J'aurais aimé que l'on puisse reparler un instant du dialogue interreligieux.
En tant qu'Alsacien, je puis témoigner de la qualité de ce dialogue, qui fonctionne depuis de très nombreuses années. C'est feu le sénateur Marcel Rudloff, qui fut membre du Conseil constitutionnel, qui l'a amorcé le premier, suivi par feu Adrien Zeller, qui a beaucoup fait à cet égard en nommant pour la première fois un pasteur dans son cabinet pour s'occuper du dialogue interreligieux. Philippe Richert a continué en nommant également un pasteur pour suivre cette question.
J'aimerais vous rappeler une anecdote que vous ne connaissez peut-être pas. Avec Nathalie Goulet, nous étions co-présidents de la commission d'enquête sénatoriale sur la lutte contre les réseaux djihadistes, qui a duré six mois. Nous nous étions déplacés à Strasbourg. J'y tenais, car c'est de Strasbourg que sont partis les premiers djihadistes. Personne ne les avait vus venir, même si l'on savait que la radicalisation existait.
Ceux qui connaissent l'Alsace connaissent peut-être le lycée Matisse, qui se trouve dans une zone quelque peu difficile. Ce lycée est à la fois un lycée d'enseignement technologique, un lycée professionnel et un centre de formation d'apprentis (CFA). Cet établissement doit compter entre 1 200 et 1 400 jeunes.
Nous avions interrogé son proviseur à propos du respect de la minute de silence demandée aux établissements scolaires après les assassinats de Charlie Hebdo. Le proviseur nous avait dit qu'il n'y avait eu chez lui aucun problème. Passé l'étonnement de celles et ceux qui connaissaient les difficultés apparues dans certains établissements, nous lui avions demandé de nous expliquer pourquoi. Il nous avait dit que cela ne posait pas de problème, le dialogue interreligieux introduit depuis de très longues années fonctionnant parfaitement dans cet établissement.
Dans le passé, j'ai été membre du conseil d'administration de ce lycée en tant que représentant du conseil régional. Je savais que le dialogue interreligieux fonctionnait grâce à l'heure de religion. Votre serviteur a suivi cette heure de religion il y a déjà fort longtemps. Jusqu'à une période récente, cette heure de religion était obligatoire, sauf dispense. L'observatoire de la laïcité nous a d'ailleurs alertés à ce sujet. Je n'ai jamais été dispensé d'heure de religion. Je l'ai suivie de la onzième jusqu'en terminale. J'ai le sentiment que je n'ai pas trop mal tourné - mais peu importe !
Je suis chrétien et catholique. Il s'agissait quasiment d'une heure de catéchisme. Je n'habitais pas Strasbourg, mais Wissembourg, une petite commune de 5 000 habitants, tout au Nord. Là, on y tenait.
Peu à peu, cette heure de religion, dans certains établissements qui voulaient bien le faire, a évolué vers une heure d'information, de sensibilisation et de compréhension du fait religieux. Le proviseur nous a dit qu'il mettait chaque semaine tous les élèves intéressés, classe par classe, face à des enseignants habilités à traiter de la matière religieuse. Je ne sais comment il les formait. Il nous a précisé qu'aucune dispense n'était acceptée. Ce n'est pas lui qui l'avait introduit, mais ses prédécesseurs.
Il nous a confiés que cela fonctionnait bien, que les échanges étaient courants, avec une forte prépondérance de musulmans dans d'établissement. Lorsqu'une minute de silence a été demandée, il n'y a eu aucun souci.
Je lui ai demandé s'il avait procédé salle par salle, cours par cours. Il m'a indiqué avoir réuni la totalité des élèves dans le patio et leur avoir demandé de respecter une minute de silence. Généralement, plus il y a de monde, plus c'est difficile : là, on aurait entendu une mouche voler ! Personne n'a levé la main, personne n'a regardé ailleurs, personne ne s'est tourné. Cela m'a beaucoup ébranlé.
Vous êtes favorables au dialogue interreligieux et vous le pratiquez là où vous êtes. Pensez-vous que ce dialogue puisse, ailleurs qu'en Alsace, aboutir à des résultats de ce type ?
Il faut toutefois rester très humble : le dialogue interreligieux fonctionne depuis vingt ans et monte en gamme d'année en année, la minute de silence a été respectée, mais cela ne nous a pas empêchés d'avoir les premiers candidats au djihad, ce qui démontre que si c'est une façon de limiter les conduites déviantes, ce n'est pas la panacée.
Si c'est une des solutions, il faut naturellement développer massivement ce type de dialogue. Le conseil régional communique beaucoup sur ce sujet. Croyez-vous que ce soit duplicable, malgré les lacunes au plan national ?
Pensez-vous que cette heure d'information civique ou morale, chère à Mme Vallaud-Belkacem, pourrait être utilisée à cette fin ?
Peut-on envisager d'autres modes de dialogue interreligieux, et pas seulement à l'école ? Est-ce possible en milieu carcéral ? J'avais interrogé des aumôniers à Strasbourg. Ils l'affirmaient, mais personne n'a fait quoi que ce soit !
Croyez-vous à ce dialogue multireligieux national, en dépit de la loi de 1905 ? Estimez-vous que l'on puisse le dupliquer et lui donner suffisamment de poids pour lutter contre le communautarisme dont vous parliez et qui, selon moi, à n'en pas douter, est l'une des causes essentielles de ce que nous vivons actuellement ?