La réunion est ouverte à 14 h 30.
Mesdames, Messieurs, la mission d'information sur l'intérêt et les modalités d'un revenu de base en France vous reçoit aujourd'hui. Elle revient d'un déplacement à Helsinki, car la Finlande a pris les devants dans la réflexion en ce domaine. Il est rare que les Finlandais soient ainsi sur le devant de la scène ; c'est ce qui fait tout l'intérêt de leur expérimentation, dont ils sont d'ailleurs très fiers.
Je laisse le soin aux représentants de chaque organisation syndicale de salariés de se présenter. Nous attendons que vous nous disiez ce que vous pensez de cette idée de revenu de base, ou d'allocation universelle, suivant le nom qu'on lui donne. Les objectifs sont partagés par des représentants de formations politiques de droite comme de gauche, bien que tout le monde ne soit pas forcément sur la même longueur d'ondes, souvent par méconnaissance du sujet.
On rencontre parfois des réactions instinctives. On a entendu dans nos propres rangs que ce projet constituait une prime à la paresse : pourquoi travailler si l'on touche un revenu de subsistance ? Comment le financer ? Ce sont toutes ces questions que nous avons retrouvées en Finlande, dont le gouvernement de coalition, présidé par un centriste, s'est saisi du sujet.
Les différents partis finlandais, à droite comme à gauche, s'y intéressent. Cette question est en débat et donnera vraisemblablement lieu, en cas d'adoption par le Parlement, à une expérimentation restreinte dans son périmètre, puisqu'elle ne concernera pour l'essentiel que deux mille demandeurs d'emploi. Le gouvernement finlandais espère toutefois pouvoir multiplier ce nombre par quatre ou cinq grâce à l'enveloppe de 20 millions d'euros dont il dispose.
Un certain nombre de questions vous ont été posées. Nous attendons de connaître votre opinion. Notre mission devra également en débattre pour dégager si possible un consensus sur une position commune. Ce sera ensuite au Gouvernement de décider s'il se saisit ou non de nos préconisations.
L'idée nous apparaît généreuse. Aucun Français ne s'opposerait à vaincre la pauvreté. Le problème est de savoir comment faire. D'où part-on ? Avec quoi finance-t-on ce projet ? Quel objectif nous assignons-nous ?
La parole est au rapporteur.
Vous l'avez dit, monsieur le président, à la surprise générale, le gouvernement finlandais a décidé de se saisir de cette belle idée, qui vient de loin. Ceci est d'autant plus intéressant que le débat a lieu chez nous : chaque côté de l'échiquier politique s'en est saisi, parfois avec beaucoup de talent. Je pense à l'audition de M. Lionel Stoléru, qui s'est exprimé sur plusieurs thèmes : recul de la pauvreté, défis technologiques, chômage de masse. Le revenu inconditionnel de base pour tous est une idée qui réapparaît au moment où, à travers le monde, nous assistons à un transfert de richesses sans précédent dans sa rapidité et son intensité. Il n'est qu'à considérer les débats passionnés autour du site d'Alstom à Belfort.
L'Europe se pose des questions quant à son avenir industriel, économique, et à la façon de maintenir la protection sociale.
Nous avons entendu en Finlande des acteurs mesurés et apaisés parler de cette expérience. Il s'agit d'un pays où la protection sociale est la plus développée au monde, dont la richesse est comparable à la nôtre et où le nombre d'habitants équivaut presque à celui de la population des Hauts-de-France. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que nous les avons écoutés.
secrétaire confédérale en charge du dossier insertion, pauvreté, chômage de la Confédération française démocratique du travail. - Le revenu de base pose question à la CFDT, qui n'a pas de position arrêtée, même si nos militants vont débattre du sujet. Je ne sais s'il est souhaitable que nous ayons une position, ni si nous parviendrons à en dégager une.
Nous réfléchissons cependant en fonction de nos valeurs et de notre domaine de compétences, en tentant de concilier l'émancipation individuelle et la solidarité au sein d'un modèle de développement de qualité.
Comment le revenu de base s'articulera-t-il au regard du droit et des devoirs de l'individu vis-à-vis de la société et vice-versa ?
Le revenu de base porte plusieurs noms : allocation, revenu universel, revenu citoyen. Il faudra veiller aux termes utilisés, qui ne veulent pas dire la même chose pour tout le monde.
Les choix devront être arrêtés en fonction des critères, mais les choses ne sont pas simples.
Pour la CFDT, le revenu de base ne signifie en aucun cas la fin de l'emploi salarié. L'activité salariée connaît de multiples mutations mais, selon la CFTD, le travail demeure une activité indispensable à l'émancipation et au lien social. Même si l'emploi se développe sous plusieurs formes, le revenu de base pourrait servir à lisser des périodes d'inactivité ou de transition. L'accès à l'emploi doit être de qualité et facteur d'inclusion sociale.
Il est hors de question de culpabiliser les individus par rapport à leurs échecs. Pour la CFDT, la société a une responsabilité à l'égard des individus, celle de les mettre en capacité de vivre la vie qu'ils souhaitent. Le revenu de base pourrait servir à participer à cet objectif, mais il n'y suffit pas à lui seul.
S'agissant de la protection sociale, la CFDT réfléchit à la sécurisation des parcours. Le revenu de base peut en être un des éléments, mais il convient de prévoir un triptyque autour du revenu, des services et de l'accompagnement.
Le revenu de base pourrait constituer le moyen de sécuriser les parcours, notamment des jeunes, mais il faudra cependant assurer un niveau de vie satisfaisant pour que les individus puissent rebondir après une perte d'emploi ou prendre des risques pour innover ou développer un projet personnel.
Le revenu de base peut répondre aux aspirations des individus afin de mieux gérer des étapes de leur vie professionnelle et personnelle. Il pourrait constituer un partage du temps de travail plus souple à l'échelle des cycles de vie et d'accès à l'autonomie des jeunes.
Le revenu de base devra également s'articuler avec d'autres éléments de la sécurisation des parcours professionnels, comme les droits sociaux contenus dans le compte personnel d'activité.
Le revenu de base pourrait contribuer à l'émancipation et à la solidarité afin de lutter contre les inégalités et la pauvreté. Il faudra cependant conserver des garanties collectives fortes dans un système de mutualisation.
On pourrait par ailleurs être tenté de faire basculer dans le secteur marchand certaines activités considérées comme socialement utiles. Toutefois, toutes ne pourront être concernées. Les activités bénévoles, par exemple, comptent déjà des professionnels. Il ne faut pas cesser de professionnaliser ce secteur grâce à la formation, à un plus grand accompagnement et à des diplômes. Les activités bénévoles ne doivent pas percuter le champ professionnel.
La France compte actuellement neuf millions de personnes sous le seuil de pauvreté, dont beaucoup travaillent et sont payées au SMIC - ou presque. Beaucoup sont à temps partiel. Un certain nombre sont des femmes et des jeunes.
Environ six millions de Français sont privés d'emploi stable - chômeurs, travailleurs précaires, « petits boulots », CDD de très courte durée. Environ 2,5 millions de personnes sont au RSA. On estime le salaire médian à 1 650 euros et le SMIC net à 1 160 euros. On peut évaluer à 2,5 millions le nombre de personnes touchant le SMIC.
La situation économique est donc particulièrement inquiétante. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La CGT estime que c'est le fruit des politiques d'austérité mises en oeuvre depuis quelques années par les pouvoirs pour satisfaire les financiers : pression salariale, pression sur l'emploi.
Au premier semestre 2016, les entreprises du CAC 40 ont réalisé 40 milliards d'euros de profits. Il semblerait que l'on aille dans la même direction pour l'année en cours. C'est le cas depuis maintenant quelques années, même en période de crise. Celle-ci n'est donc pas la même pour tout le monde.
On estime que, chaque année, 300 milliards d'euros sont reversés sous forme de dividendes aux actionnaires. Ces 200 milliards d'euros d'argent public donnés aux entreprises sous forme d'exonérations de cotisations fiscales et sociales, comme le CICE, servent globalement assez peu à l'emploi, aux salaires ou aux investissements. La CGT a d'ailleurs trouvé le rapport du Sénat sur le CICE intéressant, celui-ci disant des choses assez proches de ce que nous disons. Ce n'est pas toujours le cas, je tenais donc à le souligner.
A ce contexte social s'ajoutent des déclarations de « déclinistes » qui prédisent quasiment la fin de l'emploi salarié, notamment pour les catégories socio-professionnelles peu qualifiées.
Au lieu d'aller dans le sens des défaitistes, nous estimons qu'il existe quelques alternatives à la soi-disant fin de l'emploi. Nous pensons tout d'abord que la répartition du travail peut être réalisée autrement. La CGT milite par exemple beaucoup pour une réduction réelle du temps de travail. On a évoqué la possibilité d'un débat national sur une réduction à 32 heures par semaine ou une réflexion portant sur une réduction du temps de travail à l'année.
La discussion sur la finalité du travail nous intéresse. Que signifie aujourd'hui travailler, que ce soit dans le service public ou dans le privé ?
Le débat sur le revenu universel n'intervient pas par hasard : la CGT estime qu'un certain nombre de choix et d'orientations politiques visent à mettre à mal le système de protection sociale. Le financement de la sécurité sociale, par exemple, est de plus en plus remis en cause avec les exonérations de cotisations sociales et fiscales. L'argent qu'on ne consacre pas à la protection sociale et qu'on verse aux entreprises creuse forcément les déficits et les dettes.
La CGT, un peu comme la CFDT, refuse de se laisser abuser par un slogan qui pourrait paraître généreux.
La CGT refuse également de céder à la diversion d'un débat qui occulterait les problématiques d'emploi, de répartition des richesses, de travail, etc.
Le revenu universel offre cependant la possibilité de discuter, d'échanger des points de vue sur l'évolution rapide du système social actuel. La CGT considère que celui-ci offre certes des aspects positifs mais pose aussi de gros problèmes, que je viens d'évoquer.
Le débat sur le revenu universel intervient alors que la campagne présidentielle est sur le point de débuter. On a déjà eu ce débat en 2007 sur la flexisécurité. Dix ans plus tard, on voit où on en est : a priori, on n'a pas tellement avancé ! Il y a beaucoup de flexibilités et très peu de sécurité pour les salariés. Le revenu universel soulève donc quelques inquiétudes. Il y a fort à parier que son instauration n'est pas pour demain.
Le préambule au questionnaire qui nous a été adressé et le sens donné aux questions sont assez significatifs de l'orientation du débat : est-ce que le revenu universel a vocation à se substituer aux minima sociaux et aux aides ? On remet en cause la place du travail, considérant le recul durable du travail et de l'emploi comme inéluctable. C'est grave ! La CGT est favorable au fait de sortir des sentiers battus et à l'innovation. Un projet politique cohérent serait de nature à lutter efficacement contre la pauvreté. Vous l'avez dit : qui, en France, pourrait y être opposé ?
Peut-être faut-il immédiatement augmenter le RSA ! Le RSA, pour une personne, s'élève aujourd'hui à 536 euros environ par mois et à 803 euros par mois avec un enfant. L'augmentation du SMIC qui doit intervenir au 1er janvier 2017, si elle est de même nature que les années précédentes, ne réglera pas la pauvreté ! Une augmentation significative peut éradiquer une grande partie de la pauvreté.
Un revenu universel à 500 euros, par exemple, qui se dessine apparemment en Finlande, ou un revenu à 1 500 euros ne représente pas la même chose, mais pose d'autres questions : comment fait-on pour passer de 500 euros à 1 500 euros ? On estime que 1 500 euros pour tous représentent 40 % du PIB, soit 2 200 milliards d'euros. C'est une somme conséquente !
Nous avons quelques idées. J'ai évoqué les résultats du CAC 40, les dividendes versés aux actionnaires, l'argent distribué allègrement aux entreprises. Peut-être y a-t-il des choses à faire sur ce plan si l'on veut lutter contre la pauvreté. On peut le faire simplement. Les conditions administratives pour bénéficier du RSA ou même du chômage sont aujourd'hui très compliquées. Beaucoup de personnes ne sont pas indemnisées parce qu'ils n'entreprennent pas les démarches administratives nécessaires, faute de les connaître. Il existe aussi une forme de honte dans le fait de solliciter une aide, même si celle-ci constitue un droit.
Si l'on veut régler un certain nombre de problèmes liés à la pauvreté, on peut donc le faire. Si le revenu universel doit se substituer aux minima sociaux, il ne faut surtout pas abandonner notre système d'assurance chômage ou d'assurance maladie. La CGT considérerait qu'il s'agit d'un coin supplémentaire enfoncé pour démanteler l'État social. Nous y sommes particulièrement attentifs.
Un revenu universel à 1 500 euros qui ne remettrait pas en cause les dispositifs existants constituerait cependant une avancée considérable.
Néanmoins, cette réforme demande une volonté politique forte. On voit combien réformer la fiscalité en France est difficile. Accorder demain à chacun un revenu universel nécessitera d'établir des rapports de force. Je n'en dis pas plus...
La rémunération du travail utile a été évoquée. C'est une idée assez vague, selon laquelle il n'y aurait pas de travail pour tout le monde. La CGT s'inquiète de la création d'une catégorie de salariés définitivement privés d'emploi. On créerait donc un salariat de seconde zone. Dans une république comme la nôtre, on ne peut accepter ce genre de choses.
Quand on interroge les salariés, certains parlent d'augmentation de la productivité, d'un temps de travail effectif de 39 heures, qui peut aller jusqu'à 45 heures voire 50 heures pour les cadres, avec une connexion totale à l'entreprise du lundi au dimanche, et du travail à la maison le soir. Il y a donc certainement des choses à faire en matière de réduction du temps de travail et d'amélioration des conditions de travail. La réduction du temps de travail à 32 heures peut constituer une piste.
S'agissant de l'automatisation et de l'« uberisation », les travailleurs uberisés souhaitent un statut social, des garanties individuelles et collectives qui les protègent des aléas de la vie et du travail. Être salarié, c'est avoir un statut, créer des richesses et s'investir dans le développement du pays. La remise en cause du salariat fragiliserait un certain nombre de droits.
Vous savez sûrement que l'URSAFF a décidé de poursuivre Uber en justice pour réclamer les cotisations et requalifier le statut des chauffeurs en salariés...
Quant au renfort de la négociation sur les salaires, la CGT pense qu'il s'agit d'un moyen supplémentaire donné au patronat pour faire pression sur les salaires. Le premier affrontement entre le capital et le travail porte sur les salaires et la répartition des richesses. C'est un affrontement qui existe depuis très longtemps. Le capital a intérêt à générer du profit et à dégager des marges. Quand il faut les répartir en faveur des salaires, cela pose tout de suite problème. Un patron pourrait estimer que le salarié disposant déjà d'un revenu assuré par l'État, il n'y a aucune raison d'augmenter son salaire.
Enfin, le revenu universel pourrait-il encourager l'assistanat ? Cela peut arriver, mais cela ne peut durer. Un travail, c'est un salaire, un moyen de s'émanciper, de vivre dignement, de se socialiser, de sortir de la marginalité ou du cercle familial. Avoir un travail, c'est avoir le sentiment d'être utile à la société. C'est aussi une forme de reconnaissance : travailler, c'est être reconnu collectivement, individuellement, dans sa famille, par ses amis. La CGT estime donc que les salariés aspirent à travailler - même s'ils aiment de temps en temps profiter d'un peu de repos et bénéficier de RTT.
Si l'on souhaite mener une expérience, on peut immédiatement relever les minima sociaux et inclure tous les chômeurs dans l'assurance chômage. Avec le système actuel, un chômeur sur deux n'est pas indemnisé. On a beau être les meilleurs, il y a encore des choses à faire. Peut-être pourrait-on également ouvrir les minima sociaux aux moins de vingt-cinq ans, qui en sont pour le moment privés. Cela permettra de commencer à réfléchir à la lutte contre la pauvreté.
Dans le document que vous nous avez adressé, vous abordez deux problématiques, la lutte contre la pauvreté et l'accompagnement de l'évolution des modes de travail à travers l'automatisation et l'uberisation.
Il existe d'autres problématiques qui sont importantes, comme la cohésion sociale, les inégalités de revenus - qui peuvent d'ailleurs conditionner la cohésion sociale - la démographie. Comment ce type de mesures se traduit-elle en matière de natalité, sur laquelle repose le financement des retraités par les actifs ? Comment l'impute-t-on ? Cela joue-t-il sur la compétitivité de notre économie, dans un contexte aujourd'hui assez mondialisé, pour parler pudiquement ?
Pour la CFE-CGC, le revenu de base ne constitue pas une solution, mais une famille de solutions. En effet, à quelles prestations ce dispositif se substitue-t-il ? Quels sont les moyens de financement ? C'est forcément une évolution systémique majeure. Un revenu universel d'environ 500 euros par mois, proche du RSA, représente 16 % du PIB. Une somme de 1 000 euros par mois, à peu près l'équivalent du seuil de pauvreté, équivaut à 31 % du PIB. Ce sont des éléments très significatifs qui méritent des études d'impact, dont la CFE-CGC considère qu'elles n'ont pas encore été suffisamment conduites.
Nous sommes favorables à une expérimentation, mais il est préférable de faire les choses dans l'ordre : comment va-t-on le gérer ? Comment assurer la transition ? Il existe tout un tas de points sur lesquels il faudrait donc approfondir l'étude avant de se positionner de manière pertinente.
En effet, d'autres solutions sont envisageables, comme le regroupement d'un certain nombre d'aides sociales, etc. Il faudrait comparer ces différentes solutions entre elles pour avancer sur le sujet, ce qui n'empêche pas, le moment venu, de conduire une expérimentation locale - à condition de pouvoir en extrapoler des éléments.
La lutte contre la pauvreté est un vrai sujet, auquel on doit s'atteler. En l'absence d'études plus fouillées, la CFE-CGC pense que regrouper les aides sociales constituerait probablement un premier pas pragmatique et plus rapidement applicable que le revenu de base.
À quel système aurait-il vocation à se substituer ? Pour nous, comme cela a déjà été dit par d'autres, l'assurance chômage et la retraite doivent rester contributives. On voit mal comment la maladie peut se retrouver incluse dans le revenu de base. 50 % des dépenses d'assurance maladie sont constituées par l'hospitalisation : il s'agit de pathologies lourdes, contre lesquelles on peut douter que les gens pourront se couvrir individuellement grâce à un revenu de base. Ce pourrait même être un frein à la prévention ! On préférera manger qu'aller chez le dentiste ! Retraite, assurance chômage et maladie doivent donc être exclues de ce type de dispositif.
Nous pensons que le statut de salarié n'est pas prêt de disparaître, car il offre un véritable intérêt. On ne développera pas des voitures ou des avions en se mettant à son compte, et on n'embauchera pas des gens au motif qu'ils sont à leur compte. Le salariat va donc demeurer encore et pour longtemps le mode d'activité le plus important. Il y a de bonnes raisons à cela.
Nous nous interrogeons cependant sur le rôle de l'économie, qui permet de satisfaire les besoins des individus et de la société. On a quand même inventé le concept d'économie sociale et solidaire parce que l'économie de marché n'était plus capable de répondre aux besoins essentiels de la population, comme l'aide aux personnes âgées, etc.
Le revenu de base apparaît presque comme un palliatif. On ne se pose pas la question de savoir quels sont les problèmes à traiter. On renonce à produire des biens et des services pour la population. C'est une sorte de démission. On sait que l'économie est mondialisée, mais peut-être faut-il mieux structurer la gouvernance mondiale.
L'uberisation comporte deux aspects, le mode d'organisation du travail et la capacité d'intégrer rapidement le progrès technique. D'aucuns parlent aussi de « freesation », en référence à l'opérateur téléphonique qui, tout en offrant une société structurée, avec des salariés, détient une capacité à intégrer le progrès technique supérieure à ses concurrents. Pourquoi associer à l'intégration du progrès technique des modes d'organisation du travail qui fragilisent les personnes et leur offrent moins de perspectives ? Quand on est moins assuré de son avenir, on investit moins, que ce soit en matière de logement ou autres. Au final, c'est l'économie qui en souffre.
Il est donc clair que le salariat a tout intérêt à demeurer le mode d'organisation dominant. D'ailleurs, le taux de travailleurs indépendants a plutôt eu tendance à décroître depuis trente ans, en particulier parce que tous les petits commerçants ont disparu, absorbés par les grandes surfaces. On fait maintenant quelque peu machine arrière, mais on n'en est pas au taux d'indépendants des années 1970 ou 1980.
Nous voyons un autre risque à la mise en place d'un tel système, même si nous n'avons pas de positionnement définitif : on risque de créer une société à deux vitesses, comme le disait à l'instant Boris Plazzi. Certains auront un travail très qualifié et seront probablement submergés de travail. D'autres seront considérés comme des assistés ou effectueront des travaux moins qualifiés risquant de les marginaliser, avec un effet négatif sur la cohésion sociale. Les citoyens seront divisés en deux catégories, ceux à forte contribution, très qualifiés, et les autres, qui bénéficieront probablement de conditions moins favorables. Pour ceux qui n'auront pas de travail, 1 000 euros par mois, ce n'est pas grand-chose ! S'il y a de moins en moins de travail du fait d'une plus grande automatisation jusque dans les tâches tertiaires - comme dans les banques où existent des algorithmes d'intelligence artificielle - on risque d'amplifier le phénomène et de se retrouver avec une moitié de population fortement contributive qui, étant très sollicitée, trouvera normal de bénéficier d'une plus grosse part de gâteau, et une moitié qui contribuera moins. Cela ne nous paraît pas très positif.
Pour la CFE-CGC, le travail représente une activité professionnelle. Nous croyons au travail, qu'elle que soit la forme qu'on lui donne - aidants, etc. - comme un moyen d'accomplissement de l'individu. Peut-être y aura-t-il des effets d'aubaine, mais la plupart des gens aspirent à contribuer à l'activité économique de leur pays et y voient un moyen d'accomplissement.
Vous l'avez rappelé, Monsieur le président, la notion de revenu de base ou de revenu universel qui réapparaît semble plutôt séduisante. Elle est aujourd'hui parée de toutes les vertus. Elle permettrait de rendre plus libre et de s'affranchir du joug du travail. Elle pourrait également réduire la pauvreté.
On voit bien que, derrière toutes les analyses ultralibérales sur ce sujet, à la base plutôt marxiste, se trouvent des éléments de contexte - austérité et chômage. Ce qui prime, c'est une logique de réduction des minima sociaux, de la dépense sociale, de la dépense publique, des moyens des organismes sociaux, des prestations sociales, de l'assurance chômage et des services publics.
S'agissant des différents montants, il existe deux grandes écoles. L'une prône un montant compris entre 400 euros et 900 euros, très faible, voire ridicule, inférieur au seuil de pauvreté. C'est ce qu'on pourrait qualifier de « montant de survie ». L'autre va jusqu'à 2 000 euros. En Suisse, même lorsque le montant est élevé, l'acceptation est loin d'être évidente. Si un tel montant - qui nous paraît totalement utopique - venait à se mettre en place, l'impact sociétal serait fort, potentiellement peu incitatif, avec une sorte de revenu équivalent ou supérieur au salaire médian actuel, qui bouleversait complètement la valeur et l'importance du travail dans notre société.
Je ne reviens pas sur le rôle du travail, le lien social, le développement personnel, sur la reconnaissance, l'épanouissement, ou l'adhésion à des droits et à des valeurs collectives et républicaines liés au travail.
Prenons garde à la logique qui consisterait à dire que, demain, des missions publiques ou des métiers traditionnels pourraient recourir au bénévolat, le bénévolat pouvant être le fait de gens sans formation, sans qualification, voire sans rémunération. C'est le cas aujourd'hui. Or, certains promoteurs du revenu de base aimeraient bien que les femmes « retournent à la maison ». Gare aux dérives. Je le dis parce qu'on l'a lu et entendu.
Enfin, en cas de revenu de base élevé, que se passe-t-il une fois celui-ci en place, une fois que des gens sortent du système du travail et que, plusieurs années après, une nouvelle majorité en baisse le montant ou le réduit largement ? On créerait une exclusion très forte en réduisant la capacité d'emploi et de travail...
La question du financement, qu'il s'agisse d'un montant relativement faible ou relativement élevé, demeure la même mais elle se pose davantage encore si le montant est élevé. Nous ne sommes pas favorables à l'idée d'utiliser la TVA. Nous sommes en effet contre les impôts indirects. Même si c'est 400 euros, il faut pouvoir vivre et survivre. S'il s'agit de reprendre ce qu'on a donné par la TVA en l'augmentant de 100 % comme certains le disent, cela revient à utiliser de façon immédiate ce revenu de base.
Attention à ne pas financer le revenu de base par l'impôt sur le revenu, car seuls ceux qui ont des emplois salariés ou complémentaires verraient leurs impôts augmenter. L'acceptabilité de l'augmentation à 30 % risque d'être difficile, mais si on doit en outre financer un revenu de base pour ceux qui, soi-disant, ne font rien, on risque de diviser la société et de faire naître le populisme.
Imposer le revenu de base lui-même reviendrait à reprendre d'un côté ce qu'on a donné de l'autre. Nous ne sommes pas preneurs.
Si ce système devait se mettre en place, nous ne serions pas favorables à une logique d'expérimentation ou de territorialisation. Pour nous, les choses doivent se faire à égalité de droits. Nous ne sommes pas non plus favorables, à l'instar de nos camarades finlandais, à la sélection ou au tirage au sort de personnes comme cela se passe en Finlande. Si cela se met en place, cela doit se faire à égalité de droits et de traitement.
Si le montant est faible, ce qui nous parait le plus probable si le système est mis en oeuvre, on est dans une logique de revenu de survie qu'il faudra compléter. On entre alors dans l'uberisation. Ce n'est pas pour rien que le débat est revenu sur le devant de la scène avec l'avis du Conseil national du numérique de janvier dernier, qui a expliqué que les effets de l'uberisation nécessitent un minimum de revenu de base pour tout un chacun. La logique entraînant vers le tâcheron et non plus vers le salariat nous semble donc extrêmement dangereuse.
Ce serait indubitablement une trappe à bas salaires, quel qu'en soit le montant. Il est évident que le SMIC serait baissé d'autant, et que nous aurions toutes les peines du monde à négocier des augmentations de salaire dans les entreprises ou les administrations. Ce serait une déresponsabilisation sociale des entreprises et, d'une manière plus large, du monde du travail, ce qui affaiblirait la négociation collective, à l'échelle de l'entreprise comme de la branche. C'est l'argument majeur de nos camarades finlandais. Je pense qu'ils vous l'ont expliqué.
C'est aussi une manière de détourner peu à peu l'influence des syndicats. Plusieurs économistes l'ont théorisé, dont Steve Randy Waldman, un économiste scandinave, qui aide à la mise en place de ce système en Finlande.
Nous sommes donc plus que prudents sur les effets sur la négociation et les salaires d'une telle mise en oeuvre.
Lutter contre la pauvreté, c'est d'abord éviter la paupérisation, augmenter les minima sociaux et les aides en la matière et surtout viser le plein-emploi, avec des salaires les plus décents et élevés possibles, adossés à une fiscalité progressive. Celle-ci permet de réduire par deux les inégalités de niveau de vie. C'est bien en ce sens qu'il faut continuer à oeuvrer, et ne pas considérer que, le retour au plein-emploi étant impossible, il faut trouver des moyens de substitution.
Il est hors de question de supprimer la redistribution collective en faveur de ceux qui en ont besoin. Le système actuel fait plutôt preuve d'équité en aidant à progresser vers l'égalité. Pour FO, on ne saurait renoncer à prendre en compte le handicap, la maladie ou l'accident du travail de façon spécifique. Il en va de même d'un certain nombre d'aides familiales, sans parler du chômage.
Il est essentiel de ne pas créer d'exclusions en développant un système assurantiel où chacun percevrait 300 euros par mois ou 900 euros par mois, chacun devant ensuite se débrouiller quelle que soit sa situation. La force de la solidarité républicaine et de cette tentative d'aller vers l'égalité de droits selon un système redistributif, auquel chacun contribue selon ses moyens et dont chacun bénéficie selon ses besoins est ce qui caractérise notre modèle social français et fait notre fierté. Ceux qui ont bénéficié d'une certaine chance dans leur parcours doivent pouvoir contribuer pour ceux qui sont dans une situation de handicap ou d'accident. Nous y sommes très attachés.
Derrière cette logique assurantielle complémentaire en lieu et place d'un système solidaire républicain apparaît à nouveau la logique d'individualisation de la société, de réduction des droits collectifs et de la sécurité sociale. À l'instar du compte personnel d'activité (CPA), nous craignons qu'il s'agisse d'un outil supplémentaire pour aller vers l'individualisation des droits.
Pour nous, le revenu de base constitue un levier potentiel donné aux entreprises pour baisser les salaires et un certain nombre de droits, une attaque contre le système de protection sociale collective et solidaire, les missions de service public, la fin de la recherche d'un plein-emploi - suicidaire pour notre société - dans une logique d'individualisation de celle-ci.
Vous l'aurez compris, FO n'est pas favorable à la mise en place de ce revenu de base, qui revient pour nous à un solde de tous comptes permettant le détricotage de toutes les avancées sociales et libérant le fameux « marché du travail ».
Dans l'historique de la confrontation entre le capital et le travail déjà évoquée, le revenu de base consacre pour nous la victoire des détenteurs du capital. Ledit revenu ne permettant pas de vivre, il faudra obligatoirement le compléter, quel que soit son montant, par un marché de plus en plus flexible sur lequel le travailleur n'aura plus prise et où il n'aura plus de droits.
Le lien entre revenu de base et uberisation de la société traduit surtout pour nous la précarité et la pauvreté engendrées par ce modèle économique. La mise en place d'un revenu de base n'est pas un moyen d'affranchir le travailleur du salariat. Bien au contraire, c'est le constat que, sans le salariat, sans les droits et les règles sociales qui y sont associées, un travailleur ne peut vivre décemment de ces différentes activités.
Pour FO, sous un visage plutôt généreux, le revenu de base sape le droit à un travail décent pour tous.
Monsieur le rapporteur l'a dit, le revenu de base est une belle idée ! Encore faut-il savoir s'il s'agit d'un rêve ou d'une utopie inatteignable. La question est d'être sûr que ce système présente plus d'avantages que d'inconvénients.
L'idée que chacun puisse bénéficier dans notre pays d'un revenu de base est séduisante, mais ceux qui sont nés Français ou qui vivent en France bénéficient du labeur et du sacrifice des générations précédentes. Il s'agit d'un patrimoine énorme en termes d'infrastructures, de services publics, de système de santé, etc. Il faut bien en avoir conscience. On bénéficie déjà de beaucoup de choses comparées au reste de la planète, et c'est indirectement bien plus que le revenu de base.
La grille de lecture de la CFTC, sur ce sujet comme sur d'autres, tient compte de deux principes. Le premier, c'est celui de la valeur travail. Travailler, c'est participer au bien commun. Grâce à cette participation, je me réalise et je deviens cocréateur. C'est essentiel !
La partie travail rémunérée est celle qui nous intéresse le plus ici, mais on doit considérer que le jeune qui encadre des mouvements de scouts le dimanche travaille bel et bien : il participe au bien commun et se réalise. Les parents qui élèvent leurs enfants travaillent aussi, même s'ils ont parfois moins de temps à leur consacrer parce qu'ils doivent travailler le dimanche, ce qui constitue une régression sociale...
S'agissant du travail rémunéré, l'objectif à atteindre n'est certainement pas l'inversion d'une courbe, mais le plein-emploi. Cela a déjà été dit. Quelle société décente peut ne pas souhaiter que chacun se réalise par son travail ? C'est notre grille de lecture.
Il nous apparaît que le travail constitue la contrepartie d'un revenu versé par la collectivité. Cette contrepartie peut prendre des formes différentes, comme la rémunération, mais aussi la formation : on perçoit un revenu parce qu'on est en période de chômage pour différentes raisons et que l'on se forme. On peut affiner cet aspect des choses, mais nous sommes en complet désaccord avec la définition du revenu de base présenté par le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), selon laquelle « le revenu de base est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur la base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement ».
Pour nous, cela ne convient absolument pas. Nous rejetons totalement cette idée. Il va falloir connaître exactement la définition qu'on veut donner du revenu de base.
Chacun est capable de rendre un service à la communauté. Nul n'a le droit de dénier cette faculté. Ce serait déshumanisant. Des théoriciens comme Adam Smith ont abordé le revenu de base de ce point de vue. Je ne prétends pas que tous ceux qui l'évoquent ont cette vision, mais on voit se rejoindre sur ce terrain les ultralibéraux et l'extrême gauche.
Les ultralibéraux ont une idée simple : selon eux, une partie de la population est incapable de travailler. En accordant quelque chose à celle-ci, on évite la révolution...
D'autres ont une conception plus sociale, mais cela revient à dénier aux personnes la capacité de participer activement à la vie sociale.
Les dispositifs actuels ont permis de lutter contre la pauvreté durant les Trente Glorieuses - ou au moins d'en sortir pour une majorité de nos concitoyens. Aujourd'hui, c'est moins efficace. Pourquoi ? Il existe différentes explications. Le rapport Cotis, en 2009, explique qu'à partir de 1983, la part de la valeur ajoutée consacrée au travail chute de dix points et que, dans le même temps, la part versée au capital augmente de dix points. Ce n'est sans doute pas la cause, mais une partie de celle-ci.
Le rapporteur a évoqué l'Europe en disant que celle-ci commençait à se poser des questions son avenir industriel. Vous avez raison. Il est temps ! Le fond du problème ne réside-t-il pas dans le marché unique, la mondialisation faisant que l'on joue le même jeu sans avoir les mêmes règles ?
Tant qu'on n'aura pas résolu le problème de la concurrence déloyale en matière fiscale, environnementale, et sociale, on ne résoudra rien. C'est là le coeur du sujet que constitue la politique industrielle. Dans un marché qui se veut unique, avec une concurrence déloyale, lorsqu'on n'a pas les mêmes règles, cela ne peut pas fonctionner. On le voit chaque jour.
Deux approches du revenu de base sont possibles. J'ai parlé des théories du néolibéralisme. Il en existe une autre, celle du revenu de dignité. Saint Thomas d'Aquin, au XIIIe siècle, en parlait déjà, et disait : « Chacun, de par son labeur, doit pouvoir vivre dignement, lui, sa famille, et épargner ». Nous sommes alors au Moyen Âge. Aujourd'hui, avec le salaire minimum, puis-je vivre dignement, moi, ma famille, et épargner ? Quand je parle du salaire minimum, je parle de la valeur travail. Si le travail a une valeur, celle-ci est aussi monétaire. Un des enjeux est de revaloriser la fonction monétaire du travail, et non de la dévaloriser, risque que l'on a déjà évoqué.
Pour ceux qui ne peuvent travailler, un revenu de dignité est possible, mais il existe un système d'assurance chômage. Peut-être faut-il l'améliorer pour la dignité de chacun.
On peut par ailleurs se poser bon nombre d'autres questions. Si je fais par exemple toute ma carrière à l'étranger, et qu'au moment de la retraite je commence à développer une maladie, m'octroie-t-on le revenu de base si je reviens en France, alors que je n'ai jamais cotisé ? Comment finance-t-on le système ? Selon le Conseil national du numérique, qui a repris l'idée, le transfert des budgets - minima sociaux, bourses d'étudiants, aides au logement, allocations familiales - représente 200 euros par adulte et 60 euros par enfant. Si c'est là le revenu de base, c'est plus qu'une trappe à pauvreté ! S'il doit être supérieur, comment le finance-t-on ? Il me semble que c'est un sujet important. Nous n'avons pas trouvé de réponse à ce jour.
Concernant l'uberisation et l'évolution de la société, on peut effectivement penser que des emplois vont disparaître, mais d'autres ne vont-ils pas se créer ? Quand le métier à tisser est apparu, il a également supprimé des emplois, mais il en a créé d'autres.
L'uberisation de la société pose un problème : nous connaissons le salariat et le contrat de travail, mais ne doit-on pas aujourd'hui se poser la question d'activités dites indépendantes, qui sont en fait des activités de subordination économique où l'on n'a aucune liberté et où l'on n'est absolument pas indépendant ? Peut-être doit-on faire évoluer nos textes en matière de subordination économique, directe ou indirecte. C'est un enjeu.
Que l'on soit salarié, indépendant ou chef d'entreprise, on reste un travailleur. Tous les travailleurs ont des droits, quelle que soit leur situation et quel que soit leur statut, notamment le droit à la retraite, ce qui signifie que tous les travailleurs doivent financer cette retraite.
Dans le cas des travailleurs handicapés, la société ne s'exonère-t-elle pas du fait qu'un certain nombre pourrait travailler ? Quel effort fait-on pour développer des centres d'aide par le travail (CAT) ? Ces personnes travaillent peut-être moins vite, le résultat est peut-être parfois imparfait, mais ils apportent bien d'autres choses. La société doit faire en sorte que chacun ait sa place et vive dignement de son labeur.
Tous les angles que vous avez choisis les uns et les autres pour aborder le sujet sont très semblables, avec cependant quelques originalités, ce qui est normal, étant donné les approches philosophiques qui ont été employées pour tirer une analyse du revenu de base - ou tout au moins de ce qui est aujourd'hui défini par les partisans du revenu de base, que nous essayons pour notre part de clarifier, avant de proposer ou d'expérimenter une solution.
La Finlande a lancé une expérimentation. Vous avez les uns et les autres déjà évoqué cette question, en y ajoutant un cadre. C'est bien la question que nous nous posons : quelle population pourrait être concernée par une expérimentation ? Expérimenter signifie trouver un intérêt dans une question et vérifier que la solution proposée constitue une réponse.
Un certain nombre d'objectifs ressortent de vos interventions. J'ai bien compris que la valeur travail est essentielle. Il n'est pas question pour nous de la remettre en cause. Elle peut s'incarner dans des statuts différents, comme l'uberisation. La vraie question - que certains ont évoquée - est de connaître les droits liés à cette nouvelle forme de travail.
À travers notre mission, nous souhaitons clarifier le débat, éviter les raccourcis, comprendre pourquoi cette question est sur la place. Vous avez cherché à nous éclairer, et je vous en remercie. C'est à nous de cadrer le sujet pour avancer. Ce n'est guère facile. On a bien quelques idées d'expérimentation.
Vous évoquiez les uns et les autres une difficulté d'insertion pour les jeunes. Vous avez rejeté le fait que cela ne concerne souvent que les demandeurs d'emploi, notamment en Finlande. Nous avons entendu la critique. Je pense qu'ils vont dépasser ce stade pour éviter d'avoir un échantillon uniquement représentatif des demandeurs d'emploi.
Quelles seraient, selon vous, les populations qu'il serait intéressant de tester ? Faut-il tester l'ensemble de la population dans toutes ses représentations, toutes ses générations, toutes ses professions ? Je crains que ce ne soit guère lisible. Un sondage suffirait peut-être, ce qui n'est pas le but. Il existe des conséquences qu'on ne pourrait mesurer à travers un sondage, aussi précis soit-il. Nous sommes devant une série de questions auxquelles il serait intéressant que vous puissiez répondre.
La parole est au rapporteur.
C'était une belle leçon de syndicalisme français ! Je suis vraiment très heureux de vous avoir entendus les uns et les autres. Il y avait là de la conviction, de la clarté, de la capacité de dépasser le sujet, tout en en reconnaissant soit l'aspect utopique, soit les limites éventuelles pour la société française.
Par ailleurs, la France est le numéro un mondial en matière de politique sociale - 34 % du PIB y sont consacrés - et c'est votre oeuvre ! Nous sommes à quatre ou cinq points de PIB devant le modèle scandinave. Cela nous donne une qualité d'écoute et confère un sens à cet échange.
Enfin, je vous rassure - le président et nos collègues y ont été très attentifs : en Finlande, nos interlocuteurs, quels qu'ils soient, ne nous ont parlé que du travail et d'abord du travail. Le revenu universel, le revenu de base, l'allocation universelle, pour eux, est destiné à augmenter le taux d'activité, pour remettre les gens au travail. Ils ont un taux de chômage de 8 % et se sentent déstabilisés. Ils sentent également arriver la pression de la mondialisation. Leur homogénéité commence à s'ébrécher. Face à cette nouveauté, leur réponse réside dans le travail, qui constitue une obsession dans l'expérimentation qu'ils vont mener.
Ce que vous nous avez dit va nous permettre, en tant que représentants de la vie parlementaire, de la social-démocratie, du social-libéralisme, de faire des propositions.
Je suis partisan du revenu de base, ce qui n'est pas forcément l'option de l'ensemble des participants de la mission - même si cela dépasse les rangs des écologistes.
Force ouvrière prétend que ce sont les libéraux qui défendent le revenu de base. Lors du vote au Sénat, ils se sont tous prononcé contre, sauf un. Certains libéraux défendent l'idée d'un regroupement de l'ensemble des allocations en une allocation unique. Celle-ci n'est plus déterminée en fonction de paramètres, mais on la dote d'un montant maximum. Cette allocation unique est destinée à quelques catégories qui en ont besoin. Ce n'est pas un revenu de base accordé à tout le monde.
Le revenu de base est plutôt revendiqué, comme en Finlande, par des mouvements associatifs, comme le MFRB, les écologistes, une partie de la gauche, ou quelques centristes. Les libéraux et l'extrême gauche traditionnelle y sont plutôt opposés, considérant comme vous qu'il faut augmenter la valeur travail, et mieux rémunérer l'emploi.
Monsieur Thouvenel, vous dites que le travail comprend à la fois le revenu salarié et les activités que l'on peut avoir à côté. Il s'agit d'une contrepartie du revenu de base. Aujourd'hui, il existe des chômeurs qui ne peuvent assurer un certain nombre de fonctions ou qui les assurent sans être rémunérés. Vous l'avez dit vous-même : c'est du travail. Vous avez établi une différence entre la rémunération et le travail effectué. Vous êtes ensuite revenu en arrière : c'est votre droit, chacun a sa propre logique...
Ne confondez pas le bénévolat et la gratuité avec le travail en entreprise. C'est autre chose. Au sens socio-chrétien du terme, tout ceci constitue du travail.
Si les gens bénéficient d'un revenu de base leur permettant de passer du temps chez eux, il est hors de question d'accepter qu'ils ne s'occupent pas davantage de leurs enfants. Cela ne signifie pas que la valeur travail n'existe pas, mais on ne peut admettre que ceux qui sont rémunérés par une société riche qui n'a plus les moyens de donner du travail à tout le monde ne s'occupent pas de leurs proches. Cette faculté n'existe pas lorsqu'on doit se lever à cinq heures du matin pour aller faire le ménage dans les entreprises. On n'a alors même pas le temps de voir ses enfants partir pour l'école, et quand ils rentrent, on recommence à travailler.
La question fondamentale, qui a été soulevée, c'est le montant du financement. Est-il suffisant ? Si c'est le cas, cela pose des problèmes de fiscalité énormes, car si l'on donne 12 000 euros par an à des gens qui en gagnent déjà quatre mille, il est évident qu'il faut mener une réforme fiscale pour récupérer ces sommes. L'objectif n'est évidemment pas de donner 12 000 euros par an à tout le monde sans pouvoir les récupérer, soit par le biais de la TVA, soit par le biais de la fiscalité sur le revenu.
Quel est donc le montant acceptable pour la société ?
Loin de nous l'idée de considérer que le revenu de base est destiné à lutter contre le travail et à en finir avec le travail !
Le travail ne se résume pas non plus au salariat, et ce depuis la nuit des temps. Nous vivons dans une période où la majorité des travailleurs sont salariés, mais toutes les formes de statuts existent et existeront sans doute après nous.
On est bien entendu en droit de défendre un statut particulier ou le travail bénévole. Je le défends aussi et nous sommes tout à fait en accord sur ce point. Ce qui est important, c'est de répondre à la question de savoir comment cette idée séduisante, généreuse, peut dépasser le stade de l'utopie et permettre, comme en Finlande - ce qui nous est d'abord apparu comme un paradoxe - de lutter contre le chômage, de remettre les gens au travail, d'en augmenter le taux.
Vous l'avez dit, il existe un risque de voir le travail mal valorisé, mal rémunéré, précaire, morcelé. Nous l'entendons bien. Voilà l'ensemble de questions que vous avez soulevées, dont on va certainement débattre...
Je désire intervenir sur l'expérimentation, sujet que je n'ai pas abordé dans mon propos liminaire.
Habituellement, la CFDT considère plutôt favorablement les expérimentations, mais on n'a pas défini à qui celle-ci s'adresse, ce que l'on veut en faire et les raisons pour lesquelles on veut la mener. Tout cela nous paraît précoce.
Même si elle n'a rien à voir avec le revenu de base en tant que tel, l'expérimentation d'ATD Quart monde appelée « Territoires zéro chômeur » remonte à des années et comporte aujourd'hui des objectifs et une évaluation. Cela ne peut se faire à la va-vite. Ce n'est pas mûr du tout, surtout dans le contexte actuel.
Nous sommes tout faits d'accord : on ne peut tenter une expérience si on ne sait pas où l'on va ni pourquoi on la mène. C'est une évidence.
Nous nous interrogeons également sur les enseignements que l'on pourrait tirer d'une expérimentation à l'échelle d'un territoire ou d'une catégorie de la population. S'il s'agit d'un revenu universel et inconditionnel distribué à chacun, cela ne peut constituer une réforme additionnelle ou paramétrique, mais devrait s'articuler avec une réforme plus globale de la fiscalité, voire de l'organisation économico-sociale - que sais-je - très ciblée. Je ne sais dans quelle mesure on pourrait réellement en tirer des enseignements.
Ce n'est pas un hasard si mes amis de la CFDT se sont approprié une partie de mon intervention. C'est un sujet que nous voulions également aborder. L'idée que soutiennent un certain nombre d'associations comme ATD Quart monde sur cette question est celle consistant à lutter contre la pauvreté, et notamment contre le non-recours, qui est un vrai problème. Nous en sommes tous conscients, pour siéger ensemble au Comité national de lutte contre l'exclusion. On se rend bien compte que c'est une catastrophe.
S'il existe une précaution à prendre avant de se lancer dans une expérimentation, c'est bien de mieux cerner les personnes qui renoncent au recours, afin d'en avoir une idée extrêmement précise en fonction des territoires, afin de comprendre les mécanismes qui expliquent pourquoi ces personnes ne veulent pas revendiquer les droits auxquels ils peuvent prétendre. Le revenu de base étant universel, tout le monde y a forcément droit ! Cela éviterait que des gens, notamment dans les campagnes, renoncent à réclamer le RSA au secrétaire de mairie par crainte de la stigmatisation - sans parler de la difficulté des questionnaires.
Ce projet a été soutenu avec quelques nuances par l'ensemble des organisations syndicales, des partis politiques et du Conseil économique, social et environnemental (CESE). La question va au-delà de l'expérimentation. On va résoudre techniquement un certain nombre de questions sur des territoires parce qu'il reste une part de budget au ministère de la formation professionnelle, mais on ne pourra, demain, élargir le système, la question du financement n'étant pas résolue.
La question que soulève le revenu de base est de même nature : on trouvera le budget au stade de l'expérimentation, mais on ne pourra dépasser celui-ci.
Où le revenu de base fonctionne-t-il ? On peut citer de l'Alaska, qui est un tout petit État...
Il s'agit d'une prime qui est versée grâce aux revenus tirés du pétrole...
En effet. Elle s'élevait à 2 300 dollars lorsque le prix du baril était au maximum.
À Las Vegas, cette prime est assise sur les bénéfices issus des jeux. La France dégage peu de revenus de ses casinos. Elle exploite peu le pétrole ou les matières premières. Je ne vois donc pas sur quelle base on pourrait asseoir le revenu de base.
Compte tenu du fait que celui-ci dépend du PIB, des choix devront s'opérer en situation de crise économique, au risque de recréer la trappe à pauvreté d'où on voulait sortir. La question de fond est donc celle de l'élargissement de l'expérimentation.
Répondre à un problème qui ne concerne que 5 % de la population justifie-t-il d'impliquer l'ensemble de celle-ci, le revenu universel étant par principe versé à tout le monde, même aux enfants, après adaptation ? Pourquoi pas ? En tout état de cause, ce concept mérite d'être comparé à d'autres solutions.
De la même façon, quel pourcentage de la population le non-recours aux aides représente-t-il ? Ne peut-on répondre différemment à ce point précis ? Il faut que le revenu de base soit comparé de la manière la plus objective possible. Où est le pour, où est le contre ?
Il en va de même de l'expérimentation. Mener une expérimentation sans conclure en faveur d'une généralisation ne sert à rien. Étant donné que ce revenu concernerait l'ensemble de la population, il faudrait l'expérimenter sur une zone géographique où tout le monde en bénéficierait, mais on ne peut expliquer aux retraités que, dorénavant, cela empiétera sur leur revenu de base. Ils ont des droits acquis. Ce n'est donc pas simple.
Une expérimentation devrait selon moi être menée sur un échantillon représentant l'ensemble des ayants droit futurs. En revanche, il faut s'assurer auparavant qu'on peut en tirer quelque chose, sinon l'expérimentation ne sert à rien.
Nous avons précisé que nous n'étions pas favorables à une logique d'expérimentation. Plusieurs arguments se rejoignent. Nous ne pouvons nous comparer à la Namibie s'agissant de la pauvreté ou de l'accès aux droits élémentaires. Il ne fait pas encore aussi froid ici qu'en Alaska, et nous ne sommes pas un casino de Las Vegas. Une expérimentation, dans la République dans laquelle nous nous trouvons encore, doit viser l'égalité de droits.
Que veut-on mesurer ? S'il s'agit de mesurer le retour à l'emploi, comme en Finlande, on est bien dans le piège qu'on évoque depuis tout à l'heure lorsqu'on parle de dénaturer l'emploi, d'accompagner l'uberisation et de forcer des gens qui ne voudraient pas retourner vers l'emploi. S'il doit y avoir une intervention pour aider un retour à l'emploi - moyens supplémentaires à Pôle emploi, structures territoriales supplémentaires - on doit mener une politique ciblée, financée, afin de revenir au plein-emploi. C'est un débat à part entière, mais qui n'a rien à voir avec le revenu de base.
S'il s'agit de lutter contre la pauvreté - le Conseil national de lutte contre la pauvreté (CNLE) en débat - c'est un débat avec la puissance publique, qui cherchera à financer la lutte contre la précarité énergétique, la paupérisation et la pauvreté. Dans ce cas, on parle d'une politique ciblée.
Nous restons totalement persuadés que la question du revenu de base remettra complètement en cause l'ensemble des fondamentaux de notre société, de l'égalité de droits et de la valeur travail. Nous maintenons que ce sont aujourd'hui les tenants économiques les plus ultralibéraux qui y poussent, de façon à pouvoir justifier la transformation du modèle économique et de l'emploi - uberisation, etc.
Je répète que le fait que le débat soit introduit par le Conseil national du numérique n'est pas anodin. Il n'y a pas plus ultralibéral que ce rapport ! Il s'agit d'une promotion de ce nouveau modèle, dont on se sert comme alibi pour casser les fondamentaux.
Quant à son financement, à partir du moment où plus personne n'a de revenu, il n'y a plus d'impôt sur le revenu non plus. Le modèle ne s'autofinancera pas : on tombera dans une paupérisation et une pauvreté générale. C'est un piège économique et social dans lequel nous ne voulons pas tomber !
Si l'on devait financer un revenu de base sans toucher à quoi que ce soit de ce qui permet de financer aujourd'hui les politiques publiques, les minima sociaux, etc., nous préférions que cette source de richesse nouvelle vienne abonder l'assurance chômage et les moyens consentis à la lutte contre la pauvreté, dans un cadre respectant le contrat de travail, qui a fait notre richesse.
Avec un revenu de base, la France ne serait pas recordman du nombre de travailleurs protégés : 93 % de nos travailleurs sont couverts par une convention collective ou par un statut. Ceci est bien dû au fait que nous avons lutté les uns et les autres, politiquement, comme socialement et syndicalement, contre les tentatives de dérives ultralibérales, et que nous ayons réussi à maintenir des droits collectifs.
Nous affirmons que le risque de transformation de notre société sur un plan quasi philosophique réside dans le fait de donner 300 euros, 900 euros, ou 2 000 euros, et de laisser ensuite les gens se débrouiller seuls, parce qu'il aura fallu financer ce système avec ce qui permet aujourd'hui de payer la solidarité et la redistribution collective républicaine !
Dans les manifestations, nous, élus de la majorité, n'avons pas beaucoup entendu parler du record du monde des travailleurs protégés...
Je vous invite demain après-midi à 14 heures à la Bastille !
Mais que nous puissions en débattre intimement est réconfortant !
Ces échanges sont passionnants. Je vous remercie de vous livrer autant. Cependant, le monde entier, l'Europe et le pays, à leur manière, avec ce nouveau clivage opposant ceux d'en bas à ceux d'en haut, nous réclament d'adapter la protection au monde d'aujourd'hui et à ses incertitudes. Nous devons donc être très attentifs, en tant qu'élus, aux possibilités d'évoluer, sans remettre en cause quoi que ce soit.
J'ai bien compris les positions des uns et des autres : elles ont le mérite de la franchise et de la clarté. Nous ne sommes pas là pour réaliser un rapport à l'eau de rose ou adouber qui que ce soit. Ce n'est pas le Conseil national du numérique - que nous avons auditionné - qui a soulevé la question. Certes, elle est posée à travers son rapport, mais beaucoup d'autres s'en sont saisis, et on peut penser que cela viendra dans le futur débat des élections présidentielles. Je vois mal certains candidats ne pas s'approprie la question pour « faire rêver ». Ce n'est pas ce que nous voulons ! Nous désirons poser raisonnablement un débat pour le ramener à sa juste proportion.
Beaucoup d'idées parmi celles que vous avez exposées sont fort justes et définissent les limites à ne pas dépasser dans la société qui est la nôtre, et que nous ne cherchons pas à remettre en cause. Il est évident que certains voudraient mettre à terre notre haut niveau de protection sociale. Telle n'est pas l'intention de la mission, ni à droite ni à gauche. Il s'agit de se poser la question à laquelle ni les uns ni les autres n'avons répondu jusqu'à présent de façon précise : comment avoir un très haut niveau d'emploi ? On ne peut pas dire qu'on a répondu à la question avec un niveau actuel de chômage à 10 %. Je sais que la CGT a des solutions. On l'entend répéter au Sénat à longueur de débats...
Il faut les mettre en oeuvre !
Peut-être faut-il les mettre en oeuvre. Ce n'est pas un sentiment partagé par tout le monde. Vous n'êtes pour l'instant pas une majorité - en tout cas pas chez les politiques...
Il n'y a pas non plus de majorité sur la loi travail !
Je ne dis pas le contraire, mais essayons de nous écouter pour avancer.
Ce qui me gêne beaucoup, c'est de voir des jeunes qui n'arrivent pas à s'insérer dans le marché du travail, et de rencontrer plus de 20 % de chômage chez eux ! Cela me retourne les tripes. Il suffit de l'avoir vécu chez soi ou autour de soi ou, lorsqu'on est élu, de recevoir à longueur de journée des jeunes qui viennent plaider leur cause pour entrer dans la collectivité, qui n'en peut mais ! Un senior, à cinquante-cinq ans, n'est pas fichu ! Nous en sommes ici la meilleure preuve, puisque nous travaillons toujours et qu'on a en général dépassé cinquante-cinq ans ! Voilà deux populations concernées par la valeur travail et, tout simplement, par le travail.
Ces questions ressurgissent à travers le débat. Vous avez rappelé qu'une expérimentation limitée dans le périmètre du chômage de longue durée était engagée. Les deux se recoupent, mais cela ne représente pas tout. Peut-être ce débat sur le revenu de base est-il l'occasion de remettre ces questions sur le tapis et d'essayer de les poser d'une autre façon.
Vous allez me dire que c'est aux politiques publiques d'y répondre. Bien sûr ! Je ne le nie pas. C'est d'ailleurs bien la question que nous posons. Nous sommes en train d'essayer d'inventer une nouvelle politique publique. C'est notre rôle, tout comme c'est également le vôtre d'y contribuer.
Je reviens sur ce que j'ai dit : tant qu'on aura une concurrence déloyale en matière fiscale, environnementale et sociale, le reste sera littérature !
C'est très juste, mais cela ne résoudra pas le problème : nous avons nos propres responsabilités !
En effet, le coeur du sujet est sans doute là. Le reste demeure à la marge.
Bien évidemment, il faut étudier l'expérimentation qui se déroule en Finlande, en mesurant aussi que les différences culturelles peuvent faire qu'avec les mêmes règles, on arrive à des résultats différents. Nous ne sommes pas finlandais ! Il n'est besoin que de mesurer la différence qui existe entre nos amis Alsaciens et nos amis de Marseille !
Par ailleurs, on n'a pas insisté sur le risque de développement du travail illégal, qui est certain, et qu'il faut pouvoir mesurer.
Enfin, s'il faut absolument un segment pour expérimenter le revenu de base, expérimentons-le avec les parents qui s'arrêtent de travailler pour éduquer leurs enfants. Beaucoup ne peuvent aujourd'hui le faire parce qu'ils n'en ont pas les moyens financiers. Ce serait offrir un choix, un espace de liberté, à un segment de population sur lequel on pourrait l'expérimenter.
Je voudrais revenir sur le non-recours, les minima sociaux, et la simplification administrative.
Je ne pense pas que le revenu de base soit la solution miracle pour résoudre le problème du non-recours au RSA. Cette question est une réalité. Le dossier compte dix-sept pages et nécessite de nombreuses copies.
Remplir un dossier administratif constitue une façon de rencontrer les gens en difficulté, et permet de les accompagner en cas de besoin. Il ne faut donc pas faire de raccourcis.
Le non-recours se rencontre plus dans le cas du RSA activité que dans celui de la prime d'activité. Il faut donc se pencher sur ce sujet, sans présenter le revenu de base, de manière simpliste, comme la solution aux problèmes que l'on constate aujourd'hui, quels qu'ils soient.
Il existe quelques mesures que le législateur pourrait prendre pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion.
Le chômage est source de précarité et de pauvreté. Ne plus faciliter les licenciements constitue une mesure pour lutter contre le chômage, comme à Alstom Belfort...
Arrêter de les faciliter...
En effet ! Aujourd'hui, n'importe quelle entreprise, quel que soit son carnet de commandes ou les bénéfices qu'elle réalise, licencie comme elle le veut, favorisant la précarité, envoyant des personnes au chômage, les condamnant à la misère. C'est une petite mesure : on peut agir tout de suite !
Vous pouvez ne pas être d'accord. Les chiffres parlent d'eux-mêmes !
En matière de chômage des jeunes, je suis comme vous. Cela me remue également les tripes quand des jeunes ne trouvent pas d'emploi. J'ai été jeune - on l'a tous été à un moment ou un autre. Une politique volontariste qui s'adresserait à la jeunesse et aux entreprises pour les contraindre à se tourner vers des jeunes qui sont souvent très diplômés, qualifiés, disponibles et motivés, participerait efficacement à l'éradication de la pauvreté et de la précarité.
Dernier cas sur lequel vous pouvez agir en tant que législateur. Le 1er janvier 2017 interviendra l'augmentation du SMIC. Je vous invite à considérer que les 0,5 %, 0,6 % ou 0,8 % d'augmentation ne sont pas suffisants pour lutter contre la pauvreté ! Le pays compte deux millions de « smicards ». Deux millions de personnes vivent avec 1 160 euros par mois. Si vous voulez lutter contre la pauvreté - comme tout le monde - il existe des mesures qui peuvent s'appliquer dès le 1er janvier 2017 ! C'est votre rôle. On n'a pas de pétrole, mais on a plein d'idées : il n'y a plus qu'à les mettre en oeuvre !
Vous avez certainement un rôle à jouer.
Nietzsche disait : « C'est la certitude qui rend fou ». Je n'ai donc pas de certitude. Cette mission est une mission d'information. Nous sommes là pour nous informer et nous forger une opinion. Pour moi, il n'existe pas de solution toute faite, qu'elle soit économique ou sociale, mais des discours qui font plaisir à ceux qui les écoutent.
Je veux faire preuve de beaucoup d'humilité. Je suis l'auteur d'un rapport sur la pauvreté, et j'interviens demain matin devant le Conseil national de lutte contre les exclusions, le CNLE, sur le vingt et unième critère de discrimination, une proposition de loi que j'ai déposée au Sénat, où elle a été adoptée à l'unanimité, moins quelques abstentions, ainsi qu'à l'Assemblée nationale.
Si j'ai voulu participer à cette mission d'information, c'est parce que je trouvais cruel le phénomène du non-recours. Le président du CNLE, M. Étienne Pinte, le rappelait : le non-recours représente dix milliards d'euros, ce qui est énorme !
Le RSA activité, selon M. Martin Hirsch lui-même, est un échec absolu, parce qu'il est compliqué, et délicat sur le plan administratif. Les hommes et les femmes - et, de plus en plus, les enfants - qui sont en situation de grande précarité en ont assez de raconter leur histoire une fois, deux fois, trois fois.
J'ai rédigé un certain nombre de préconisations. Je trouve terrible que nous soyons l'un des pays où la protection sociale est la plus forte pour ceux qui ont un travail, mais non pour les autres. Aujourd'hui, on compte deux millions de chômeurs. C'est un chiffre extrêmement important. Entre 9 % et 10 % de la population se situe en dessous du seuil de pauvreté, soit 987 euros par mois. Un enfant sur cinq est pauvre - un sur deux dans les zones urbaines sensibles.
Il s'agit d'une question d'urgence absolue. C'est pourquoi je participe à cette mission. Des propositions de loi pourraient être déposées. On pourrait prendre en considération ce qui a été dit par les uns et les autres. J'ai écouté chacun avec beaucoup d'attention. Je crois qu'il est indispensable de mener une expérimentation - avec les risques que cela peut bien entendu comporter - afin de sonder le terrain, puisqu'il n'existe nulle part de solution toute faite, pas plus en Finlande qu'ailleurs.
Il faut essayer de comprendre la réalité, mais en partant du fait qui, selon moi, s'impose à tous : cette pauvreté qui sévit dans notre pays - le pays des droits de l'homme - doit être impérativement combattue. Comment faire ? Le phénomène de non-recours est extrêmement important. Les choses ne se régleront pas d'un coup de baguette magique : nous devons être les porte-paroles de ceux qui n'ont plus la force de s'exprimer !
Je m'interroge, mais je n'ai pas de réponse. La réunion d'aujourd'hui ne m'en apporte pas. Tout juste fournit-elle quelques éclairages et dégage-t-elle quelques éléments que vous avez fournis les uns et les autres. Certains remèdes peuvent être pires que le mal. Soyons prudents. De grâce ! Faisons preuve d'une certaine forme de modestie et d'humilité. C'est compliqué, c'est difficile, mais l'objectif doit être partage par tous : il s'agit de lutter contre la pauvreté, et le plus rapidement possible !
Le revenu de base peut constituer un élément de cette lutte, à condition qu'on ne mette pas de côté les allocations chômage ou notre système de protection sociale. Ce ne peut être qu'un plus par rapport aux droits sociaux que nous sommes parvenus à conquérir collectivement, syndicalement et politiquement. On ne peut fermer la porte. Elle est ouverte. On a mis le pied en travers : essayons de voir comment cela peut fonctionner. Avançons en évitant les écueils, afin de déterminer si cela peut permettre d'éviter la grande pauvreté et l'exclusion.
J'en ferai bien volontiers ma conclusion ! Cela permet à chacun d'être devant ses responsabilités, vous comme nous. Essayons d'avancer ensemble. J'espère que le rapport que nous publierons le 12 octobre vous conviendra. Vos auditions y seront reprises, et nous essayerons de les traduire de façon synthétique dans une proposition que je ne connais pas à ce stade, puisque nous n'en avons pas encore débattu à ce jour.
Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Louis Gallois, président du Fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée.
Votre mission recoupe, monsieur le président, une préoccupation qui ressort de nos travaux, même si le revenu de base ou le revenu universel ne concerne pas uniquement les chômeurs de longue durée. Il nous est apparu utile au fil de nos auditions de recueillir votre point de vue, dans la mesure où vous avez mis en place l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
L'objet de l'audition est de nous éclairer sur cette expérience ainsi que sur les conditions de mise en oeuvre du Fonds d'expérimentation. Nous partageons en effet cette idée d'expérimentation, mais pour le revenu de base. Nous souhaiterions nous entretenir avec vous de la question des obstacles à éviter en la matière.
Je vous remercie de m'avoir convié à m'exprimer sur ce sujet.
Je présenterai d'abord l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Nous verrons ensuite si l'on peut établir un lien entre ce projet et l'idée du revenu de base, sur laquelle je suis amené à réfléchir au sein de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, que je préside et qui réunit les grandes associations de solidarité. Cette réflexion n'est pas achevée et les opinions sont assez divergentes au sein de cette fédération. Ce débat paraît d'ailleurs naturel s'agissant d'une question aussi importante.
Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée », qui a été élaboré par ATD Quart Monde, repose sur trois constats qui peuvent ne pas paraître évidents : personne n'est inemployable ; il y a du travail pour tous ; il y a de l'argent.
Premier point, personne n'est inemployable : c'est le postulat de départ. Il est trop facile de dire qu'un chômeur de longue durée devient inemployable. Ainsi, nous considérons au sein de la FNARS que toute personne est employable dès lors que l'on s'en donne les moyens, d'une part, en définissant les emplois que ces personnes peuvent occuper et, d'autre part, en les accompagnant et en les aidant à accéder à ces emplois.
Deuxième point, ce n'est pas le travail qui manque. C'était pour moi une découverte, dans la mesure où je ne suis pas membre d'ATD Quart Monde - ce mouvement ne fait d'ailleurs pas partie de la FNARS, ce que je regrette. Il suffit cependant pour s'en convaincre de considérer quels sont, dans des territoires donnés, les tâches d'intérêt collectif à effectuer et les emplois non marchands susceptibles d'être occupés. En réalité, il y a beaucoup plus d'emplois que de chômeurs de longue durée, et des emplois d'une grande diversité : animation d'un club photo, mobilité des personnes isolées en zone rurale, nettoyage des sous-bois, désherbage...
Troisième point, il y a de l'argent disponible. Selon les calculs d'ATD Quart Monde, un chômeur de longue durée coûte entre 18 000 et 20 000 euros par an à la nation. C'est à peu près le niveau du SMIC brut. L'idée est de financer de l'emploi en économisant ce coût. Ce concept général a donné lieu à une loi votée à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale et à l'unanimité au Sénat.
La procédure a été complexe pour aboutir au décret, puisqu'il a dû être approuvé par quatre entités : le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, le CSESS, le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles, le CNEFOP, le Conseil d'État, et le Conseil de la simplification pour les entreprises. Ce fut une autre de mes découvertes... Mais Mme El Khomri s'est débrouillée pour que cette procédure se déroule en moins d'un mois.
La loi ayant été votée et le décret publié, nous avons pu élaborer l'appel à candidatures et l'envoyer aux territoires candidats à l'expérimentation à la fin du mois de juillet. La réponse doit nous être apportée avant le 28 octobre. Nous attendons entre 40 et 50 candidatures. Certains feront peut-être machine arrière, car le dossier est complexe à constituer. Actuellement, environ une soixantaine de territoires sont intéressés.
L'expérimentation doit porter au maximum sur 10 territoires, comptant chacun 6 000 à 10 000 habitants. Seraient concernés de 200 à 250 chômeurs de longue durée par territoire. En tout, et c'est la contrainte budgétaire qui nous est imposée, 2 000 personnes bénéficieront donc d'un emploi. Nous souhaitons que ce public soit d'une grande diversité.
Dans le texte que nous avons voté, il était plutôt question de bassins d'emploi...
Il faut que le dispositif soit gérable et qu'un comité local puisse se constituer une entité. Si l'on avait retenu l'échelle du bassin d'emploi, seules une ou deux expérimentations auraient été possibles.
Le processus de sélection est inclus dans l'appel à candidatures. Outre les critères de type « oui/non », sont prévus des critères classants qui permettront de choisir les meilleurs territoires.
On a pensé à certains territoires, mais ils ne sont pas prédéterminés...
Nous sommes confrontés à un problème d'égalité d'accès de tous les territoires à cette expérimentation. On ne peut pas dire a priori que certains d'entre eux seront dispensés de concourir.
La liste des territoires que nous allons établir sera validée par le ministre de l'emploi, qui devra constater que nous avons respecté la procédure prévue. Ce point est très important, car nous sommes soumis à de très nombreuses pressions. Notre démarche doit donc être tout à fait professionnelle.
Nous suivons pour cela quelques principes essentiels.
Le premier est l'exhaustivité. Grâce aux collectivités locales, nous disposons pour chaque territoire de la liste exhaustive des chômeurs de longue durée. Chacun d'entre eux sera contacté et, s'il le souhaite, devra pouvoir postuler. Tous ceux qui seront candidats bénéficieront d'un emploi.
Quel sera le délai entre le moment où la personne postule à un emploi et celui où elle l'obtient ?
Dès lors que l'expérimentation sera lancée, ce sera rapide. Les capacités de la personne seront examinées lors d'un entretien, de même que ses souhaits : veut-elle travailler à temps partiel ou à plein temps ? Accepte-t-elle d'être payée au SMIC, d'être embauchée en CDI ? Un emploi se rapprochant autant que possible de ce que veut le candidat doit lui être proposé.
Le deuxième principe est la non-concurrence. Le seul moyen de s'assurer que ce principe est respecté est d'interroger ceux qui pourraient souffrir d'une éventuelle concurrence. Il est donc très important que les entreprises soient associées à l'expérimentation dans les territoires concernés et puissent s'exprimer.
Oui. Pour ce qui concerne le secteur public, les syndicats veilleront à ce que le dispositif n'entre pas en concurrence, par exemple, avec le travail des employés municipaux.
Le troisième principe est la mobilisation de l'ensemble des acteurs du territoire ayant leur mot à dire en matière d'emploi : collectivité locales, entreprises, syndicats, Pôle emploi, direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Il s'agit là d'un critère non pas classant mais de type « oui/non ».
Sans mobilisation de l'ensemble du territoire, l'expérimentation ne pourra pas fonctionner. Dans les 5 territoires que vous évoquiez, monsieur le président, tous les acteurs sont mobilisés.
La gestion du dispositif, j'y suis attaché, devra rester aussi locale que possible. Cela ne sera pas évident, car le financement, dont le Fonds d'expérimentation sera responsable et qu'il gérera, sera central. Il est très important que les comités locaux pilotent les entreprises « à but d'emploi », les EBE, qu'ils auront créées dans chaque territoire, et dont ils recrutent actuellement les directeurs.
Les EBE embaucheront les chômeurs de longue durée et les mettront à disposition des différentes entités - agriculteurs, mairies, associations... - qui souhaitent travailler avec eux. Il y aura 1 ou 2 EBE par territoire, voire 3 dans les plus importants.
Le budget dont sera doté le Fonds d'expérimentation est actuellement négocié avec le ministre de l'emploi. Ses ressources proviendraient en partie de la contribution des entités ayant recours aux services des chômeurs de longue durée embauchés par les EBE. Les départements participeraient également à son financement, dès lors qu'ils n'auraient plus à verser le RSA. Pour le reste, l'État donnera une enveloppe dont le montant, je le répète, n'est pas encore déterminé. Nous estimons ce montant, en année pleine et pour 2 000 emplois assurés, à environ 20 millions d'euros. Mais cette montée en régime n'aura pas lieu immédiatement, car les premières EBE seront créées au plus tôt au début de l'année prochaine.
Notre objectif est d'établir une liste de territoires le plus rapidement possible afin que nous puissions engager l'expérimentation, au moins partiellement, dès le 1er janvier 2017.
Le Fonds d'expérimentation est une association. Le premier conseil d'administration s'est d'ores et déjà réuni ; le deuxième se tiendra la semaine prochaine. Il est assez pléthorique, mais un bureau plus resserré aura la responsabilité de gérer les fonds reçus et de financer les EBE ; il négocie également son propre budget de fonctionnement, car un effectif de 4 à 6 personnes sera nécessaire pour piloter les opérations au départ.
Qu'en sera-t-il des territoires qui ne seront pas retenus ? Ils constituent, selon nous, un potentiel et nous ne voulons pas les décourager. Nous souhaitons, si la première phase de l'expérimentation est un succès, qu'une deuxième, plus vaste, soit engagée afin de valoriser pleinement les potentialités du mécanisme.
L'évaluation est un point très important. Le décret prévoit la constitution d'un comité scientifique composé, entre autres membres, d'universitaires et de statisticiens. Nous bénéficierons aussi du soutien de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES.
Il nous faudra, tout d'abord, évaluer l'exhaustivité : a-t-on identifié tous les chômeurs de longue durée ? Combien ont été reçus ? Combien se sont portés volontaires pour participer à l'expérimentation ?
Il n'y aura pas 100 % de volontaires. Il faut savoir que certains chômeurs de longue durée qui sont sortis des statistiques de Pôle emploi et ne touchent aucune indemnité chômage ont trouvé des équilibres de vie, et parfois des ressources partielles. Ils ne veulent pas remettre en cause cet édifice fragile au profit d'une expérimentation dont ils ne savent pas ce qu'elle deviendra.
Il faudra, ensuite, analyser les résultats en termes de résorption de chômage de longue durée et de création d'emplois supplémentaires, vérifier que ceux-ci ne sont pas des emplois de substitution par rapport aux emplois existants, connaître le degré de satisfaction des personnes les ayant occupés, mesurer le succès des EBE et le « turn over », c'est-à-dire combien de temps les chômeurs restent dans ces emplois et combien d'entre eux trouvent un emploi marchand.
Il conviendra, enfin, d'examiner l'impact sur les finances publiques. Quelles prestations sociales, quels coûts, individualisables ou non, ont-ils été économisés ? Combien le nouveau dispositif aura-t-il coûté ? Le bilan est-il équilibré ?
Nous ne cherchons pas à faire des économies par rapport au système actuel. Il s'agit non pas de supprimer le RSA, par exemple, mais d'utiliser l'argent existant pour permettre aux personnes de retrouver un travail.
Les ressources dont bénéficient les chômeurs de longue durée sont donc transférées aux EBE pour financer l'emploi ?
C'est l'objectif à atteindre. Mais pour amorcer la pompe, il faudra d'abord des financements publics pour partie. Il sera en effet très compliqué de rassembler toutes les allocations, mis à part le RSA.
Au sein des collectivités territoriales, la problématique est différente : nous ne transférons pas de fonds aux entreprises, nous donnons un revenu aux individus.
Dernier point : il faudra évaluer l'impact sur l'économie globale, par exemple en termes de distribution de pouvoir d'achat et de coût de fonctionnement des EBE, et déterminer si ces entreprises peuvent ou non assurer leur pérennité.
Votre présentation présente beaucoup de similitudes, notamment chiffrées, avec ce que nous avons entendu à Helsinki. C'est en Finlande, où le taux de chômage est de 8 % et la protection sociale remarquable - le cumul des allocations peut aboutir à 1 800 euros par mois ! -, que l'idée du revenu de base a été lancée. Mais les Finlandais sont revenus sur cette idée en limitant, comme vous, ce revenu au chômage de longue durée. L'échantillon retenu est également de 2 000 personnes.
Le problème qui se pose en Finlande est de savoir si le cumul de ce revenu de base avec les prestations sociales essentielles - l'APL, par exemple - peut favoriser la reprise de l'emploi. Le taux d'emploi dans ce pays est actuellement de 69 %. Les Finlandais cherchent à atteindre celui de la Suède, soit entre 72 et 73 %.
En France, le taux est de 56 ou 57 %...
Ma question n'est pas malicieuse, mais les territoires qui ne seront pas retenus pourraient-ils concourir à une expérimentation du revenu de base ? Ou bien voyez-vous une contradiction entre les deux ou une complication supplémentaire ?
Non, je n'y vois pas de contradiction. Sur le revenu de base, la FNARS n'a pas encore pris position, aussi m'exprimerai-je à titre personnel.
Nous ne voulons pas désespérer les territoires non retenus ; nous souhaitons au contraire qu'ils se préparent, car cette phase de préparation est très longue. Vous évoquiez, monsieur le président, les cinq territoires préconisés. Cela fait deux ans qu'ils y travaillent ! Faire l'inventaire complet des chômeurs de longue durée, contacter chacun d'entre eux, aller les chercher - ils ne viennent pas aux convocations ! - est un travail considérable. On veut leur dire qu'il y aura une seconde vague, et que nous allons nous battre pour qu'il en soit ainsi.
Cela étant dit, certains territoires peuvent être ouverts à l'idée d'expérimenter le revenu de base en attendant.
Pourquoi attendre que tout le monde soit d'accord ? Vous dites qu'il faut deux ans de préparation. C'est inquiétant, car cela signifie que la mandature qui a lancé ce projet n'en verra pas les retombées positives.
Comme l'Assemblée nationale et le Sénat ont voté à l'unanimité, je n'imagine pas que le processus soit interrompu !
Vous êtes un homme de consensus !
Mais si deux territoires sont d'ores et déjà très actifs, il serait intéressant de les faire commencer tout de suite, pour voir les difficultés techniques du dispositif. Cela permettrait aux autres territoires de les éviter. Je vois bien l'intérêt de lancer l'expérimentation pour tous en même temps : cela nous donnera des repères ; si ce n'est pas satisfaisant dans un territoire, les neuf autres pourront compenser pour assurer la fiabilité de l'étude...
Mais, j'insiste, pourquoi ne pas expérimenter tout de suite dans un ou deux territoires pour observer les difficultés techniques ? Quel type d'emplois recherche-t-on ? Dispose-t-on des formateurs ?...
Vous allez dans le sens du directeur de cette expérimentation, M. Patrick Valentin, qui a inventé ce dispositif. C'est un homme extraordinaire, qui a trente ans d'expérience dans le domaine de l'insertion par l'activité économique.
Il vient d'ATD Quart Monde, mais il est aussi un entrepreneur. Il est favorable à l'idée de faire démarrer tout de suite les territoires qui sont déjà prêts. En tant que vieux briscard - c'est le bénéfice de l'âge ! -, je l'ai mis en garde contre les éventuels recours contentieux. Il y a 10 places pour 60 candidats. Si nous commençons par choisir deux territoires qui nous paraissent remplir les critères, il n'y aura plus que 8 places. Cela créerait une inégalité au sein de cette procédure publique, qui est financée par de l'argent public. On s'exposerait, je le répète, à des recours contentieux.
Est-ce parce que vous voulez que soient recensés tous les candidats potentiels, c'est-à-dire tous ceux qui sont au chômage de longue durée ?
Non, je parle des territoires candidats. Actuellement, nous avons 50 territoires intéressés. Peut-être qu'une quarantaine d'entre eux pourront déposer un dossier. Sur ces 40, nous ne pouvons pas choisir a priori. Nous avons des critères, il faut que nous les appliquions. Comme c'est un concours et non un examen, il nous faut des critères classants. Or, pour classer, il faut tout le monde ! On ne peut pas permettre à certains d'être hors concours.
Nous n'avons pas le choix !
J'imagine les pressions dont vous allez faire l'objet de la part de tous les politiques.
C'est déjà fait !
Je déconseille vivement à Mme la ministre de le faire, par prudence, car elle fera des mécontents. Il y aura 40 mécontents pour 10 retenus !
Quand ce sont des élus...
On n'attend pas ! Nous avons besoin qu'ils soient listés et qu'ils aient été contactés. Ensuite, leurs réponses arriveront progressivement... Certains vont hésiter et, si ça marche, ils viendront.
Les plus difficiles à joindre sont les jeunes. Ils ont l'impression de se faire embrigader. Il ne faut pas que les propositions soient assimilées aux travaux d'intérêt général qui servent de peines alternatives à la prison, même si, en l'occurrence, ils seront payés !
Il faudra convaincre ces jeunes. Cela se fera progressivement. C'est un pari, je ne vous le dissimule pas, et cette méthode est très étrangère à la France. Il est bon de ne pas se lancer d'un seul coup dans un processus national.
On ne peut pas imposer ce dispositif à des personnes qui ne voudraient pas y participer.
Il ne faut ni posture nationale ni médiatisation excessive, mais une participation des acteurs du terrain.
Monsieur Gallois, vous êtes certainement plus à l'aise pour nous répondre aujourd'hui sur la question qui nous préoccupe que si vous étiez toujours responsable de la SNCF, compte tenu de la période que nous traversons...
Cette expérimentation est une très belle ambition. Mais on peut craindre les difficultés d'une telle entreprise. Je pense en particulier à la question de l'encadrement des chômeurs de longue durée. Qui les suivra - un responsable de collectivité locale, une personne dans l'entreprise ? Cela suppose des coûts. Or les conservatismes existent partout, à gauche comme à droite. Comment faire pour que le coût ne soit pas trop élevé, ce qui conduirait à un recul du volontarisme ?
ATD Quart Monde estime de 18 000 à 20 000 euros le coût d'un chômeur de longue durée, soit l'équivalent du salaire médian (1 656 euros). Comment le calcul a-t-il été fait ?
Le SMIC annuel brut s'élève à 17 600 euros. ATD Quart Monde a fait une étude extrêmement complète que je peux leur demander de vous fournir. Je ne dis pas que ce chiffre est exact à 1 000 euros près ; mais c'est un ordre de grandeur qui montre que l'on peut financer le SMIC.
Cela nous permet d'avoir des éléments de réponse qui correspondent à la réalité.
Je vais me faire l'avocat du diable pour ma dernière question. Les jeunes vivent des situations de plus en plus difficiles et ont du mal à trouver un emploi, alors même qu'on leur demande toujours davantage de diplômes. Que répondre à ceux qui nous disent qu'au lieu de s'occuper des chômeurs de longue durée, on ferait mieux de s'occuper des jeunes ?
Les EBE sont des structures très légères : elles embauchent et mettent à disposition. Pour certains chômeurs de longue durée, il faudra un accompagnement. Le secteur associatif sait faire cela. Je suis à la tête d'un réseau qui réunit l'essentiel des structures d'insertion par l'activité économique, la FNARS, et nous savons ce qu'est l'accompagnement.
Dans les EBE, nous pourrons embaucher des personnes susceptibles de nous aider. De nombreux chômeurs de longue durée - par exemple, des comptables - ont plus de 50 ans, et ne sont donc pas embauchables ailleurs, alors même qu'elles ont des capacités.
En ce qui concerne les jeunes, dès lors qu'ils sont au chômage depuis plus d'un an, ils sont considérés comme des chômeurs de longue durée. Mais nous devrons faire un effort particulier pour aller les chercher, car ce ne sont pas ceux qui viennent le plus spontanément.
Bien sûr, elles sont parties prenantes.
J'en préside une. C'est déjà un problème pour elles de recenser tous les jeunes. Nombre d'entre eux ne veulent pas entrer dans le dispositif.
Les jeunes sont une priorité : 150 000 jeunes sont chaque année sans emploi, sans formation et sans revenu.
Il existe la Garantie jeunes, une expérimentation qui a été prolongée...
et amplifiée. La loi Travail a augmenté le nombre de jeunes qui pourront en bénéficier.
Cette expérimentation devait se terminer à la fin de 2017. Elle concernait 80 000 jeunes ; ce chiffre va doubler. Pour les jeunes les plus éloignés de l'emploi, c'est déjà une réponse.
Les missions locales ont énormément de difficultés à aller chercher ces jeunes.
On peut certes fixer le chiffre à 150 000 jeunes, mais je peux vous dire que la mission locale que je préside a, malgré ses efforts, du mal à remplir ses objectifs.
Il est plus facile de s'occuper d'une personne volontaire que d'une autre qu'il faut aller chercher, pour laquelle il faut déployer des efforts plus importants.
Actuellement, 25 % de la population des centres d'hébergement que nous gérons sont des jeunes de 18 à 25 ans. Il y a dix ans, ce pourcentage était de l'ordre d'epsilon.
Pour moi, le revenu de base soulève des questions très lourdes, en premier lieu celle de son financement. Ses défenseurs sont très divisés : les ultra-libéraux y voient une alternative à la protection sociale ; d'autres, l'occasion donnée à chaque personne de gérer son projet personnel.
Je suis interloqué par les chiffres. Un revenu de base à 800 euros par personne, soit à peu près le minimum vieillesse, coûterait de l'ordre de 600 à 650 milliards d'euros, c'est-à-dire environ le budget social de la nation. Alors, certes, il y aura un effet de substitution - le RSA disparaîtrait, etc. Mais ce n'est pas avec les 20 milliards d'euros des minima sociaux que l'on va le financer. Si l'on réduit trop le revenu de base, on retombe sur le RSA.
Si l'on étend le RSA à tous les Français, le fisc pourra le reprendre à ceux qui payent l'impôt sur le revenu, mais près de la moitié des Français n'y sont pas soumis. Le coût net devrait être de l'ordre de 45 milliards d'euros, soit plus de 2 points de PIB.
Si l'on instaure un revenu de base égal au RSA, qui seront les gagnants et les perdants ? C'est extrêmement complexe à déterminer, mais la suppression d'un certain nombre d'allocations entraînera nécessairement un grand nombre de perdants : ceux qui sont un peu moins pauvres que les plus pauvres.
Enfin, j'estime que, dans une société, il ne doit pas y avoir de salaire sans travail. Cet « argent distribué par hélicoptère », comme disent certains, encourage le débat détestable sur l'assistanat.
Le revenu de base modifiera les équilibres macroéconomiques de notre pays. Il faut donc lancer ce système que si l'on est certain du résultat, pour ne pas casser la machine.
Vous l'aurez compris, cette idée ne suscite pas un enthousiasme délirant de ma part. Mais je lis beaucoup sur le sujet, pour ne pas en rester à ma seule intuition. Je suis plutôt sur la ligne du rapport Sirugue : simplifier les minima sociaux. C'est une aventure compliquée - les Anglais sont engagés dans ce processus depuis quatre ans. L'allocation unique, avec des modulations pour tenir compte soit des projets d'insertion, soit des handicaps spécifiques, me paraît être une perspective beaucoup plus riche.
Ce serait intéressant de le faire sur un territoire cobaye, pour voir les effets de bord.
La croissance ne suffira pas. On ne résoudra pas le chômage de longue durée sans expérimentation, car les entreprises n'embaucheront pas de chômeurs de longue durée. Elles recruteront d'abord les chômeurs de courte durée.
Vous connaissez sans doute André Dupon, le président de Vitamine T, qui se dit prêt à embaucher tous les chômeurs de longue durée dans le cadre de l'expérimentation et recommande - il m'a d'ailleurs convaincu - que l'on ouvre le système au secteur marchand, avec la perspective pour les entreprises de toucher les aides.
C'est de la main-d'oeuvre gratuite.
Je connais bien André Dupon, qui est imaginatif et enthousiaste. Je discuterai d'ailleurs avec lui dans un avenir proche, puisqu'il souhaite participer à l'expérimentation pour Vitamine T.
Il faut veiller à ne pas créer une nouvelle catégorie d'emplois aidés. Les GEIQ, les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification, qui réunissent aussi bien des entreprises de taille honorable comme Vinci que des plus petites, se sont fixés comme objectif l'embauche de chômeurs de longue durée. Qu'une aide transitoire soit prévue sous forme de soutien financier et d'accompagnement de l'entreprise et du salarié, j'y suis favorable. Les entreprises ont un rôle à jouer dans l'immersion et dans le contact avec le secteur marchand : stages, contrats de professionnalisation...
C'est le cas avec la Garantie jeunes. Un jeune doit obligatoirement passer la moitié de son temps en immersion. Il faut donc un panel d'entreprises volontaires. Sur le territoire de ma mission locale, à Arras, près de 200 entreprises sont prêtes à accueillir des jeunes dans ce cadre. Sinon, cela ne marche pas !
Les GEIQ sont des institutions intéressantes. Les entreprises doivent s'y mettre. Ne nous faisons pas d'illusion : sans mécanisme spécifique pour les chômeurs de longue durée, sans formations, sans expérimentations, sans discussions avec les entreprises, via le MEDEF ou les GEIQ, on ne réglera pas ce problème. Je le redis, les entreprises n'embaucheront pas spontanément de chômeurs de longue durée, même avec 3 % de croissance.
On attend vos expérimentations dans les territoires !
La réunion est levée à 17 h 35.