Intervention de Camille Lecomte

Mission d'information inventaire et devenir des téléphones mobiles — Réunion du 19 juillet 2016 à 14h48
Audition de Mme Camille Lecomte responsable des campagnes « modes de production et de consommation » des amis de la terre

Camille Lecomte, responsable des campagnes « Modes de production et de consommation » des Amis de la Terre :

Je vous remercie de votre invitation. Nous sommes une association de protection de l'environnement qui est membre du réseau « Friends of the Earth », présent dans soixante-dix-sept pays à travers le monde. Notre affiliation nous permet d'obtenir des informations directement, via nos correspondants locaux, notamment sur l'exploitation minière du lithium au Chili ou de l'étain en Indonésie.

Sur les composants que l'on trouve dans nos téléphones portables, nous disposons de peu d'informations sur ce sujet, classé comme un secret industriel. Toutefois, Nokia a publié en 2009 la liste des quarante métaux utilisés dans la fabrication du smartphone LUMIA. D'autres experts, comme ceux notamment du bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) ou du secteur du recyclage, estiment qu'un smartphone contient plutôt de quarante à quatre-vingt métaux. Il y a donc un grand flou sur le nombre de métaux contenus dans un téléphone portable.

Parmi eux, certains sont considérés comme dangereux pour la santé. Apple a récemment publié sur son site internet les six métaux qui ont été retirés de ses téléphones en raison de leur dangerosité : le plomb, le mercure, le beryllium, l'arsenic, les PVC phtalates et les retardateurs de flamme bromés. On retrouve la plupart de ces produits, comme le beryllium ou le plomb, dans la liste des métaux publiés par Nokia. La dangerosité de ces métaux est établie : la directive européenne dite « D3E » considère que la nocivité et la présence de substances dangereuses légitiment le traitement des déchets électroniques. Le traitement de ces déchets a ainsi d'abord été invoqué pour des motifs sanitaires, avant que ne soient avancés des arguments d'ordre environnemental.

Depuis 2007, date de l'arrivée du premier Iphone, le nombre de métaux employés dans la fabrication des téléphones a augmenté. En revanche, en termes de volumes utilisés, la carte d'un vieux téléphone comportait beaucoup plus d'or que celle des téléphones les plus récents. Il y a donc plus de métaux mais en beaucoup plus petite quantité, ce qui a un impact en terme de recyclage.

Avant de parler de recyclage, il faut évoquer la collecte. 23 millions de téléphones et de smartphones sont vendus en France chaque année, contre près d'un milliard au niveau mondial. Je ne dispose que des chiffres pour les années 2009 à 2011 en matière de collecte : 485 000 téléphones ont été collectés en 2009, 835 000 en 2010 et un million en 2011. Conformément aux nouvelles règles de la directive D3E, les éco-organismes devront, dans deux ans, collecter 65 % des téléphones mis sur le marché sur les trois dernières années. Si le poids moyen des téléphones portables est de 110 grammes, alors une quinzaine de millions de téléphones portables devrait ainsi être collectée. Si on atteint un million de téléphones collectés, on demeure bien en-deçà de 15 millions de téléphones collectés.

Comment améliorer la collecte ? Le premier maillon est bien sûr le consommateur, le citoyen. Les fabricants comme Apple ou Samsung savent bien commercialiser leurs nouveaux appareils à grands frais, alors que les campagnes de communication en matière de reprise sont beaucoup plus discrètes et ne mobilisent pas les mêmes budgets. Certaines initiatives ont été mises en oeuvre, comme celle de l'opérateur Bouygues qui a proposé une reprise de cinq à dix euros pour chaque téléphone rapporté par le consommateur. De telles démarches ne sont pas couronnées de succès.

Les téléphones portables sont en effet de petits objets et, à ce titre, partent plus facilement dans les poubelles avec le reste des ordures ménagères. Une partie des téléphones finit donc incinérée ou en décharge, lorsqu'ils ne sont pas, tout simplement, oubliés dans les tiroirs ! Même si les chiffres de collecte des petits appareils électroménagers ont récemment augmenté et indiquent l'émergence de bonnes pratiques, les résultats ne sont pas suffisants. Les Amis de la Terre préconisent de mettre en place une consigne sur les déchets dangereux.

Sur le bilan de la reprise des téléphones usagés, on est, pour les téléphones, sur la reprise « un pour zéro » : il n'est pas besoin de racheter un nouveau téléphone pour déposer l'ancien dans un point de collecte. De nombreux points de collecte sont en accès libre auprès des distributeurs ou dans certains endroits. Il faut néanmoins ancrer ce geste dans l'esprit des citoyens.

Certaines sociétés se sont développées, comme Magic Recycle ou Love2recycle, dans le rachat des anciens appareils. Celles-ci ne publient pas de chiffres sur leur site internet. Les téléphones portables et les tablettes demeurent des D3E particuliers du fait de leur valeur ; il est assez difficile de savoir à qui ils sont revendus. Il faudrait interroger directement ces sociétés.

D'autres belles initiatives doivent être saluées, comme les Ateliers du Bocage qui ont développé de l'emploi localement sur leurs sites d'implantation, comme dans les Deux-Sèvres, où plusieurs centaines de personnes travaillent pour vider les données, nettoyer et réparer les téléphones. Un système de reprise des téléphones au Burkina Faso a également été mis en oeuvre par Emmaüs, ainsi que des solutions de rapatriement vers la France des matières dangereuses en vue de leur traitement, du fait de l'absence d'usines spécialisées dans ce pays. Il existe donc de réelles possibilités d'amélioration du traitement de nos anciens téléphones.

Sur les filières illégales d'exportation vers l'étranger, je ne dispose pas d'information. Je pense qu'il existe plutôt des systèmes de revente.

Sur le recyclage de nos téléphones portables, il faut relever que la durée de vie technique de ces appareils est estimée à sept ans et leur durée de vie d'utilisation est comprise entre trois ans, selon Apple, et quatre ans et six mois, selon l'agence environnementale allemande. Lorsque le consommateur achète un téléphone portable, il dispose uniquement d'une information sur l'éco-participation qu'il acquitte et qui est destinée à gérer la fin de vie de son appareil. Aucune autre information sur le devenir de l'ancien appareil n'est communiquée.

La liste des composants du téléphone portable relève plutôt du secret industriel. Se pose par ailleurs la question de l'impact d'une information précise, lors de l'acquisition d'un téléphone portable, sur l'ensemble de ses composants. Du fait de la technicité des composants, je ne suis pas certaine qu'une telle indication aurait un impact fort sur le citoyen.

En revanche, il importe que le citoyen soit informé de l'état du recyclage sur son téléphone. Nous avons croisé les données publiées par Nokia sur les quarante métaux avec une étude publiée en 2009 par le programme des Nations Unies sur le taux de recyclage des métaux. Sur les quarante métaux, dix-sept présentaient un taux de recyclage supérieur à 25 %, une petite dizaine un taux allant jusqu'à 10 %, tandis que près de dix autres ne font l'objet d'aucune donnée. Certains métaux peuvent donc provenir du recyclage tandis que d'autres proviennent exclusivement de l'exploitation minière. Depuis ces dix dernières années, il existe une filière du recyclage des déchets électriques et électroniques en France. On entend de nombreux discours sur l'économie circulaire et le souhait que nos vieux téléphones portables soient reconditionnés. C'est très loin d'être le cas, comme en témoignent les très faibles taux de recyclage, même sur les principaux métaux.

Nos nouveaux téléphones portables alimentent un renouveau minier en France, où ont été délivrés de nombreux permis d'exploitation, tandis que de nouvelles demandes d'instruction sont en cours. Un tel renouveau se constate aussi à l'étranger avec des mégaprojets qui voient le jour, surtout en Amérique latine où ils rencontrent des oppositions locales. Il s'agit de l'implantation d'industries qui sont incompatibles avec le maintien d'autres activités, comme l'agriculture, le tourisme ou la pêche. Les impacts générés vont bien au-delà de la durée d'exploitation d'une mine, qui va de vingt-cinq à cinquante ans.

Il est nécessaire de mieux connaître les composants des téléphones portables afin de mieux les recycler et d'obtenir, pour les constructeurs, une analyse beaucoup plus fine sur la provenance des matériaux utilisés. À cet égard, la loi sur le devoir de vigilance des multinationales pourrait permettre de rendre plus transparente l'origine des métaux : cette démarche doit avoir comme finalités l'amélioration des dispositifs existants et la préférence accordée aux métaux issus du recyclage plutôt qu'à ceux produits par l'extraction minière. Un constructeur qui souhaiterait porter cette démarche serait cependant confronté à des géants comme Arcelor Mittal, Umicore ou Boliden, et ne pourrait y parvenir. Certes, la loi de transition énergétique a ouvert une brèche : un de ses articles incite à privilégier l'utilisation des matières issues du recyclage par rapport à celles non renouvelables. Il faut peut-être aller plus loin pour que les matériaux contenus par nos téléphones portables proviennent principalement du recyclage.

Sur l'éco-conception des téléphones portables, la généralisation d'un chargeur universel a fait l'objet de longues discussions. Un premier accord volontaire d'entreprise a été conclu en 2009, mais en 2013, la Commission européenne, consciente de l'absence d'avancées dans ce domaine, a poussé les constructeurs à agir. Ce processus est très long et un chargeur universel devrait enfin arriver en 2017. En outre, certaines initiatives individuelles se sont faits jour, comme celle d'Apple ou encore la création du « fair phone ».

Notre gestion des déchets électriques et électroniques est trop globale et consiste à rassembler tous les téléphones pour les broyer et tenter d'en extirper le plus de matériaux possibles. Les démarches individuelles visent ainsi la recherche de plomb, de mercure ou encore de phtalates de l'ensemble des téléphones, même si Apple a décidé de les retirer.

Le bilan des éco-modulations est sévère, à l'aune de son unique critère qu'est le chargeur universel avec un malus de 100 %. Or, un tel malus appliqué sur un centime ne représente rien. Certes, un nouveau critère a été ajouté et porte sur l'absence de mises à jour logicielles incompatibles les unes avec les autres. La majoration de 100 % qui est également appliquée ne devrait pas induire d'importantes conséquences.

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