Je remercie notre présidente et nos rapporteurs pour l'intérêt qu'ils ont su donner à l'exercice. Je n'ai rien à ajouter à ce qui a été dit sur l'utilité d'un état des lieux, sur la nécessité de laisser de côté les idées reçues, sur la complexité de l'Islam - des Islam - en France, sur le diagnostic à porter. Notre rapport devra fournir une présentation très large, sans se limiter en longueur, afin de fournir un vrai outil améliorant la connaissance de l'Islam dans notre pays. Je souhaite que nous puissions aboutir à un rapport consensuel. Le sujet est délicat, sensible, et s'il serait vain d'y voir un instrument politique de circonstance. En revanche, ne pas formuler de préconisations, ne pas apporter de réponses assez claires aux préoccupations de nos concitoyens serait contre-productif pour les sensibilités ici représentées aujourd'hui.
Pour moi, il s'agit de répondre à trois principes. Tout d'abord, un principe d'autorégulation par la communauté islamique mais aussi de responsabilité de la communauté musulmane. Sans manichéisme ni discourtoisie, il importe de sortir d'un discours de victimisation et de donner aux musulmans les moyens d'exercer librement leur culte - comme le veut la loi de 1905, qui a clairement entendu protéger le libre exercice du culte - tout en les plaçant en situation de responsabilité.
En deuxième lieu, un principe de non-engagement de l'État. Ce n'était pas mon idée de départ, car dans un climat généralisé de suspicion, les Français attendent énormément du législateur pour engager l'État sur la voie d'un encadrement de l'Islam en France. Mais répondre à une telle aspiration serait, à mon sens, éminemment dangereux, et il faut assumer publiquement l'exigence de ne pas engager l'État dans des décisions et des contenus qui relèvent de la communauté musulmane. En revanche, cela n'interdit pas de donner à la communauté musulmane un cadre où les dérouler.
Troisième principe, enfin, la non-intervention des États étrangers. C'est un objectif à atteindre, ce qui a des conséquences sur le mode d'élection au CFCM, qui favorise clairement l'influence d'États étrangers, mais aussi sur la formation et les questions financières.
Voilà pour les principes. Quid, à présent, des préconisations ?
CFCM ou pas ? Pour moi, il n'y a pas d'autre solution que s'appuyer sur lui, ou sur un équivalent. Je préfère oublier la notion de consistoire, qui va beaucoup plus loin qu'un CFCM renforcé, puisque la notion de consistoire est associée à l'autorité de l'État sur le volet religieux. Bref, je ne vois pas d'alternative au CFCM pour l'organisation de l'Islam dans notre pays, afin de permettre aux musulmans de se responsabiliser. En revanche, je suis favorable à une modification de son mode d'élection, qui permettrait à tous les musulmans de participer au vote sur une base volontaire. Il est vrai, comme le rappelait M. Reichardt, que l'on ne dispose pas de chiffres fiables sur le nombre de musulmans, mais rien n'interdit d'imaginer une liste électorale établie à partir d'une démarche volontaire. Soit dit en passant, dire que les statistiques ethniques sont illégales dans notre pays n'est pas exact. La décision du Conseil constitutionnel à laquelle on fait toujours référence ne dit pas cela. Le Conseil a dit que de telles statistiques ne seraient possibles que si elles intervenaient sur la base de « données objectives » et avec « neutralité ». C'est donc une position plus nuancée qu'on ne veut bien le dire, même si personne ne s'est aventuré à essayer de définir ces deux derniers termes. Quoi qu'il en soit, rien n'interdit, pour réformer le mode d'élections - ce qui, je le répète, me paraît indispensable pour couper le lien avec les pays d'origine -, de constituer une liste électorale sur une base volontaire.
Le CFCM doit avoir un cadre, qui rappelle les valeurs de la République. Or, le dispositif actuel est d'une insuffisance criante. Le CFCM est une association créée le 28 mai 2003, accompagnée d'une charte, laborieusement élaborée à l'époque. Si l'on veut le renforcer, notre rôle de législateurs est de rappeler l'exigence de conformité aux valeurs de la République.
Je ne serais pas non plus choqué que, sur la question du halal, du financement ou de la formation des imams, soient prévues des modalités de certification. Il ne s'agit pas pour l'Etat d'intervenir dans la vie des musulmans de France, mais il semblerait normal que tout ce a trait au décisionnel en matière de certification relève du CFCM, dans le cadre du mandat juridique qui lui serait confié.
Donner un cadre légal au CFCM serait aussi une manière de donner sa chance à la communauté musulmane qui, comme l'ont rappelé plusieurs intervenants, nous est liée par des épisodes historiques délicats ; c'est pourquoi il ne me paraîtrait pas gênant de marquer que ces dispositions sont spécifiques à la communauté musulmane. D'autant qu'elle est une communauté de foi, à la différence des autres communautés qui sont des communautés religieuses, ce qui leur confère un cadre.
Quant à définir des modalités de formation, cela me paraît devoir passer par des conventions avec les universités, étant entendu que si la partie théologique relève du CFCM, la partie académique relève de l'autonomie universitaire.
J'ai beaucoup apprécié la description de l'expérimentation allemande, où l'Etat, dans le cadre du conventionnement de formations, n'est pas intervenu financièrement. Il me semble que l'on peut conduire la communauté musulmane à aller dans ce sens pour peu qu'on lui ouvre des perspectives de certification, que l'on peut dégager un statut de l'imam et un statut de l'étudiant, qui seraient un plus pour les jeunes musulmans souhaitant suivre ces formations.
De même, en matière financière, il me semble difficile d'éviter les financements venus de l'étranger, mais la condition est qu'ils soient transparents, et transitent par une fondation. Si l'on donne un cadre à l'Islam via le CFCM, et alors que l'on s'inquiète du suivi des imams de certaines mosquées, ce système de transit par une fondation offre un avantage complémentaire : celui qui voudra que sa mosquée soit financée devra s'intégrer dans un dispositif le conduisant à recruter un imam titulaire d'une certification, soit qu'il ait été formé en France, soit, en attendant leur souhaitable extinction, dans un des pays avec lesquels la France a des accords bilatéraux.
Enfin, vous avez évoqué des auditions complémentaires. Elles me paraissent nécessaires, une fois que nous aurons défini des propositions, car il faut pouvoir les tester, avec le ministère et avec le CFCM, pour savoir où l'on va. Pour clarifier notre pensée, nous avons également besoin d'un benchmarking sur le mode de traitement retenu par les autres pays, que ce soient l'Angleterre ou les dernières dispositions prises par l'Autriche. Nous aurions ainsi une expertise juridique pour savoir jusqu'où l'on peut aller dans le niveau de délégation au CFCM. Je ne pense pas qu'il y ait d'illégalité dans une telle délégation, mais j'ai bien entendu les observations de plusieurs de mes collègues sur le respect et les limites de la loi de 1905 : si l'on veut aller vers un CFCM renforcé, j'admets qu'il faille aller un peu plus loin dans l'analyse juridique.