Intervention de Pascal Pavageau

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 14 septembre 2016 à 14h30
Audition de représentants d'organisations représentatives de salariés

Pascal Pavageau, secrétaire général de Force ouvrière :

Vous l'avez rappelé, Monsieur le président, la notion de revenu de base ou de revenu universel qui réapparaît semble plutôt séduisante. Elle est aujourd'hui parée de toutes les vertus. Elle permettrait de rendre plus libre et de s'affranchir du joug du travail. Elle pourrait également réduire la pauvreté.

On voit bien que, derrière toutes les analyses ultralibérales sur ce sujet, à la base plutôt marxiste, se trouvent des éléments de contexte - austérité et chômage. Ce qui prime, c'est une logique de réduction des minima sociaux, de la dépense sociale, de la dépense publique, des moyens des organismes sociaux, des prestations sociales, de l'assurance chômage et des services publics.

S'agissant des différents montants, il existe deux grandes écoles. L'une prône un montant compris entre 400 euros et 900 euros, très faible, voire ridicule, inférieur au seuil de pauvreté. C'est ce qu'on pourrait qualifier de « montant de survie ». L'autre va jusqu'à 2 000 euros. En Suisse, même lorsque le montant est élevé, l'acceptation est loin d'être évidente. Si un tel montant - qui nous paraît totalement utopique - venait à se mettre en place, l'impact sociétal serait fort, potentiellement peu incitatif, avec une sorte de revenu équivalent ou supérieur au salaire médian actuel, qui bouleversait complètement la valeur et l'importance du travail dans notre société.

Je ne reviens pas sur le rôle du travail, le lien social, le développement personnel, sur la reconnaissance, l'épanouissement, ou l'adhésion à des droits et à des valeurs collectives et républicaines liés au travail.

Prenons garde à la logique qui consisterait à dire que, demain, des missions publiques ou des métiers traditionnels pourraient recourir au bénévolat, le bénévolat pouvant être le fait de gens sans formation, sans qualification, voire sans rémunération. C'est le cas aujourd'hui. Or, certains promoteurs du revenu de base aimeraient bien que les femmes « retournent à la maison ». Gare aux dérives. Je le dis parce qu'on l'a lu et entendu.

Enfin, en cas de revenu de base élevé, que se passe-t-il une fois celui-ci en place, une fois que des gens sortent du système du travail et que, plusieurs années après, une nouvelle majorité en baisse le montant ou le réduit largement ? On créerait une exclusion très forte en réduisant la capacité d'emploi et de travail...

La question du financement, qu'il s'agisse d'un montant relativement faible ou relativement élevé, demeure la même mais elle se pose davantage encore si le montant est élevé. Nous ne sommes pas favorables à l'idée d'utiliser la TVA. Nous sommes en effet contre les impôts indirects. Même si c'est 400 euros, il faut pouvoir vivre et survivre. S'il s'agit de reprendre ce qu'on a donné par la TVA en l'augmentant de 100 % comme certains le disent, cela revient à utiliser de façon immédiate ce revenu de base.

Attention à ne pas financer le revenu de base par l'impôt sur le revenu, car seuls ceux qui ont des emplois salariés ou complémentaires verraient leurs impôts augmenter. L'acceptabilité de l'augmentation à 30 % risque d'être difficile, mais si on doit en outre financer un revenu de base pour ceux qui, soi-disant, ne font rien, on risque de diviser la société et de faire naître le populisme.

Imposer le revenu de base lui-même reviendrait à reprendre d'un côté ce qu'on a donné de l'autre. Nous ne sommes pas preneurs.

Si ce système devait se mettre en place, nous ne serions pas favorables à une logique d'expérimentation ou de territorialisation. Pour nous, les choses doivent se faire à égalité de droits. Nous ne sommes pas non plus favorables, à l'instar de nos camarades finlandais, à la sélection ou au tirage au sort de personnes comme cela se passe en Finlande. Si cela se met en place, cela doit se faire à égalité de droits et de traitement.

Si le montant est faible, ce qui nous parait le plus probable si le système est mis en oeuvre, on est dans une logique de revenu de survie qu'il faudra compléter. On entre alors dans l'uberisation. Ce n'est pas pour rien que le débat est revenu sur le devant de la scène avec l'avis du Conseil national du numérique de janvier dernier, qui a expliqué que les effets de l'uberisation nécessitent un minimum de revenu de base pour tout un chacun. La logique entraînant vers le tâcheron et non plus vers le salariat nous semble donc extrêmement dangereuse.

Ce serait indubitablement une trappe à bas salaires, quel qu'en soit le montant. Il est évident que le SMIC serait baissé d'autant, et que nous aurions toutes les peines du monde à négocier des augmentations de salaire dans les entreprises ou les administrations. Ce serait une déresponsabilisation sociale des entreprises et, d'une manière plus large, du monde du travail, ce qui affaiblirait la négociation collective, à l'échelle de l'entreprise comme de la branche. C'est l'argument majeur de nos camarades finlandais. Je pense qu'ils vous l'ont expliqué.

C'est aussi une manière de détourner peu à peu l'influence des syndicats. Plusieurs économistes l'ont théorisé, dont Steve Randy Waldman, un économiste scandinave, qui aide à la mise en place de ce système en Finlande.

Nous sommes donc plus que prudents sur les effets sur la négociation et les salaires d'une telle mise en oeuvre.

Lutter contre la pauvreté, c'est d'abord éviter la paupérisation, augmenter les minima sociaux et les aides en la matière et surtout viser le plein-emploi, avec des salaires les plus décents et élevés possibles, adossés à une fiscalité progressive. Celle-ci permet de réduire par deux les inégalités de niveau de vie. C'est bien en ce sens qu'il faut continuer à oeuvrer, et ne pas considérer que, le retour au plein-emploi étant impossible, il faut trouver des moyens de substitution.

Il est hors de question de supprimer la redistribution collective en faveur de ceux qui en ont besoin. Le système actuel fait plutôt preuve d'équité en aidant à progresser vers l'égalité. Pour FO, on ne saurait renoncer à prendre en compte le handicap, la maladie ou l'accident du travail de façon spécifique. Il en va de même d'un certain nombre d'aides familiales, sans parler du chômage.

Il est essentiel de ne pas créer d'exclusions en développant un système assurantiel où chacun percevrait 300 euros par mois ou 900 euros par mois, chacun devant ensuite se débrouiller quelle que soit sa situation. La force de la solidarité républicaine et de cette tentative d'aller vers l'égalité de droits selon un système redistributif, auquel chacun contribue selon ses moyens et dont chacun bénéficie selon ses besoins est ce qui caractérise notre modèle social français et fait notre fierté. Ceux qui ont bénéficié d'une certaine chance dans leur parcours doivent pouvoir contribuer pour ceux qui sont dans une situation de handicap ou d'accident. Nous y sommes très attachés.

Derrière cette logique assurantielle complémentaire en lieu et place d'un système solidaire républicain apparaît à nouveau la logique d'individualisation de la société, de réduction des droits collectifs et de la sécurité sociale. À l'instar du compte personnel d'activité (CPA), nous craignons qu'il s'agisse d'un outil supplémentaire pour aller vers l'individualisation des droits.

Pour nous, le revenu de base constitue un levier potentiel donné aux entreprises pour baisser les salaires et un certain nombre de droits, une attaque contre le système de protection sociale collective et solidaire, les missions de service public, la fin de la recherche d'un plein-emploi - suicidaire pour notre société - dans une logique d'individualisation de celle-ci.

Vous l'aurez compris, FO n'est pas favorable à la mise en place de ce revenu de base, qui revient pour nous à un solde de tous comptes permettant le détricotage de toutes les avancées sociales et libérant le fameux « marché du travail ».

Dans l'historique de la confrontation entre le capital et le travail déjà évoquée, le revenu de base consacre pour nous la victoire des détenteurs du capital. Ledit revenu ne permettant pas de vivre, il faudra obligatoirement le compléter, quel que soit son montant, par un marché de plus en plus flexible sur lequel le travailleur n'aura plus prise et où il n'aura plus de droits.

Le lien entre revenu de base et uberisation de la société traduit surtout pour nous la précarité et la pauvreté engendrées par ce modèle économique. La mise en place d'un revenu de base n'est pas un moyen d'affranchir le travailleur du salariat. Bien au contraire, c'est le constat que, sans le salariat, sans les droits et les règles sociales qui y sont associées, un travailleur ne peut vivre décemment de ces différentes activités.

Pour FO, sous un visage plutôt généreux, le revenu de base sape le droit à un travail décent pour tous.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion