Intervention de Moulay el Hassan El Alaoui Talibi

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 28 avril 2016 à 10h30
Table ronde avec les aumôniers musulmans nationaux

Moulay el Hassan El Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons :

Je vous remercie de votre invitation.

L'aumônerie pénitentiaire a commencé son activité avec l'arrivée des premiers migrants et des militaires qui sont venus défendre la nation à la suite des guerres mondiales puis dans les années 1950 et 1960. Elle s'est d'abord implantée au Sud et à l'Est de la France, au début sous la tutelle de l'aumônerie catholique.

Ensuite, avec l'arrivée des rapatriés dans les années 1960, il y eu besoin de davantage d'aumôniers ; des postes ont été créés, mais sur la base du bénévolat. La seule rémunération était l'indemnité de déplacement.

Troisième phase : le regroupement familial dans les années 1970.

Dans les années 1990, à la suite des différents attentats, certains imams autoproclamés ont émergé et il y a eu besoin d'aumôniers pénitentiaires pour accompagner les détenus.

Enfin, avec la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), nous sommes entrés dans la dernière phase, qui a vu la création de l'aumônerie musulmane, le 11 septembre 2006.

Le rôle de l'aumônerie pénitentiaire est de permettre un accompagnement spirituel pour les détenus qui le réclament. L'aumônier accompagne dans un lieu dur et de souffrance : comme un oiseau libre dans une cage, le détenu se fait mal en essayant d'en sortir ou fait mal à un tiers en le piquant. L'aumônier doit accueillir les souffrances pour les soulager et, en même temps, faire passer certains messages.

D'abord, il fait passer un message d'espérance. L'aumônier joue un rôle de régulateur des comportements, en permettant au détenu de se projeter dans l'avenir avec un projet de vie - sans quoi le détenu développe un projet de mort.

Ensuite, il fait passer un message de tolérance, en rappelant l'importance du respect des règles de la vie commune.

Par ailleurs, il délivre un message de miséricorde, qui n'exclut pas la responsabilité.

Enfin, il joue un rôle de médiateur du fait religieux : l'aumônier ne détient pas la vérité absolue et doit travailler en complémentarité avec les autres acteurs.

L'aumônerie musulmane fournit ses services tout en respectant les droits des détenus. Par son activité individuelle et collective, l'aumônier apporte sa contribution au bien-être en vue d'une détention humaine et digne. Il contribue à la sécurité et à l'ordre public au sens large. Il est responsable, dans le cadre de sa fonction, de la gestion des risques. Il veille à la cohérence de la société carcérale en surveillant les phénomènes déstabilisateurs tels que le radicalisme. Il favorise la cohérence au sein de son propre groupe - les détenus musulmans - mais aussi avec les autres détenus.

L'aumônerie musulmane fait face à un problème de recrutement. Les candidatures sont présentées par l'aumônerie nationale, régionale ou locale, par le CFCM, par une association ou encore spontanément par le candidat. Elles sont déposées auprès de l'aumônier national ou régional, et c'est l'aumônier national qui prend la décision d'un point de vue religieux. D'un point de vue administratif, les candidatures sont validées par la préfecture et l'administration pénitentiaire. Mais cette procédure met souvent tellement de temps que le bénévole n'est plus disponible quand on lui donne une réponse.

Quel est notre vivier ? Soit il s'agit d'un retraité : il a du temps libre, a acquis de la sagesse et de la patience et impose le respect. Mais il est en décalage avec une population plus jeune, ancrée en France, née en France. Le discours de moralité consistant à dire « il faut être toujours bien mon fils, on n'est pas chez nous » n'est pas audible par ces populations jeunes. La petite pension des retraités ne permet pas de payer les déplacements et les livres ; s'il bénéficie d'une indemnité, il n'est plus considéré comme un retraité.

Soit il s'agit d'une personne en recherche d'emploi : il a du temps libre, mais il a peu de moyens. Or, les indemnités sont alors considérées comme des revenus, qui leur font perdre certains droits sociaux.

Soit il s'agit d'un salarié ou d'un entrepreneur : ils peuvent payer leurs frais, mais ils n'ont que peu de temps. S'ils sont imams intervenant en mosquée, ils ne peuvent pas venir le vendredi pour la prière. Les rassemblements devant se faire sous la surveillance d'un gradé, ce ne sera possible que le samedi matin. Or les aumôniers qui ne sont disponibles que le week-end ne rencontrent jamais les responsables des prisons...

Le profil recherché est la conjonction de plusieurs éléments :

- la maîtrise du français ;

- une excellente connaissance de la religion, pour pouvoir faire face à certains imams radicaux autoproclamés. Comme à l'école, si un élève est meilleur que le professeur, tout le monde l'adule ;

- enfin, sa capacité de patience.

Il y a aujourd'hui entre 196 et 200 aumôniers - certains dossiers étant en cours. Les retours des préfectures prennent parfois beaucoup de temps, ce qui est problématique pour des sites nécessitant des interventions rapides. Je rappelle que les aumôniers n'ont ni couverture sociale ni retraite, contrairement aux autres aumôneries.

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