La France compte actuellement neuf millions de personnes sous le seuil de pauvreté, dont beaucoup travaillent et sont payées au SMIC - ou presque. Beaucoup sont à temps partiel. Un certain nombre sont des femmes et des jeunes.
Environ six millions de Français sont privés d'emploi stable - chômeurs, travailleurs précaires, « petits boulots », CDD de très courte durée. Environ 2,5 millions de personnes sont au RSA. On estime le salaire médian à 1 650 euros et le SMIC net à 1 160 euros. On peut évaluer à 2,5 millions le nombre de personnes touchant le SMIC.
La situation économique est donc particulièrement inquiétante. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La CGT estime que c'est le fruit des politiques d'austérité mises en oeuvre depuis quelques années par les pouvoirs pour satisfaire les financiers : pression salariale, pression sur l'emploi.
Au premier semestre 2016, les entreprises du CAC 40 ont réalisé 40 milliards d'euros de profits. Il semblerait que l'on aille dans la même direction pour l'année en cours. C'est le cas depuis maintenant quelques années, même en période de crise. Celle-ci n'est donc pas la même pour tout le monde.
On estime que, chaque année, 300 milliards d'euros sont reversés sous forme de dividendes aux actionnaires. Ces 200 milliards d'euros d'argent public donnés aux entreprises sous forme d'exonérations de cotisations fiscales et sociales, comme le CICE, servent globalement assez peu à l'emploi, aux salaires ou aux investissements. La CGT a d'ailleurs trouvé le rapport du Sénat sur le CICE intéressant, celui-ci disant des choses assez proches de ce que nous disons. Ce n'est pas toujours le cas, je tenais donc à le souligner.
A ce contexte social s'ajoutent des déclarations de « déclinistes » qui prédisent quasiment la fin de l'emploi salarié, notamment pour les catégories socio-professionnelles peu qualifiées.
Au lieu d'aller dans le sens des défaitistes, nous estimons qu'il existe quelques alternatives à la soi-disant fin de l'emploi. Nous pensons tout d'abord que la répartition du travail peut être réalisée autrement. La CGT milite par exemple beaucoup pour une réduction réelle du temps de travail. On a évoqué la possibilité d'un débat national sur une réduction à 32 heures par semaine ou une réflexion portant sur une réduction du temps de travail à l'année.
La discussion sur la finalité du travail nous intéresse. Que signifie aujourd'hui travailler, que ce soit dans le service public ou dans le privé ?
Le débat sur le revenu universel n'intervient pas par hasard : la CGT estime qu'un certain nombre de choix et d'orientations politiques visent à mettre à mal le système de protection sociale. Le financement de la sécurité sociale, par exemple, est de plus en plus remis en cause avec les exonérations de cotisations sociales et fiscales. L'argent qu'on ne consacre pas à la protection sociale et qu'on verse aux entreprises creuse forcément les déficits et les dettes.
La CGT, un peu comme la CFDT, refuse de se laisser abuser par un slogan qui pourrait paraître généreux.
La CGT refuse également de céder à la diversion d'un débat qui occulterait les problématiques d'emploi, de répartition des richesses, de travail, etc.
Le revenu universel offre cependant la possibilité de discuter, d'échanger des points de vue sur l'évolution rapide du système social actuel. La CGT considère que celui-ci offre certes des aspects positifs mais pose aussi de gros problèmes, que je viens d'évoquer.
Le débat sur le revenu universel intervient alors que la campagne présidentielle est sur le point de débuter. On a déjà eu ce débat en 2007 sur la flexisécurité. Dix ans plus tard, on voit où on en est : a priori, on n'a pas tellement avancé ! Il y a beaucoup de flexibilités et très peu de sécurité pour les salariés. Le revenu universel soulève donc quelques inquiétudes. Il y a fort à parier que son instauration n'est pas pour demain.
Le préambule au questionnaire qui nous a été adressé et le sens donné aux questions sont assez significatifs de l'orientation du débat : est-ce que le revenu universel a vocation à se substituer aux minima sociaux et aux aides ? On remet en cause la place du travail, considérant le recul durable du travail et de l'emploi comme inéluctable. C'est grave ! La CGT est favorable au fait de sortir des sentiers battus et à l'innovation. Un projet politique cohérent serait de nature à lutter efficacement contre la pauvreté. Vous l'avez dit : qui, en France, pourrait y être opposé ?
Peut-être faut-il immédiatement augmenter le RSA ! Le RSA, pour une personne, s'élève aujourd'hui à 536 euros environ par mois et à 803 euros par mois avec un enfant. L'augmentation du SMIC qui doit intervenir au 1er janvier 2017, si elle est de même nature que les années précédentes, ne réglera pas la pauvreté ! Une augmentation significative peut éradiquer une grande partie de la pauvreté.
Un revenu universel à 500 euros, par exemple, qui se dessine apparemment en Finlande, ou un revenu à 1 500 euros ne représente pas la même chose, mais pose d'autres questions : comment fait-on pour passer de 500 euros à 1 500 euros ? On estime que 1 500 euros pour tous représentent 40 % du PIB, soit 2 200 milliards d'euros. C'est une somme conséquente !
Nous avons quelques idées. J'ai évoqué les résultats du CAC 40, les dividendes versés aux actionnaires, l'argent distribué allègrement aux entreprises. Peut-être y a-t-il des choses à faire sur ce plan si l'on veut lutter contre la pauvreté. On peut le faire simplement. Les conditions administratives pour bénéficier du RSA ou même du chômage sont aujourd'hui très compliquées. Beaucoup de personnes ne sont pas indemnisées parce qu'ils n'entreprennent pas les démarches administratives nécessaires, faute de les connaître. Il existe aussi une forme de honte dans le fait de solliciter une aide, même si celle-ci constitue un droit.
Si l'on veut régler un certain nombre de problèmes liés à la pauvreté, on peut donc le faire. Si le revenu universel doit se substituer aux minima sociaux, il ne faut surtout pas abandonner notre système d'assurance chômage ou d'assurance maladie. La CGT considérerait qu'il s'agit d'un coin supplémentaire enfoncé pour démanteler l'État social. Nous y sommes particulièrement attentifs.
Un revenu universel à 1 500 euros qui ne remettrait pas en cause les dispositifs existants constituerait cependant une avancée considérable.
Néanmoins, cette réforme demande une volonté politique forte. On voit combien réformer la fiscalité en France est difficile. Accorder demain à chacun un revenu universel nécessitera d'établir des rapports de force. Je n'en dis pas plus...
La rémunération du travail utile a été évoquée. C'est une idée assez vague, selon laquelle il n'y aurait pas de travail pour tout le monde. La CGT s'inquiète de la création d'une catégorie de salariés définitivement privés d'emploi. On créerait donc un salariat de seconde zone. Dans une république comme la nôtre, on ne peut accepter ce genre de choses.
Quand on interroge les salariés, certains parlent d'augmentation de la productivité, d'un temps de travail effectif de 39 heures, qui peut aller jusqu'à 45 heures voire 50 heures pour les cadres, avec une connexion totale à l'entreprise du lundi au dimanche, et du travail à la maison le soir. Il y a donc certainement des choses à faire en matière de réduction du temps de travail et d'amélioration des conditions de travail. La réduction du temps de travail à 32 heures peut constituer une piste.
S'agissant de l'automatisation et de l'« uberisation », les travailleurs uberisés souhaitent un statut social, des garanties individuelles et collectives qui les protègent des aléas de la vie et du travail. Être salarié, c'est avoir un statut, créer des richesses et s'investir dans le développement du pays. La remise en cause du salariat fragiliserait un certain nombre de droits.
Vous savez sûrement que l'URSAFF a décidé de poursuivre Uber en justice pour réclamer les cotisations et requalifier le statut des chauffeurs en salariés...
Quant au renfort de la négociation sur les salaires, la CGT pense qu'il s'agit d'un moyen supplémentaire donné au patronat pour faire pression sur les salaires. Le premier affrontement entre le capital et le travail porte sur les salaires et la répartition des richesses. C'est un affrontement qui existe depuis très longtemps. Le capital a intérêt à générer du profit et à dégager des marges. Quand il faut les répartir en faveur des salaires, cela pose tout de suite problème. Un patron pourrait estimer que le salarié disposant déjà d'un revenu assuré par l'État, il n'y a aucune raison d'augmenter son salaire.
Enfin, le revenu universel pourrait-il encourager l'assistanat ? Cela peut arriver, mais cela ne peut durer. Un travail, c'est un salaire, un moyen de s'émanciper, de vivre dignement, de se socialiser, de sortir de la marginalité ou du cercle familial. Avoir un travail, c'est avoir le sentiment d'être utile à la société. C'est aussi une forme de reconnaissance : travailler, c'est être reconnu collectivement, individuellement, dans sa famille, par ses amis. La CGT estime donc que les salariés aspirent à travailler - même s'ils aiment de temps en temps profiter d'un peu de repos et bénéficier de RTT.
Si l'on souhaite mener une expérience, on peut immédiatement relever les minima sociaux et inclure tous les chômeurs dans l'assurance chômage. Avec le système actuel, un chômeur sur deux n'est pas indemnisé. On a beau être les meilleurs, il y a encore des choses à faire. Peut-être pourrait-on également ouvrir les minima sociaux aux moins de vingt-cinq ans, qui en sont pour le moment privés. Cela permettra de commencer à réfléchir à la lutte contre la pauvreté.