Intervention de Assani Fassassi

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 28 avril 2016 à 10h30
Audition de cheikh moussa touré président de la fédération française des associations islamiques d'afrique des comores et des antilles ffaiaca et de M. Assani Fassassi secrétaire général

Assani Fassassi, secrétaire général de la Ffaiaca :

Nous vous prions avant tout d'excuser l'absence de notre président fondateur M. Cheikh Moussa Touré, pour raisons de santé.

Notre fédération porte l'empreinte de l'islam d'Afrique sub-saharienne. Tous les musulmans qui se reconnaissent Africains devraient se sentir concernés. Actuellement, elle regroupe uniquement des Noirs, d'Afrique, des Antilles ou de Mayotte.

La violence qui frappe aujourd'hui ne tombe pas du ciel. Elle n'a rien à voir avec l'Islam. Dans les années quatre-vingt, elle était encore inimaginable en France. Méditons cette maxime africaine : « Si vous voulez comprendre où vous allez, rappelez-vous d'où vous venez et réfléchissez sur le point où vous en êtes ». À l'époque, le voile était rarissime dans les écoles et les lycées ; et si nos propositions ne sont pas entendues, la situation empirera, selon le système dit des nénuphars, exponentiel. Comment réagira-t-on lorsque des millions de femmes seront voilées ? Il faut commencer par cette dimension des choses.

Depuis le Moyen-Âge, la France connaît l'Islam mieux que n'importe quel autre pays. La Mosquée de Paris a été inaugurée en 1926. Si elle a vu le jour, ce n'est pas seulement pour rendre hommage aux musulmans morts pour la France, car le projet existait bien avant la première guerre mondiale, qui a seulement servi de catalyseur. L'islam est traversé par une fracture, nous le sommes, le CFCM l'est aussi. Le livre de Dalil Boubakeur, Non ! L'islam n'est pas une politique, paru en 2003, résume parfaitement la situation. Il existe un « Islam Islam », privé, individuel, qui prescrit au musulman d'inspirer confiance et tranquillité à son voisin ; et un Islam politique, né il y a tout au plus cent ans - car les mouvements salafistes ou les Frères musulmans sont récents. Mais ces activistes ont bénéficié des pétrodollars et du soutien sans faille de l'occident et ont ainsi pu lancer leur OPA sur l'Islam pacifique dans le monde entier. « Mieux vaut le péril vert que le péril rouge », pensait-on alors : tout est parti de là. L'occident a fermé les yeux.

Personne ne soutient Daech ni la terreur. Pourtant des jeunes de 25 ou 30 ans partent : quelles idéologies, quelles incompréhensions les poussent ? L'apprenti sorcier doit redouter l'effet boomerang. On n'a jamais connu cela, même aux pires moments de l'époque coloniale : l'Algérie, dans les années soixante, n'a pas brandi l'étendard islamiste !

Est-il raisonnable de parler d'apartheid ? Je crois que non, car l'apartheid, le vrai, a existé en Afrique, il n'a pas débouché sur un mouvement comme Daech. La pauvreté existe et a existé, ô combien, en Afrique, elle n'a pas favorisé de telles dérives. Cessons donc de tourner autour du pot. Lorsque Manuel Valls affirme que « l'idéologie activiste l'emporte », nous sommes fondés à penser qu'il a des informations précises, car il n'est pas un commentateur ni un observateur, mais un responsable politique, auquel nous disons : si vous agissez, vous pouvez compter sur nous, vous pouvez compter sur le CFCM.

Quelles sont les solutions concrètes ? Des activistes se réclament de l'islam et le dévoient - les musulmans sont leurs premières victimes. L'élite française, les politiques, les personnes publiques, alimentent cette vague. Que quelques groupes musulmans qui comprennent mal le texte coranique veuillent semer la terreur, cela est apparu dès les premières décennies de l'islam, mais n'a jamais débordé. Aujourd'hui, on entend des propos ahurissants, attribuant toute la responsabilité à la religion, au motif que les terroristes crient « Allah Akbar ». Hitler affirmait « Gott mit uns », personne n'a songé à attribuer les abominations nazies à la religion.

Les hommes politiques français parlent de l'islam en France, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent. Nos aînés, ceux qui ont bâti la Grande Mosquée de Paris, connaissaient mieux le sujet. C'est que la France a été le plus vaste empire musulman sur terre après la Grande-Bretagne ! Mais lorsqu'un peuple méconnaît son passé et ne comprend pas son présent, il ne peut envisager l'avenir. Ce que nous demandons à l'élite française, c'est de relire son histoire, se replonger dans les documents, par exemple à la bibliothèque Sainte-Geneviève toute proche ! On trouve trace, aux Archives nationales, des débats entre intellectuels du XIXè siècle sur la place de l'islam en France. Un des premiers projets de mosquée était prévu dans le quartier Beaujon en 1842, il a été relancé avec l'ambassade du Maroc vers 1880 ; en 1846, la Société orientale proposait de construire, à Paris comme à Marseille, un cimetière, une mosquée et un collège musulmans. Et ce, avec une motivation philanthropique mais aussi politique, car la conquête et la pacification en Algérie avaient aussi une dimension religieuse. Les musulmans étaient alors considérés comme plus proches du christianisme romain que les juifs. Ce fut une réaction négative du ministre de la justice et des cultes qui enterra l'affaire pour une dizaine d'années. Plus tard, aux pires heures de l'histoire, la Grande Mosquée de Paris a été exemplaire : au moment où d'autres livraient les juifs, les musulmans les protégeaient.

Si nous vous demandons de veiller à ce que la parole publique soit un peu plus mesurée, c'est pour éviter une Saint-Barthélémy à la puissance mille. Après le massacre, les vainqueurs se sont installés et les vaincus se sont rangés. D'ici dix à vingt ans, il y aura plus de 8 millions de musulmans. Imaginez, s'ils sont tous fanatisés comme nous porte à le croire la courbe qui se dessine ! En 1982, la marche des beurs était citoyenne. Personne alors, je le répète, ne brandissait l'étendard de l'islam. Elle a été récupérée par des organisations islamiques venues de l'étranger et riches de pétrodollars. Si le Premier ministre considère que c'est une idéologie activiste, militante et politisée qui est en passe de dominer l'Islam, pourquoi ne s'engage-t-il pas à lutter contre elle ? Le CFCM est prêt à lui apporter tout son soutien.

Parmi les musulmans, 95 % se contentent de faire leurs prières sans rien connaître du sunnisme ni du chiisme. Ils constituent l'Islam privé et pacifique. L'amalgame est pourtant là. J'ai entendu un homme politique suggérer qu'il ne fallait pas parler arabe dans les mosquées. C'est une aberration. Il existe des chrétiens arabophones. Aux Batignolles, dans une église protestante, l'homélie est prononcée en éwé une fois par mois : c'est la messe éwéophone. Mieux vaut un arabophone qui prie pour la France qu'un francophone qui la maudit.

Le projet de la Grande Mosquée de Paris n'était pas seulement religieux ; il y avait aussi l'Institut, dépositaire du savoir. La France a perdu de vue la dimension intellectuelle de l'islam. Auparavant, il existait une encyclopédie de l'islam. Votre pays connaît mieux que quiconque la part intellectuelle de notre culture. Je vous invite à organiser des séminaires sur le sujet.

Le CFCM est dévoyé par hold-up. En 2000-2001, on parlait à Bruxelles de construire l'Europe confessionnelle. J'ai soutenu l'idée auprès de tous les présidents. Lors d'une rencontre place Beauvau, on a proposé l'appellation de « Conseil européen du culte musulman » puis celle de « Conseil mondial du culte musulman ». L'organisation devait siéger à Dakar pour que la communauté noire soit représentée. Cheikh Moussa Touré était pressenti comme secrétaire de l'organisation. Le but était de construire l'islam de l'ijtihâd (de la réflexion), pas celui du djihad.

En France, beaucoup d'intellectuels musulmans ne se sentent pas concernés. D'où la volonté du président du CFCM d'élargir notre conseil. Nous souhaitons que vous, les élus, vous preniez la mesure de l'injustice faite à l'islam et que vous y mettiez fin. Aux politiques de couper l'herbe sous le pied de ceux qui dévoient l'islam grâce à l'argent du pétrole et avec la caution du monde occidental. Revenons au vrai sens de l'islam. Le Coran n'est pas seulement religieux. À l'École de médecine, à l'entrée de l'amphithéâtre Bichat, on trouve la statue de Rhazès. Pendant cinq siècles, ses oeuvres ont été le trésor de la bibliothèque de la Sorbonne. Le CFCM sera à vos côtés dès lors que vous accepterez de vous instruire sur l'islam.

Nous avons une position claire sur le voile. Si l'on nous avait écoutés, il n'y aurait pas eu de loi sur le voile. M. Sarkozy et le recteur de la Grande Mosquée étaient d'accord avec nous. Les dirigeants de l'Union des organisations de l'islam de France n'ont pas été assez prudents. Le voile est devenu un symbole pour celles qui le portent et aussi pour ceux qui le contestent. Le voile n'a pourtant rien à voir avec l'islam. Il n'a aucune dimension religieuse. C'est un choix vestimentaire personnel.

Le nouveau président du CFCM souhaite élargir le conseil à la marge de ses statuts en y invitant des femmes. Lorsque nous nous sommes réunis, il y avait dans notre assemblée trois femmes voilées et d'autres non. L'une se plaignait d'être discriminée et de ne pas pouvoir pratiquer pleinement sa religion ; l'autre disait préférer employer des femmes voilées dans son entreprise, par solidarité. À la première, nous avons répondu qu'il ne suffisait pas de porter le voile pour pratiquer l'islam et que c'était la foi qui comptait ; nous avons dit à l'autre qu'il serait plus judicieux de choisir ses employées sur leurs compétences que sur leur voile. Le voile n'est pas un fondement de l'islam. Il faut le déconnecter de l'islam.

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