Merci de nous entendre sur ce sujet.
Vous l'avez rappelé, nous avons publié en mars dernier une étude, Pour une Allocation sociale unique, proposant de fusionner toutes les allocations non contributives en une aide sociale unique, plafonnée et imposable. Cette allocation remplacerait les allocations familiales, les aides départementales et, de manière générale, toutes les aides versées en complément de revenu sous condition de ressources. Nous en avons dénombré quarante-sept, qui sont toutes calculées différemment.
Notre objectif est aussi de réduire le coût total de ces aides pour les finances publiques. Aujourd'hui, toutes ces allocations représentent un coût de 97 milliards d'euros et nous souhaitons aboutir à une économie de 10 milliards d'euros. Nous soumettons donc, au travers de cette proposition, une contribution au débat public, pour les élections présidentielle et législatives de l'année prochaine.
Pourquoi proposons-nous cette allocation sociale unique ? Nous considérons que beaucoup d'économies de gestion sont possibles sur les organismes sociaux. En effet, la mise en place d'une telle fusion permettrait de réduire le nombre de guichets. Nous proposons d'ailleurs de renationaliser la gestion de certaines allocations, car le coût notamment du RSA pour les départements est très important, en raison de l'explosion du nombre de bénéficiaires.
Il est de plus en plus difficile pour ces collectivités d'équilibrer leur budget en raison de cette dépense. Tout le débat portera sur les modalités de réorganisation des dépenses sociales des départements - la moitié des 35 milliards d'euros des dépenses départementales consistent en des dépenses sociales -, entre les caisses d'allocation familiale - les CAF - - et les centres communaux d'action sociale - les CCAS. Notre idée consisterait à réunir tous ces organismes, à créer des antennes régionales et à faire des CCAS les antennes locales de ces organismes régionaux.
En outre, cela permettrait de compiler les informations des divers organismes sur les ayants droit, car certaines prestations, notamment le RSA, sont très fraudées. Certains départements ont ainsi envoyé dernièrement des demandes à leurs allocataires et, dans l'exemple que j'ai en tête, sur les 4 000 courriers envoyés par un département, 800 sont revenus en tant que « NPAI », c'est-à-dire « n'habite pas à l'adresse indiquée ». Cela permettrait donc la convergence des données en un seul organisme.
Toutes nos évaluations sont construites à partir de la modélisation de la possibilité de cumuler plusieurs aides. Nous déplorons à cet égard le fait de n'avoir pas pu obtenir de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, les montants cumulés perçus par les foyers en fonction de leur composition. On voudrait pouvoir consulter ces données, au moins à l'échelon départemental, sinon national. Nous l'avons demandé au directeur de la CNAF, qui nous a répondu que cette donnée n'existe pas et qu'elle serait trop coûteuse à produire. Nous avons proposé de prendre en charge le coût de réalisation de l'étude, mais nous n'avons pas obtenu de réponse.
Disposer de ces données permettrait pourtant de connaître les montants réellement perçus par chaque foyer, alors que nous nous fondons aujourd'hui sur une évaluation théorique, même si elle est, selon nous, bien simulée. Nous ne comprenons pas cette difficulté, cette réticence à nous communiquer ces données, que ce soit au niveau des CAF ou à celui de la CNAF, sachant qu'on ne demande évidemment pas des données nominatives, mais anonymisées.
Cela étant dit, notre étude a tout de même pu démontrer l'existence d'effets de seuils dans les aides telles qu'elles existent et elle pose aussi la question de l'incitation et de la désincitation au travail. Nous avons ainsi pu faire des chiffrages et nous avons mis en ligne un simulateur de l'allocation sociale unique.
Nous démontrons que, actuellement, les écarts entre, d'une part, le cumul d'aides sociales liées à la composition sociale d'un foyer et, d'autre part, des situations de couples gagnant un SMIC sont très faibles, d'autant que certaines fraudes sont difficiles à détecter, notamment celles qui sont relatives aux parents isolés - il est en effet très compliqué de l'évaluer, sauf à faire des contrôles sur place.
Ainsi, l'écart entre, d'une part, un couple avec un enfant gagnant un SMIC et, d'autre part, un foyer constitué d'une personne sans activité déclarée comme parent isolé avec un enfant et d'une personne sans activité déclarée comme célibataire est de 76 euros, le montant total s'élevant à 1 876 euros. Les deux montants tiennent donc dans un mouchoir de poche.
Une autre question est liée au fait que les allocations en complément de revenu ne sont pas imposables. Selon nous, cela ne va pas dans le bon sens parce que nous considérons qu'un euro tiré du travail doit être imposé de la même manière qu'un euro tiré de la solidarité. On nous objecte souvent qu'il est vain de verser un euro puis de l'imposer. Certes, mais on a du mal à faire des contrôles sur les prestations, notamment dans les CAF ; or le contrôle de Bercy serait meilleur.
En outre, le barème serait le même que celui de l'impôt sur le revenu, mais ceux qui travaillent sur ces données disposeraient d'informations plus complètes. La Fondation iFRAP, qui s'appuie beaucoup sur les bilans sociaux et les comptes des collectivités ou sur les données de l'État, constate qu'il est encore plus difficile d'obtenir des données des caisses de sécurité sociale. Il y a donc un manque de transparence sur ces données.
Nous avons même cherché à obtenir des éléments via les conseils départementaux, mais eux-mêmes n'en disposent pas. Que nous n'y arrivions pas est une chose, mais que le financeur n'ait pas non plus accès aux données pose un grave problème.
Or, avec une meilleure transparence, on pourrait faire de meilleures analyses et aboutir à une cartographie claire, par exemple des diverses aides perçues par un même foyer et qui pourraient être versées en une fois. Il y a beaucoup d'exemples de personnes handicapées qui sont aidées par la commune, par la CAF, par l'assurance maladie, à travers des aides versées en plusieurs fois, moyennant de nombreux formulaires à remplir. On pourrait réduire la difficulté en mutualisant tout cela, notamment pour les handicapés, qui peuvent éprouver des difficultés à remplir tous les formulaires visant à obtenir une aide de 100 euros ici ou de 30 euros là.
Notre idée n'est donc pas celle d'un revenu versé à tous, mais d'une allocation sociale unique versée sur critères de ressources. En effet, notre objectif n'est pas d'augmenter les dépenses publiques ni la fiscalité. Par ailleurs, notre analyse n'inclut ni les retraites, ni le chômage, ni l'assurance maladie. Elle n'agrège que ce qui est versé sous critères de ressources.
S'est néanmoins posée la question des aides familiales, qui n'ont été que très récemment modulées en fonction du revenu et dont certains annoncent vouloir rétablir l'inconditionnalité. Nous considérons pour notre part qu'il vaut mieux accompagner les familles au travers du quotient familial, en le faisant passer à 3 000 euros, plutôt que de donner des allocations à des familles qui n'en ont pas besoin. Cela est moins coûteux du point de vue de la gestion.
Notre étude s'appuie sur l'idée qu'il faut plafonner l'allocation sociale unique à 2 500 euros par mois. Cela peut paraître élevé, mais nous avons souhaité suivre le modèle du crédit universel britannique, qui a fusionné 51 aides, qui est plafonné à environ 2 000 livres sterling par mois et qui est attribué sous conditions de ressources.
Pour atteindre ce montant, nous avons intégré l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH. Ce sujet n'est pas simple, tout le monde n'est pas d'accord sur l'opportunité d'intégrer ou non cette prestation dans l'allocation sociale unique, qui peut aussi être entendue hors AAH. Il faut prendre position sur ce sujet, et c'est l'allocation la plus délicate puisqu'elle repose sur l'estimation d'un niveau de handicap.
Une idée qui a guidé notre travail est la réalisation d'économies de gestion sur les coûts de distribution des aides. En effet, notre pays supporte des coûts de gestion des prestations sociales parmi les plus élevés : nos prestations sociales, toutes prestations comprises, y compris les retraites, représentent une dépense de 730 milliards d'euros par an et leur coût de distribution s'élève à 43 milliards d'euros. C'est très élevé par rapport aux autres pays. Aussi, si l'on se situe dans des normes de pays comparables, on devrait pouvoir réaliser une économie de 10 milliards d'euros. Comment s'explique cet écart ? Par la multiplication des organismes, par l'empilement des étages entre allocations « de base » et allocations « complémentaires » ou autre, et par la multiplicité des intervenants - départements, CAF, CCAS et action sociale de l'État.
À terme, la question de l'allocation sociale unique ne peut être dissociée de la question des strates locales, du nombre d'étages dans le millefeuille territorial. D'où notre proposition de renationaliser la gestion de tout cela.
L'autre pendant de cette réflexion consisterait à décider que les départements sont libres et décident du montant et de la nature de leurs allocations ; nous n'y sommes pas opposés. En tout cas, la situation actuelle est paradoxale puisque le montant du RSA, le plan pauvreté, les nouvelles allocations sont décidés à l'échelon national, mais sont versés par l'échelon local. Or, si l'on ne peut pas assurer le paiement de ces dépenses en équilibrant son budget, on est contraint d'augmenter les impôts locaux. D'où la situation financière de nos départements.
Par conséquent, si l'on souhaite un système centralisé, le décideur doit aussi être responsabilisé sur le paiement des prestations et, si l'on veut un système décentralisé, alors il faut responsabiliser pleinement les exécutifs locaux. Les deux options sont possibles, puisqu'elles maintiennent le lien entre financement et décision.
Le principal problème concernant l'empilement d'aides versées au même foyer est celui de la transparence et du contrôle. Un autre problème, je l'ai dit, réside dans le caractère non imposable de ces prestations donc dans la difficulté de contrôler ceux qui bénéficient d'aides et qui travaillent de manière non déclarée. Ce problème est très fortement ressenti par la population, dans les territoires.
On ne peut en effet conserver un système qui désincite, par le montant des prestations et leur absence de fiscalité, au retour à un travail déclaré, puisque celui-ci implique un retour à l'impôt sur le revenu. Il n'y a pas besoin d'aller bien loin pour trouver de nombreux exemples. Les statistiques ne sont malheureusement pas pléthoriques, mais le phénomène est répandu et il contribue à susciter un sentiment de malaise dans la société, au regard de ceux qui essaient de s'en sortir en exerçant un emploi déclaré et qui voient leur voisin s'en exonérer. Il s'agit là d'un problème à long terme de cohésion nationale.
Cela permet donc une plus grande justice sur un même territoire, une meilleure gestion, des coûts de distribution plus faibles et des guichets moins nombreux. En outre, cela impliquerait aussi une plus grande responsabilisation des foyers : il ne serait plus question de dire « ceci est pour la rentrée scolaire, cela pour Noël ». Il s'agirait d'une somme globale, versée pour le foyer dans son ensemble, sans un fléchage qui, soyons clairs, n'est respecté qu'aux yeux de ceux qui y croient.
Cette allocation sociale unique peut donc permettre à la fois des économies, une plus grande transparence, un meilleur contrôle, une meilleure cohésion sociale dans les territoires, une réforme des échelons territoriaux et une responsabilisation des territoires ou une recentralisation. Encore une fois, sur ce point, on peut aller dans un sens ou dans l'autre. Je comprendrais pour ma part que des conseillers départementaux souhaitent gérer leur propre système d'aide sociale, mais cela relève d'une autre conception et, en outre, ne permet plus d'instaurer un contrôle par le biais des services fiscaux.
Une première étape, voire un préalable nécessaire, pourrait consister à assujettir à l'impôt sur le revenu toutes les aides actuelles. En effet, puisqu'on n'arrive pas à avoir d'informations de la CNAF, cet assujettissement permettrait un traçage complet des aides, via une coopération entre organismes sociaux et services fiscaux. Cette année d'assujettissement des aides permettrait ensuite de constater les doublons et de détecter ce qui est versé en plusieurs fois aux mêmes foyers et qui pourrait l'être en une seule fois, d'où des économies de gestion.
Voilà pourquoi je plaide en faveur de cette de transition d'une année. Il n'est évidemment pas question d'imposer davantage les revenus de solidarité que le revenu du travail ; pour un même revenu, du travail ou de solidarité, on paierait le même impôt. De même, ceux qui touchent à la fois des revenus du travail et de solidarité seraient aussi concernés par cet assujettissement des revenus de solidarité.
Ainsi pourrions-nous clarifier le débat puisque, je le répète, nous ne disposons pas de cartographie réelle de la situation en France. À ma connaissance, personne ne peut, aujourd'hui, vous donner de telles données. En tout cas, en interrogeant les CAF et la CNAF, nous n'avons pas pu obtenir la moindre information.
Or, sans cette première information, il est difficile d'évaluer les économies potentielles en gestion et en prestation. Notre évaluation repose sur la composition actuelle des foyers français et sur les revenus théoriques perçus, mais on aurait voulu confronter nos résultats au terrain pour les rendre plus robustes.
Telle est, dépeinte à grands traits, la philosophie de notre proposition. Ce n'est pas une révolution, c'est un premier pas vers une meilleure gestion, vers plus de transparence, moins de difficultés administratives, moins de non-recours. Néanmoins, même cette proposition sera difficile à mettre en place.
C'est déjà un pas important vers une meilleure adéquation des moyens avec les besoins. De plus - cela nous importe beaucoup -, une telle mesure permet que le travail ne soit pas disqualifié. Il doit toujours y avoir une plus grande incitation à travailler qu'à ne pas travailler. L'idée selon laquelle l'allocation doit pouvoir permettre de choisir si l'on travaille ou non est un leurre, car on ne peut financer un système incitant à ne pas travailler. La situation actuelle n'est déjà pas satisfaisante à cet égard, donc il ne faut surtout pas aller plus loin encore dans cette direction.
Aussi, notre allocation sociale unique est conçue pour rendre la reprise du travail moins désincitative qu'actuellement. L'IGAS a calculé, vous le savez, qu'en gagnant 100 euros de revenu du travail, on perd 70 euros d'aides ; notre objectif est d'abaisser ce chiffre à 30 euros.
On ne peut en effet imaginer un système financé par l'impôt sans que les individus aient le plus d'incitations possible à travailler, sinon, qui crée la valeur ? Cette question nous préoccupe beaucoup. De même, on ne peut imaginer augmenter les impôts jusqu'à des niveaux prohibitifs, sachant que notre taux de prélèvements obligatoires est déjà beaucoup plus important que dans les autres pays.
Les prestations sociales doivent donc coûter moins cher pour diminuer les dépenses publiques et la pression fiscale, voilà le sens de notre démarche. On ne doit pas se figurer qu'il demeure des marges de manoeuvre sur la CSG ou sur l'impôt sur le revenu.