Intervention de Florent Guignard

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 23 février 2017 à 13h35
Audition sur la participation des citoyens à la prise de décision publique de M. Florent Guignard vice-président de démocratie ouverte M. Stéphane Vincent délégué général de la 27e région M. Cyril Lage fondateur de parlement et citoyens et Mm. Benjamin Ooghe-tabanou et françois massot administrateurs de regards citoyens

Florent Guignard, vice-président de Démocratie ouverte :

Notre association regroupe des projets et des personnes extrêmement divers. Nous représentons des civic techs au sens large, c'est-à-dire des projets, numériques ou non, d'innovation démocratique. Notre collectif comprend aussi des chercheurs, comme M. Loïc Blondiaux, que vous avez entendu, et des citoyens engagés. Il n'est pas toujours simple de parler d'une seule voix au nom de notre collectif du fait de la variété des profils et des opinions de nos membres. Je m'attacherai à montrer ce foisonnement d'idées et à mettre en lumière certaines de nos initiatives.

Nous percevons chez les citoyens un désir très fort de participation, lié à une crise de légitimité des institutions. Une certaine défiance existe vis-à-vis de la démocratie représentative. Les citoyens désirent être associés à la construction des décisions politiques ; ils veulent plus de transparence et de décisions collectives. La manière dont la décision est prise est presque aussi importante que la décision elle-même : une décision adoptée sur un coin de table, sans participation, a tendance à être violemment rejetée.

L'outil numérique permet une forme d'intelligence collective beaucoup plus large que les autres méthodes. Des applications - par exemple, Stig ou encore Gov, laquelle ne fait pas partie de Démocratie ouverte - permettent de sonder la population en temps réel. Certaines permettent même d'associer, plus en amont, les citoyens à la prise de décision. Des mairies peuvent ainsi lancer des campagnes de financement participatif pour déterminer les commerces dont ils ont besoin. On peut aussi évoquer Fluicity, application notamment orientée vers l'urbanisme, ou encore Demodyne, qui est utilisée pour construire un projet numérique.

Ces outils sont souvent associés à des démarches et des méthodes d'animation non numériques. On peut citer à ce titre l'entreprise sociale et solidaire Kawaa, qui permet de créer du lien social autour de thématiques ou de projets variés. La dimension « hors-ligne » est aussi importante, car, si les outils numériques offrent bien des possibilités, ils peuvent également exclure ceux qui n'y ont pas accès et ne remplacent pas complètement les autres démarches.

Comment pousser les citoyens à s'engager ? Pour nous, cette question est cruciale. Ainsi, la Commission européenne avait mené une consultation en ligne sur la pêche en eaux profondes, qui avait reçu très peu de contributions ; en revanche, une pétition en ligne sur ce même sujet avait récolté plus d'un million de signatures. Il ne suffit pas de proposer des outils pour qu'ils soient utilisés et que les citoyens passent de l'attentisme à l'engagement ; un vrai travail d'explication est nécessaire.

De ce point de vue, certains adhérents de notre collectif développent des initiatives intéressantes. L'association Voxe, organisée autour d'un comparateur de programmes politiques, permet notamment aux jeunes de s'intéresser à la chose politique. Acropolis, une chaîne YouTube, commente les questions au Gouvernement et explique aux jeunes ce qu'est la politique. Enfin, à titre personnel, j'ai fondé Le Drenche, un journal de débats qui permet aux citoyens de se forger une opinion et de passer à l'action.

En fait, il est important de considérer chaque civic tech comme un maillon d'une chaîne permettant d'augmenter la participation. Ces outils inspirent une forte confiance, car ils sont créés par des citoyens et issus de structures de taille réduite et souvent personnalisées : on peut associer à chaque structure quelques visages. Ces outils sont souples, rapides et dynamiques, qu'ils soient le fait d'associations ou d'autres structures, voire même de projets sans statut juridique. Ils suscitent en conséquence un intérêt très fort.

En revanche, le financement de ces civic techs est un problème. Nombre d'acteurs de ce milieu peinent à trouver un modèle économique viable. En outre, leur définition même est parfois compliquée : certaines sources de financement de civic techs suscitent des questions éthiques.

M. Stéphane Vincent, délégué général de La 27e région. - L'action de notre association repose sur trois hypothèses.

Premièrement, selon nous, le désaveu démocratique est corrélé, avant tout, à l'échec des politiques publiques. Il faut donc s'intéresser de près à leur succès. La participation doit améliorer la qualité des décisions.

Deuxièmement, les modalités actuelles de fabrication des politiques publiques est obsolète. Ce point est tout à fait documenté par les chercheurs comme les praticiens. Les élus choisissent les problèmes auxquels ils souhaitent répondre, en tirent des programmes, puis évaluent les politiques menées. Cette démarche est aujourd'hui caduque.

Troisièmement, la marge de manoeuvre pour l'amélioration de la construction des politiques publiques réside dans le fonctionnement des institutions elles-mêmes. Les collectivités territoriales ne peuvent pas demander sans cesse aux autres d'être plus démocratiques et innovantes sans appliquer ces exigences à elles-mêmes. Il est prioritaire d'accomplir cette transformation au sein des institutions. Notre association travaille surtout à l'échelon des collectivités territoriales.

D'après notre expérience, il serait intéressant de reprendre l'histoire de chaque problème politique, de son identification à l'élaboration de solutions, et de déterminer ainsi l'origine de ces difficultés. Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, par exemple, il y a eu un malentendu au moment du diagnostic. Le manque de clarté dans le diagnostic peut aussi être un problème. Il est bien beau d'apporter des solutions aux problèmes, mais il faut d'abord prendre au sérieux le moment du diagnostic.

Il est temps de passer à une fabrique post-industrielle des politiques publiques. La société a changé depuis l'ère industrielle, durant laquelle nos institutions se sont formées. Il faut associer les usagers plus en amont et, peut-être, différemment.

Nous préférons parler de pistes, plutôt que de solutions. Il faudrait, selon nous, introduire plus de réflexivité, d'expériences et de dialogue avec les usagers, selon une pratique comparable aux départements de recherche et développement des entreprises. Par analogie, si Airbus construisait ses avions comme on construit nos politiques publiques, il y aurait beaucoup plus d'accidents aériens ! Comment réintroduire, dans la fabrique de l'action publique, les notions de tâtonnement, d'essai-erreur, communément admises dans le monde de l'entreprise ?

Il faut aussi un rôle accru pour la recherche. La sociologie, en particulier, est trop absente du processus de décision, alors qu'elle permettrait d'éviter bien des erreurs. Par exemple, les sociologues et les praticiens savent comment la police pourrait reconstruire sa relation avec les citoyens mais on ne le fait pas !

Il manque à la fabrique des politiques publiques des zones de test. Il faut construire un rapport « adulte » avec les citoyens, qui en ont assez du « marketing politique », dont la pauvreté symbolique est indéniable. L'impression dominante est que les politiques sont élaborées, pour ainsi dire, dans une « boîte noire » ; c'est devenu insupportable.

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