Intervention de Martial Foucault

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 7 février 2017 à 13h30
Audition de M. Martial Foucault directeur du centre de recherches politiques de sciences po le cevipof

Martial Foucault, professeur des universités et directeur du Cevipof :

Je suis heureux de présenter devant votre mission, qui suscite de nombreuses attentes, les résultats de notre baromètre annuel de la confiance politique. Ce baromètre, qui existe depuis 2009, constitue un outil remarquable pour enregistrer les évolutions de la société et comprendre les ressorts de la confiance. Au vu des résultats, peut-être mériterait-il, d'ailleurs, de s'intituler baromètre de la défiance... Toutefois, la défiance et la confiance ne sont pas nécessairement contradictoires. Comme vous l'avez noté, les résultats traduisent un certain paradoxe. Ils révèlent aussi un décalage entre la réalité objective et le ressenti, comme c'est le cas parfois en économie, lorsque les gens ont le sentiment que la situation ne s'améliore pas alors que la croissance repart.

Je m'inscris en faux contre la ritournelle sans cesse répétée selon laquelle la France traverserait une crise démocratique. Assurément, il y a une crise des pratiques de la démocratie représentative, mais il ne s'agit pas d'une crise de la démocratie. C'est ce que confirme notre baromètre : quelque 82 % des Français estiment que les politiciens sont corrompus. C'est plus qu'en Amérique latine, alors que la France n'est pas plus corrompue, loin de là ! La crise des pratiques est liée à une mauvaise compréhension de ce qu'est la représentation politique. Cette dernière notion exprime avant tout la capacité des institutions politiques à se saisir des changements observés dans la société. Voilà qui soulève deux questions : la démocratie représentative doit-elle nécessairement fonctionner comme une « démocratie miroir », qui serait le décalque parfait des changements sociaux ? Quel doit-être le degré de réactivité des représentants et des institutions que ceux-ci sont censés incarner ?

N'oublions pas que 85 % des Français considèrent que la démocratie, en dépit de ses imperfections, demeure la meilleure forme de gouvernement. Cet attachement est une constante depuis 2009. En revanche, 72 % des Français estiment qu'il y a trop de disputes, trop de conflits et que cela entraîne des difficultés pour prendre des décisions.

En fait, le lien de confiance entre représentants et représentés s'est dégradé au fil des années. C'est peut-être dû à un malentendu sur la nature des relations entre démocratie et représentation. Les démocraties contemporaines sont issues d'une forme de gouvernement, le gouvernement représentatif, que ses fondateurs opposaient justement à la démocratie ! La France est le seul pays qui a cherché à articuler les deux dès l'origine, dans une démocratie représentative. Depuis l'Antiquité, on s'interroge sur la compatibilité entre l'exercice du pouvoir par le peuple et sur la possibilité de prendre des décisions dans l'intérêt général, à distance des particularismes, des intérêts privés et des passions populaires. Confier l'exercice du pouvoir au peuple implique, en effet, de savoir faire la part entre les intérêts particuliers et le bien commun, c'est-à-dire de savoir raisonner le peuple souverain.

L'élection a toujours été l'institution centrale des gouvernements représentatifs. Les Français y sont très attachés ; ils y voient le meilleur moyen d'exprimer leur opinion. L'élection présente des avantages qu'aucun autre système ne peut remplacer et constitue un mécanisme de désignation accepté par tous. La défiance à l'égard de la politique ne vient donc pas de là, mais plutôt de l'insatisfaction à l'égard des résultats. Ainsi, au Canada, en Colombie-britannique, le niveau de satisfaction à l'égard des résultats est très élevé, en dépit des alternances politiques ; la légitimité de la décision publique n'est pas remise en cause. À l'inverse, au Québec, l'insatisfaction est élevée vis-à-vis des résultats, et l'on remet en cause le mode de décision publique. Il n'est pas étonnant que différentes expériences de démocratie participative aient vu le jour dans cette province.

Il n'y aurait pas de débat autour du bon fonctionnement de la démocratie si les citoyens étaient satisfaits de l'action publique. Toutefois, ne faut-il pas accepter une part d'inefficacité dans la décision politique ? L'efficacité politique consiste à apporter des réponses à des enjeux identifiés selon une hiérarchie de priorités, mais, dans un monde d'incertitude, dans un régime d'information incomplète et asymétrique, le décideur public ne peut pas toujours réagir de manière instantanée et proportionnée face à la complexité des problèmes. L'idée d'un représentant rationnel, capable de prendre en toutes circonstances les bonnes décisions, est une vue de l'esprit. Il faudrait pouvoir accepter l'idée que des mauvaises décisions sont prises parfois.

En outre, le temps peut être long entre la prise de conscience d'un problème et la décision, ce qui suscite des frustrations et accroît la défiance politique. La démocratie participative est souvent perçue comme un moyen de réduire ce délai de la prise de décision. Il serait utile d'établir une distinction entre les questions les plus importantes, qui doivent être traitées dans le cadre du processus de représentation verticale, par le Parlement et le Gouvernement, et les questions secondaires, qui sont susceptibles d'être réglées localement, de manière directe.

La restauration du lien de confiance entre le représentant et le représenté est un préalable à la restauration de la légitimité de l'action publique. La confiance politique n'est pas une notion évidente. Je la définirais comme un mécanisme qui permet de réduire la complexité sociale. Elle repose sur deux piliers : la compétence qui rejoint la responsabilité, d'une part, et la bienveillance en relation avec la proximité, d'autre part. Il est frappant de constater que 82 % des Français ont confiance dans les hôpitaux, 80 % dans les PME, 78 % dans les écoles... Les Français ont confiance dans les institutions de proximité. Inversement, 11 % font confiance aux partis politiques, 29 % aux syndicats, 24 % aux médias, 30 % aux banques. Plus on réduit la distance entre le citoyen et le décideur, plus la confiance s'accroît. Pour surmonter cette crise des pratiques de la représentation politique, il importe donc de réfléchir au moyen de réunir compétence et bienveillance, alors qu'on considère traditionnellement que l'échelon local est le lieu de la bienveillance et de la proximité, tandis que celles-ci disparaitraient à l'échelon national, au profit de la compétence, possédée par des élus considérés comme des professionnels de la chose publique, déconnectés du terrain.

Un voeu pieux laisse à penser que toute décision publique serait parfaitement légitime. Cela relève évidemment de l'idéal démocratique, mais ce n'est pas pour autant que tous les citoyens considèrent que cela doit nécessairement impliquer le développement de la démocratie participative ! Mes deux collègues Loïc Blondiaux et Rémi Lefebvre, que vous avez entendus, ont vanté les mérites de la démocratie participative, en indiquant qu'il fallait aller plus loin. Pour ma part, je reste toujours frappé du niveau de participation dans les différentes initiatives prises au niveau local sur des projets d'infrastructures touchant de petites communautés. La démocratie participative est un élément parmi d'autres qui permettra de restaurer le lien de confiance, mais elle n'en est pas l'élément clef. J'émets des doutes sur l'efficacité des résultats obtenus par cette démarche tendant à institutionnaliser ce modèle.

En revanche, à travers la démocratie participative ou délibérative, le principe de la responsabilité devrait pouvoir être réveillé. À mon sens, la démocratie représentative repose avant tout sur le triptyque suivant : délégation de pouvoir, responsabilité et élection.

L'élection ne soulève aujourd'hui aucun problème, puisque les Français y sont attachés, comme en témoignent les taux particulièrement élevés de participation à l'élection présidentielle - et même si les élections législatives en sont le contre-exemple. Le cas de la France est unique et exemplaire à cet égard. Par ce biais, nos concitoyens manifestent clairement leur intérêt pour la politique.

La responsabilité a fait l'objet de diverses expérimentations. Dans notre baromètre, un type d'organisations fait un peu exception eu égard au discrédit frappant les corps intermédiaires que sont les partis politiques ou encore les syndicats : il s'agit des associations qui continuent de bénéficier d'un niveau de confiance très élevé. Il faudrait les favoriser et consolider leur rôle. Certes, elles peuvent être instrumentalisées, mais le tissu associatif n'en reste pas moins considérable en France.

Le principe de participation est érigé au rang des droits fondamentaux par la Constitution. Toutefois, tel qu'il est énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, il ne concerne aujourd'hui que le dialogue social, auquel a été ajouté en partie le domaine environnemental. Il serait sans doute possible d'aller plus loin, pour instaurer ce qui serait un véritable dialogue politique.

La transparence sur les processus et les acteurs impliqués soulève des interrogations profondes, car la demande est très forte en la matière : je le répète, 82 % des Français considèrent que les politiciens sont corrompus.

Quant à la représentativité des acteurs impliqués et leur lien avec la réalité sociale, je n'insisterai pas sur la composition sociologique de l'Assemblée nationale. Je signalerai simplement une évolution considérable en quarante ans, par rapport à la composition socioprofessionnelle de la France. Je ne dis pas que, avec 13 % d'ouvriers au Palais-Bourbon, - pour reprendre le chiffre donné du recensement de la population -, on réglera tous les problèmes, mais la situation actuelle contribue au malaise politique.

Enfin, le suffrage universel doit rester un élément central et structurant de la décision publique. De nombreuses expérimentations peuvent être imaginées en termes de démocratie participative. Aujourd'hui, on pense que la démocratie participative débouche nécessairement sur de bonnes décisions, grâce à des contre-pouvoirs et une association plus forte des citoyens. Néanmoins, comment gérer les mauvaises décisions prises après un processus participatif ? Les exemples de sanction sont très rares en la matière.

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