
Si la communauté musulmane dans notre pays est unie, ce serait par l'idée qu'elle fait l'objet de discriminations. Nous sommes mobilisés sur ce sujet et nous en tenons un bilan avec le CFCM depuis 2010. Pour prévenir les actes antimusulmans, l'État participe à la sécurisation des lieux de culte - cela vaut du reste pour tous les lieux de culte -, notamment par de la vidéoprotection ; le plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme est doté d'une enveloppe de 100 millions d'euros.