Comme le Bureau de la mission d'information en avait arrêté le principe lors de sa réunion du 20 janvier, nous allons faire aujourd'hui un bilan d'étape sur nos travaux, et envisager le schéma des différentes réunions et déplacements restant à effectuer jusqu'à la fin juin, date-butoir que nous nous étions fixée pour achever cette mission.
Je tiens d'abord à vous remercier pour votre participation, toujours soutenue malgré la densité des travaux du Sénat et le rythme assez intense de nos réunions. Pour mémoire, je vous indique que nous avons déjà siégé en formation plénière durant une trentaine d'heures, procédé à l'audition plus de 50 personnalités de tous horizons et effectué trois déplacements très instructifs : à Évry, à Strasbourg et à Rabat.
Afin d'assurer à tous la plus large information sur le contenu des auditions déjà réalisées, j'en ai fait diffuser le compte rendu à chacun d'entre vous en début de semaine. Ce recueil complète la note générale d'information que je vous avais adressée peu après notre réunion constitutive.
Après une présentation, par nos rapporteurs, sinon de leurs premières conclusions, tout au moins des premiers enseignements qu'ils ont tirés de leurs travaux, nous pourrons procéder à un échange de vues sur la manière dont les uns et les autres avons perçu la situation du culte musulman en France et sur les premières déductions que nous en tirons. Je pense que ce travail pourra aider nos rapporteurs dans l'élaboration de leur rapport et de leurs conclusions finales. Je terminerai par un point sur nos travaux à venir.
Ce point d'étape est important, il donnera corps aux travaux de notre mission, qui, après un démarrage assez lent, ont connu une accélération sensible ces dernières semaines. Si nos auditions ont balayé nombre d'idées reçues, le principe qui nous gouverne reste celui qu'avait énoncé René Vandierendonck : « la loi de 1905, rien que la loi de 1905, toute la loi de 1905 ». Je le rappelle pour rassurer ceux qui craindraient encore que nous ne soyons tentés d'y proposer des aménagements.
« La République ne salarie ni ne subventionne aucun culte », mais l'administration les connait tous : c'est dire toute la difficulté de l'exercice auquel nous nous livrons, y compris pour l'Alsace-Moselle où l'Islam ne fait pas partie du dispositif concordataire.
Notre mission est née d'un constat de relative ignorance. Le rapport Maurey ne portait que sur le financement des lieux de culte et la commission d'enquête sur les réseaux djihadistes ne concernait pas le fonctionnement du culte musulman. Notre mission d'information est donc venue prendre leur relai, en partant, comme je l'ai dit, d'un postulat de base : ne pas toucher à la loi de 1905.
Nous avons mené un travail conséquent, mais encore loin d'être abouti. Si nos travaux ne sont pas terminés, nous pouvons cependant en tirer un premier panorama. Nous commençons à mieux cerner, pour reprendre l'intitulé de notre mission, l'organisation, la place et le financement, en France, de l'Islam et de ses lieux de cultes. Certains constats sont partagés par tous ceux que nous avons entendus.
Même si l'on note des différences d'évaluation, le nombre de musulmans en France étant, selon le ministère de l'Intérieur, de 4 millions, soit 6,5 % de la population, tandis que d'autres sources retiennent plutôt le chiffre de 6 millions, il reste que l'Islam est aujourd'hui la deuxième religion de France. Une religion qui compte 2 500 lieux de culte, dont 300 outre-mer, contre 1 300 en 2000 - aux côtés de 45 000 églises, 3 000 temples protestants et 280 synagogues. La communauté musulmane française est la première d'Europe. Bref, nous sommes là face à un fait incontournable : l'Islam est la deuxième religion de France.
Deuxième caractéristique, l'Islam en France forme une communauté jeune, disparate et majoritairement issue de l'immigration. On y constate un renforcement du fait religieux et une certaine tendance au repli communautaire, ainsi qu'il ressort de nos auditions.
Troisième caractéristique, l'Islam français entretient un lien fort avec les pays d'origine, c'est-à-dire les pays dont sont issues les principales vagues d'immigration en provenance de pays musulmans : l'Algérie, le Maroc et, aujourd'hui, la Turquie. C'est un point sur lequel il nous sera important de recueillir vos observations. Chance ou handicap ? C'est une caractéristique que l'on retrouve de façon très marquée dans la communauté turque, liée à la Turquie par un lien ombilical, qui va jusqu'à l'isoler du reste de la communauté musulmane, avec une organisation très spécifique, dans laquelle est préférée, à l'appellation d'imams, celle d'assistants sociaux, lesquels sont rémunérés par le pays d'origine. On retrouve ce même lien en Allemagne ; on a vu récemment, alors que le Gouvernement allemand envisageait de former des imams, que le président Erdogan s'y est radicalement opposé.
Ce lien aux pays d'origine se retrouve dans la composition des organes représentatifs avec plusieurs influences prépondérantes : celle de la Grande Mosquée de Paris, d'influence majoritairement algérienne, du Rassemblement des musulmans de France, d'influence marocaine, et du Comité de coordination des musulmans turcs de France. Une seule grande fédération s'est construite sur une base idéologique et en dehors de toute référence aux pays d'origine, l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui se réfère, plus ou moins, aux Frères musulmans, avec tout ce que cela véhicule de sulfureux dans les esprits.
Nos auditions ont fait ressortir que cette organisation, aux yeux des intéressés, n'est pas satisfaisante. Il existe un hiatus entre le Conseil français du culte musulman (CFCM) et les associations musulmanes de la base. Les plus jeunes, notamment, ne s'estiment pas représentés. Quant à l'instance de dialogue mise sur pied par le ministère de l'Intérieur, avec des personnalités choisies par les préfectures, elle semble contestée dans sa représentativité et sa capacité à représenter tous les musulmans français.
La question de la représentativité du CFCM est donc posée. D'où une interrogation : est-ce à l'Etat de susciter une organisation, au risque de retarder la prise en main par les intéressés de leur propre destin ou n'est-il pas préférable d'attendre que l'initiative vienne d'eux-mêmes ? Nos auditions ont clairement montré qu'il y a là une vraie question, tant le hiatus est perceptible entre l'institution en charge du culte musulman en France et les associations musulmanes.
J'en arrive au financement. Chacun vient nous dire qu'il doit être franco-français, chacun nous explique que c'est l'idéal, chacun se montre disposé à renoncer au financement par les pays d'origine. Faut-il, comme nous en avions originellement l'idée, faire transiter les financements par la Fondation pour les oeuvres de l'Islam de France, pour les rendre plus transparents ? En tout état de cause, c'est là un des points sur lesquels nous aurons à faire des propositions, car la transparence du financement est une question d'ordre public. On nous a indiqué qu'une mosquée moyenne comme celle de Gennevilliers collecte, au moment du Ramadan, 1,3 millions de dons en espèces. Il faut à tout le moins trouver un moyen d'assurer la transparence dans la circulation de ces sommes.
Qui de l'utilisation de la filière halal dans le financement des cultes ? C'est un marronnier. Nous avons eu plusieurs auditions passionnantes. Il faut, semble-t-il, renoncer à cette voie, pour des raisons de fond et de forme. Il n'existe pas de norme halal uniforme, mais plusieurs. Le consommateur se sent protégé par le label, même si le rituel y afférent ne suit pas, ce qui marque une grosse différence sur la cashrout, dont nous avons appris qu'elle représente 35 % de ressources du Consistoire, mais étant entendu qu'elle s'appuie sur un label unique et une norme fiable. On ne peut pas prélever des sommes quand il n'y a pas de label certain, pour des raisons techniques évidentes. Or, outre que la norme halal est éclatée, elle est prise entre une tendance au communautarisme, qui porte à se retrouver dans ce que l'on mange, et un grand marché, avec des opportunités commerciales immenses notamment à l'export. On nous a aussi expliqué, à notre plus grande stupéfaction, que la norme halal se développe à tel point qu'il existe même un sex shop halal à Amsterdam ! Voilà donc un label largement galvaudé...
Vient enfin la question de la formation des imams et des aumôniers, vrai problème de fond. Au cours de son audition remarquable, l'aumônier militaire en chef du culte musulman nous a dit qu'il refusait d'organiser des prières collectives parce qu'il n'était pas là pour former de bons musulmans, mais de bons militaires. Des propos républicains, à la hauteur de sa mission et qui font honneur à son uniforme.
Si l'armée semble assurer sa mission, on constate en revanche un gros retard, tant pour les aumôniers des prisons que pour ceux des hôpitaux. Se pose, de surcroît, la question de l'unification du statut. Certes, il est beaucoup fait appel, pour l'heure, aux bénévoles, mais s'agissant de personnes qui contribuent à un service public, je pense que nous pourrions émettre quelques propositions cohérentes, y compris pour éviter toute rupture d'égalité entre les aumôneries selon la confession qu'elles servent.
On retrouve également du retard en matière d'éducation. Les écoles musulmanes n'ont pas la même ancienneté que les écoles chrétiennes ou juives. Une jeune fille qui veut manger halal et ne pas retirer son voile aura le plus grand mal à trouver une école musulmane pas trop éloignée de chez elle ou pas trop coûteuse. Ce qui explique pour bonne part la crispation autour des incompatibilités avec l'école laïque, à la différence des autres communautés, qui disposent de nombreux établissements confessionnels. Sur cette question, on nous a signalé un certain nombre de dysfonctionnements, notamment sur la contractualisation. On nous a ainsi signalé le cas d'un établissement, au sein duquel une classe de troisième est sous contrat avec l'État, tandis que l'autre ne l'est toujours pas ; pourquoi ? Il y a sans doute, en cette matière, un rééquilibrage d'ordre réglementaire à envisager.
Sur bien des sujets qui nous avaient d'emblée interpellés - représentativité du CFCM, formation des imams et des aumôniers, financement des lieux de culte, éducation -, nos auditions ont fait ressortir un constat partagé. À quoi s'ajoute l'absence complète de Conseil théologique ou, pour le dire autrement, le manque de conceptualisation pour vivre le texte dans le contexte.
Un point sur la méthode. Notre but, ici, est de recueillir vos observations, que vous pourrez nous transmettre par écrit, sur les orientations que vous souhaiteriez voir imprimer au projet de rapport.
Quelles sont les problématiques ? Nous avons répertorié sept interrogations essentielles.
En premier lieu, nous avons tous constaté le défaut de données fiables sur le nombre de musulmans et de lieux de culte en France, si bien que l'importance de la communauté musulmane ne peut être sérieusement établie. Or, en l'absence d'une vision numérique claire des besoins de cette communauté, il sera difficile d'y répondre. Nous vous proposerons donc de procéder, sur ce point, à l'audition d'un représentant de l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) et d'un représentant de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) pour savoir jusqu'où pourraient aller les propositions que nous pourrions émettre pour disposer de données fiables.
Notre deuxième interrogation porte sur la représentativité et la gouvernance du CFCM. Nous avons constaté deux approches : l'une penche pour une distanciation du CFCM au profit d'une autre instance à créer, la deuxième pour le maintien du CFCM, avec, le cas échéant, sa fusion avec l'instance de dialogue créée par le Gouvernement. Lors de la session de l'instance de dialogue à laquelle nous avons participé, Nathalie Goulet, Corinne Ferret et moi-même, à l'invitation du ministre de l'Intérieur, j'avais été favorablement impressionné, mais je sais qu'on en dit pis que pendre dans d'autres enceintes, où l'on juge que ses membres, choisis par les préfets, ne représentent qu'eux-mêmes.
Ce n'est pas des instances des partis que l'on dirait de telles choses...
Doit-on donner sa chance au CFCM ou se tourner vers autre chose, plus proche d'une sorte de consistoire ? Peut-on proposer des orientations différentes dans son mode d'élection ? Nous avons clairement posé, lors de nos auditions, la question de l'élection au scrutin direct - sachant que c'est actuellement le critère des mètres carrés de mosquée qui régit l'élection des membres du CFCM, ce qui n'est pas sans poser problème (Mme Fabienne Keller approuve). Au point que l'UOIF était un temps sortie du système et que d'autres refusent d'y rentrer. Les représentants des communautés musulmanes des banlieues n'y sont pas, elles ne s'y sentent pas du tout représentées.
Troisième sujet d'interrogation, la formation des imams. Actuellement, dans le cadre de conventions bilatérales, il en vient du Maroc, d'Algérie, de Turquie, où ils sont formés en nombre - même si leur effectif ne répond toujours pas aux besoins. Mais ces imams ne pratiquent pas le français, et c'est, de surcroît, chaque mosquée qui choisit son imam. Il n'est pas exact, à cet égard, de parler d'imams autoproclamés, car ils sont choisis, mais en vertu de critères variables. Doit-on laisser les choses en l'état ou dire que nous voulons, en France, une formation sur laquelle il faut cependant garder à l'esprit que l'État laïc ne pourra exercer aucune influence ?
S'agissant du financement des lieux de cultes - c'est notre quatrième interrogation -, les musulmans, sans en faire un point de crispation, estiment qu'il y a deux poids, deux mesures. La chrétienté et le judaïsme ont depuis longtemps, sur le territoire français, nombre d'églises et de synagogues, à telle enseigne que toute laïque que soit la République, les collectivités territoriales les entretiennent. Tandis que les mosquées, plus récentes, ne sont pas assez nombreuses. Comment en financer la construction ?
Se posent, de là, la question du rôle de la Fondation pour les oeuvres de l'Islam en France et celle d'une contribution halal - c'est là notre cinquième interrogation - laquelle se heurte aux difficultés qu'a relevées Nathalie Goulet. Je n'irais cependant pas, comme elle, jusqu'à en exclure la possibilité. Certes, ce n'est pas simple, mais pourquoi ne pas essayer de trouver une définition canonique du halal, un label ? Car il y a là une manne potentielle.
J'en arrive à notre sixième questionnement, qui tient à l'absence d'une autorité théologique. Car le CFCM représente le culte, mais n'a aucune autorité théologique. Pourtant, dans un pays comme le Maroc, où nous nous sommes rendus, il en existe une, comme cela est aussi le cas en Arabie Saoudite. Les oulémas, rattachés au roi, fixent la règle. Il y a même des centres de la fatwa, c'est à dire de la règle, chargés de répondre aux interrogations des fidèles sur ce que sont les prescriptions authentiques. Une jeune fille musulmane est-elle autorisée à prendre le train sans être accompagnée par ses parents ? Tel est le type d'interrogations auxquelles ils répondent, y compris depuis des plateformes téléphoniques. Vous aurez compris que leur rôle n'est pas sans importance. Si l'on veut aller vers un Islam de France, ne faudrait-il pas qu'il soit doté d'une autorité théologique unique ? Ne pourrait-on imaginer un Conseil théologique rattaché au CFCM ?
Septième problématique, enfin, l'enseignement confessionnel, qui reste embryonnaire et peu contrôlé, à la différence de celui d'autres cultes, notamment catholique. À l'exception de quelques établissements emblématiques, comme le lycée et le collège Averroès de Lille, les établissements confessionnels musulmans sont rarement sous contrat d'association avec l'État, et la contractualisation se fait par classe plutôt que par établissement. C'est une situation préjudiciable qui prive l'État du contrôle pédagogique qu'il pourrait effectuer sur ces établissements.
Telles sont les principales interrogations qui sont les nôtres à ce stade, et sur lesquelles nous souhaiterions recueillir vos observations.
En tant que vos co-rapporteurs, il n'est pas mauvais que nous ne soyons pas d'accord sur tout. En ce qui concerne la filière halal, je ne suis pas opposée à un prélèvement, mais cela exige la transparence. Je n'ai pas jeté l'éponge, car j'ai bien conscience que ce peut être une manne, mais ce que je dis, c'est que les modalités techniques et financières qui permettraient un prélèvement dans de bonnes conditions ne me semblent pas, en l'état, réunies. Ce qui n'interdit pas de faire des propositions.
N'oublions pas que l'Islam n'est pas un sujet apaisé et que les questions dont nous débattons ici en toute sérénité sont, dans bien d'autres enceintes, des sujets quotidiens d'affrontement et de rupture. Sans tout le bruit médiatique de ces dernières semaines autour des Panama Papers, on aurait encore vu les médias s'emparer de la question du voile à toutes les heures de grande écoute. Il ne faut pas oublier ce contexte délicat, et la suspicion qui pourrait s'attacher au moindre de nos propos.
Partant du postulat de base qui veut que tout doit se faire dans le cadre de la loi de 1905 et du respect de la laïcité, il serait utile, au regard des termes de notre mission, de procéder, sur tous les aspects, par comparaison avec les autres confessions. À Strasbourg, où nous nous sommes rendus, les prêtres, les pasteurs, les rabbins sont rémunérés, dans le cadre du Concordat, par l'État. Et il existe une faculté de théologie. L'Islam n'est pas concerné, mais dans le reste de la France, catholiques et protestants ne sont pas plus financés par l'État que l'Islam. Leur financement est, au premier chef, assuré par les pratiquants. Rappeler tout cela à titre de comparaison n'est pas inutile, ne fût-ce que pour nous éviter de donner l'impression de stigmatiser une religion.
Même difficulté sur la question de l'autorité théologique. Dans le cadre de la loi de 1905, comment le Sénat pourrait-il faire, comme le suggère André Reichardt, des propositions d'organisation ? On marche sur des oeufs, car la République ne se mêle plus de l'organisation des religions traditionnelles de la France : le risque est bien que l'on nous reproche de vouloir nous mêler de celle de l'Islam parce que ce serait une religion étrangère.
J'ajoute que compte tenu des conventions existant avec certains pays, il serait utile d'entendre un représentant du ministère des affaires étrangères sur les relations, en particulier, avec la Turquie, le Maroc et l'Algérie. D'autant que des pratiquants de la deuxième ou de la troisième génération nous interpellent, rappelant qu'ils sont des musulmans de France et ne souhaitent pas que leur confession soit dépendante d'accords internationaux. N'oublions pas que l'Islam est la deuxième religion de France. Même si ces accords facilitent bien les choses, ne faudrait-il pas couper le cordon ?
Monsieur Bigot, sur cette question des accords internationaux, je vous précise que nous avons déjà entendu en audition-rapporteurs M. Peaucelle, le conseiller aux affaires religieuses auprès du ministre des Affaires étrangères. Mais ce serait peut-être intéressant de le réentendre en audition plénière.
Je crois que chacun se rend compte ici que plus on approche de la période électorale, plus on manie une matière délicate. Comment voit-on les choses, depuis le territoire ? - la nuance est un peu la même qu'entre température réelle et température ressentie. On se demande, vu du territoire, ce que seront les suites du rapport Maurey. Sans parler du débat sur la déchéance de nationalité, qui a fait des dégâts dans tous les rangs. Nous sommes ici au Sénat, aussi je ne doute pas - et je tiens à ce que M. Karoutchi le sache - que chacun tienne à une sortie par le haut. Pour moi, il faut commencer par rappeler que ce travail apporte des compléments d'information utiles. Il est vrai qu'il gagnerait à des tableaux comparatifs, qui feront clairement apparaître qu'il y a de fait, au bout du compte, une différence de traitement, et que les musulmans sont toujours soumis à un principe d'assimilation qui procède par comparaison avec des régimes existants.
Il faut creuser, pour comprendre pourquoi les musulmans se sentent discriminés. Assurer l'égalité ? Oui, mais très concrètement. Vous avez fait l'éloge de l'aumônerie militaire musulmane, fort bien. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que les musulmans meurent comme « nous », pour 80 % d'entre eux, à l'hôpital : quid des aumôneries hospitalières ? Et qu'ils recherchent, à leur mort, une sépulture - ils sont d'ailleurs de moins en moins nombreux à faire rapatrier leur corps au pays. Quid des carrés musulmans dans les cimetières ? Pourquoi en crée-t-on dans tel endroit, et pas dans tel autre ? Et je vous mets à l'aise, gauche et droite sont à la même enseigne. Voilà un tableau comparatif qui m'intéresserait. Voilà les questions que l'on souhaite nous voir poser.
On va enfin introduire un enseignement laïc du fait religieux ? Mais où en est-on concrètement, sans se payer de mots ? Comment, dans les écoles de certains quartiers de Strasbourg, d'Aubervilliers, de Roubaix ou d'ailleurs, s'y prend-on pour enseigner ne serait-ce que le b.a.-ba du vivre ensemble ? Reconnaissons qu'il n'y a guère de quoi se glorifier de cet « enseignement laïc du fait religieux ». Là aussi, depuis les accords d'Évian, je vois une grande continuité. C'est d'autant plus regrettable que les musulmans attendent des signes forts. On crie haut et fort « la loi de 1905, rien que la loi de 1905, mais toute la loi de 1905 », de même que l'on clame « Le Concordat, rien que le Concordat, mais tout le Concordat ». Et pourtant, les inégalités persistent entre les confessions, dans l'un et l'autre cas. Je plaide pour que l'on garantisse égalité de droits et de devoirs. Je plaide pour l'égalité de traitement.
Les réponses du directeur des libertés publiques, lors de son audition, m'ont plu, mais elles m'ont aussi laissé un peu sur ma faim. Depuis 2008, on n'étudie plus les parcours, les trajectoires de vie. On s'accorde à dire que les musulmans se sentent de plus en plus discriminés, mais si l'on croisait cela avec les statistiques de la politique de la ville, on verrait que ceux qui ont ce sentiment ne vivent pas n'importe où. Quand ils sont frappés d'exclusion, ils le ressentent d'autant plus mal, et quand ils réussissent, personne n'est capable de retracer ni pourquoi ni comment. Ni même, tout simplement, de mettre la réussite au tableau d'honneur, pour en parler positivement.
À nous de nous concentrer sur les manques. L'hôpital, l'école. Vous allez voir Averroès, très bien, mais au-delà de ce qui est monté en épingle, au-delà du sensationnel dont sont friands les journalistes, il faut aussi se demander dans quelles écoles vont tous les autres. Et ils sont plus nombreux que vous ne le pensez à fréquenter des établissements catholiques. Pourquoi ? Parce que, tout simplement, ce sont des Français comme vous et moi et qu'ils se disent que c'est à l'école que cela se joue.
Je souhaite, vraiment, qu'on en sorte par le haut, sans se laisser embarquer à tout va dans l'idéologie, car les musulmans en ont assez, et si cela continue comme cela, on finira par les envoyer tout droit dans les bras du Front national, ce qui n'est pas l'itinéraire rêvé pour arriver à l'intégration.
Je rends hommage au travail conséquent déjà réalisé. J'ai beaucoup appris au cours des auditions. Les musulmans sont présents en France, ils nous ont épaulés et libérés pendant la première guerre mondiale et la seconde, nous leur devons beaucoup. La Grande Mosquée de Paris nous le rappelle. L'Islam est une religion arrivée plus tard que les autres, qui souffre d'un retard historique et nous appelle à un effort pour l'accueillir, dans le respect des règles républicaines.
L'état des lieux qu'ont dressé nos rapporteurs est plein d'enseignements sur les chiffres, les effectifs, les montants financiers nécessaires à la construction des mosquées et à leur fonctionnement, à la formation des imams. Il pourra être complété, et ce sera une des forces de notre rapport, à mon sens, que d'assurer ainsi une transparence factuelle, excellent antidote aux fantasmes.
J'aurais envie de revoir les représentants du ministère de l'Intérieur, que nous avons entendus très en amont, pour de nouveaux éclairages, à la suite de nos auditions.
Je m'interroge aussi sur la présentation de notre rapport. Est-ce tropisme alsacien ? Le rapport Messner, commandé par M. Valls, sur le financement des responsables des cultes, m'a semblé très intéressant, en particulier du fait de sa dimension interreligieuse. Il met en perspective la formation des ministres du culte des différentes confessions. C'est une approche que je trouve fort éclairante.
Un mot à Mme Goulet. Les musulmans en provenance de Turquie, nombreux en Alsace, sont certes moins immergés dans la langue française que ceux qui sont originaires du Maghreb, si bien qu'ils se sentent encore un peu plus à l'écart, mais gardons-nous d'en conclure qu'ils sont plus communautaristes que les autres.
L'Arabie Saoudite et le Koweit sont apparus comme des financeurs de mosquées, or, nous n'avons entendu aucun de leurs représentants ?
J'en viens au CFCM et à l'instance de dialogue. Faut-il repartir de zéro ? Il est vrai que considérer une communauté humaine sous le registre des mètres carrés est assez monstrueux. C'était sans doute nécessaire pour démarrer quelque chose, vu l'absence de données chiffrées sur les musulmans, mais enfin...
Cela relève aussi du côté néocolonial de la démarche. On gère cela comme on le ferait de centres commerciaux.
Mais le fait est qu'à la différence du culte protestant ou israélite, il n'y a pas de déclaration d'appartenance au culte musulman. La communauté protestante qui vote pour désigner son pasteur est identifiée. Le critère retenu pour les musulmans pousse aussi, du même coup, à une course aux mètres carrés, puisque ce sont eux qui donnent du poids. Nous constatons ce phénomène en Alsace.
Vous avez lié, madame le rapporteur, halal et communautarisme. Je vous renvoie à l'analyse de Gilles Kepel, que j'ai côtoyé dans son travail sur les quartiers difficiles, où le halal n'est pas toujours pratiqué pour des raisons religieuses mais comme un référentiel identitaire, par des personnes qui, à d'autres égards, ne sont pas nécessairement pratiquantes. C'est un indicateur complexe, dont il ne faut pas faire une lecture univoque.
Sur la formation des imams, ne faudrait-il pas entendre la direction centrale du service de santé des armées, en charge de l'agrément des aumôniers militaires et de leur suivi ? Certes, ses procédures ne sont peut-être pas transposables telles quelles aux hôpitaux et aux prisons, mais elles nous donneraient de précieuses indications.
Les aumôniers des hôpitaux sont essentiels : c'est l'endroit où l'on meurt.
Je sais qu'il y a débat sur les aumôniers des hôpitaux, qui deviennent progressivement salariés - on en salarie un à Strasbourg. Quand je parle d'agrément, je pense à celui qui est délivré en début de mission, mais aussi en cours de mission. On a vu des aumôniers militaires auxquels était retiré leur agrément, parce qu'ils ne respectaient pas les règles relatives à leur mission.
Pour prolonger ce qu'a dit Mme Goulet sur la scolarisation des jeunes filles, il arrive fréquemment que certaines, pour ne pas être obligées d'enlever le voile, aillent dans des établissements scolaires d'autres cultes. Il est vrai que cela recoupe aussi les tentatives d'évitement scolaire, que l'on peut comprendre, de manière à pouvoir fréquenter des établissements de recrutement moins homogène que ceux de leur quartier de résidence.
Autre question, qui va peut-être au-delà de notre mission, celle de l'enseignement de la langue arabe. Il y a deux ans, un inspecteur de l'Éducation nationale m'a livré une estimation : l'enseignement de l'arabe serait pour deux tiers dispensé dans des établissements liés aux mosquées, un petit tiers étant assuré dans le cadre du dispositif Elco (enseignement des langues et cultures d'origine) et 5% seulement dans les cours officiels de l'Éducation nationale.
On a vu la grande importance des structures d'accompagnement scolaire associées aux mosquées. Peut-être serait-il bon de le décrire plus avant et de faire, peut-être, des propositions : tel était mon propos.
André Reichardt nous a dit ses interrogations sur le CFCM. Faut-il ou non considérer qu'il peut être amélioré ? Il y a là un aspect stratégique. Rappelons que dans d'autres confessions, tout n'est pas non plus parfaitement huilé. Je pense à l'église protestante, où les choses sont loin d'être simples : bien des « églises évangéliques » ne participent pas au consistoire. Même chose dans la confession israélite : tous ne participent pas au consistoire.
S'agissant de la formation des imams, l'idée de conditionner l'exercice de leur mission à l'obtention d'un diplôme d'université me paraît centrale. Je parle d'un diplôme, non de théologie, mais d'histoire des religions ou de sociologie, tel qu'il en existe à l'Institut catholique ou à Strasbourg, comme nos auditions nous l'ont montré.
L'enseignement confessionnel, enfin, reste, il est vrai, très embryonnaire. La question du rôle de l'Éducation nationale et du contrôle républicain est posée. C'est là un vrai sujet. Je pense notamment à la reconnaissance des diplômes. En Alsace, des jeunes filles parties dans des lycées belges reviennent avec des diplômes qui ne sont pas reconnus en France. Cela génère une grande frustration et nourrit un sentiment d'exclusion. Il faut veiller à ménager des passerelles.
Je remercie tous ceux qui ont permis cette mission, passionnante dans son approche diagnostique, qui bat en brèche bien des idées reçues et nous a beaucoup appris.
Doit-on, au-delà, formuler des préconisations ? De quel droit ? Il est difficile de dissocier l'Islam de France de son passé colonial, évoqué par René Vandierendonck. Cela dit, quand je parle de passé colonial, je n'y mets aucune connotation. Le colonialisme est un fruit de l'Histoire, largement porté, à l'époque, par la gauche. Mais c'est une réalité, et occulter cette relation entre notre passé colonial et l'Islam en France, l'Islam de France, c'est oublier quelque chose d'important. Fabienne Keller a rappelé le rôle que les musulmans ont joué dans la guerre de 14, dans la deuxième guerre mondiale. On l'oublie trop souvent, alors que dans l'imaginaire des musulmans en France, c'est extrêmement important. Il y a ainsi une problématique propre à l'Islam en France que l'on ne retrouve pas dans les autres pays européens, sauf, peut-être, en Belgique. Et ce n'est pas un hasard si les attentats islamistes ciblent la France ou la Belgique et non pas les autres pays européens.
J'en viens aux questions qui ont été soulevées. L'absence de chiffres ? Je rappelle que la loi interdit d'établir des données statistiques sur l'origine et la religion. Ce qui complique un peu les choses.
L'autorité théologique ? Mais de quel droit émettrions-nous un avis ? Ce serait un non-sens. On impute son absence à l'hétérogénéité de l'Islam en France. Mais les deux grandes branches de l'islam sont le sunnisme et le chiisme. En France, 99,9 % des musulmans sont sunnites. Formuler des préconisations en matière théologique serait pour moi une grande erreur, qui se retournerait contre nous.
Il ne s'agit pas de formuler des préconisations théologiques, mais de constater qu'il n'existe pas d'instance théologique...
Avec un Gouvernement qui se chargerait d'en créer une ex nihilo, comme en Arabie Saoudite ?
Au sein de la communauté arménienne, que je connais bien, il existe trois courants religieux - protestant, catholique, apostolique. Existe-t-il une autorité théologique dans l'Eglise apostolique arménienne de France ? Non. Faut-il susciter l'idée qu'il y en ait une ? Bref, c'est une démarche, à mon avis, très osée. Sur la question de la représentativité, je veux bien que l'on suggère quelque chose qui s'apparente au consistoire, mais pas au-delà. Le CFCM n'est pas reconnu ? Soit, mais est-ce en créant quelque chose de nouveau que l'on assurera cette reconnaissance ? J'en doute.
L'idée de taxer le halal m'apparaît difficile mais possible. Certes, il n'existe pas de norme homogène. L'une des personnes que nous avons entendues a décrit, dans un article, les difficultés qu'a rencontrées la norme Afnor, qui n'a pu s'imposer. Je rejoins pleinement ce qui a été dit, le halal mêle deux enjeux, un enjeu d'identité et un enjeu financier.
Car pour ce qui concerne l'enjeu religieux, contrairement à la cashrout, où les textes sont très clairs, on ne trouve, dans le Coran, hormis l'interdiction du porc et de l'alcool, qu'une seule prescription sur la norme d'abattage. Et pourtant, on trouve aujourd'hui jusqu'à de l'eau halal, qui nous vient de Malaisie ! Mais que les prescriptions ne soient pas homogènes n'empêche pas de taxer. Rien n'interdit de taxer tout ce qui se veut appliquer une norme halal. Qu'elle soit ou non reconnue par tout le monde n'importe pas au ministère des finances. C'est inattaquable ! Ce serait une piste intéressante à creuser.
Dans la formation des imams, il y a deux volets. Un enseignement du fait religieux et un enseignement théologique. Si on ne manque pas d'enseignants capables d'assurer le premier, il n'en va pas de même du second. Il passe par la langue arabe, première chose qu'un imam doit connaître puisqu'il est tenu de savoir le Coran par coeur, et qui est intimement liée à la religion : l'arabe est une langue sacrée, à la différence du latin, qui est une langue liturgique. La formation théologique d'un imam passe donc forcément par la langue arabe. Que l'on m'explique comment articuler cela avec la loi de 1905 ? Enseigner des prescriptions condamnant l'islamisme radical ? Soit, mais je vois mal comment la République pourrait s'y aventurer. Et j'insiste, une fois encore et pour finir, sur la question du passé colonial, à mes yeux capitale.
J'ai entendu avec plaisir René Vandierendonk et Michel Amiel exprimer leurs attentes, quant aux préconisations que nous pourrions formuler. Toutes ces questions sont très sensibles. J'ai lu le rapport Maurey, dans lequel on se demande, en substance, comment contourner la loi pour financer des mosquées. C'est calamiteux. Toute préconisation en la matière est de nature à susciter des réactions. Il faut rester dans le droit d'une République laïque, à laquelle chacun essaie de s'adapter avec ses convictions propres, sans s'aventurer à réveiller les vieux démons qui traversent notre société, laquelle comprend aussi, au reste, des agnostiques et des athées.
Je souscris pleinement à ce qui a été dit sur la formation des imams. On s'inquiète des dérives, parce que c'est la mosquée qui choisit son imam, certains candidats étant peut-être un peu plus malins que les autres. D'où nos interrogations.
Le halal ? Il suscite avant tout chez moi une question : jusqu'à quand l'abattage rituel sera-t-il autorisé ? J'y ai assisté une fois, à Bourg-en-Bresse, et cela m'a suffi. C'est vraiment édifiant...
La question de l'enseignement confessionnel doit être abordée avec prudence. Nous ne sommes pas là pour le promouvoir. Il ne s'agit que de reconnaître, par contrat, certains établissements.
Je remercie notre présidente et nos rapporteurs pour l'intérêt qu'ils ont su donner à l'exercice. Je n'ai rien à ajouter à ce qui a été dit sur l'utilité d'un état des lieux, sur la nécessité de laisser de côté les idées reçues, sur la complexité de l'Islam - des Islam - en France, sur le diagnostic à porter. Notre rapport devra fournir une présentation très large, sans se limiter en longueur, afin de fournir un vrai outil améliorant la connaissance de l'Islam dans notre pays. Je souhaite que nous puissions aboutir à un rapport consensuel. Le sujet est délicat, sensible, et s'il serait vain d'y voir un instrument politique de circonstance. En revanche, ne pas formuler de préconisations, ne pas apporter de réponses assez claires aux préoccupations de nos concitoyens serait contre-productif pour les sensibilités ici représentées aujourd'hui.
Pour moi, il s'agit de répondre à trois principes. Tout d'abord, un principe d'autorégulation par la communauté islamique mais aussi de responsabilité de la communauté musulmane. Sans manichéisme ni discourtoisie, il importe de sortir d'un discours de victimisation et de donner aux musulmans les moyens d'exercer librement leur culte - comme le veut la loi de 1905, qui a clairement entendu protéger le libre exercice du culte - tout en les plaçant en situation de responsabilité.
En deuxième lieu, un principe de non-engagement de l'État. Ce n'était pas mon idée de départ, car dans un climat généralisé de suspicion, les Français attendent énormément du législateur pour engager l'État sur la voie d'un encadrement de l'Islam en France. Mais répondre à une telle aspiration serait, à mon sens, éminemment dangereux, et il faut assumer publiquement l'exigence de ne pas engager l'État dans des décisions et des contenus qui relèvent de la communauté musulmane. En revanche, cela n'interdit pas de donner à la communauté musulmane un cadre où les dérouler.
Troisième principe, enfin, la non-intervention des États étrangers. C'est un objectif à atteindre, ce qui a des conséquences sur le mode d'élection au CFCM, qui favorise clairement l'influence d'États étrangers, mais aussi sur la formation et les questions financières.
Voilà pour les principes. Quid, à présent, des préconisations ?
CFCM ou pas ? Pour moi, il n'y a pas d'autre solution que s'appuyer sur lui, ou sur un équivalent. Je préfère oublier la notion de consistoire, qui va beaucoup plus loin qu'un CFCM renforcé, puisque la notion de consistoire est associée à l'autorité de l'État sur le volet religieux. Bref, je ne vois pas d'alternative au CFCM pour l'organisation de l'Islam dans notre pays, afin de permettre aux musulmans de se responsabiliser. En revanche, je suis favorable à une modification de son mode d'élection, qui permettrait à tous les musulmans de participer au vote sur une base volontaire. Il est vrai, comme le rappelait M. Reichardt, que l'on ne dispose pas de chiffres fiables sur le nombre de musulmans, mais rien n'interdit d'imaginer une liste électorale établie à partir d'une démarche volontaire. Soit dit en passant, dire que les statistiques ethniques sont illégales dans notre pays n'est pas exact. La décision du Conseil constitutionnel à laquelle on fait toujours référence ne dit pas cela. Le Conseil a dit que de telles statistiques ne seraient possibles que si elles intervenaient sur la base de « données objectives » et avec « neutralité ». C'est donc une position plus nuancée qu'on ne veut bien le dire, même si personne ne s'est aventuré à essayer de définir ces deux derniers termes. Quoi qu'il en soit, rien n'interdit, pour réformer le mode d'élections - ce qui, je le répète, me paraît indispensable pour couper le lien avec les pays d'origine -, de constituer une liste électorale sur une base volontaire.
Le CFCM doit avoir un cadre, qui rappelle les valeurs de la République. Or, le dispositif actuel est d'une insuffisance criante. Le CFCM est une association créée le 28 mai 2003, accompagnée d'une charte, laborieusement élaborée à l'époque. Si l'on veut le renforcer, notre rôle de législateurs est de rappeler l'exigence de conformité aux valeurs de la République.
Je ne serais pas non plus choqué que, sur la question du halal, du financement ou de la formation des imams, soient prévues des modalités de certification. Il ne s'agit pas pour l'Etat d'intervenir dans la vie des musulmans de France, mais il semblerait normal que tout ce a trait au décisionnel en matière de certification relève du CFCM, dans le cadre du mandat juridique qui lui serait confié.
Donner un cadre légal au CFCM serait aussi une manière de donner sa chance à la communauté musulmane qui, comme l'ont rappelé plusieurs intervenants, nous est liée par des épisodes historiques délicats ; c'est pourquoi il ne me paraîtrait pas gênant de marquer que ces dispositions sont spécifiques à la communauté musulmane. D'autant qu'elle est une communauté de foi, à la différence des autres communautés qui sont des communautés religieuses, ce qui leur confère un cadre.
Quant à définir des modalités de formation, cela me paraît devoir passer par des conventions avec les universités, étant entendu que si la partie théologique relève du CFCM, la partie académique relève de l'autonomie universitaire.
J'ai beaucoup apprécié la description de l'expérimentation allemande, où l'Etat, dans le cadre du conventionnement de formations, n'est pas intervenu financièrement. Il me semble que l'on peut conduire la communauté musulmane à aller dans ce sens pour peu qu'on lui ouvre des perspectives de certification, que l'on peut dégager un statut de l'imam et un statut de l'étudiant, qui seraient un plus pour les jeunes musulmans souhaitant suivre ces formations.
De même, en matière financière, il me semble difficile d'éviter les financements venus de l'étranger, mais la condition est qu'ils soient transparents, et transitent par une fondation. Si l'on donne un cadre à l'Islam via le CFCM, et alors que l'on s'inquiète du suivi des imams de certaines mosquées, ce système de transit par une fondation offre un avantage complémentaire : celui qui voudra que sa mosquée soit financée devra s'intégrer dans un dispositif le conduisant à recruter un imam titulaire d'une certification, soit qu'il ait été formé en France, soit, en attendant leur souhaitable extinction, dans un des pays avec lesquels la France a des accords bilatéraux.
Enfin, vous avez évoqué des auditions complémentaires. Elles me paraissent nécessaires, une fois que nous aurons défini des propositions, car il faut pouvoir les tester, avec le ministère et avec le CFCM, pour savoir où l'on va. Pour clarifier notre pensée, nous avons également besoin d'un benchmarking sur le mode de traitement retenu par les autres pays, que ce soient l'Angleterre ou les dernières dispositions prises par l'Autriche. Nous aurions ainsi une expertise juridique pour savoir jusqu'où l'on peut aller dans le niveau de délégation au CFCM. Je ne pense pas qu'il y ait d'illégalité dans une telle délégation, mais j'ai bien entendu les observations de plusieurs de mes collègues sur le respect et les limites de la loi de 1905 : si l'on veut aller vers un CFCM renforcé, j'admets qu'il faille aller un peu plus loin dans l'analyse juridique.
Je remercie nos rapporteurs et la présidente. J'ai beaucoup appris lors de nos auditions, mais j'ai le sentiment que l'on essaie de régler des problèmes qui ne nous concernent pas seuls. L'Islam, ainsi que vient de le rappeler M. Bonnecarrère, est une communauté de foi difficile à appréhender, et qui varie selon les pays.
Comme l'a dit Mme Goulet, la loi de 1905 est notre ancre. Nous sommes des laïcs avant tout et j'ai beaucoup de mal à discerner quelles préconisations pourraient être tirées de nos auditions. J'ai aussi eu le sentiment, au cours de ces auditions, que la communauté musulmane était très en demande sur le rôle de l'État, de l'Éducation nationale, mais que s'agissant de sa structuration, tous ne partageaient pas le même sentiment, par exemple sur les imams et les aumôniers. Or, étant profondément laïque, je ne me sens pas en position de donner des orientations et je crains qu'en demandant à l'État de trancher sur des questions qui touchent à la foi et à la théologie, on soulève des difficultés que la loi de 1905 avait entendu lever. Sauf à refaire 1905, je ne vois pas comment on peut donner un cadre hors cadre.
Que faites-vous de la Grande Mosquée de Paris ? La loi de 1905 n'a pas empêché ce projet de voir le jour.
On sent bien que la communauté musulmane est très demandeuse, même s'il y a des bémols. Vous déplorez l'absence de statistiques ? Il y a une solution : le droit de vote des immigrés vous en donnerait !
Une boutade un peu provocatrice ne fait pas de mal de temps en temps, cela fait réfléchir. Le CFCM est une association, pourquoi irions-nous nous mêler de son fonctionnement, qui ne regarde qu'elle ? On peut certes faire des propositions, notamment sur le mode d'élection, car on peut s'indigner d'une vision gestionnaire au mètre carré, mais sans aller jusqu'à l'ingérence. Je tiens vraiment à ce que nous nous en tenions à de simples orientations. On ne légifèrera pas là-dessus, il ne faut pas se leurrer.
Ce n'est pas ce que je dis. J'ai beaucoup réfléchi au cours de ces auditions. Et je n'ai pas eu le sentiment que s'en dégageait un dessein ferme, hormis une demande sur la formation et la rémunération des aumôniers et des imams. Comment régenter une religion qui n'est fondée que sur la foi, dénuée de l'appareil qui est celui de l'Eglise catholique ? C'est aux musulmans de réfléchir à la manière de se rejoindre sur un mode de fonctionnement qu'ils choisiront.
Ce serait bien que ce travail s'en tienne, dans un premier temps au moins - je veux dire pendant un an -, à un rapport d'information. Pourquoi une année ? C'est qu'il serait périlleux à mon sens, avec l'échéance qui nous attend et l'horizon bouché par la figure de Mme Le Pen, de dire certaines choses maintenant.
Je rappelle à nos collègues que nous sommes convenus de nous en tenir au cadre de la loi de 1905. Nous avons également tous constaté que sur la question de l'intervention de l'État, la communauté musulmane, tantôt la demande, tantôt la rejette, et qu'elle est sur cette question un peu schizophrènique ! Nous sommes également très clairs sur une ligne de fracture : on peut se demander si l'État, chaque fois qu'il met la main à l'ouvrage, ne retarde pas au fond la prise en main de la communauté par elle-même.
Avant le CFCM, c'était encore pire. Il était très difficile d'identifier des interlocuteurs.
Le CFCM est, quoi qu'on en veuille, une réalité dans le paysage. Rien ne nous interdit de dessiner le schéma d'un CFCM idéal, tel qu'il ressortirait de nos auditions, en expliquant que de toute façon il n'est pas question d'y toucher parce que tout simplement, d'un point de vue légal, ça n'est pas possible. Sur l'enseignement laïc du fait religieux, nous rejoignons ce qui a été dit. Nous avons prévu de faire un chapitre sur les idées reçues. Les imams autoproclamés ? Une spécialiste qui a consacré sa thèse à la question nous a expliqué que cela est inconcevable : les imams n'arrivent pas comme ça du jour au lendemain, ils sont portés par leur mosquée et ils peuvent être révoqués s'ils ne lui conviennent plus. Quant à la délicatesse de ces questions, qui va croissant, pour reprendre les termes de René Vandierendonck, cela n'a échappé à personne.
Si, dans notre rapport, nous parvenons à faire un état des lieux complet et en perspective avec les autres religions, en indiquant chaque fois là où l'État intervient alors qu'il n'intervient jamais dans les autres religions, et là où il se retient d'intervenir alors que pour d'autres il l'aurait fait, bref, si nous mettons bien en avant toutes les ruptures d'égalité, nous aurons déjà fait un travail conséquent, et qui n'a jamais été fait.
Je prends note des observations de notre collègue Bonnecarrère. Je retiens l'idée d'un tableau comparatif, qui me paraît tout à fait intéressante, et auquel méritera en effet d'être adjointe une étude de législation comparée sur nos voisins européens.
Quant au halal, entendons-nous bien : je ne suis pas hostile à ce qu'il serve au financement du culte, pour autant que l'on en trouve le moyen. Il existe bien une certification en matière de sécurité sanitaire et nous savons que quand on demande à Bercy d'intervenir, rien n'est impossible.
Pardon d'insister mais ce moyen doit être trouvé, après réforme du CFCM et avec lui, dans un contexte électoral délicat que vous connaissez.
Cela ne m'a pas échappé.
Je vous propose de nous faire passer vos notes et observations écrites, pour que l'on puisse les intégrer. Quant à émettre des doutes sur notre capacité à intervenir, cela fait aussi partie de notre rapport. Il ne s'agit pas de laisser penser que l'on peut faire quand on ne peut pas.
Nous allons bien sûr intégrer les observations des uns et des autres. Comme je l'ai dit, nous allons tester, à l'occasion de nouvelles auditions, d'éventuelles préconisations. C'est pourquoi il me semble nécessaire, sur la question des statistiques, d'entendre la Cnil. Nous verrons également la DGFip pour préciser le régime fiscal des dons aux associations, aux associations cultuelles, le régime de transparence comptable des fondations, afin d'y voir clair. J'ai également noté le souhait de Jacques Bigot d'entendre un représentant du ministère des affaires étrangères : nous pourrons vous communiquer les informations que nous a données le conseiller aux cultes du ministère, qu'avec Mme Goulet nous avons entendu en audition-rapporteurs. Nous avons également prévu d'entendre les ambassadeurs d'Algérie, d'Arabie Saoudite et du Qatar, pays qui font partie des financeurs.
Surtout, comme l'a souligné Philippe Bonnecarrère, nous devons tester nos préconisations, et nous tourner à nouveau vers le ministère de l'intérieur, entendre si possible le ministre, revoir le directeur des libertés publiques et, si nous devions proposer une modification du mode de scrutin ou des modalités de fonctionnement du CFCM, savoir ce qu'en pensent les intéressés.
Il s'agit de faire des propositions qui tiennent la route. Si l'expertise juridique que propose Philippe Bonnecarrère montre qu'elles ne seraient pas compatibles avec la loi de 1905, nous y renoncerons, bien entendu.
La loi de 1905 comporte beaucoup d'ouvertures : elle institue un régime d'associations cultuelles permettant un financement et garantissant la transparence via le contrôle des comptes. Mais le CFCM est une association de la loi de 1901 : il doit opter pour le régime de 1905.
D'où l'utilité de revoir le directeur des libertés publiques.
Nous prévoyons également un déplacement à Lille, une visite à l'Institut européen des sciences humaines, soit à Château-Chinon, soit à Saint-Denis, où il est aussi implanté, et à l'institut Al Ghazali de la Grande Mosquée de Paris, de formation des imams et des aumôniers.
Je vous invite à nous accompagner nombreux dans ces visites de terrain, où il est important de se rendre.
Notre rapporteur propose également d'entendre M. Tarek Oubrou, l'imam de Bordeaux, à quoi Mme Yonnet ajoute par souci de comparaison l'imam d'Aubervilliers, qu'on dit à l'opposé de la modération du premier.
Je vous propose de nous adresser vos contributions écrites d'ici au 17 mai, 18 heures. Retenez, dans notre planning, la date du 15 juin, envisagée pour l'examen du rapport, avec un délai après la réunion pour envoyer les éventuelles observations que vous souhaiteriez insérer en annexe. Ce délai pourrait être fixé au 20 juin, de manière à ce que le rapport puisse être rendu public le 22 juin.
Au lendemain du référendum sur le Brexit, qui va mobiliser les médias ?
Il n'est pas mauvais, eu égard au contexte, d'inscrire ce rapport dans le cours normal de nos travaux, sans en faire un événement médiatique.
La réunion est levée à 16 heures