Intervention de René Danesi

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 20 décembre 2016 à 13h50
Audition de M. Jean-Marie deNquin professeur émérite de droit public à l'université paris nanterre

Photo de René DanesiRené Danesi :

Vous avez évoqué la nécessité de distinguer entre les niveaux ? Elu local depuis quarante ans, je peux témoigner : plus qu'à des citoyens, c'est à des consommateurs que nous avons désormais affaire. Je préside l'association des maires du Haut-Rhin depuis vingt ans et nous partageons le même constat : le maire est très apprécié tant qu'il ne fait de tort à personne. Sinon un comité de défense se crée aussitôt, et lorsqu'il obtient gain de cause, chacun rentre chez soi. Lors des dernières élections municipales, les maires ont eu toutes les peines du monde à trouver des gens de qualité pour constituer leurs listes. On peut toujours évoquer la priorité donnée au travail et à la famille, mais la vérité, c'est que l'engagement pour la chose publique n'est plus partagé. L'élu local bénéficie d'une confiance par défaut, qui perdure tant qu'il n'augmente pas les impôts ni ne touche à tel ou tel intérêt.

Et si l'on monte d'un niveau, la situation est encore plus problématique. L'intercommunalité n'est pas toujours comprise dans son fonctionnement, y compris par les conseillers municipaux. En Alsace, alors que j'étais vice-président du conseil régional, nous avions organisé une consultation en vue de fusionner la région et les deux départements. Nous pensions assister à une ruée sur les urnes en faveur de la simplification. L'échec a été cinglant. Le Bas-Rhin a voté majoritairement en faveur de la fusion, mais la participation n'atteignait pas le pourcentage requis de 25 % des inscrits. Dans le Haut-Rhin, on s'est prononcé majoritairement pour le non. Une réforme institutionnelle ne parle pas nécessairement aux citoyens.

Quant à l'échelle nationale, elle suscite deux types de méfiance, voire de défiance, allant du Président de la République au plus modeste des sénateurs.

La méfiance, tout d'abord, de ceux qui se lèvent pour aller travailler le matin, qui n'ont pas nécessairement fait d'études de droit constitutionnel et se contentent de lire le journal local, ce peuple même que l'on appelle la « France périphérique », qui constate que la législation européenne l'emporte sur la législation nationale. Quand les Alsaciens ont le sentiment que l'Europe s'intéresse plus au grand hamster d'Alsace qu'aux chômeurs, ils en viennent à se demander à quoi servent leurs représentants. L'Europe veut tout uniformiser et n'applique pas suffisamment le principe de subsidiarité tandis que les représentations nationales paraissent inefficaces. Il existe aussi le sentiment que le véritable pouvoir se trouve dans les puissances financières et les multinationales. En Alsace, du fait de notre situation géographique mais aussi parce que le Gouvernement français a pris l'habitude de considérer que notre région pouvait se débrouiller toute seule, et s'est même parfois ingénié à soutenir d'autres lieux d'implantation - je peux en témoigner du fait de mon expérience -, notre industrie est parmi les plus internationalisées des régions françaises. Mais ces dernières années, tout cela s'est effondré : les entreprises ont fermé et délocalisé leur activité aux quatre coins du monde. Les élus sont impuissants, comme ils le sont face aux mouvements migratoires. On peut comprendre, de là, la défiance des Français, touchés par ces problèmes fondamentaux, à l'égard de leurs élus.

La méfiance d'une autre partie de la population, ensuite, que l'on qualifie de « bourgeois bohèmes », les « bobos », qui, s'ils ne sont nullement dérangés par la législation européenne et la mondialisation, considèrent qu'on ne leur demande pas suffisamment leur avis et veulent passer d'une démocratie représentative à une démocratie davantage participative et à un recours permanent à la concertation. Cette idée vient de ces populations de centre-ville, comme en 1789, quand la bourgeoisie a réagi contre les nobles et réclamé, en plus du pouvoir économique, le pouvoir politique.

Il sera difficile de rapprocher les points de vue entre ces deux mondes, les méfiances qui s'y manifestent ne sont pas de même nature. Sans être exagérément pessimiste, il me semble que le sens de l'intérêt général s'est perdu au cours des dernières décennies.

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