Intervention de Gérard Mardiné

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 14 septembre 2016 à 14h30
Audition de représentants d'organisations représentatives de salariés

Gérard Mardiné, secrétaire national confédéral en charge de l'économie, de l'industrie et du développement durable de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres :

Dans le document que vous nous avez adressé, vous abordez deux problématiques, la lutte contre la pauvreté et l'accompagnement de l'évolution des modes de travail à travers l'automatisation et l'uberisation.

Il existe d'autres problématiques qui sont importantes, comme la cohésion sociale, les inégalités de revenus - qui peuvent d'ailleurs conditionner la cohésion sociale - la démographie. Comment ce type de mesures se traduit-elle en matière de natalité, sur laquelle repose le financement des retraités par les actifs ? Comment l'impute-t-on ? Cela joue-t-il sur la compétitivité de notre économie, dans un contexte aujourd'hui assez mondialisé, pour parler pudiquement ?

Pour la CFE-CGC, le revenu de base ne constitue pas une solution, mais une famille de solutions. En effet, à quelles prestations ce dispositif se substitue-t-il ? Quels sont les moyens de financement ? C'est forcément une évolution systémique majeure. Un revenu universel d'environ 500 euros par mois, proche du RSA, représente 16 % du PIB. Une somme de 1 000 euros par mois, à peu près l'équivalent du seuil de pauvreté, équivaut à 31 % du PIB. Ce sont des éléments très significatifs qui méritent des études d'impact, dont la CFE-CGC considère qu'elles n'ont pas encore été suffisamment conduites.

Nous sommes favorables à une expérimentation, mais il est préférable de faire les choses dans l'ordre : comment va-t-on le gérer ? Comment assurer la transition ? Il existe tout un tas de points sur lesquels il faudrait donc approfondir l'étude avant de se positionner de manière pertinente.

En effet, d'autres solutions sont envisageables, comme le regroupement d'un certain nombre d'aides sociales, etc. Il faudrait comparer ces différentes solutions entre elles pour avancer sur le sujet, ce qui n'empêche pas, le moment venu, de conduire une expérimentation locale - à condition de pouvoir en extrapoler des éléments.

La lutte contre la pauvreté est un vrai sujet, auquel on doit s'atteler. En l'absence d'études plus fouillées, la CFE-CGC pense que regrouper les aides sociales constituerait probablement un premier pas pragmatique et plus rapidement applicable que le revenu de base.

À quel système aurait-il vocation à se substituer ? Pour nous, comme cela a déjà été dit par d'autres, l'assurance chômage et la retraite doivent rester contributives. On voit mal comment la maladie peut se retrouver incluse dans le revenu de base. 50 % des dépenses d'assurance maladie sont constituées par l'hospitalisation : il s'agit de pathologies lourdes, contre lesquelles on peut douter que les gens pourront se couvrir individuellement grâce à un revenu de base. Ce pourrait même être un frein à la prévention ! On préférera manger qu'aller chez le dentiste ! Retraite, assurance chômage et maladie doivent donc être exclues de ce type de dispositif.

Nous pensons que le statut de salarié n'est pas prêt de disparaître, car il offre un véritable intérêt. On ne développera pas des voitures ou des avions en se mettant à son compte, et on n'embauchera pas des gens au motif qu'ils sont à leur compte. Le salariat va donc demeurer encore et pour longtemps le mode d'activité le plus important. Il y a de bonnes raisons à cela.

Nous nous interrogeons cependant sur le rôle de l'économie, qui permet de satisfaire les besoins des individus et de la société. On a quand même inventé le concept d'économie sociale et solidaire parce que l'économie de marché n'était plus capable de répondre aux besoins essentiels de la population, comme l'aide aux personnes âgées, etc.

Le revenu de base apparaît presque comme un palliatif. On ne se pose pas la question de savoir quels sont les problèmes à traiter. On renonce à produire des biens et des services pour la population. C'est une sorte de démission. On sait que l'économie est mondialisée, mais peut-être faut-il mieux structurer la gouvernance mondiale.

L'uberisation comporte deux aspects, le mode d'organisation du travail et la capacité d'intégrer rapidement le progrès technique. D'aucuns parlent aussi de « freesation », en référence à l'opérateur téléphonique qui, tout en offrant une société structurée, avec des salariés, détient une capacité à intégrer le progrès technique supérieure à ses concurrents. Pourquoi associer à l'intégration du progrès technique des modes d'organisation du travail qui fragilisent les personnes et leur offrent moins de perspectives ? Quand on est moins assuré de son avenir, on investit moins, que ce soit en matière de logement ou autres. Au final, c'est l'économie qui en souffre.

Il est donc clair que le salariat a tout intérêt à demeurer le mode d'organisation dominant. D'ailleurs, le taux de travailleurs indépendants a plutôt eu tendance à décroître depuis trente ans, en particulier parce que tous les petits commerçants ont disparu, absorbés par les grandes surfaces. On fait maintenant quelque peu machine arrière, mais on n'en est pas au taux d'indépendants des années 1970 ou 1980.

Nous voyons un autre risque à la mise en place d'un tel système, même si nous n'avons pas de positionnement définitif : on risque de créer une société à deux vitesses, comme le disait à l'instant Boris Plazzi. Certains auront un travail très qualifié et seront probablement submergés de travail. D'autres seront considérés comme des assistés ou effectueront des travaux moins qualifiés risquant de les marginaliser, avec un effet négatif sur la cohésion sociale. Les citoyens seront divisés en deux catégories, ceux à forte contribution, très qualifiés, et les autres, qui bénéficieront probablement de conditions moins favorables. Pour ceux qui n'auront pas de travail, 1 000 euros par mois, ce n'est pas grand-chose ! S'il y a de moins en moins de travail du fait d'une plus grande automatisation jusque dans les tâches tertiaires - comme dans les banques où existent des algorithmes d'intelligence artificielle - on risque d'amplifier le phénomène et de se retrouver avec une moitié de population fortement contributive qui, étant très sollicitée, trouvera normal de bénéficier d'une plus grosse part de gâteau, et une moitié qui contribuera moins. Cela ne nous paraît pas très positif.

Pour la CFE-CGC, le travail représente une activité professionnelle. Nous croyons au travail, qu'elle que soit la forme qu'on lui donne - aidants, etc. - comme un moyen d'accomplissement de l'individu. Peut-être y aura-t-il des effets d'aubaine, mais la plupart des gens aspirent à contribuer à l'activité économique de leur pays et y voient un moyen d'accomplissement.

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