Il est difficile de prétendre que l'accélération du niveau de défiance est concomitante de l'instauration du quinquennat en 2002. Nous ne disposons d'outils pour mesurer la confiance des Français que depuis 2009.
Nous vivons dans un régime qui n'est ni présidentiel ni parlementaire ; il est semi-présidentiel, pour reprendre l'expression très juste de Maurice Duverger. Toutefois, le quinquennat a conduit à élire un président sur un programme. Mais les élections de 2017 risquent de modifier la donne, car la probabilité pour qu'aucune majorité absolue ne se dégage des urnes lors des élections législatives n'a jamais été aussi forte, sauf bien sûr sous la législature qui a correspondu au gouvernement de Michel Rocard à partir de 1988.
Notre enquête montre que les Français sont très attachés à la démocratie représentative. S'ils semblent toutefois fatigués par les disputes qui entourent une décision publique, ils n'en estiment pas moins que le compromis est une sorte de reniement ! Pour qu'un gouvernement de coalition soit accepté, il faudrait une nouvelle culture politique. Néanmoins, depuis trois ans, nos enquêtes démontrent que les Français acceptent de plus en plus l'idée d'un gouvernement composé de plusieurs sensibilités politiques, si cela se fait au nom du bien commun. En revanche, je ne crois pas que le quinquennat, qui visait avant tout à éviter la cohabitation, soit à l'origine de ce changement de culture.
Le nombre d'élections en France est un élément qui distingue notre pays de nos voisins. Avec ces nombreuses élections, on multiplie les occasions de provoquer l'insatisfaction de nos concitoyens à l'égard de leurs représentants. Les taux de participations sont très élevés pour l'élection présidentielle et pour les élections municipales. Ces dernières traduisent l'attachement de nos concitoyens à la réalité locale, quotidienne, tandis que la présidentielle symbolise la prise en main du destin de notre pays par un homme. La baisse de la participation pour les autres élections n'apporte pas la preuve d'un désintérêt pour le conseiller départemental ou régional, ou pour le député européen, mais ces instances ne sont pas perçues comme affectant le quotidien. Or, c'est ce dernier qui est le trait d'union de la démocratie représentative.
Vous m'interrogiez tout à l'heure sur la représentativité et notamment l'opportunité d'étendre la loi relative à la parité homme femme. Je n'y suis pas favorable, car il faudrait alors aussi prévoir une loi de parité socioprofessionnelle, une loi pour limiter l'âge des représentants, une loi pour représenter les minorités visibles, etc. Le Canada a d'ailleurs choisi cette dernière voie. Ces correctifs sont des pansements démocratiques, mais ils ne répondent pas à une réelle demande de nos concitoyens. La composition des assemblées ne garantit pas l'empathie des représentants.
Vous vous interrogiez également sur l'impact des engagements non tenus sur nos concitoyens. Néanmoins, est-il préférable de ne pas respecter ses engagements ou de ne pas prendre d'engagement du tout ? Vous nous avez dit, monsieur Forissier, que vous aviez été élu maire sans prendre d'engagements : c'est une réelle anomalie de la vie démocratique ! Les partis politiques n'existent qu'en raison de leur programme et de leur engagement auprès des concitoyens. Pour Jürgen Habermas, la démocratie implique la confrontation permanente des opinions. Dès lors, comment enchanter les citoyens si on ne leur promet rien ? Ou alors il faut être dans une relation de proximité et les connaître personnellement, mais cela ne vaut que pour des élections locales, pas nationales.
Les engagements non tenus sont terribles pour la démocratie, mais l'élection est là pour sanctionner l'élu qui n'a pas tenu parole. À force de ne pas respecter les engagements, le capital de défiance devient considérable à tous les niveaux de la société. En revanche, nos concitoyens n'appellent pas tous de leur voeu une démocratie participative. Les citoyens prêts à s'engager dans cette voie sont très intéressés par la politique, plutôt éduqués, et ils ont aussi un niveau de confiance dans leurs représentants qui, s'il reste bas, est plus élevé que le reste de la population.
Le Cevipof interroge également les jeunes qui vont voter pour la première fois à l'élection présidentielle : leur politisation est totalement différente de celle de leurs parents et de leurs grands-parents. Elle repose sur des mécanismes totalement différents qui échappent aux institutions représentatives et les dispositifs de démocratie participative ne les concernent pas davantage.