Notre plateforme permet aux parlementaires d'associer les citoyens à l'élaboration de la loi. Notre projet est issu d'un constat similaire à celui qu'a développé M. Vincent : les politiques publiques ne semblent pas répondre aux attentes de la population, laquelle exprime un sentiment de défiance très fort. Deux orientations sont possibles : soit on s'attaque aux maux et, éventuellement, on cherche les coupables, soit on s'adresse à ceux qui, à l'intérieur du système, sont prêts à expérimenter et à aller de l'avant. Nous avons choisi cette seconde voie et nous proposons donc un instrument aux parlementaires désireux de l'emprunter avec nous.
Nous nous sommes imposé une exigence d'indépendance vis-à-vis des engagements partisans ; nous nous sommes donc adressés à des parlementaires appartenant à chacun des principaux partis représentés au Parlement. Nous avons aussi fait le choix d'un engagement complètement bénévole, afin de ne dépendre de personne. Notre expérimentation, qui devait à l'origine durer un an, nous a finalement occupés deux ans et demi.
Notre idée était de réfléchir à une nouvelle méthode d'élaboration de la loi ; il nous fallait alors imaginer un processus complet. Nous avons pris garde à certains dangers : il fallait éviter d'éventuelles tentatives d'instrumentalisation de la part de divers groupes d'intérêts, mais aussi décourager les « trolls » qui sévissent sur Internet. Nous ne voulions pas faire croire non plus aux citoyens qu'il s'agissait du passage d'une démocratie représentative à une démocratie directe.
L'objet de notre démarche n'était pas de changer de matrice ou de contester la légitimité des élus à voter la loi. Nous entendions simplement faire sortir l'élaboration de la loi du huis clos, de manière à ce qu'elle se fasse à ciel ouvert.
Nous entendions aussi tirer la conséquence d'évolutions sociologiques majeures. En 1958, on ne comptait que 10 % de bacheliers par génération. Le minitel n'avait pas même été inventé. Aujourd'hui, le taux de réussite au baccalauréat est de 85 % et nous disposons d'Internet !
Notre expérimentation a produit de bons résultats. M. Joël Labbé a notamment utilisé notre outil lors de l'examen de la loi du 6 février 2014, visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national. On peut aussi mentionner la consultation menée sur la loi du 9 août 2016 de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, ou encore celle engagée par M. Dominique Raimbourg sur les prisons. Cette dernière en particulier a démontré que, quand le processus est maîtrisé et que des engagements sont pris, les problèmes les plus craints sur Internet disparaissent. Ainsi, nous n'avons eu à modérer que 17 contributions, sur près de 10 000. Quand l'ambition est de stimuler la discussion, les citoyens s'engagent dans cette démarche avec une attitude constructive.
Quant au modèle économique, nous avons pour ainsi dire mis le doigt dans un engrenage qui nous dépasse. Nous n'avons pas obtenu des assemblées les moyens nécessaires à la prolongation de notre entreprise. En revanche, des élus, des chefs d'entreprise et des responsables associatifs ont voulu utiliser notre outil. Nous avons par conséquent créé une start-up, indépendante de l'association, afin de pérenniser et de faire essaimer notre démarche. Mme la ministre Axelle Lemaire a utilisé ce dispositif pour le projet de loi pour une République numérique. Nous avons aussi participé à la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024. Enfin, nous travaillons aujourd'hui avec la CFDT, ce qui nous permet de réfléchir au rôle de la démocratie paritaire. Nos méthodes se diffusent dans l'ensemble de la société.
Dans cette perspective, cette mission d'information nous donne l'occasion de porter le message que la transformation de la démocratie est l'affaire de tous. Il s'agit de travailler ensemble, de prendre des engagements simples au début du processus participatif, puis de les tenir. Témoignage du potentiel de cette démarche, quand on demande aux participants de la consultation sur la loi pour une République numérique s'ils sont prêts à renouveler l'expérience selon les mêmes modalités, 92 % d'entre eux disent oui !