Nous poursuivons les travaux de notre mission commune d'information en accueillant M. Martial Foucault, professeur des universités et directeur du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po.
Monsieur le directeur, nous vous recevons alors que le Cevipof vient de faire paraître son Baromètre annuel de la confiance politique, dont les résultats ne peuvent que nous interpeller. Cette enquête révèle, en effet, que les Français éprouvent une défiance record envers leurs hommes politiques et dans les institutions. Ils désirent un très fort renouvellement des pratiques publiques, tout en paraissant encore rester fortement attachés à la démocratie : 91 % des individus considèrent que le système politique démocratique reste « une bonne façon de gouverner le pays » et 85 % que, même si la démocratie peut poser des problèmes, « c'est quand même mieux que n'importe quelle autre forme de gouvernement ».
Quelques chiffres sont toutefois particulièrement éloquents : 70 % des Français estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien dans notre pays ; 89 % d'entre eux considèrent que les responsables politiques en général ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens ; 40 % des personnes interrogées éprouvent de la « méfiance » en pensant à la politique et 28 % du « dégoût ». Seuls 11 % d'entre elles font « confiance » aux partis...
Néanmoins, les Français continuent de s'intéresser à la politique et aux débats d'idées, tandis que 60 % d'entre eux estiment que « voter aux élections est un bon moyen d'exercer une influence sur les décisions prises en France ». Il faut donc rendre compte de ce paradoxe.
Votre analyse et votre point de vue seront, à n'en pas douter, particulièrement enrichissants à l'heure où nous nous interrogeons sur les moyens d'améliorer le fonctionnement de notre démocratie représentative et de renforcer le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus.
Je suis heureux de présenter devant votre mission, qui suscite de nombreuses attentes, les résultats de notre baromètre annuel de la confiance politique. Ce baromètre, qui existe depuis 2009, constitue un outil remarquable pour enregistrer les évolutions de la société et comprendre les ressorts de la confiance. Au vu des résultats, peut-être mériterait-il, d'ailleurs, de s'intituler baromètre de la défiance... Toutefois, la défiance et la confiance ne sont pas nécessairement contradictoires. Comme vous l'avez noté, les résultats traduisent un certain paradoxe. Ils révèlent aussi un décalage entre la réalité objective et le ressenti, comme c'est le cas parfois en économie, lorsque les gens ont le sentiment que la situation ne s'améliore pas alors que la croissance repart.
Je m'inscris en faux contre la ritournelle sans cesse répétée selon laquelle la France traverserait une crise démocratique. Assurément, il y a une crise des pratiques de la démocratie représentative, mais il ne s'agit pas d'une crise de la démocratie. C'est ce que confirme notre baromètre : quelque 82 % des Français estiment que les politiciens sont corrompus. C'est plus qu'en Amérique latine, alors que la France n'est pas plus corrompue, loin de là ! La crise des pratiques est liée à une mauvaise compréhension de ce qu'est la représentation politique. Cette dernière notion exprime avant tout la capacité des institutions politiques à se saisir des changements observés dans la société. Voilà qui soulève deux questions : la démocratie représentative doit-elle nécessairement fonctionner comme une « démocratie miroir », qui serait le décalque parfait des changements sociaux ? Quel doit-être le degré de réactivité des représentants et des institutions que ceux-ci sont censés incarner ?
N'oublions pas que 85 % des Français considèrent que la démocratie, en dépit de ses imperfections, demeure la meilleure forme de gouvernement. Cet attachement est une constante depuis 2009. En revanche, 72 % des Français estiment qu'il y a trop de disputes, trop de conflits et que cela entraîne des difficultés pour prendre des décisions.
En fait, le lien de confiance entre représentants et représentés s'est dégradé au fil des années. C'est peut-être dû à un malentendu sur la nature des relations entre démocratie et représentation. Les démocraties contemporaines sont issues d'une forme de gouvernement, le gouvernement représentatif, que ses fondateurs opposaient justement à la démocratie ! La France est le seul pays qui a cherché à articuler les deux dès l'origine, dans une démocratie représentative. Depuis l'Antiquité, on s'interroge sur la compatibilité entre l'exercice du pouvoir par le peuple et sur la possibilité de prendre des décisions dans l'intérêt général, à distance des particularismes, des intérêts privés et des passions populaires. Confier l'exercice du pouvoir au peuple implique, en effet, de savoir faire la part entre les intérêts particuliers et le bien commun, c'est-à-dire de savoir raisonner le peuple souverain.
L'élection a toujours été l'institution centrale des gouvernements représentatifs. Les Français y sont très attachés ; ils y voient le meilleur moyen d'exprimer leur opinion. L'élection présente des avantages qu'aucun autre système ne peut remplacer et constitue un mécanisme de désignation accepté par tous. La défiance à l'égard de la politique ne vient donc pas de là, mais plutôt de l'insatisfaction à l'égard des résultats. Ainsi, au Canada, en Colombie-britannique, le niveau de satisfaction à l'égard des résultats est très élevé, en dépit des alternances politiques ; la légitimité de la décision publique n'est pas remise en cause. À l'inverse, au Québec, l'insatisfaction est élevée vis-à-vis des résultats, et l'on remet en cause le mode de décision publique. Il n'est pas étonnant que différentes expériences de démocratie participative aient vu le jour dans cette province.
Il n'y aurait pas de débat autour du bon fonctionnement de la démocratie si les citoyens étaient satisfaits de l'action publique. Toutefois, ne faut-il pas accepter une part d'inefficacité dans la décision politique ? L'efficacité politique consiste à apporter des réponses à des enjeux identifiés selon une hiérarchie de priorités, mais, dans un monde d'incertitude, dans un régime d'information incomplète et asymétrique, le décideur public ne peut pas toujours réagir de manière instantanée et proportionnée face à la complexité des problèmes. L'idée d'un représentant rationnel, capable de prendre en toutes circonstances les bonnes décisions, est une vue de l'esprit. Il faudrait pouvoir accepter l'idée que des mauvaises décisions sont prises parfois.
En outre, le temps peut être long entre la prise de conscience d'un problème et la décision, ce qui suscite des frustrations et accroît la défiance politique. La démocratie participative est souvent perçue comme un moyen de réduire ce délai de la prise de décision. Il serait utile d'établir une distinction entre les questions les plus importantes, qui doivent être traitées dans le cadre du processus de représentation verticale, par le Parlement et le Gouvernement, et les questions secondaires, qui sont susceptibles d'être réglées localement, de manière directe.
La restauration du lien de confiance entre le représentant et le représenté est un préalable à la restauration de la légitimité de l'action publique. La confiance politique n'est pas une notion évidente. Je la définirais comme un mécanisme qui permet de réduire la complexité sociale. Elle repose sur deux piliers : la compétence qui rejoint la responsabilité, d'une part, et la bienveillance en relation avec la proximité, d'autre part. Il est frappant de constater que 82 % des Français ont confiance dans les hôpitaux, 80 % dans les PME, 78 % dans les écoles... Les Français ont confiance dans les institutions de proximité. Inversement, 11 % font confiance aux partis politiques, 29 % aux syndicats, 24 % aux médias, 30 % aux banques. Plus on réduit la distance entre le citoyen et le décideur, plus la confiance s'accroît. Pour surmonter cette crise des pratiques de la représentation politique, il importe donc de réfléchir au moyen de réunir compétence et bienveillance, alors qu'on considère traditionnellement que l'échelon local est le lieu de la bienveillance et de la proximité, tandis que celles-ci disparaitraient à l'échelon national, au profit de la compétence, possédée par des élus considérés comme des professionnels de la chose publique, déconnectés du terrain.
Un voeu pieux laisse à penser que toute décision publique serait parfaitement légitime. Cela relève évidemment de l'idéal démocratique, mais ce n'est pas pour autant que tous les citoyens considèrent que cela doit nécessairement impliquer le développement de la démocratie participative ! Mes deux collègues Loïc Blondiaux et Rémi Lefebvre, que vous avez entendus, ont vanté les mérites de la démocratie participative, en indiquant qu'il fallait aller plus loin. Pour ma part, je reste toujours frappé du niveau de participation dans les différentes initiatives prises au niveau local sur des projets d'infrastructures touchant de petites communautés. La démocratie participative est un élément parmi d'autres qui permettra de restaurer le lien de confiance, mais elle n'en est pas l'élément clef. J'émets des doutes sur l'efficacité des résultats obtenus par cette démarche tendant à institutionnaliser ce modèle.
En revanche, à travers la démocratie participative ou délibérative, le principe de la responsabilité devrait pouvoir être réveillé. À mon sens, la démocratie représentative repose avant tout sur le triptyque suivant : délégation de pouvoir, responsabilité et élection.
L'élection ne soulève aujourd'hui aucun problème, puisque les Français y sont attachés, comme en témoignent les taux particulièrement élevés de participation à l'élection présidentielle - et même si les élections législatives en sont le contre-exemple. Le cas de la France est unique et exemplaire à cet égard. Par ce biais, nos concitoyens manifestent clairement leur intérêt pour la politique.
La responsabilité a fait l'objet de diverses expérimentations. Dans notre baromètre, un type d'organisations fait un peu exception eu égard au discrédit frappant les corps intermédiaires que sont les partis politiques ou encore les syndicats : il s'agit des associations qui continuent de bénéficier d'un niveau de confiance très élevé. Il faudrait les favoriser et consolider leur rôle. Certes, elles peuvent être instrumentalisées, mais le tissu associatif n'en reste pas moins considérable en France.
Le principe de participation est érigé au rang des droits fondamentaux par la Constitution. Toutefois, tel qu'il est énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, il ne concerne aujourd'hui que le dialogue social, auquel a été ajouté en partie le domaine environnemental. Il serait sans doute possible d'aller plus loin, pour instaurer ce qui serait un véritable dialogue politique.
La transparence sur les processus et les acteurs impliqués soulève des interrogations profondes, car la demande est très forte en la matière : je le répète, 82 % des Français considèrent que les politiciens sont corrompus.
Quant à la représentativité des acteurs impliqués et leur lien avec la réalité sociale, je n'insisterai pas sur la composition sociologique de l'Assemblée nationale. Je signalerai simplement une évolution considérable en quarante ans, par rapport à la composition socioprofessionnelle de la France. Je ne dis pas que, avec 13 % d'ouvriers au Palais-Bourbon, - pour reprendre le chiffre donné du recensement de la population -, on réglera tous les problèmes, mais la situation actuelle contribue au malaise politique.
Enfin, le suffrage universel doit rester un élément central et structurant de la décision publique. De nombreuses expérimentations peuvent être imaginées en termes de démocratie participative. Aujourd'hui, on pense que la démocratie participative débouche nécessairement sur de bonnes décisions, grâce à des contre-pouvoirs et une association plus forte des citoyens. Néanmoins, comment gérer les mauvaises décisions prises après un processus participatif ? Les exemples de sanction sont très rares en la matière.
Monsieur Foucault, merci de cette présentation très intéressante.
Je souhaite vous interroger sur cette notion de défiance et sur la crise politique que traverse notre pays. Pouvez-vous préciser encore plus nettement votre opinion ? Deux lectures nous sont présentées aujourd'hui : la première, aisément défendable, se fonde sur la crise des institutions politiques en France, et la seconde sur une crise plus globale, à la fois du monde politique, du monde syndical et de l'administration, qui serait liée à des résultats insuffisants et à des mécanismes trop complexes selon nos concitoyens. Les difficultés sont-elles concentrées sur la sphère politique ou sont-elles multiformes ?
Je ne pourrai répondre en quelques minutes à cette question préoccupante pour les représentants que vous êtes. De surcroît, en dépit d'une démultiplication des bonnes volontés sur ce sujet, le milieu académique n'y a pas apporté une réponse très claire.
Les deux crises sont étroitement imbriquées, elles sont globales et touchent aussi bien les corps intermédiaires que les acteurs économiques et même associatifs. À cet égard, la crise financière de 2008 a, selon moi, constitué un terrain d'observation très fertile. En effet, après la chute du système financier aux États-Unis, on a cru durant six mois environ, en France, au Royaume-Uni et outre-Atlantique - un peu moins en Allemagne -, que le politique, seule issue possible à cette crise, avait repris la main sur l'économie, c'est-à-dire sur ces grandes organisations économiques qui n'ont pas nécessairement d'emprise locale. Il est vrai que les niveaux de confiance étaient élevés à ce moment-là. À l'issue des différents plans de garantie accordés aux établissements financiers et compagnies d'assurance, autrement dit une fois que le système avait été prémuni contre sa dislocation, les Français, les Américains, les Espagnols, les Portugais ont eu le sentiment que l'économique avait repris le pas sur le politique.
La crise des institutions politiques n'est pas uniquement française. Elle concerne aussi l'Allemagne.
C'est paradoxal, car les résultats de ce pays paraissent plutôt bons...
Absolument ! La crise des institutions politiques en Allemagne porte avant tout sur le système électoral, un point qui peut paraître secondaire à première vue. En France, faut-il introduire un peu plus de représentativité par un mode de scrutin proportionnel, afin que les citoyens aient le sentiment d'être mieux représentés au sein du Parlement ? Ce sujet me paraît essentiel, même s'il ne concerne pas directement votre mission d'information.
Compte tenu du niveau de participation très faible aux élections législatives, la question se pose de l'insatisfaction liée au mode de scrutin majoritaire à deux tours. Ce sentiment gagne également l'Allemagne, avec leur mode de scrutin qui donne l'impression que certains partis politiques sont protégés et presque immuables.
Cette crise affecte aussi les citoyens. Selon la grille de lecture très simple que nous donne le sociologue suisse Hanspeter Kriesi depuis une quinzaine d'années, l'observation des perdants et des gagnants de la mondialisation suffirait à expliquer largement les tensions populistes émergeant dans des pays qui en avaient été prémunis grâce au système démocratique. Or, de façon paradoxale, la France est l'un des pays européens qui ont le plus bénéficié de la mondialisation, mais où les citoyens y sont les plus hostiles.
Les institutions politiques auraient-elles manqué de pédagogie ? À mes yeux, ce terme n'est pas approprié, car il suppose que l'on ne dispose d'aucune autre explication. Or, il s'agit avant tout d'un problème lié à l'imaginaire des citoyens français concernant le rôle que doivent assumer leurs représentants. Il faudrait déconstruire cette vue selon laquelle le politique peut résoudre tous les problèmes.
Chacun s'accorde à reconnaître que l'électeur n'est pas rationnel. Or il en est de même du décideur politique. En France, il est faux de dire que le Parlement est totalement rationalisé. Pourtant, les citoyens attendent effectivement d'une décision publique qu'elle soit totalement rationnelle. Les enjeux de l'action publique sont bien plus nombreux aujourd'hui qu'ils ne l'étaient dans les années cinquante ou soixante, notamment depuis l'avènement du numérique et de l'accès à l'information, et pas seulement sur le terrain de la compétence ou de la responsabilité. Un décalage s'est créé, car les attentes de nos concitoyens sont plus fortes, alors que les institutions, elles, n'ont pas changé.
Vous avez distingué la notion de confiance de celle de bienveillance. La bienveillance s'exprimerait par l'intermédiaire de la proximité, tandis que la confiance serait plus liée à un tandem compétence-travail. La proximité est très présente dans les discours politiques. En revanche, comment restaurer la confiance de nos concitoyens en leurs représentants politiques et syndicaux ? Comment faire partager par nos concitoyens la compétence et le travail ? Cela dépend-il exclusivement de l'appréciation des résultats économiques ou d'autres marqueurs ?
Pour dégager une proposition en la matière et allier compétence et bienveillance, il faudrait réunir deux préalables.
Le premier est de s'interroger sur la relation verticale ou horizontale de la décision publique. Il est possible d'améliorer à la fois le processus de décision publique et les résultats attendus à travers une plus grande décentralisation, non pas au travers de transfert de compétences, mais grâce à la hiérarchisation des enjeux et des problèmes pour lesquels la décentralisation est justifiée.
Je prendrai l'exemple de la réforme des rythmes scolaires. J'ai eu beaucoup de mal à comprendre, malgré l'intervention de spécialistes des rythmes biologiques des enfants, pourquoi leurs verdicts étaient différents selon l'endroit où vivaient les écoliers. Cette réforme s'est imposée de façon très verticale à l'ensemble des écoles primaires dont les besoins justifiaient pourtant plutôt une politique des rythmes scolaires à la carte. La décentralisation de la décision publique aurait mérité un travail plus délibératif et participatif avec les publics visés. C'est l'autre voie qui a été retenue, au nom d'un principe républicain d'égalité sur l'ensemble des territoires que l'on peut d'ailleurs entendre. Mais dans les faits, les modalités de mise en oeuvre de cette réforme des rythmes scolaires sont différentes selon les communes, certaines ayant notamment choisi le mercredi matin et d'autres le samedi matin. Cet exemple permet de comprendre la frustration des parents d'élèves pour comprendre ces décisions.
Le second préalable est de résoudre le paradoxe selon lequel nos concitoyens attendent de leurs représentants qu'ils fassent preuve de compétence, mais sans vouloir des élus experts. Les Français sont très attachés à des représentants qui puissent les faire rêver, mais ils rejettent massivement l'élu trop technicien, en quelque sorte trop compétent et dénué d'empathie. Il y a là une vraie tension.
En réalité, on ne s'improvise pas élu : l'excès de compétences est directement lié à la sociologie des représentants et à leur professionnalisation, rendue indispensable du fait de la complexité et de la responsabilité grandissantes en matière juridique, notamment à l'échelon local.
L'un de mes collègues au Cevipof, Bruno Cautrès, tente de remettre au goût du jour la théorie de la « démocratie furtive », développée aux États-Unis. Les Américains éprouvent un besoin de démocratie temporaire, très fort tous les quatre ans autour des enjeux présidentiels - le représentant doit être irréprochable, compétent et bienveillant -, mais qui est presque inexistant le reste du temps, car ils veulent être tranquilles dans cette vie démocratique quotidienne.
Je ne milite pas pour cette « démocratie furtive », et nous n'en sommes pas là en France. Mais les Français ont besoin de temps de repos à l'égard des attentes suggérées par la démocratie représentative.
- Présidence de M. Michel Forissier -
Monsieur Foucault, vous avez expliqué combien la légitimité de la décision publique se heurtait à la question des résultats. Ne serait-elle pas aussi liée aux engagements souvent non tenus ? Lors de la crise financière de 2008, l'ensemble des parlementaires, toutes tendances politiques confondues, avaient conclu que le politique devait reprendre la main sur l'économique et qu'il fallait s'attaquer aux paradis fiscaux. Nous sommes loin de cette situation aujourd'hui. Rappelons-nous également le discours prononcé au Bourget par François Hollande, qui considérait la finance comme son ennemi... Les engagements non tenus, à quelque niveau qu'ils aient été pris, peuvent-ils entamer sérieusement la confiance des Français ?
Par ailleurs, la défiance de nos concitoyens s'accroît-elle depuis le passage au quinquennat ? La vie politique s'accélère, et il devient de plus en plus difficile de mettre en oeuvre les décisions prises.
Qu'en est-il de la représentativité des assemblées, notamment au regard de ce qui est développé pour le respect de l'égalité entre les femmes et les hommes ?
Enfin, je ne comprends pas pourquoi l'introduction de la proportionnelle aux élections ne ferait pas partie du périmètre de notre mission d'information.
Nous travaillons dans un temps contraint, car nous rendrons notre rapport en mai, nous ne pouvons tout aborder. En outre, peut-on pousser la réflexion jusqu'à nos institutions elles-mêmes ? Par modestie et du fait de l'ampleur des enjeux, je ne crois pas que nous puissions présenter des propositions institutionnelles. En revanche, rien n'interdira de poser la question des autres pistes de réflexion susceptibles de devoir être explorées, lorsque nous présenterons nos conclusions.
Bien que nous ne soyons pas dans un régime présidentiel, nous n'entendons parler que des programmes des candidats à l'élection présidentielle, alors que, à mon sens, le programme ne devrait être développé qu'à l'occasion des élections législatives. La confusion suscitée par le quinquennat fait que nous nous écartons des principes fondamentaux de la Constitution.
Je vais peut-être vous choquer, mais, pour ce qui me concerne, je n'ai jamais été élu sur un programme. Ma première élection comme maire, en 2001, a reposé sur la confiance et la méthode. Je me suis engagé à consulter la population, par exemple en mettant en place un conseil de développement local. La démocratie participative revient selon moi à informer le plus tôt possible la population d'une intention de projet. Ensuite, il faut écouter, puis présenter une solution. Le travail préparatoire est essentiel, et c'est sans doute ce qui explique la réélection de certains maires alors même qu'une alternance nationale a lieu.
Enfin, monsieur Foucault, vous avez évoqué la réforme des rythmes scolaires. J'ai le sentiment que les maires ont rempli leur mission en jouant le rôle d'amortisseur.
Il est difficile de prétendre que l'accélération du niveau de défiance est concomitante de l'instauration du quinquennat en 2002. Nous ne disposons d'outils pour mesurer la confiance des Français que depuis 2009.
Nous vivons dans un régime qui n'est ni présidentiel ni parlementaire ; il est semi-présidentiel, pour reprendre l'expression très juste de Maurice Duverger. Toutefois, le quinquennat a conduit à élire un président sur un programme. Mais les élections de 2017 risquent de modifier la donne, car la probabilité pour qu'aucune majorité absolue ne se dégage des urnes lors des élections législatives n'a jamais été aussi forte, sauf bien sûr sous la législature qui a correspondu au gouvernement de Michel Rocard à partir de 1988.
Notre enquête montre que les Français sont très attachés à la démocratie représentative. S'ils semblent toutefois fatigués par les disputes qui entourent une décision publique, ils n'en estiment pas moins que le compromis est une sorte de reniement ! Pour qu'un gouvernement de coalition soit accepté, il faudrait une nouvelle culture politique. Néanmoins, depuis trois ans, nos enquêtes démontrent que les Français acceptent de plus en plus l'idée d'un gouvernement composé de plusieurs sensibilités politiques, si cela se fait au nom du bien commun. En revanche, je ne crois pas que le quinquennat, qui visait avant tout à éviter la cohabitation, soit à l'origine de ce changement de culture.
Le nombre d'élections en France est un élément qui distingue notre pays de nos voisins. Avec ces nombreuses élections, on multiplie les occasions de provoquer l'insatisfaction de nos concitoyens à l'égard de leurs représentants. Les taux de participations sont très élevés pour l'élection présidentielle et pour les élections municipales. Ces dernières traduisent l'attachement de nos concitoyens à la réalité locale, quotidienne, tandis que la présidentielle symbolise la prise en main du destin de notre pays par un homme. La baisse de la participation pour les autres élections n'apporte pas la preuve d'un désintérêt pour le conseiller départemental ou régional, ou pour le député européen, mais ces instances ne sont pas perçues comme affectant le quotidien. Or, c'est ce dernier qui est le trait d'union de la démocratie représentative.
Vous m'interrogiez tout à l'heure sur la représentativité et notamment l'opportunité d'étendre la loi relative à la parité homme femme. Je n'y suis pas favorable, car il faudrait alors aussi prévoir une loi de parité socioprofessionnelle, une loi pour limiter l'âge des représentants, une loi pour représenter les minorités visibles, etc. Le Canada a d'ailleurs choisi cette dernière voie. Ces correctifs sont des pansements démocratiques, mais ils ne répondent pas à une réelle demande de nos concitoyens. La composition des assemblées ne garantit pas l'empathie des représentants.
Vous vous interrogiez également sur l'impact des engagements non tenus sur nos concitoyens. Néanmoins, est-il préférable de ne pas respecter ses engagements ou de ne pas prendre d'engagement du tout ? Vous nous avez dit, monsieur Forissier, que vous aviez été élu maire sans prendre d'engagements : c'est une réelle anomalie de la vie démocratique ! Les partis politiques n'existent qu'en raison de leur programme et de leur engagement auprès des concitoyens. Pour Jürgen Habermas, la démocratie implique la confrontation permanente des opinions. Dès lors, comment enchanter les citoyens si on ne leur promet rien ? Ou alors il faut être dans une relation de proximité et les connaître personnellement, mais cela ne vaut que pour des élections locales, pas nationales.
Les engagements non tenus sont terribles pour la démocratie, mais l'élection est là pour sanctionner l'élu qui n'a pas tenu parole. À force de ne pas respecter les engagements, le capital de défiance devient considérable à tous les niveaux de la société. En revanche, nos concitoyens n'appellent pas tous de leur voeu une démocratie participative. Les citoyens prêts à s'engager dans cette voie sont très intéressés par la politique, plutôt éduqués, et ils ont aussi un niveau de confiance dans leurs représentants qui, s'il reste bas, est plus élevé que le reste de la population.
Le Cevipof interroge également les jeunes qui vont voter pour la première fois à l'élection présidentielle : leur politisation est totalement différente de celle de leurs parents et de leurs grands-parents. Elle repose sur des mécanismes totalement différents qui échappent aux institutions représentatives et les dispositifs de démocratie participative ne les concernent pas davantage.
D'après vous, la démocratie participative ne peut se substituer à la démocratie représentative, même si vous n'excluez pas des complémentarités entre les deux. Toutefois, vous avez aussi parlé du principe de responsabilité. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quels seraient les outils d'une telle démocratie de responsabilité ?
La démocratie de responsabilité a pour objectif de concilier les deux dimensions de la confiance politique, c'est-à-dire la compétence et la bienveillance. La transparence sur les processus et les acteurs en est un élément incontournable. Il serait assez facile de mieux communiquer sur la fabrique de la loi. Grâce au numérique, il est aisé de dire quels sont les acteurs impliqués, quels sont les lobbys qui s'expriment. Ainsi, les États-Unis et le Canada ont légiféré il y a respectivement 25 et 20 ans sur les groupes de pression. Ces activités y sont enregistrées et publiques, ce qui permet une réelle transparence. En France, nous avons certes la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, mais les citoyens sont-ils vraiment intéressés par les conflits d'intérêts et le patrimoine de leurs élus ? Ce n'est pas parce qu'ils vont connaître le montant de ces patrimoines que le lien de confiance sera rétabli. La transparence implique surtout la connaissance des entourages politiques et professionnels des représentants. L'actualité est là pour le rappeler.
Par ailleurs, l'élection doit rester le point incontournable de la démocratie. Même si la démocratie participative prend de l'importance en amont des décisions, l'élection est le seul outil permettant au citoyen de marquer son approbation, ou son rejet, de l'action politique menée. Dans une démocratie de proximité, le moment du vote est essentiel.
Enfin, j'évoquerai le cumul des mandats : comparée aux autres pays, la France est dans une situation singulière - même la Roumanie y a mis fin... Pour ma part, je suis défavorable à l'idée d'instaurer un seul mandat en cours par représentant. Je crois que c'est le cumul dans le temps qui pose réellement problème. En effet, certains élus exercent un mandat local et un mandat national à la grande satisfaction de leurs électeurs, car ils sont compétents et bienveillants. Si nos concitoyens sont opposés au cumul, c'est en réalité surtout pour favoriser le renouvellement du personnel politique. Vous voyez que nous sommes loin des notions d'efficacité et de responsabilité. Et si l'on parle de cumul, n'oublions pas non plus celui des fonctions non électives, qui peut aussi distendre les liens de confiance. Bref, la fin du cumul des mandats simultanés ne restaurera pas automatiquement le lien de confiance démocratique entre les électeurs et les élus.
Quelque 73 % des Français estiment que le référendum permet de trancher des questions importantes. Toutefois, lorsqu'elles ont répondu à cette enquête, ces personnes avaient-elles en tête un modèle de démocratie directe ? Sans doute pas. Je ne crois pas qu'elles souhaitent être interrogées tous les quinze jours comme en Suisse ou en Californie. En outre, que penser de taux de participation de 10 % ou 15 % lors des référendums californiens ?
Démocratie participative et référendum peuvent faire bon ménage, puisqu'il s'agit d'associer les citoyens à l'élaboration de la décision publique, notamment à l'échelle locale - par exemple, pour choisir entre différents systèmes d'assainissement des eaux. En revanche, on ne peut envisager des référendums pour toutes les décisions ; où placer le curseur? En Californie, on demande aux citoyens de voter pour l'augmentation des droits de scolarité dans les lycées, pour interdire le patin à roulettes sur la plage de Santa Barbara, etc. Cette multiplicité de votes conduit à la fatigue démocratique plutôt qu'à la restauration du lien démocratique. En période de malaise politique, on a tendance à croire que les décisions seront légitimées par un référendum, mais quelle en est la légitimité si 85 % des électeurs s'abstiennent ?
La réunion est close à 15 h 10.