Je vous remercie, à mon tour, de nous entendre. L'aumônerie militaire issue d'un arrêté ministériel de 2005, soit une création un siècle après les aumôneries militaires des autres grandes confessions. Elle comprend actuellement 35 hommes et 3 femmes, soit 38 membres qui sont projetés à tour de rôle sur le territoire et sur le théâtre des opérations. Elle a pour missions de soutenir et accompagner les hommes et femmes de la défense et conseiller le commandement militaire, c'est-à-dire non seulement les officiers généraux mais aussi les chefs d'unité, tout au long de la chaîne de commandement.
La loi du 8 juillet 1880 avait institué des aumôneries militaires sans y intégrer les musulmans. Un décret du 17 mai 1940 prévoit un « service d'assistance religieuse pour les militaires musulmans », qui se résume en fait à un service funéraire. Le général Catroux, délégué général de la France Libre au Levant, signe le premier un arrêté prévoyant l'affectation, auprès de chaque quartier général de division, d'aumôniers catholique, protestant, israélite ou musulman selon les situations. La première avancée significative se fait jour avec la désignation du Cheikh Abd-el-Kader au titre d'aumônier militaire pour l'armée du Levant.
Au crépuscule des guerres de décolonisation, plusieurs demandes en faveur d'une aumônerie musulmane restent sans concrétisation, même si ces initiatives sont approuvées par la direction du personnel militaire. La question resurgit avec la professionnalisation de l'armée en 1996 car de plus en plus d'engagés se réclament du culte musulman, sans pouvoir bénéficier d'un soutien spirituel, à l'égal de leurs frères d'armes des autres cultes.
Lors de ma première visite en 2006, qui avait lieu sur le porte-avions Charles de Gaulle, j'ai rencontré à bord 200 jeunes se déclarant de confession musulmane. Une jeune, pourtant non pratiquant, a témoigné de sa satisfaction de voir enfin une aumônerie musulmane car il ressentait une frustration à l'heure où la cloche sonnait pour les offices religieux car les musulmans n'avaient pas d'imams vers lesquels se retourner.
En 2005, Michèle-Alliot Marie, ministre de la défense, décide de la création d'une aumônerie musulmane aux armées françaises, dans le droit fil de la recommandation du rapport remis en 2003, par Bernard Stasi, au président Jacques Chirac. L'arrêté du 16 mars 2005 promulgue ainsi la création de la fonction d'aumônier en chef du culte musulman au sein du ministère de la défense, placé auprès du chef d'état-major des Armées. Puis, le 20 juin 2006, je suis nommé aumônier militaire en chef du culte musulman, marquant ainsi la naissance de cette institution.
Le premier impératif de l'aumônerie militaire du culte musulman fut le recrutement des aumôniers et leur déploiement sur l'ensemble du territoire national en privilégiant en premier lieu les zones de défense ayant un besoin impérieux, à l'instar de la zone de défense Sud, jugée prioritaire.
Les conditions de recrutement ne sont pas fixées par la loi mais par voie règlementaire, comme avoir atteint la majorité, avoir un casier judiciaire vierge, avoir la nationalité française, etc. Les capacités cultuelles sont appréciées par l'aumônier en chef.
Il s'agit de faire des bons militaires et non de bons fidèles musulmans : l'aumônerie n'exerce pas de prosélytisme. Ce sont les militaires qui viennent pour trouver des réponses à leurs interrogations. La priorité reste le bon accomplissement de la mission. Dans ce cadre, les aumôniers militaires interviennent en soutien comme d'autres, tels que les médecins. Ils ont deux années de formation pour concilier leur état militaire et leurs misions.
Aujourd'hui, l'aumônerie compte 38 aumôniers d'active et 7 aumôniers de réserve avec deux missions principales : le soutien aux hommes et le conseil au commandement.
L'aumônier a pour première mission d'apporter un soutien religieux, s'inscrivant dans une démarche profondément humaniste fondée sur l'accueil, l'écoute et l'accompagnement à l'endroit des personnels militaires et civils de la défense ainsi que de leur famille : il est l'aumônier de la troupe, quelques soient les convictions religieuses de ceux qui le sollicitent. De même, le soutien cultuel : Partout, en mission et sur le territoire national, l'aumônier militaire du culte musulman accompagne, sur leur demande, les personnels militaires et civils de la défense à chaque étape et événement de leur vie.
Sa seconde mission est le conseil au commandement, conformément au statut des aumôniers militaires.
L'action de l'aumônerie présente des spécificités en matière de desserte. Une demande de lieux de recueillement et de culte, à l'égal des chapelles, est vite apparue. L'aumônerie s'est ainsi attachée, avec le concours du commandement, à répondre à cette demande, dès lors que les infrastructures le permettaient. Il existe actuellement une vingtaine de salles de prière pour pratiquer dignement ce culte. L'installation d'un lieu de culte est possible si trois conditions sont réunies : la présence d'un aumônier militaire musulman, la possibilité technique de le créer et l'absence d'autres lieux de culte à proximité. Lorsque ces trois conditions étaient présentes, le commandement a toujours répondu favorablement à la demande de création.
J'ai choisi de ne pas organiser de prière collective, même du vendredi - assimilable à la messe -, pour ne pas donner l'impression de vouloir créer une communauté musulmane au sein de l'institution : il n'existe pas de communauté musulmane dans les Armées mais une seule communauté militaire ! L'uniforme les rassemble sans esprit de communautarisation.
Les aumôniers musulmans sont par ailleurs présents au sein des hôpitaux et écoles militaires. Dans les hôpitaux militaires, ils soutiennent et accompagnent les patients pour traverser l'épreuve de la maladie, des blessures, des fragilités psychologiques, des peurs et des interrogations à un moment où le patient est en perte de repères et dépendant. Assurant réconfort, consolation et appui, l'aumônier rassure, apaise et veille au respect de la pratique et des impératifs cultuels de chacun des hospitalisés, militaire ou civil.
Intégré à l'équipe soignante, l'aumônier militaire s'assure du respect des prescriptions religieuses que le patient souhaite observer. En cas de décès, il veille au respect des rites funéraires tels que souhaités par le défunt et sa famille et soutient cette dernière à traverser ces moments difficiles. Le libre choix prime toujours.
Dans les écoles militaires - lycées militaires, grandes écoles ou écoles d'applications de la défense -, l'aumônerie militaire du culte musulman est présente en s'adressant à de jeunes adultes parfois encore au sortir de l'adolescence, en situation d'internat et de fait loin des rassurants repères familiaux qui étaient les leurs. C'est un terrain où se forgent les consciences et où l'aumônier militaire n'a vocation qu'à être un repère.
Répondre à des questionnements internes relatifs à la pratique de sa foi, ressourcer à l'aune d'enseignements spirituels, faire face à des interrogations légitimes concernant l'évolution de la scolarité, rassurer, conseiller, se faire le lien entre élèves et commandement, contribuer à l'intégration des nouveaux arrivés peu accoutumés à l'environnement militaire, désamorcer les situations délicates, partager des moments de cohésion et de convivialité : autant de missions remplies par l'aumônier au sein des écoles militaires qu'il dessert.
Sur le plan du dialogue intercultuel, les relations avec les autres cultes au sein des Armées suivent leur cours normal, au gré de l'évolution du volume des personnels de l'institution. La conférence internationale des aumôniers en chefs organisée en 2014 par la France a été l'occasion de mettre en pratique le concours des aumôneries dans un effort qui se voulait commun, l'aumônerie du culte musulman s'engageant pour l'organisation de cet évènement : prospection et réservation des hôtels, création intégrale du site internet et d'une charte graphique, etc. L'aumônerie a également participé à l'organisation de la journée culturelle du 6 février 2014 à Meaux pour la commémoration de la Grande Guerre notamment pour l'accueil de la délégation américaine.
La charte des relations entre les cultes mérite d'être actualisée, afin de l'adapter aux réalités nouvelles qui s'imposent aux différentes aumôneries. L'arrivée d'une aumônerie du culte orthodoxe pourrait en offrir l'occasion. À cet égard, l'aumônerie du culte musulman a initié la réflexion avec ses homologues.
En matière de communication, l'aumônerie s'attache à éviter les lectures biaisées ou les incompréhensions dans un contexte national et international où le culte musulman demeure mal compris et sujet à toutes les interprétations. Elle a développé plusieurs outils de communication visant à mieux se faire connaître auprès des militaires et civils de la défense pour débattre et apporter un éclairage pédagogique sur les sujets débattus au sein de la société.
Ainsi, la revue quadrimestrielle Engagement s'adresse aux militaires et civils de la défense, de confession musulmane ou non, afin de leur faire découvrir le quotidien et les missions de l'aumônerie. Conçu comme un guide pratique, la revue regroupe des sujets susceptibles de toucher le lecteur à travers des rubriques retraçant « l'actualité de l'aumônerie », « la vie de l'aumônerie », « la vie militaire », « la vie musulmane », « la vie en société » ainsi qu'un dossier central. Méditations est une chronique mensuelle et spirituelle de l'aumônerie musulmane aux Armées pour délivrer des clefs de compréhension et d'approfondissement relatifs à la foi musulmane. En cours de préparation, Filiations sera une chronique familiale et sociale de l'aumônerie militaire, selon un rythme trimestriel et disponible sur demande.
Enfin, le site internet de l'aumônerie est en cours de finalisation, pour présenter le but et les missions de l'aumônerie militaire, tout en relayant son actualité et en traitant de sujets de spiritualité et de société.
L'aumônerie musulmane a des projets, comme la préparation de l'anniversaire des dix ans de sa création, en mars 2016, avec une série d'évènements sur le territoire national, notamment un office à Verdun. Il faut rappeler l'engagement de soldats musulmans pour la défense de nos libertés dans les dernières guerres, en 1870, pendant les deux guerres mondiales puis en Algérie.
La direction de l'aumônerie sollicitera le concours du ministère de la défense pour l'appui budgétaire et logistique nécessaire à la tenue de cette célébration qui marque un tournant historique de notre République, notamment en filiation directe avec la commémoration de la grande guerre et du sang musulman versé pour la France.
La session des journées d'études 2014 a accueilli les premières journées doctrinales de l'aumônerie musulmane aux armées. La normalisation de la présence du culte musulman a constitué le premier défi de l'aumônerie musulmane. Le centre interarmées de concepts, de doctrine et d'expérimentations, (CICDE), a produit en 2013 un document conformément au plan stratégique des armées qui rappelle la place essentielle des forces morales, telles que l'aumônerie musulmane, dans la réussite de la mission des armées.
Ce document évoque les principes, l'organisation ainsi que les modalités, pour chacun des trois soutiens du « versant moral » de nos forces armées : le soutien psychologique, le soutien religieux et le soutien social. La priorité est donc, pour l'aumônerie musulmane aux armées, appartenant au soutien religieux, de combler un vide en matière doctrinale pour répondre à une nécessité et une forte attente de la chaine de commandement, administrative et opérationnelle. Devrait aboutir la rédaction d'un rapport actualisé par thématique, au regard de l'expérience du métier militaire et de la pratique du culte musulman, comportant des enseignements fondamentaux, des obligations, des principes dérogatoires, des allègements, des prises de position et des recommandations. On disposerait ainsi des clés de compréhension et des vues pertinentes sur une jurisprudence musulmane actualisée du métier militaire, avec l'articulation d'un référentiel théologique de jurisprudence (fiqh) appliqué à la condition militaire française. En 2016, un comité théologique restreint d'aumôniers militaires du culte musulman se réunira pour poursuivre les travaux initiés en 2014.
Enfin, l'aumônerie musulmane souhaite mettre l'accent sur le sacrifice des milliers de soldats musulmans morts pour la France aux côtés de leurs frères d'armes., sous forme d'une exposition-portraits des survivants et familles engagées au sein des deux conflits mondiaux et de l'édition d'un ouvrage. Cela constitue un chantier de longue haleine mais qui répond au nécessaire devoir d'histoire et de mémoire.