C'est un grand plaisir pour moi d'avoir été invité par votre mission et je vous en remercie. L'article 2 de la loi de 1905 dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Je précise en tant qu'alsacien que, en terre concordataire, nous vivons bien, même si l'Islam ne fait pas partie des cultes reconnus par le régime. Lorsque j'étais président du CRCM, nous avons d'ailleurs clairement affirmé que nous ne souhaitions pas que l'Islam soit un prétexte pour remettre en cause le concordat.
Les musulmans ont souhaité mettre en place une instance qui les représente, qui a finalement émergé en 2003 avec le CFCM. C'est un devoir à la fois citoyen et religieux. Cette instance a des difficultés, mais je crois qu'il faut d'abord la consolider.
Parmi ses réalisations, il y a précisément la création des trois aumôneries nationales.
Le rôle de l'aumônerie nationale des hôpitaux est d'abord d'évaluer et de satisfaire les besoins en aumônerie hospitalière, ce qui recouvre trois points :
- recruter, former et gérer des aumôniers musulmans maîtrisant la particularité de leur rôle et adhérant aux valeurs de la République ;
- coordonner les actions des aumôniers régionaux et locaux ;
- répondre aux questions que pose l'administration.
La première chose que nous avons faite a été d'établir un état des lieux de la situation de l'aumônerie hospitalière musulmane. Nous avons en ce sens sillonné toute la France, et nous continuons de le faire. J'ai remarqué trois points.
Tout d'abord, la plupart des aumôniers étaient des imams ne maîtrisant pas la langue française et ne connaissant pas le contexte français, même si certains faisaient un bon travail. Par ailleurs, certains s'étaient autoproclamés aumôniers mais n'avaient en réalité pas les compétences nécessaires. Enfin, les aumôniers avaient un impérieux besoin de subvention pour étoffer l'organisation.
Sur la base de ces trois constats, j'ai engagé une réflexion sur une meilleure sélection des aumôniers et j'ai fait adopter une charte des aumôniers hospitaliers. Cette charte que chaque aumônier s'engage à respecter comprend quatre principaux points.
Tout d'abord, la laïcité. Il est important que les aumôniers sachent que c'est un cadre qui permet à tous de s'épanouir et de vivre ensemble, excluant tout geste ou toute parole qui pourrait être considéré comme prosélyte.
Ensuite, la prise en compte de la réalité hospitalière. L'aumônier travaille en collaboration avec le personnel médical. La démarche de l'aumônier doit être cohérente avec la démarche de soin : l'impératif de se soigner passe avant l'impératif religieux. Dans ce cadre, notre rôle est aussi de donner et d'expliquer les dérogations et l'allègement. Par exemple, le ramadan est interdit à quelqu'un qui est malade, notre rôle est de l'expliquer aux patients. Le patient pourra ainsi être en conformité aussi bien avec ses convictions religieuses qu'avec les nécessités du soin.
Troisième point : la considération des patients. L'aumônerie doit être attentive à tout ce qui peut faciliter la guérison ou soulager la souffrance. L'aumônerie offre attention, amitié et écoute aux personnes malades, mais aussi aux familles et au personnel. Elle doit jouer son rôle, sans jamais se substituer au personnel médical.
Enfin, quatrième point : le recrutement. Le recrutement s'opère sur la base de la compétence, évaluée à partir de quatre critères : une personne intègre et de bonne moralité ; une personne apte à l'écoute, à l'échange et au dialogue ; une personne fidèle à la conception de l'Islam du juste milieu, prônant un discours qui épouse le contexte français ; enfin, avoir réussi un stage de formation.
Aujourd'hui, je puis affirmer que 100 % des aumôniers que nous avons recrutés parlent français et répondent à ces critères.
La formation des cadres religieux est l'un des dossiers les plus importants pour l'organisation de l'Islam. L'aumônerie nécessite une formation théologique, mais pas seulement : c'est pourquoi les diplômes universitaires profanes, comme ceux de l'Institut catholique de Paris, sont une bonne chose pour apprendre également le contexte, en particulier la laïcité, le droit français, les valeurs de la République, le fonctionnement des autres cultes, etc. Ce type de diplôme est une bonne initiative.
Il convient de compléter ces formations par des modules parmi lesquels un module historique et éthique de chaque aumônerie, un module sociologique et un module psychologique. C'est ce que nous essayons de faire dans les régions, avec cinq à six sessions par an organisées par l'aumônerie.
Le journaliste Christian Delahaye a fait un rapport sur l'aumônerie hospitalière intitulé « La laïcité à l'hôpital », où il écrit que « l'aumônier musulman est à l'image des pompiers : un intermédiaire de choix indispensable qui permet d'apaiser les tensions s'il y en a, d'améliorer le dialogue, et favoriser la compréhension des uns et des autres dans le respect de la loi, pour créer un climat serein et apaisé à l'hôpital. Se priver de ces aumôniers, c'est aujourd'hui refuser de faire un pas vers l'harmonie sociale, c'est finalement mettre en péril la qualité des soins en France de nos jours ».
La réalité de terrain fait apparaître que la majorité des aumôniers musulmans hospitaliers sont totalement dévoués à leur mission, mais ils sont dans une situation précaire. Ils ne sont en général pas rémunérés. Nous souhaitons qu'ils bénéficient de la même reconnaissance que les aumôniers des autres cultes et j'invite les directeurs des hôpitaux, dans la mesure du possible, à les rémunérer et je vous invite, mesdames et messieurs les sénateurs, au nom du principe d'égalité, pilier de la République, à veiller à l'application de cette valeur. A l'heure actuelle, environ 50 aumôniers sont salariés à mi-temps. L'encadrement de ces aumôniers, à l'image de la tâche que je remplis, se fait également bénévolement - je ne vous dirai pas la somme que je dépense pour assumer cette responsabilité, qui me paraît très importante. La création d'un poste rémunéré de directeur des aumôniers est selon moi justifiée.
J'espère vous avoir sensibilisés sur la question de l'aumônerie musulmane hospitalière, qui est un des enjeux majeurs pour l'harmonie de demain.