La réunion est ouverte à 14 h 48.
Mes chers collègues, nous poursuivons notre semaine d'auditions en entendant Mme Camille Lecomte, responsable des campagnes « Modes de production et de consommation » des Amis de la Terre.
Bienvenue à vous et merci d'avoir répondu si rapidement à notre demande d'audition. Je vous rappelle que notre mission d'information, créée à la demande du groupe écologiste, porte sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Nous avons commencé nos travaux au tout début du mois de juillet et nous les achèverons à la fin du mois de septembre.
Nous avons jugé indispensable de rencontrer, dans le cadre de nos travaux, des représentants d'associations de protection de l'environnement et plusieurs de nos interlocuteurs nous ont recommandé de vous entendre.
Au vu des travaux des Amis de la Terre sur les questions relevant du champ de notre mission d'information, je pense en effet que vous serez à même de répondre à nos interrogations portant sur les composants des téléphones portables, sur la collecte des téléphones portables usagés ou encore sur leur recyclage.
Je vous remercie de votre invitation. Nous sommes une association de protection de l'environnement qui est membre du réseau « Friends of the Earth », présent dans soixante-dix-sept pays à travers le monde. Notre affiliation nous permet d'obtenir des informations directement, via nos correspondants locaux, notamment sur l'exploitation minière du lithium au Chili ou de l'étain en Indonésie.
Sur les composants que l'on trouve dans nos téléphones portables, nous disposons de peu d'informations sur ce sujet, classé comme un secret industriel. Toutefois, Nokia a publié en 2009 la liste des quarante métaux utilisés dans la fabrication du smartphone LUMIA. D'autres experts, comme ceux notamment du bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) ou du secteur du recyclage, estiment qu'un smartphone contient plutôt de quarante à quatre-vingt métaux. Il y a donc un grand flou sur le nombre de métaux contenus dans un téléphone portable.
Parmi eux, certains sont considérés comme dangereux pour la santé. Apple a récemment publié sur son site internet les six métaux qui ont été retirés de ses téléphones en raison de leur dangerosité : le plomb, le mercure, le beryllium, l'arsenic, les PVC phtalates et les retardateurs de flamme bromés. On retrouve la plupart de ces produits, comme le beryllium ou le plomb, dans la liste des métaux publiés par Nokia. La dangerosité de ces métaux est établie : la directive européenne dite « D3E » considère que la nocivité et la présence de substances dangereuses légitiment le traitement des déchets électroniques. Le traitement de ces déchets a ainsi d'abord été invoqué pour des motifs sanitaires, avant que ne soient avancés des arguments d'ordre environnemental.
Depuis 2007, date de l'arrivée du premier Iphone, le nombre de métaux employés dans la fabrication des téléphones a augmenté. En revanche, en termes de volumes utilisés, la carte d'un vieux téléphone comportait beaucoup plus d'or que celle des téléphones les plus récents. Il y a donc plus de métaux mais en beaucoup plus petite quantité, ce qui a un impact en terme de recyclage.
Avant de parler de recyclage, il faut évoquer la collecte. 23 millions de téléphones et de smartphones sont vendus en France chaque année, contre près d'un milliard au niveau mondial. Je ne dispose que des chiffres pour les années 2009 à 2011 en matière de collecte : 485 000 téléphones ont été collectés en 2009, 835 000 en 2010 et un million en 2011. Conformément aux nouvelles règles de la directive D3E, les éco-organismes devront, dans deux ans, collecter 65 % des téléphones mis sur le marché sur les trois dernières années. Si le poids moyen des téléphones portables est de 110 grammes, alors une quinzaine de millions de téléphones portables devrait ainsi être collectée. Si on atteint un million de téléphones collectés, on demeure bien en-deçà de 15 millions de téléphones collectés.
Comment améliorer la collecte ? Le premier maillon est bien sûr le consommateur, le citoyen. Les fabricants comme Apple ou Samsung savent bien commercialiser leurs nouveaux appareils à grands frais, alors que les campagnes de communication en matière de reprise sont beaucoup plus discrètes et ne mobilisent pas les mêmes budgets. Certaines initiatives ont été mises en oeuvre, comme celle de l'opérateur Bouygues qui a proposé une reprise de cinq à dix euros pour chaque téléphone rapporté par le consommateur. De telles démarches ne sont pas couronnées de succès.
Les téléphones portables sont en effet de petits objets et, à ce titre, partent plus facilement dans les poubelles avec le reste des ordures ménagères. Une partie des téléphones finit donc incinérée ou en décharge, lorsqu'ils ne sont pas, tout simplement, oubliés dans les tiroirs ! Même si les chiffres de collecte des petits appareils électroménagers ont récemment augmenté et indiquent l'émergence de bonnes pratiques, les résultats ne sont pas suffisants. Les Amis de la Terre préconisent de mettre en place une consigne sur les déchets dangereux.
Sur le bilan de la reprise des téléphones usagés, on est, pour les téléphones, sur la reprise « un pour zéro » : il n'est pas besoin de racheter un nouveau téléphone pour déposer l'ancien dans un point de collecte. De nombreux points de collecte sont en accès libre auprès des distributeurs ou dans certains endroits. Il faut néanmoins ancrer ce geste dans l'esprit des citoyens.
Certaines sociétés se sont développées, comme Magic Recycle ou Love2recycle, dans le rachat des anciens appareils. Celles-ci ne publient pas de chiffres sur leur site internet. Les téléphones portables et les tablettes demeurent des D3E particuliers du fait de leur valeur ; il est assez difficile de savoir à qui ils sont revendus. Il faudrait interroger directement ces sociétés.
D'autres belles initiatives doivent être saluées, comme les Ateliers du Bocage qui ont développé de l'emploi localement sur leurs sites d'implantation, comme dans les Deux-Sèvres, où plusieurs centaines de personnes travaillent pour vider les données, nettoyer et réparer les téléphones. Un système de reprise des téléphones au Burkina Faso a également été mis en oeuvre par Emmaüs, ainsi que des solutions de rapatriement vers la France des matières dangereuses en vue de leur traitement, du fait de l'absence d'usines spécialisées dans ce pays. Il existe donc de réelles possibilités d'amélioration du traitement de nos anciens téléphones.
Sur les filières illégales d'exportation vers l'étranger, je ne dispose pas d'information. Je pense qu'il existe plutôt des systèmes de revente.
Sur le recyclage de nos téléphones portables, il faut relever que la durée de vie technique de ces appareils est estimée à sept ans et leur durée de vie d'utilisation est comprise entre trois ans, selon Apple, et quatre ans et six mois, selon l'agence environnementale allemande. Lorsque le consommateur achète un téléphone portable, il dispose uniquement d'une information sur l'éco-participation qu'il acquitte et qui est destinée à gérer la fin de vie de son appareil. Aucune autre information sur le devenir de l'ancien appareil n'est communiquée.
La liste des composants du téléphone portable relève plutôt du secret industriel. Se pose par ailleurs la question de l'impact d'une information précise, lors de l'acquisition d'un téléphone portable, sur l'ensemble de ses composants. Du fait de la technicité des composants, je ne suis pas certaine qu'une telle indication aurait un impact fort sur le citoyen.
En revanche, il importe que le citoyen soit informé de l'état du recyclage sur son téléphone. Nous avons croisé les données publiées par Nokia sur les quarante métaux avec une étude publiée en 2009 par le programme des Nations Unies sur le taux de recyclage des métaux. Sur les quarante métaux, dix-sept présentaient un taux de recyclage supérieur à 25 %, une petite dizaine un taux allant jusqu'à 10 %, tandis que près de dix autres ne font l'objet d'aucune donnée. Certains métaux peuvent donc provenir du recyclage tandis que d'autres proviennent exclusivement de l'exploitation minière. Depuis ces dix dernières années, il existe une filière du recyclage des déchets électriques et électroniques en France. On entend de nombreux discours sur l'économie circulaire et le souhait que nos vieux téléphones portables soient reconditionnés. C'est très loin d'être le cas, comme en témoignent les très faibles taux de recyclage, même sur les principaux métaux.
Nos nouveaux téléphones portables alimentent un renouveau minier en France, où ont été délivrés de nombreux permis d'exploitation, tandis que de nouvelles demandes d'instruction sont en cours. Un tel renouveau se constate aussi à l'étranger avec des mégaprojets qui voient le jour, surtout en Amérique latine où ils rencontrent des oppositions locales. Il s'agit de l'implantation d'industries qui sont incompatibles avec le maintien d'autres activités, comme l'agriculture, le tourisme ou la pêche. Les impacts générés vont bien au-delà de la durée d'exploitation d'une mine, qui va de vingt-cinq à cinquante ans.
Il est nécessaire de mieux connaître les composants des téléphones portables afin de mieux les recycler et d'obtenir, pour les constructeurs, une analyse beaucoup plus fine sur la provenance des matériaux utilisés. À cet égard, la loi sur le devoir de vigilance des multinationales pourrait permettre de rendre plus transparente l'origine des métaux : cette démarche doit avoir comme finalités l'amélioration des dispositifs existants et la préférence accordée aux métaux issus du recyclage plutôt qu'à ceux produits par l'extraction minière. Un constructeur qui souhaiterait porter cette démarche serait cependant confronté à des géants comme Arcelor Mittal, Umicore ou Boliden, et ne pourrait y parvenir. Certes, la loi de transition énergétique a ouvert une brèche : un de ses articles incite à privilégier l'utilisation des matières issues du recyclage par rapport à celles non renouvelables. Il faut peut-être aller plus loin pour que les matériaux contenus par nos téléphones portables proviennent principalement du recyclage.
Sur l'éco-conception des téléphones portables, la généralisation d'un chargeur universel a fait l'objet de longues discussions. Un premier accord volontaire d'entreprise a été conclu en 2009, mais en 2013, la Commission européenne, consciente de l'absence d'avancées dans ce domaine, a poussé les constructeurs à agir. Ce processus est très long et un chargeur universel devrait enfin arriver en 2017. En outre, certaines initiatives individuelles se sont faits jour, comme celle d'Apple ou encore la création du « fair phone ».
Notre gestion des déchets électriques et électroniques est trop globale et consiste à rassembler tous les téléphones pour les broyer et tenter d'en extirper le plus de matériaux possibles. Les démarches individuelles visent ainsi la recherche de plomb, de mercure ou encore de phtalates de l'ensemble des téléphones, même si Apple a décidé de les retirer.
Le bilan des éco-modulations est sévère, à l'aune de son unique critère qu'est le chargeur universel avec un malus de 100 %. Or, un tel malus appliqué sur un centime ne représente rien. Certes, un nouveau critère a été ajouté et porte sur l'absence de mises à jour logicielles incompatibles les unes avec les autres. La majoration de 100 % qui est également appliquée ne devrait pas induire d'importantes conséquences.
Connaissez-vous le « fair phone » ? Est-ce une démarche intéressante selon vous ?
L'intention est louable. Cependant, ses instigateurs ne se sont pas rendu compte de la difficulté à rendre cette filière transparente. La chaîne d'approvisionnement entre l'extraction minière, la fabrication de composants et l'assemblage du téléphone, est très longue et aujourd'hui ils ne parviennent à reconstituer intégralement la filière que pour trois métaux sur l'ensemble de ceux qui entrent dans la composition d'un téléphone portable. Cette société travaille également à rendre leurs produits plus modulables et adaptables. La démarche est à encourager, mais les résultats ne sont pas encore atteints.
J'ai relevé un point très négatif : le faible niveau du taux de recyclage. La marge de progression est donc extraordinaire pour la mise en place de filières de recyclage. De quelle nature est, selon vous, le frein ? Est-il économique, d'ordre concurrentiel ou émane-t-il de groupes industriels puissants qui s'en désintéressent ? Vous nous avez rappelé qu'il valait mieux recycler que rechercher de nouveaux matériaux. Parmi les matériaux qui composent les téléphones portables, quels sont ceux qu'on risque d'épuiser ?
La course à l'innovation constitue le premier frein : elle relève d'un jeu entre distributeurs et constructeurs pour produire le téléphone doté du plus grand nombre de fonctionnalités. De tels téléphones sont développés pour répondre à ce jeu entre concurrents et pas du tout dans une logique de recyclage ou avec la volonté de faire durer l'appareil.
Le jeu du marché constitue le second frein. Si je prends l'exemple du lithium, celui-ci a été commercialisé en France, depuis 1991, initialement pour les batteries des baladeurs avant qu'il ne se retrouve dans tous nos appareils portatifs. La toute première usine de recyclage du lithium, ouverte en Allemagne en 2011, ne concerne que le recyclage de batteries de véhicules électriques. Or, le recyclage du lithium est une démarche technique, potentiellement dangereuse et très compliquée. Son extraction au Chili, en Argentine ou en Bolivie s'avère surtout bien moins onéreuse. Ce jeu du marché s'applique à tous les métaux ! Aujourd'hui, extraire des terres rares en Chine ou à Madagascar revient moins cher que de développer des usines de recyclage. Au moment de la crise des terres rares, à la suite de l'annonce par la Chine d'une restriction de ses exportations, un petit sursaut en faveur du recyclage a été constaté. Solvay a installé une usine de recyclage des terres rares près de La Rochelle. Il y a quelques mois, cette usine a fermé : la Chine a été condamnée et doit exporter des terres rares. L'intérêt pour le recyclage a ainsi disparu.
S'il y a un intérêt sanitaire pour le recyclage, il y a d'abord un intérêt économique ; l'intérêt environnemental est toujours considéré comme secondaire. Lorsqu'il s'agit de rechercher des métaux plus rares dans des alliages un peu complexes, la volonté et les moyens financiers manquent. Il est, à cet égard, dommage que le signal politique récemment envoyé par le Gouvernement consiste à ouvrir des mines, plutôt qu'à mettre en oeuvre un recyclage de pointe et à parvenir à un leadership dans cette filière.
Dans un petit appareil, rechercher les métaux assemblés et les extraire - comme dans le cas de l'or pour lequel il est nécessaire de monter la température des fours de manière très importante, ce qui risque d'éliminer d'autres métaux importants - implique un effort d'innovation et un investissement très importants. Le cahier des charges des éco-organismes comprend une obligation de dépenser 1 % du montant des éco-contributions perçues sur une année en R&D. En 2012, ce montant s'élevait à 181 millions d'euros d'éco-contributions. Ce n'est pas avec moins de deux millions d'euros par an que l'on va développer les technologies nécessaires, sachant que ces sommes concernent l'ensemble des EEE.
Vous avez évoqué un signal du Gouvernement en faveur de l'extraction. De quel ordre est-il ? Est-ce au travers des autorisations données par les préfectures, d'une déclaration, d'un amendement dans une loi ?
M. Montebourg avait adressé un premier signal en déclarant vouloir créer une compagnie minière française. Cette démarche a été reprise par l'actuel ministre de l'économie qui a lancé un comité « mine responsable ». Il y a une volonté de découvrir ce que recèle le sous-sol français, ce que l'on peut entendre en temps de crise. La justification par l'emploi nous rend cependant très sceptique. La création de cent emplois dans un territoire pour exploiter une mine pendant vingt-cinq à cinquante ans doit être comparée avec la disparition de cent emplois de réparateurs qui disparaissent chaque mois en France ou la centaine d'emplois qui pourrait être créée chaque mois dans le secteur du recyclage ; ces emplois pouvant être logistiques, liés à l'acheminement des pièces détachées ou des déchets, ou des emplois beaucoup plus poussés, en matière d'éco-conception de produits réparables ou recyclables, voire des emplois d'ingénieurs spécialisés dans la recherche et l'extraction de métaux.
Vous nous avez indiqué qu'il fallait conduire des innovations technologiques importantes pour organiser ce recyclage. Au-delà de la volonté politique de le faire, sommes-nous en capacité d'extraire les 40 ou 80 métaux qui composent ces téléphones portables ?
Nous en sommes incapables pour le moment. Le problème du volume des déchets électroniques ou électriques est récurrent et il faut un certain stock de déchets pour lancer des programmes. Il faut que les éco-organismes ou les recycleurs conduisent des analyses chimiques préalables qui visent la composition des téléphones, faute des informations dispensées par les constructeurs. Une fois assurée la connaissance du contenu de ces appareils, encore faut-il trouver la technologie idoine pour les en extraire. En outre, le recyclage utilise des polluants, tout comme une exploitation minière, et n'est pas toujours une industrie toujours très propre. Des efforts doivent être conduits pour améliorer notre technique de recyclage.
Puisqu'une telle démarche n'est pas encore assurée, la priorité demeure d'allonger la durée de vie et d'utilisation des appareils. Rien n'incite aujourd'hui à ne pas changer son téléphone ; toutes les stratégies marketing y incitent.
Comment faire en sorte que les citoyens donnent leur portable usagé, puisque ce n'est qu'à partir d'un certain volume qu'on parviendra à faire du recyclage ?
Nous recommandons que soit créée une consigne pour les déchets considérés comme dangereux, du pot de peinture au téléphone portable. S'agissant de mesures plus diffuses, il faut mettre en oeuvre des solutions locales et les éco-organismes se sont emparés du problème en multipliant les points de collectes. Les collectivités jouent également le jeu. De nombreuses solutions plus concrètes pourraient être trouvées, par exemple le choix d'acquérir un portable d'occasion plutôt qu'un neuf. Les structures de l'économie sociale et solidaire, comme les Ateliers du Bocage, qui réparent et revendent ces appareils, ne sont pas assez connues.
Les Amis de la Terre demandent également que soit étendue la garantie des téléphones, qui en assure la durée de vie. En effet, la garantie est un signal pour le consommateur que le bien a de la valeur et peut être utilisé plus longtemps, et elle incite le producteur à mettre sur le marché des téléphones à la durée de vie plus longue et de meilleure qualité.
23 millions de téléphones portables sont vendus en France chaque année. Les campagnes de communication existent pour atteindre un tel résultat, alors qu'aucune campagne promouvant la collecte n'est conduite dans le même temps ! Comment changer cette situation ?
Un problème se pose spécifiquement aux téléphones portables que ne connaissent pas les autres appareils électro-ménagers. Certains appareils sont mis au rebut plus facilement parce qu'ils sont en panne ; on ne garde pas chez soi un aspirateur qui ne fonctionne pas ! En revanche, on achète un nouveau téléphone portable, quand bien même celui qu'on possède déjà fonctionne. Garder un téléphone en réserve n'est cependant pas une démarche réaliste, du fait de l'évolution technologique qui condamne les plus anciens au confinement dans un placard et à l'oubli. Les fabricants sont adhérents à Eco-Systèmes ou à Ecologic, et il incombe à ces derniers de communiquer sur la reprise. Les constructeurs n'ont également aucun intérêt à communiquer sur la fin de vie de leur appareil. Vendre de nouveaux téléphones portables en communiquant sur la fin de vie des autres est une démarche compliquée.
Vous avez évoqué la consigne. Compte tenu du fait que les portables ont des prix qui peuvent varier de quelques euros à plusieurs centaines d'euros, en fonction des abonnements et de leurs conditions d'achat, avez-vous estimé un montant susceptible d'être incitatif et efficace ?
Il faut en effet définir un montant intéressant. La consigne doit être une décision politique forte et désireuse d'adresser un signal clair, parce que les éco-organismes soulignent l'impossibilité de mettre une consigne sur certains produits en raison de l'existence d'une éco-participation. Pour un téléphone portable, compte tenu du prix de rachat pratiqué par certaines sociétés, je pense qu'un montant de l'ordre de cinquante euros est susceptible d'avoir un impact.
Le marché des smartphones et des téléphones portables est international. S'agissant du recyclage, on parle de mesures propres à la France ou à l'Europe. Quelles sont vos solutions pour imposer un recyclage valable partout dans le monde ? Car s'attaquer au marché national n'aura aucune incidence : il sera toujours possible d'acheter, via internet, à l'étranger, un portable qui ne sera pas concerné par les mêmes conditions de recyclage !
La mondialisation du marché est particulièrement vraie pour les téléphones portables. Pour autant, on ne peut pas se dire que rien n'est possible !
Si on prend l'exemple de l'extension de garantie, on a tendance à se dire que notre marché est trop petit, tandis qu'au Royaume-Uni, les constructeurs se sont adaptés au marché et à l'extension de garantie de six à dix ans. Certains fabricants proposent sur le marché britannique des appareils avec une garantie décennale. Les constructeurs peuvent donc s'adapter, quitte à ce qu'il y ait moins de types d'appareils disponibles. Quand bien même les rayons consacrés aux téléphones diminueraient de moitié, les consommateurs français ne seraient pas limités dans leurs achats. Si l'on fait bouger des leaders du marché, comme Apple ou Samsung, on peut modifier un grand nombre de choses. Apple peut être contrainte à s'adapter aux évolutions du marché français annonciatrices, nécessairement, de l'évolution d'autres marchés. Il ne faut donc pas se sentir limité.
Au fond, on décrit un système où Apple a surtout un intérêt économique à agir. Puisqu'il s'agit là de sa première motivation, le reste est secondaire. Ne pensez-vous pas que le système des responsabilités élargies du producteur (REP) représente une forme d'externalisation de la fin de vie des objets ? Au final, quand bien même on pousserait Apple dans la direction que vous avez évoquée, cette tâche ne relève-t-elle pas de l'éco-organisme ? Le fait qu'il y ait des éco-contributions très faibles, voire ridicules compte tenu de la valeur de ces appareils ne constitue-t-il pas le coeur du problème ?
Soit on voit le problème du point de vue de l'éco-conception et on commence à penser la filière en partant de la conception du produit ; soit la filière est orientée vers l'aval, comme c'est le cas aujourd'hui, où l'éco-conception incombe aux éco-organismes qui doivent également recycler les déchets. Une telle situation est complexe et les éco-organismes vous indiqueront l'absence de smartphones dans leur filière de recyclage. Le jour où les smartphones arriveront en masse, le marché aura dix ans de plus ! On va ainsi continuer à courir après la possibilité de savoir recycler.
Je vais prendre l'exemple plus simple de la filière emballage. Il serait plus simple de dire que l'on va réaliser des emballages en plastique ou en carton qui soient recyclables. On ne peut en revanche imposer un tel cahier des charges pour la fabrication des téléphones portables, bien qu'une telle démarche constituerait le moyen le plus aisé pour parvenir à leur recyclage. Je n'ai pas de solution toute faite à ce problème ! Avant qu'il n'y ait de réelle avancée en matière de recyclage, je pense qu'il faut tout faire pour allonger la durée de vie des appareils et retarder l'apparition de déchets.
Vous avez évoqué la course à l'innovation comme un frein majeur. Au-delà, n'y a-t-il pas un problème de coût ? Parmi les quarante à quatre-vingt matériaux qui sont recensés dans un mobile, le recyclage de certains aurait un coût supérieur à l'accès à la matière première brute. Sur la question du volume, qui est également un frein, et sur les gros équipements électriques, pouvons-nous obtenir une règle au niveau international ? Au Japon, dans le cadre d'un partenariat entre industrie, pouvoirs publics et universités, quatre cibles de gros équipements ont été privilégiées : les réfrigérateurs, les lave-linges, les climatiseurs et les téléviseurs. Cette filière est performante et il est possible d'extraire des batteries de taille conséquente les métaux importants ; ce qui n'est pas possible sur les téléphones portables, sans doute pour des raisons techniques liées à l'utilisation de colle qui laisse des résidus sur les cartes. Considérez-vous que l'évolution technologique permettra un jour, sur la base de l'éco-conception au départ, de favoriser l'identification de certains métaux qui pourraient être recyclés ?
L'Europe publie une liste des matériaux critiques. Si je prends l'exemple du béryllium, qui figure sur cette liste, on sait que ce métal va être très difficile à récupérer puisqu'il est présent en quantité infime dans les téléphones portables. Il faudrait identifier, avec les industriels, les quelques métaux qu'on souhaite éliminer du marché. Si Apple est capable d'éliminer le béryllium, les autres constructeurs peuvent également le faire.
Il faut fonctionner sur la base de l'élimination, dans l'esprit du règlement REACH et de la directive RoHS : il faut interdire ou limiter certaines substances, plutôt pour des raisons de nocivité, quitte à intégrer ce critère de non-recyclabilité. En théorie, tous les métaux sont recyclables, mais en pratique, du fait de leur quantité infime, ils ne seront jamais recyclables. Sur les quarante métaux qui composent le téléphone Nokia, c'est sans doute une utopie que de parvenir à en recycler trente ! Il faudrait ainsi essayer de lever le secret industriel afin d'éliminer petit à petit les matières les plus nocives et les moins recyclables.
Je rebondirai sur la nocivité de certaines substances. Sur certains matériaux, cette nocivité est certes avérée, mais le bilan toxicologique en France reste nettement insuffisant. Pensez-vous qu'il conviendrait de mobiliser les moyens pour conduire des études dans ce domaine ?
Nous nous fondons sur les études de l'Ecology Center, qui est une association américaine. Certaines matières peuvent être nocives en tant que telles, d'autres peuvent le devenir dans des alliages. Des études sont nécessaires pour déterminer ce point.
Nous avons beaucoup parlé des fabricants, comme Apple ou Samsung. Comment les opérateurs peuvent-ils eux aussi jouer un rôle en matière de recyclage des composants ?
Ils jouent en effet un très grand rôle. La question de savoir si les offres de téléphone portable étaient liées ou non a été récurrente. On en a conclu que ces offres l'étaient plus ou moins, sans l'être totalement. Avec l'arrivée de Free, on a pensé au départ que moins de téléphones portables seraient vendus. Les chiffres ont démontré le contraire. Un petit effet pourrait se faire jour si l'on demandait aux autres opérateurs de ne plus vendre de téléphones portables à quelques euros, mais cela ne suffirait pas. Il faut parvenir à redonner une valeur à cet appareil, qui peut être vendu à plusieurs centaines d'euros en magasin. Il faudrait une prise de conscience. Aujourd'hui, un téléphone de dernière génération coûte en moyenne 750 euros. Le problème du pouvoir d'achat ne semble pas se poser pour le téléphone : les classes populaires ne sont pas moins bien équipées que les classes plus favorisées. Le téléphone portable bouscule tous les codes ! Limiter le nombre de produits mis sur le marché serait positif, mais cette démarche n'est pas possible aujourd'hui. Encore une fois, l'extension de la durée de garantie à cinq ans représente à nos yeux une solution : le signal prix ne serait pas important, puisque les constructeurs disposent déjà des pièces détachées pendant cinq ans.
Je vous remercie, Madame, pour la clarté de votre propos et des précisions que vous nous avez apportées et qui nous ont beaucoup éclairés.
La réunion est levée à 15 h 50.