Chers collègues, le Bureau de notre mission d'information avait jugé intéressant d'organiser une table-ronde entre les représentants des principaux cultes pratiqués dans notre pays, pour mieux connaître comment ils s'organisent et dialoguent avec les pouvoirs publics. L'exercice n'est pas une séance de dialogue interconfessionnel, mais s'inscrit dans notre réflexion d'ensemble sur la place, l'organisation et le financement du culte musulman en France. Or, plusieurs de ces questions ne sont pas propres à l'Islam : d'où la nécessité d'examiner les problématiques communes ou, à l'inverse, les spécificités de chaque culte. Dans cette perspective, nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous, aujourd'hui, des représentants des six religions avec lesquelles le ministère de l'Intérieur, en charge des cultes, entretient un dialogue institutionnel régulier, à savoir les bouddhistes, les catholiques, les israélites, les orthodoxes et les protestants. Je les ai cités par ordre alphabétique pour ne froisser personne. Bien entendu, le Conseil français du culte musulman a lui aussi été convié à cette table ronde, même si nous avions déjà entendu son Président lors de notre séance du 10 février ; son représentant m'a toutefois indiqué qu'il risquait d'avoir un certain retard. J'espère qu'il pourra se dégager assez tôt pour pouvoir, le cas échéant, réagir aux premières interventions.
Plusieurs sujets retiennent notre attention : la formation des ministres du culte, le financement des lieux de culte ou des actions cultuelles - y compris sur des fonds venant de l'étranger - les relations avec les pouvoirs publics et le choix des interlocuteurs en charge de ce dialogue institutionnel. De manière plus spécifique, nous nous intéressons également à la prise en compte de certaines prescriptions religieuses, comme l'abattage rituel.
Pour la bonne organisation de notre débat, je vais d'abord donner la parole à chaque délégation pour dix minutes. Ensuite, pendant une heure, un échange plus libre s'organisera autour des questions des rapporteurs et des autres sénateurs. Vous le comprendrez, chacun d'entre nous devra faire un effort de concision pour tenir nos délais et permettre l'expression de tous. Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo diffusée en direct sur le site du Sénat.
Révérend Olivier Reigen Wang-Genh, président de l'Union bouddhiste de France, vous avez la parole.
Je souhaite dresser un rapide historique de façon à mieux situer la présence du bouddhisme en France. Celle-ci remonte à la fin des années 60 durant lesquelles quelques très grands maîtres de différentes traditions, notamment des traditions Zen et tibétaine, sont venus s'installer, sans concertation préalable, sur le territoire français. Durant les années 70, suite aux grandes vagues d'immigration en provenance d'Asie, principalement du Vietnam, du Laos et du Cambodge, de très nombreux pratiquants sont arrivés en France, amenant avec eux leurs traditions et leurs cultes. Il faut donc distinguer ces deux sources distinctes d'implantation du bouddhisme sur le territoire français. Des lieux de culte ont vu le jour rapidement, mis en place de façon extrêmement pragmatique : il s'agissait au départ d'appartements ou de locaux industriels et commerciaux mais des constructions de lieux de culte proprement dits, principalement de temples tibétains, ont suivi, à la fin des années 70 et au début des années 80. Leur architecture ne diffère nullement de celle des temples que l'on peut trouver au Tibet. Il s'agissait bel et bien de répliques des lieux de culte des pays d'origine. Mais la plupart des communautés ont aussi acheté des locaux pour y installer des lieux de retraite et les adapter le mieux possible aux exigences de la pratique cultuelle, sans toucher à leur architecture globale.
Les financements de l'ensemble de ces constructions proviennent des membres des différentes communautés d'origine, pratiquants ou sympathisants.
Il est très important que les bouddhistes disposent de lieux de culte dignes. En Asie, le lieu de culte, la Pagode, est souvent extrêmement décorée et fait l'objet de toute l'attention des fidèles qui, parfois, préfèrent consentir un don destiné à Bouddha plutôt que d'acheter de la nourriture pour leur famille.
La grande pagode du Bois de Vincennes, qui abrite un grand Bouddha doré, est le principal lieu de culte du bouddhisme de France. Elle est la propriété de la Ville de Paris, avec laquelle l'Union bouddhiste a passé une convention d'occupation il y a une dizaine d'années. Pendant plusieurs années, nous avons présenté des demandes insistantes auprès de la Mairie de Paris pour obtenir un budget de rénovation de ce bâtiment érigé lors de l'exposition coloniale de 1931, et dont le délabrement avancé n'était plus digne du Bouddhisme en France. La Mairie de Paris a entrepris d'importants travaux qui se sont terminés l'an passé et ont permis la restauration satisfaisante de cette pagode.
Je terminerai mon propos en évoquant la formation des ministres du culte. Ceux-ci sont formés à l'intérieur de chacune de nos traditions bouddhistes. Madame Minh Tri Vo, qui est d'origine vietnamienne, pourra parler mieux que moi des pagodes et de lieux de culte vietnamiens, dont le nombre est important en région parisienne.
Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui. L'implantation de la communauté asiatique d'origine vietnamienne, laotienne ou cambodgienne, remonte aux années 70. Nous sommes arrivés en vague et sommes pleins de gratitude envers la France qui nous a très bien reçus et nous a offert une période de calme où les blessures de guerre se sont refermées et apaisées.
Comme vient de le dire le Révérend Reigen, nous sommes arrivés avec nos moines traditionnels qui ont été formés, dès l'âge de dix à quinze ans, dans les pagodes. La particularité de la formation des maîtres dans le bouddhisme repose sur l'expérimentation. Durant ces années, ces moines ont effectué un travail colossal pour apaiser ces populations très meurtries. Il faut de dix à vingt années de pratique, dans l'enceinte de la pagode, tout en étant confronté à la réalité de la vie quotidienne. Les personnes formées au bouddhisme ne sont pas cloîtrées.
Comment les petites pagodes sont-elles apparues ? Tout a commencé dans de petits appartements avant que n'apparaissent, durant la décennie 80, certains détails architecturaux extérieurs, comme les tuiles et les toits courbés. Les pagodes ont été confrontées aux règles d'urbanisme avant que ne soient édifiés, dans les années 90, des temples aux dimensions beaucoup plus imposantes, comme la Grande Pagode d'Évry qui se trouve en Essonne et couvre 4000 mètres carrés. Celle-ci dispose également d'un bouddha de quatre mètres de haut qui pèse cinq tonnes. Son coût, initialement prévu en 1995 à hauteur de 1,5 million d'euros, a été multiplié par huit, alors même que les travaux ne sont toujours pas terminés au bout de vingt ans ! Puisqu'un tel projet procède par étapes, chacune d'elles implique le respect de nouvelles normes, ce qui fait que cette pagode doit, pour le moment, être réservée à l'usage privé, faute de pouvoir être totalement ouverte au public. D'autres pagodes importantes, comme à Joinville le Pont et à Vitry, connaissent ce même problème d'adéquation aux normes. Les autres petites pagodes, dont les dimensions vont jusqu'à 150 m2, sont dans une situation moins délicate. Ainsi, toutes les pagodes asiatiques connaissent, dans leur ensemble, des problèmes de conformité aux normes requises pour recevoir du public, et notamment les personnes handicapées.
Le financement du culte repose sur la générosité et la solidarité des pratiquants qui est un précepte bouddhiste. De fait, les gens préfèrent parfois moins manger pour faire plus d'offrandes aux moines. La communauté asiatique considère l'éducation des enfants, notamment de la seconde génération, comme un facteur essentiel d'intégration. Mais l'intégration est un processus très lent qui ne peut se décréter. Je me suis rendue compte, après quarante ans de présence en France, que je commence seulement à comprendre la société civile française. Que dire des moines qui ne parlent pas la langue et éprouvent beaucoup de difficultés à suivre les réglementations et les lois ! Une seconde génération de moines et de moniales, qui sont la plupart du temps d'origine française, est en cours de formation, du fait du décalage entre cette génération de moines venus de l'Asie et la société actuelle. Enfin, puisque c'était une des questions que vous nous avez fait parvenir par écrit, nous ne sommes pas concernés par l'abattage rituel, car nous sommes végétariens !
Nous allons aborder la question du financement des lieux de culte et de la formation des prêtres. Aborder ces questions, c'est nécessairement évoquer les structures qui y sont impliquées. Pour le culte catholique, c'est l'association diocésaine, qui est soumise au statut des associations cultuelles prévu par la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État. Un certain nombre de ces dispositions renvoie à celles de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations. Toute modification de la loi du 1er juillet 1901 a donc des implications sur le secteur cultuel, même lorsque ces mesures ne concernent pas directement les associations cultuelles. Chaque département possède une association cultuelle, hormis les diocèses concordataires. Les comptes des paroisses sont consolidés au niveau de chaque diocèse. Au-delà du seuil de 153 000 euros de dons, ces associations sont astreintes, depuis 2003, à une publication de leurs comptes et à la nomination d'un commissaire aux comptes.
Les ressources sont essentiellement composées de dons à hauteur de 80 %, sous différentes formes, à savoir le Denier du culte, qui représente 35 % des ressources et dont les dons sont défiscalisés, les quêtes à l'occasion de fêtes religieuses, qui représentent 32 % des ressources sans pour autant être défiscalisés, et enfin les donations et legs qui représentent 12 % des ressources. L'Église doit acquitter un certain nombre de charges, dont, à titre principal, le traitement des prêtres en activité et les salaires des personnes employées dans nos structures qui représentent, à l'échelle de la France, environ 12 000 emplois. Les dépenses de fonctionnement représentent le second poste important et comprennent l'entretien courant des églises communales, qui sont propriété des communes. Il faut également ajouter la construction et l'entretien des édifices postérieurs à 1905 qui sont propriétés, en propre, des associations diocésaines. Les Chantiers du cardinal financent une partie de ces constructions dans l'Île-de-France qui ont concerné treize sites en 2014. Ces Chantiers aident également à la mise aux normes pour l'accueil du public. Certaines subventions publiques peuvent être accordées lorsque les projets présentent une dimension culturelle qui sera, le cas échéant, porté par une autre structure que l'association diocésaine. Ces projets peuvent également être financés par le mécénat d'entreprise.
Nos séminaristes reçoivent leur formation dans des séminaires qui sont à la charge des associations diocésaines. Leurs études, leur hébergement ainsi que leurs repas sont intégralement pris en charge. Le coût s'élève, par an, à quelque 22 000 euros par séminariste dont la formation s'étend sur six années. Ce sont ainsi les dons des fidèles qui assurent le financement des lieux de cultes et la formation des séminaristes. L'Église catholique ne reçoit aucune subvention de l'étranger ni du Vatican.
Les budgets des associations diocésaines connaissent aujourd'hui des tensions. Pour le moment, leur déficit chronique de fonctionnement est couvert par des recettes exceptionnelles et des dons et legs. Les charges sociales s'accroissent, s'agissant notamment du financement des emplois à temps partiel. À titre indicatif, le passage à mi-temps d'un emploi à 24 heures entraîne une augmentation de 10 % de la masse salariale des emplois concernés. Il est intéressant de confronter ainsi notre mode de financement qui repose à 80 % sur des dons avec le financement privé du secteur associatif tel qu'il est retracé dans un rapport du Haut conseil pour la vie associative en date du 13 mars 2014. En effet, la part des dons ne représente que 5 % des ressources des différentes associations, voire au maximum 20 %. L'essentiel de leurs ressources est issu de subventions et de commandes publiques, ainsi que d'activités lucratives accessoires. Le Haut conseil de la vie associative (HCVA) a d'ailleurs posé la nécessité d'un redéploiement des ressources pour consolider les fonds propres des associations, ce qui a entraîné un certain nombre de modifications législatives et réglementaires. Ainsi, la loi du 31 juillet 2014 sur l'économie sociale et solidaire a ouvert la possibilité pour les associations dont l'ensemble des activités est d'intérêt général, de recevoir des donations et legs testamentaires. Pour nous, le plus important est de trouver des ressources d'appoint pour faire face à nos charges qui ne cessent d'augmenter.
Le culte catholique présente en outre une spécificité. Les ministres du culte sont pris en charge financièrement à vie. Ils ne sont donc pas une variable d'ajustement économique. Les réserves importantes qui figurent dans nos comptes doivent assurer la prise en charge des ministres du culte dans le temps.
Comme l'a dit Mme Hardel, les associations diocésaines ont le souci constant de renforcer leurs fonds propres, afin de préserver un équilibre financier nécessaire pour faire face à leurs charges. Les traitements de nos vingt-mille prêtres et les charges salariales de nos salariés en constituent la majeure partie. Il faudrait accorder aux associations cultuelles le droit de détenir les immeubles nécessaires à la poursuite de leurs activités. En effet, le droit de posséder et d'administrer des immeubles est reconnu à la plupart des organismes à but non lucratif, qu'il s'agisse d'associations reconnues d'utilité publique, d'associations présentant un intérêt général et exerçant depuis trois ans au moins, d'associations ayant pour but l'assistance, la bienfaisance ou la recherche scientifique et médicale et enfin de fondations reconnues d'utilité publique. Les associations reconnues d'utilité publique et celles présentant un intérêt général se sont même vues reconnaître le droit de posséder et d'administrer des immeubles qui ne sont pas strictement nécessaires à la réalisation de leurs activités sociales par la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire. Les motifs invoqués pour justifier ce droit lors des débats parlementaires pourraient tout à fait s'appliquer aux associations cultuelles. Il est tout de même paradoxal que ces dernières puissent recueillir des dons et legs portant sur des immeubles, mais ne puissent ni les posséder ni les administrer. Une telle anomalie conduit ces associations à devoir vendre ces immeubles, parfois dans des conditions défavorables, puisque si la vente n'est pas réalisée dans les mois qui suivent l'entrée en possession de l'immeuble, une taxation pour logement vacant peut leur être imposée, ce qui alourdit encore leurs charges.
Un autre argument a plaidé pour accorder ce droit, la possibilité pour une association titulaire d'un legs d'immeuble d'en tirer des revenus locatifs. En revanche, pour les associations cultuelles, pourquoi serait-il préférable de détenir des actifs financiers plutôt qu'immobiliers ? Nous devrions avoir le choix, après discernement patrimonial, économique et pastoral, de conserver l'immeuble pour en dégager des revenus et ainsi pourvoir au traitement des prêtres et au paiement des charges sociales y afférant.
La présence juive en France remonte à plus de 1 500 ans et durant de nombreux siècles, les communautés juives à travers la France étaient indépendantes les unes des autres. Malgré les périodes de persécution, les communautés juives françaises ont été particulièrement florissantes, notamment sur le plan spirituel, comme à Troyes avec le Maître Rachi et ses petits-fils ou encore à Paris avec Rabbi Riel, et tant d'autres. La France est véritablement un vivier de savoir et de connaissances talmudiques. Il y avait des communautés et des écoles talmudiques, dans de nombreux endroits en Alsace, en région parisienne ou encore en Provence et dans bien d'autres régions. C'est précisément en 1791 que les Juifs ont véritablement eu le droit de citer en France. Peu de temps après, Napoléon a publié deux décrets, le premier, en date du 10 décembre 1806 et le second, en date du 17 mars 1808, qui instaurent le Consistoire central et les consistoires régionaux. Il a donc tenu à fédérer les communautés juives de France sous l'égide du Consistoire. L'instauration du Consistoire central, sous l'appellation d'Union des communautés juives de France, fut une véritable révolution, avec à sa tête un président et une autorité spirituelle incarnée par le Grand Rabbin de France. Quelques modifications furent apportées en 1844, avec l'intégration de laïcs au sein de ce consistoire central. Il y avait au départ sept consistoires régionaux, définies comme des circonscriptions consistoriales. Avec l'avènement de la loi de décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, le Consistoire a connu un véritable bouleversement. Il a ainsi fallu restructurer les communautés et ce n'est que quelques années plus tard que le Consistoire, tel que nous le connaissons aujourd'hui, a été mis en place.
Aujourd'hui, on a un Consistoire central - l'Union des communautés juives de France - qui regroupe toutes les communautés dites consistoriales, c'est-à-dire les associations cultuelles israélites qui ont remplacé les circonscriptions consistoriales. Le Consistoire central comprend quinze consistoires régionaux qui ont chacun à leur tête un président. Il compte une assemblée de trois cent personnes, soit un certain nombre de rabbins élus par leurs pairs et de laïcs présidents de consistoires régionaux et d'associations culturelles israélites. Cette assemblée générale élit le président du Consistoire tous les cinq ans et le Grand Rabbin de France tous les sept ans. Cette assemblée générale élit également les membres du conseil d'administration du Consistoire central, avec un bureau composé de son président, de son vice-président et de son trésorier. Le même schéma existe pour les consistoires régionaux, dont le plus important est celui de Paris, plus communément désigné comme l'Association consistoriale israélite de Paris (ACIP) et dont je représente le président, le Docteur Joël Mergui. L'ACIP représente ainsi la plus grande communauté juive d'Europe, avec 35.000 adhérents sur 150.000 usagers. Ce consistoire a son équivalent dans quatorze autres villes de France.
Le Consistoire pourvoit aux besoins et aux intérêts du culte. L'ensemble des consistoires a pour mission de gérer le culte juif en France. Ils veillent également au respect du droit de la liberté religieuse, à la formation des rabbins dans l'école rabbinique, qui est une émanation du Consistoire central. Le cursus dure au moins cinq ans et, à l'issue, les rabbins sont nommés dans les différentes associations cultuelles implantées en France. Dans chaque région se trouve un grand rabbin qui incarne l'autorité religieuse de la région.
Le financement repose sur des dons et des legs ainsi que sur la taxe sur l'abattage rituel. Les différents consistoires ont en leur sein un Betdin, à savoir un tribunal rabbinique qui assume diverses missions, dont celles afférentes aux règles concernant l'alimentation et l'abattage rituel. Des délégués du tribunal rabbinique sont ainsi en charge de l'abattage rituel et sont payés, tout comme les rabbins, par le Consistoire. La taxe permet de subvenir à leurs salaires ainsi qu'aux besoins plus généraux du Consistoire, qui sont importants. Les synagogues, les centres communautaires et certains immeubles qui y sont rattachés doivent être entretenus. A Paris, les grandes synagogues, comme celles de la rue de la Victoire ou de la rue des Tournelles, sont propriétés de l'État, mais le Consistoire de Paris est chargé de leur entretien. Les autres Consistoires sont propriétaires de synagogues, dont certaines ont été construites après le retour des Juifs d'Algérie puis du Maroc et de Tunisie au début des années 60. Ils pourvoient à l'ensemble des dépenses, qu'elles soient de personnels comme le traitement des rabbins et des personnels administratifs, ou encore l'entretien des bâtiments. La tâche est importante et difficile. Comme vous le savez, la communauté juive de France connaît des départs nombreux de ses membres les plus actifs, qui vont s'installer en Israël du fait de l'insécurité qu'ils ressentent dans bon nombre de communes. Ces personnes se définissent comme françaises avant tout mais ont fait le choix d'émigrer en Israël pour préserver l'intégrité physique de leurs enfants. Quinze mille personnes ont ainsi quitté, pour la seule année 2015, la France et donc nos communautés. Ce sont autant d'adhérents qui ne font plus de dons. Nous essayons de les remplacer par d'autres membres, mais c'est une tâche extrêmement difficile.
À l'instar de mes collègues, je ne vais pas évoquer l'histoire de l'Église orthodoxe de la France depuis ses origines, au risque de remonter à Saint-Irénée de Lyon qui était lui-même l'un des pères de l'Église et natif de la ville d'Antioche située au Proche-Orient. Je vais plutôt centrer mon propos liminaire sur l'installation des églises orthodoxes en France durant le XXème siècle, marqué par l'organisation sociopolitique d'une émigration en provenance de différentes origines mais allant dans le sens d'une convergence et d'une coopération entre les différentes églises orthodoxes.
L'orthodoxie est parfois présentée de manière trop folklorique. L'unité dans la diversité est un principe unificateur des différentes églises orthodoxes. Un tel principe va au-delà de la liturgie elle-même et caractérise l'organisation non seulement en France, mais à l'échelle mondiale.
En France, l'Église orthodoxe résulte essentiellement d'une forte immigration liée à des motifs politiques, comme la Révolution de 1917 en Russie, les événements en Asie mineure, suite au démantèlement de l'Empire ottoman au sortir de la Première guerre mondiale, l'arrivée, vers la même époque, des populations en provenance du Proche-Orient jadis placées sous l'égide du Patriarcat d'Antioche et qui se sont notamment installées dans la région de Marseille, ou d'autres vagues à la fin de la Seconde guerre mondiale ou, plus récemment, avec la guerre civile au Liban dans le milieu des années 70.
Par la suite, une importante immigration roumaine, d'abord politique puis consécutive à l'ouverture des frontières européennes, a conduit à l'installation d'un diocèse orthodoxe en France, qui accueille aujourd'hui un nombre conséquent de fidèles.
D'abord structuré comme une sorte de « foyer du souvenir », l'ensemble des communautés qui se sont progressivement installées sur le territoire national se sont totalement conformées à la législation, en particulier la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905, via la création d'associations cultuelles. L'année 1967 marque le début de l'organisation de l'Église orthodoxe en France avec la constitution du comité inter-épiscopal orthodoxe, comité informel établissant une coopération entre l'ensemble des évêques des cultes orthodoxes en France.
En 1997, la constitution, conformément à la loi de 1901, de l'association des évêques de France, sur la base des recommandations de l'ensemble de l'orthodoxie répondait ainsi à une dynamique de convergence et de coopération. Elle visait également à poursuivre le dialogue oecuménique amorcé depuis le début du XXème siècle avec les autres religions et à assurer la représentation des Églises orthodoxes auprès des Pouvoirs publics. À cet égard, le responsable de cette association co-préside avec ses homologues catholiques et protestants le Conseil des Églises de France et notre association est membre de la Conférence des responsables de culte en France. Afin de poursuivre l'intégration des Églises orthodoxes de France, plusieurs comités ont également été mis en place au sein de l'assemblée autour des thématiques suivantes : liturgie, théologie, Église et société, pastorale, média et informations ainsi que les relations inter-religieuses.
L'assemblée des évêques n'est pas une instance canonique. En revanche une organisation mondiale panorthodoxe devrait être créée lors du prochain concile général qui aura lieu prochainement en Crète.
Tous les évêques exerçant des fonctions canoniques en France siègent au sein de cette assemblée. Cependant, celle-ci n'a pas d'autorité sur les différents diocèses qui jouissent d'une pleine et entière autonomie. S'agissant du financement, le principe est que chaque communauté doit elle-même porter son pasteur, sa famille et ses enfants. La plupart des prêtres en France sont issus de ces communautés locales. Ils sont formés notamment par l'Institut de théologie Saint-Serge, fondé à Paris en 1925. L'Institut forme également quelques pasteurs appelés à intervenir dans d'autres Église ; ainsi, deux patriarches y ont été formés !
Les communautés religieuses orthodoxes, dans leur ensemble, ont adopté le système des associations cultuelles, comme le diocèse du Patriarcat de Moscou qui s'est constitué sous cette forme très récemment. Les bâtiments sont soit la propriété de ces Églises historiques, comme la Cathédrale de la rue Daru construite du temps des Tsars ou encore la Cathédrale grecque située rue Georges Bizet dans le 16ème arrondissement et dont l'édification remonte à la fin du XIXème Siècle. Un certain nombre de lieux de cultes sont également mis à disposition par les cultes catholique et protestant.
S'agissant des relations avec les Pouvoirs publics, l'Église orthodoxe croit à la coopération entre le temporel et le spirituel et ce, depuis la théorie de la Symphonia élaborée à Byzance du temps de l'Empereur Justinien. La laïcité positive et intelligente, telle qu'elle prévaut en France, nous paraît la meilleure manière d'assurer cette synergie. La neutralité induite par le principe de laïcité ne doit pas conduire à l'indifférence, mais favoriser l'intégration en permettant de consolider le tissu républicain et ainsi constituer une opportunité pour la France. Par contre, la communautarisation est une dérive qui menace le socle républicain et, indirectement, les relations intercommunautaires, car elle force les communautés à s'identifier les unes par rapport aux autres.
La Fédération protestante de France regroupe une trentaine d'Églises protestantes nationales, parmi lesquelles se trouvent une Église arménienne et une centaine d'associations. Son champ d'action dépasse le seul domaine cultuel, mais je m'en tiendrai, dans ma présentation, à ce dernier.
La formation des ministres du culte s'effectue dans des instituts ou des facultés de droit privé, à l'exception de Strasbourg où se trouve une faculté d'État. La formation dispensée dans les autres facultés est à la charge des Églises et dure au minimum cinq ans. À l'issue, débute une période qualifiée de proposanat, c'est-à-dire d'application pratique de l'enseignement dans les églises locales. Jusqu'à présent, l'État français ne s'était jamais préoccupé de la formation des pasteurs, dans le cadre de la loi de séparation de 1905, mais depuis un an, il semblerait qu'un décret soit en cours de préparation afin de préciser les exigences requises des aumôniers. La Fédération protestante n'a pas été consultée durant cette démarche, alors qu'elle compte de nombreux aumôniers. Ce décret devrait logiquement ne concerner que les aumôniers rémunérés par l'État, mais le ministère des affaires sociales aurait pourtant lancé une enquête pour recenser tous les aumôniers, y compris les bénévoles. Nous sommes quelque peu interloqués par ce projet de décret et son application à toutes les personnes exerçant la fonction d'aumônier. C'est une question d'actualité !
Le financement provient essentiellement des fidèles, de leur vivant ou après leur décès. Je ne peux que m'inscrire dans ce qui a été préalablement évoqué sur la disposition de la loi du 31 juillet 2014 qui exclut les associations cultuelles de nouvelles possibilités, sans que jamais les auteurs de cette loi n'aient expliqué les motivations d'une telle exclusion. Sur ce point, nous n'avons jamais eu de réponse à nos questions.
Sur les relations avec les Pouvoirs publics et le choix des interlocuteurs, les responsables des Églises protestantes sont toujours désignés par élection pour assumer un mandat d'une durée de trois à six ans selon les Églises. Ces personnes élues dialoguent avec toutes les autorités.
Enfin, s'il n'y a pas, à proprement parler, de prescription religieuse à cet égard, les protestants considèrent l'enseignement religieux comme une nécessité pour le bon fonctionnement des institutions ecclésiales. Ce type d'enseignement est d'ailleurs reconnu comme l'une des attributions des associations cultuelles de la loi de 1905 et nous suivons ce modèle. Pour autant, la jurisprudence du Conseil d'État considère que l'enseignement religieux ne fait pas partie des activités des associations cultuelles. Comprenne qui pourra ! Tout cela pour vous démontrer que notre régime actuel comporte sa part de curiosités.
Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, pour vos présentations. Avant de céder la parole à ma collègue Mme Nathalie Goulet, rapporteure de notre mission d'information, je rappellerai que nous avons bien évidemment invité le représentant du Conseil français du Culte musulman. J'espère que lui ou un de ses représentants pourra nous rejoindre avant la fin de cette table ronde.
Merci Madame la Présidente. Avec votre autorisation, je vais d'abord laisser la parole à mes collègues qui doivent retourner en séance.
Ma question s'adressera au Président de l'Union des Bouddhistes de France. Monsieur le Président, vous avez évoqué le Bouddhisme Zen et de nombreuses autres traditions différentes. Pouvez-vous nous préciser un peu la situation ?
Le Bouddhisme est une religion assez complexe qui a 2 600 ans et dont l'expansion s'est opérée, comme toutes les autres religions, à partir d'une première localisation. Le Bouddhisme n'étant pas une religion dogmatique, elle n'exige pas de croyances particulières et manifeste une extrême souplesse vis-à-vis des cultures où il s'implante. Dans toute l'Asie du Sud et du Nord-Est, le Bouddhisme s'est implanté de manière apaisée en s'intégrant aux croyances et aux coutumes locales, ce qui a donné, notamment au Tibet, des traditions qui peuvent apparaître très dissemblables. Chaque tradition a ses particularités ; certaines insistent plus sur des pratiques de méditation, d'autres sur des études de texte. Les vêtements portés participent également de cette tradition : ainsi, le Dalaï Lama porte une robe jaune et rouge, tandis que les bouddhistes Zen sont vêtus de noir et que les bouddhistes vietnamiens sont en jaune. Ces couleurs illustrent la variété des traditions qui se rattachent toutes à l'enseignement original du Bouddha.
La Chine a été un grand pays bouddhiste du IIIème au XIIIème siècle après Jésus-Christ, voire après, mais de façon moins visible. L'arrivée du communisme a provoqué la quasi-disparition du Bouddhisme, mais il est en train de revenir. En effet, les grands temples traditionnels sont en cours de reconstruction et de nouvelles communautés monastiques se reconstituent.
Je me rends souvent en Chine et il n'est pas rare de trouver des lieux de culte bouddhiste dans les entreprises.
Je retrouve avec plaisir les représentants des principales religions que j'avais rencontrées lors des auditions conduites sur la thématique de la fin de vie. Qu'en est-il en France du dialogue interreligieux ? Je regrette l'absence du représentant du culte musulman, alors que notre mission commune d'information est consacrée à son financement.
Monsieur Amiel, je le répète, nous l'avons convié mais pour des raisons indépendantes de sa volonté, il n'a pas encore pu nous rejoindre.
On entend parler du terme de tradition et sans vouloir lancer un débat théologique, il semble possible d'évoquer l'idée d'une tradition primordiale. Toutes les religions seraient en principe d'accord pour porter un message de paix et de fraternité même si leur histoire révèle parfois un certain décalage avec leurs aspirations initiales. Certes, André Malraux pensait que notre siècle serait spirituel, mais qu'il prendrait sans doute une autre tournure que celle qui semble actuellement prévaloir. Qu'en est-il donc du dialogue interreligieux chez nous ?
Le dialogue interreligieux, très important pour l'Église catholique, est structuré. En effet, dans chaque diocèse se trouve une personne responsable de ce dialogue qui s'organise à la fois au niveau de chaque diocèse et à celui de la Conférence épiscopale. Nous sommes très actifs sur ce point, même si nous n'en parlons pas forcément tout le temps.
Je viens d'Alsace où le débat interreligieux est extrêmement pratiqué et soutenu par la Région Alsace, avec une structure dédiée et, à sa tête, un pasteur protestant directement rattaché au Président Philippe Richert. Ce dialogue est présent au niveau de la Ville de Strasbourg et j'ai la chance de participer également au Conférence des responsables des cultes français (CRCF), structure informelle qui permet depuis six ans un dialogue tout à fait fécond en réunissant, à un rythme trimestriel, les responsables des différents cultes français au plus haut niveau. Nous évoquons dans ce cadre tous les problèmes d'actualité. Le dialogue interreligieux s'organise ainsi du niveau paroissial jusqu'à l'échelle nationale.
Le dialogue interreligieux est extrêmement fructueux en France. Les amitiés judéo-chrétiennes existent depuis longtemps. Les relations entre le Conseil français du Culte musulman (CFCM) et le Consistoire sont très harmonieuses et marquées par de fréquentes rencontres. Le Rabbin Michel Sarfati a créé les amitiés judéo-musulmanes et a sillonné la France pour faire passer un message d'amitié et de fraternité. Avec la communauté protestante, les relations sont très anciennes et harmonieuses. Le dialogue interreligieux est soutenu, comme j'ai pu le constater en Alsace et plus particulièrement à Strasbourg, où j'ai fait mes études.
J'ai eu la chance de participer à la fondation de la Conférence des responsables des cultes français (CRCF) en novembre 2010. C'est une structure informelle marquant la convergence de plusieurs dialogues bilatéraux qui existaient déjà en France. La CRCF marque ainsi une sorte d'aboutissement naturel pour répondre aux enjeux de l'actualité et met en oeuvre une logique de coopération dans la durée. La fréquence de ses réunions est un premier gage de son succès et le colloque au Sénat sur la thématique de la laïcité, durant lequel les différents responsables religieux se sont exprimés, a contribué à son externalisation. Le malaise que nous connaissons actuellement me paraît davantage procéder d'une identification entre la religion et le combat socio-politique, et nullement d'une faiblesse inhérente au dialogue interreligieux. La CRCF l'a d'ailleurs vérifié et s'efforce que certains conflits extérieurs ne soient pas instrumentalisés contre les communautés musulmanes et juives.
Vos exposés étaient très intéressants, et je tiens à vous en remercier.
J'aurais voulu aborder une question mais le représentant du culte musulman n'est pas là. Je crois qu'il aurait été intéressant de l'entendre à propos du financement étranger, que vous avez tous abordé, et qui semble être un problème pour vous. J'aimerais vous entendre en détail à ce sujet.
On sait que le culte musulman est financé par l'étranger, particulièrement pour ce qui est de la formation des imams. Que faut-il penser de ces pays qui donnent énormément d'argent, et de l'influence que cela a sur l'islam et sur la société française, l'un et l'autre étant désormais liés ?
Je rappelle à M. Rachline que nous avons déjà auditionné le responsable du CFCM et que nous lui avons déjà posé ces questions. Un certain nombre de précisions ont été apportées à ce propos.
Un rappel historique concernant le financement du culte protestant : en 1685, sept cents temples ont été rasés. Sous Napoléon, le premier problème a donc été la reconstruction des temples. Il est bien évident que pour les financer, les protestants de France ont été énormément aidés au XIXème siècle par des églises étrangères. Cela fait partie de l'histoire de France. Au XXIème siècle, des églises étrangères continuent à aider des églises protestantes pour bâtir leurs édifices du culte. C'est une réalité, il n'y a aucune raison de la cacher, mais ce n'est pas parce que les églises étrangères aident financièrement à l'édification des temples qu'elles interviennent pour autant dans la conduite des églises locales.
Comme cela a été dit, chaque église locale est autonome dans le cadre de l'organisation de l'église à laquelle elle appartient. Il n'y a pas d'influence étrangère en la matière et si des financements étrangers existent, ils ont toujours été minoritaires, il ne faut donc pas les surestimer.
J'ai beaucoup de questions...
La première, assez simple, concerne M. Roque. Vous avez fait un exposé à la fois juridique et éclairé, pourriez-vous nous donner une copie de vos notes, car vous avez fait référence à un certain nombre de dispositions légales et réglementaires que j'aimerais pouvoir examiner de plus près. Nous ne siégeons pas tous dans les mêmes commissions et nous avons probablement, les uns ou les autres, manqué telle ou telle disposition. Vos notes seraient donc précieuses de ce point de vue.
Vous mentionnez en deuxième lieu des financements étrangers. Comment transitent-ils ? Pour l'Islam, la Fondation pour les oeuvres de l'Islam de France aurait permis la transparence, les fonds venant de l'étranger ne posant pas de problème dès lors qu'ils ne sont pas conditionnés et qu'ils sont transparents, deux conditions cumulatives et non alternatives.
Les questions suivantes s'adressent à M. Buchinger. Vous avez une organisation idéale concernant la représentativité et l'élection... Tout d'abord, comment les listes électorales du Consistoire central ou des consistoires régionaux sont-elles composées ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous donner une idée du montant que représente le département Cashrout et viande casher ? Comparaison n'est pas raison mais, en termes d'abattage, il existe des liens forts entre l'abattage rituel musulman et la certification. Même si ce n'est pas exactement identique, cette comparaison pourrait être utile à nos travaux.
Pour le reste, j'aimerais préciser qu'un temple bouddhiste situé à Aubry-le-Panthou, dans mon département de l'Orne, a reçu la visite du Dalaï-lama !
La difficulté de la mission est d'avoir une idée précise de la façon dont les choses se déroulent. L'État ne peut intervenir dans l'organisation des cultes, mais il le fait cependant à un moment ou un autre, que ce soit fiscalement, ou en édictant des règles dont vous venez de dire à quel point elles impactent votre fonctionnement. Le financement serait plus simple si vous pouviez recevoir des dons, des legs, et bénéficier de revenus immobiliers.
Le financement de construction d'édifices du culte par les églises étrangères emprunte un circuit simple : les dons recueillis par des églises étrangères sont envoyés directement aux églises de France.
Une Fondation du protestantisme a été créée et reconnue d'utilité publique en 2001. Elle a d'ailleurs servi de modèle à la fondation musulmane à laquelle vous faisiez allusion. Notre Fondation recueille des dons venant de fondations américaines ayant le même objet. C'est un développement nouveau en la matière.
Quant à votre question sur les listes, elle s'est posée pour les protestants dès 1852, avec le décret instituant le suffrage universel masculin, devenu également féminin par la suite. Depuis, il existe dans chaque association cultuelle une liste de membres à partir de laquelle ont lieu toutes les élections dont j'ai parlé.
En préambule, j'indiquerai que le Consistoire central et les trente consistoires régionaux ne bénéficient d'aucun financement étranger.
Quant aux membres des différents consistoires, il s'agit d'adhérents qui versent une cotisation. Cette cotisation est d'un montant minimal de 60 euros. Lors des offices religieux du shabbat, des personnes sont amenées à faire des dons pour devenir adhérents du Consistoire de Paris, de Marseille, de Lyon, ou de Strasbourg. Ces adhésions restent purement volontaires et interviennent en dehors des offices. Elles se traduisent par le versement d'une cotisation.
Paris et la région parisienne comptent environ 300 000 personnes se reconnaissant de confession juive. Les adhérents sont au nombre de 35 000, soit environ 10 % des usagers des différents services du Consistoire central.
Pour ce qui est de la quote-part de la taxe sur l'abattage rituel dans le budget du Consistoire central, elle est importante : elle représente entre 30 % et 35 % des ressources, notamment pour le Consistoire de Paris.
La liste électorale est constituée des membres de l'association à jour de leur cotisation, je suppose ?
Oui, tout à fait. Cela permet, notamment pour le Consistoire de Paris, d'élire les membres du conseil d'administration, qui sont au nombre de vingt-six. Ceux-ci élisent eux-mêmes le président du Consistoire de Paris.
C'est différent pour ce qui concerne le Consistoire central, qui compte trois cents grands électeurs, une trentaine de rabbins, et 270 laïques environ, qui procèdent à l'élection du président, du grand-rabbin de France et des membres du conseil du Consistoire central.
La taxe sur l'abattage rituel est-elle perçue à la vente de la viande ? Est-elle calculée ou estimée à un autre moment ? Comment les choses s'organisent-elles en matière de certification ou d'agrément de ceux qui peuvent procéder à cet abattage rituel ?
La taxe est calculée par kilogramme. Elle est versée par les chevillards, les grossistes en viande. Les délégués chargés de l'abattage rituel sont des personnes bénéficiant d'une formation sérieuse et longue. Ce sont des personnes expérimentées et non des gens qui improvisent l'abattage rituel. Avant de pouvoir procéder à cet abattage, ils ont fait des études longues et minutieuses, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique.
La Thora comprend 613 commandements ; parmi ceux-ci, il en est un qui concerne l'interdiction de faire souffrir l'animal. Cet abattage rituel a été instauré depuis les origines, précisément dans le but de ne pas faire souffrir l'animal. Des débats ont eu lieu à ce sujet. Je les ai suivis. J'y ai même participé avec le grand-rabbin Fiszon, qui a le mérite d'être à la fois grand-rabbin de la Moselle et médecin vétérinaire. Le but de cet abattage rituel, que l'on appelle en hébreu la shehita, est précisément d'éviter autant que faire se peut la souffrance animale.
Certains d'entre vous ont mentionné des origines alsaciennes et indiqué que la laïcité ne posait aucune difficulté en Alsace. Pensez-vous que les choses soient plus simples sous un régime concordataire ?
Certaines personnes entendues par notre mission estiment le régime concordataire plus performant et plus simple pour régler un certain nombre de problèmes : elles le considèrent propice pour des religions implantées sur notre territoire depuis moins longtemps que les religions catholique, juive, protestante ou orthodoxe, à un certain rattrapage par rapport à ce qui s'est passé avant la loi de 1905. Quel est votre sentiment à ce propos ?
J'ajoute que le dialogue interreligieux en Alsace - on l'a vu dans le cadre d'une autre mission - a permis, notamment dans les écoles, que la minute de silence, après Charlie Hebdo, se passe beaucoup mieux qu'ailleurs, et sans incident.
Ce fait religieux à l'école, dans le cadre concordataire, semble donc apporter un certain nombre d'apaisements et lutter en tout cas contre l'ignorance, qui est généralement notre pire ennemi.
En effet, l'enseignement laïc du fait religieux est très important. On ne peut que regretter les retards constatés dans sa mise en place dans la France de l'intérieur, mais le concordat, en Alsace-Moselle, pose un problème d'égalité. Les religions qui en bénéficient en sont très satisfaites et on ne peut qu'en prendre acte, mais celles qui n'en bénéficient pas déplorent cette rupture du principe d'égalité des citoyens. C'est là toute la difficulté de l'avis rendu par le Conseil constitutionnel, qui a expressément dit que le régime actuel ne pouvait être étendu. Cela signifie qu'il est cristallisé et ne saurait profiter à d'autres religions.
Cela concerne les musulmans, mais aussi les églises évangéliques, qui ne bénéficient pas de ce régime. Il est gênant qu'il ne soit pas possible de l'étendre à l'ensemble des cultes concernés.
J'ai vécu en Alsace durant une vingtaine d'années. J'ai pu constater que le régime concordataire était favorable aux grandes religions - catholique, protestante, juive. Les rabbins, les curés, les pasteurs sont des agents de l'État. Cela simplifie considérablement les choses pour ces différentes religions, car leur salaire, en grande partie, provient de leur statut d'agent public.
Dans ce qu'on appelle la « vieille France », en dehors de l'Alsace et de la Moselle, ce régime n'existe pas. Les communautés parviennent à subvenir à leurs besoins, mais le régime concordataire simplifie grandement la situation.
Révérend Olivier Reigen Wang-Genh. - Pour avoir à la fois des relations assez suivies avec la mairie de Strasbourg et la mairie de Paris, notamment pour la gestion de la grande pagode, je peux témoigner que les relations entre les pouvoirs publics et les cultes sont vraiment plus apaisées en Alsace.
Cette lecture plus ou moins rigoureuse de la laïcité prête parfois à des situations ubuesques, notamment au niveau de la mairie de Paris, où les choses peuvent être culturelles à un moment donné, puis basculer dans le cultuel sans que l'on comprenne vraiment pourquoi - ou le contraire. En fait, on joue en permanence avec cette ambiguïté. Cela donne parfois des choix mal compris de part et d'autre.
À titre d'exemple, il existe une pagode vietnamienne en cours de construction dans la banlieue strasbourgeoise, à la Robertsau. Dans ce type de travaux, d'un montant d'environ 1,5 million d'euros, la mairie de Strasbourg participe à hauteur de 10 %, en plus d'un bail emphytéotique, et la région Alsace participe à hauteur de 10 % également. Les frais engagés bénéficient donc de 20 % d'argent public, pour respecter ce qui avait été fait pour la construction de la Grande Mosquée quelques années plus tôt, où la ville et la région avaient participé à hauteur de 20 %.
Pour notre part, nous considérons que le concordat d'Alsace-Moselle est une des modalités de la République laïque qui ne s'oppose pas à la laïcité. C'est une autre manière de la décliner. Ce que l'on peut constater, c'est que le fait religieux a été mieux pris en compte, et qu'il y a probablement eu moins d'incompréhensions entre les pouvoirs publics et les cultes, et entre les cultes eux-mêmes.
Mon commentaire ira en quelque sorte dans le même sens : le problème ne vient pas de la religion, mais de son intégration dans l'espace public. C'est une question de philosophie et de construction de rapports non ambigus entre les autorités publiques, les religions et les responsables culturels.
Je prends un exemple concordataire, celui de l'église de Grèce : l'État paie les prêtres comme des fonctionnaires, qui souffrent beaucoup en ce moment avec la crise ! Cela présente parfois des avantages, mais crée aussi à la longue des inconvénients. Le problème n'est pas le régime concordataire ou une laïcité à la jacobine mais la manière dont on conçoit les relations entre pouvoirs publics et religions, et l'intégration du fait religieux à l'intérieur même de la société. Soit on cherche à le garder à distance, soit on cherche à réaliser une intégration plutôt harmonieuse, dans le cadre d'une véritable coopération. C'est à mon sens tout l'enjeu de la question.
La laïcité, en France, comporte des avantages. On a vu qu'il existait des évolutions intéressantes dans le droit positif et dans les arrêts du Conseil d'État. Il y a parfois des rechutes, et tous les acquis retombent parfois. Pour prendre une image, c'est comme si on oubliait de couper le cordon ombilical à la naissance. On est rattaché sans l'être.
Jean-Daniel Roque l'a dit, cette disposition ne concerne que les associations culturelles. On ne comprend pas pourquoi de telles ambiguïtés reviennent toujours, et cela suscite beaucoup d'incompréhensions. Pourtant, comme on peut le constater tout au long du XXème siècle, que ce soit dans le cadre du rapport Machelon ou du groupe juridique interculte, on a toujours travaillé en très bonne intelligence, et c'était très prometteur. Ce groupe constituait un forum établi autour de relations multilatérales avec les autorités publiques. Le fait religieux concernait les deux parties, et les choses n'étaient pas appréhendées d'une manière jacobine, de haut en bas. C'est un peu ce que je disais de l'approche partenariale : il est important que la conception de l'État évolue sur ces sujets. L'approche partenariale est une approche synergétique entre des acteurs de la société, destinée à provoquer davantage de convergences.
On le voit bien avec le développement des projets public-privé, qui constituent une approche partenariale, l'État n'arrivant plus aujourd'hui, dans beaucoup de domaines, à être le seul ordonnateur et le seul exécuteur. Le fait religieux fait partie de ces questions régaliennes, hypersensibles et très importantes pour la société, dans lesquelles le besoin d'une véritable approche partenariale est de plus en plus grand.
In fine, peu importe les dispositions du concordat ou qu'il s'agisse d'une laïcité de l'intérieur : c'est cette question qui nécessite, à mon sens, d'être tranchée.
Je salue la présence dans les tribunes des auditeurs de la première session de l'Institut du Sénat. Je vous remercie, mesdames et messieurs, de l'intérêt que vous portez à notre mission d'information.
En mon nom et au nom de mes collègues, je vous souhaite la bienvenue, ainsi qu'une bonne continuation dans votre cycle de formation.
Je remercie les intervenants de toutes les précisions qu'ils nous ont apportées. On a beaucoup parlé de Strasbourg, du concordat, mais Strasbourg, ce n'est pas toute la France. Les choses sont un peu plus compliquées. Un pays laïc respecte toutes les religions. Quant au financement, c'est le point sur lequel nous nous interrogeons, et c'est pourquoi cette mission a été mise en place.
Plusieurs choses ont été dites : je crois qu'il existe un véritable partenariat entre l'État et les différents cultes que vous représentez, auquel il faut ajouter les évangélistes, comme l'a dit M. Roque, qui sont en nombre très important. Dans ma ville, ils tiennent une grande place.
On cherche des solutions, mais on ne peut demander à l'État de financer un culte plutôt qu'un autre. Pourquoi imposer à la République, c'est-à-dire à tous les Français, de financer tel ou tel culte ? C'est une vraie question. Aujourd'hui, on s'interroge sur le financement des mosquées dans les villes, et on cherche des solutions. On a du mal à en trouver, mais je pense que le culte appartient à ses pratiquants. C'est leur choix et c'est à eux de le financer. C'est cela, la laïcité !
J'ai du mal à comprendre les termes de « laïcité jacobine ». Nous ne sommes pas des Jacobins : on sait exactement ce que l'on veut !
Parmi tous les cultes représentés ici, les financements existent : pagodes, foyers protestants... Reste le problème des mosquées qui, en France, est assez important, la religion musulmane étant la deuxième de notre pays. C'est pour cela que l'on pose ces questions.
Les villes font des efforts pour entretenir leurs églises, qui constituent une partie du patrimoine français, mais la construction de nouveaux lieux de culte est un autre sujet. Les villes discutent avec les représentants de chaque religion pour trouver des solutions, des terrains sont cédés à l'euro symbolique. Plus la mission avance, moins j'ai le sentiment que l'on peut faire davantage : pourquoi une religion plus qu'une autre ? Il faudrait toutes les financer ! Cela complique les choses.
Je ne comprends pas pourquoi le foyer protestant de la ville dont je suis l'élue n'ouvre pas ses portes aux évangélistes ! Bien qu'ils aient des congrégations différentes, ils sont tous protestants. Pourtant, les évangélistes se réunissent dans des pavillons, mettant leur vie en danger. Cela pose beaucoup de problèmes. Les rencontres interreligieuses peuvent également servir à prêter des lieux de cultes pour permettre à chacun de prier dignement.
Chaque fois que c'est possible, une église peut effectivement accueillir une autre église. Nous en avons de nombreux exemples. Je pense aux églises ethniques, qui sont souvent accueillies dans les mêmes lieux que les autres cultes, mais aussi aux relations particulières que nous avons avec les adventistes, qui présentent le grand avantage de se réunir le samedi et non le dimanche, ce qui permet de résoudre le problème de synchronicité des offices. Si l'on n'accueille pas tout le monde le dimanche, c'est parce que pratiquement tous les cultes protestants se réunissent ce jour-là à la même heure. Il est a priori évident que mutualiser les lieux de culte constitue une démarche de bon sens, et nous n'avons aucune réserve à ce sujet.
Par ailleurs, il existe un certain nombre de départements qui, antérieurement - je ne sais si cela existe encore - avaient mis en place dans leur règlement intérieur des dispositions pour subventionner les édifices du culte. Autant le fonctionnement du culte relève des membres de l'association, autant la construction des édifices peut présenter une difficulté pour concourir à l'égalité. On ne peut parler d'égalité rétrospective dans l'histoire des lieux de culte en France. Jadis, lorsqu'un conseil municipal avait voté une subvention pour la construction d'un édifice du culte, le conseil général de l'époque apportait également son concours. C'était un critère qui relevait de la responsabilité des élus, démarche qui nous paraît tout à fait compréhensible.
Ma question rejoint celle de ma collègue et vient la compléter. Abandonner le système laïc pour adopter un système concordataire de subventions aux religions supposerait que l'on s'entende, sur le plan juridique, sur le mot de « religion ».
On pourrait en effet fort bien imaginer la montée en puissance de mouvements religieux fantaisistes, avec un risque de dérives sectaires et de manipulations psychiques, sans parler de ceux qui prétendent que le bouddhisme n'est pas une religion, mais il s'agit d'un vaste débat même si, connaissant un peu cette religion, je ne partage pas ce point de vue.
Je ne sais ce que vous en pensez, mais cela poserait un véritable problème en matière de délimitation du fait religieux et de son financement.
Le terme de « religion » est celui que l'on emploie dans pratiquement tous les pays, y compris dans la convention européenne, alors qu'en France, on emploie le terme de « culte ». Si celui-ci a été préféré au terme « religion », c'est pour ne pas entrer dans le débat sur ce qu'est une religion.
Dans le système anglo-saxon, par exemple, la jurisprudence est toute autre : si une personne estime que son acte relève du religieux, il doit en être tenu compte, alors qu'en France, il ne suffit pas qu'une personne revendique son sentiment religieux : il faut que ce sentiment religieux soit partagé par une institution. C'est là une différence importante, et cela constitue un garde-fou non négligeable.
Par ailleurs, une fois que l'on a admis l'idée que les cultes sont institués, leurs ministres et les fidèles restent, comme tout citoyen, assujettis à toutes les règles qui nous régissent. Les tenants d'une religion ne sont absolument pas exonérés de leur responsabilité.
Révérend Olivier Reigen Wang-Genh. - Une précision par rapport à la question de savoir si le bouddhisme constitue ou non une religion : ce n'est tout simplement pas une religion théiste. La religion n'est pas caractérisée par la croyance en un Dieu.
Il ne s'agit pas de jouer sur les mots mais, en Asie, il est difficile, face à la vie des communautés monastiques ou laïques, aux lieux de cultes, à la dévotion qui y règne, de ne pas considérer le bouddhisme comme une religion à part entière, avec tous les aspects d'une religion, l'éthique, etc.
Je ne voudrais pas laisser penser une seconde qu'on envisage de changer la loi de 1905 ne serait-ce que d'un iota. Il est clair qu'elle est totalement immuable, sur le fond, la forme, et dans notre esprit.
Comment l'enseignement privé, qu'il soit catholique, juif ou protestant, est-il organisé et financé ?
En outre, comment le contrôle des conversions fonctionne-t-il ? Quel est le parcours des gens qui se convertissent ? Quel est leur suivi ? Comment sont-ils parrainés ?
Il existe un certain nombre d'écoles privées confessionnelles juives à travers la France, principalement en région parisienne. Ces écoles sont généralement sous contrat avec l'éducation nationale.
On a tous entendu parler de ce livre paru au début des années 2000, intitulé « Les territoires perdus de la République ». Il est devenu extrêmement difficile - voire impossible - dans certaines communes, dans certaines banlieues, pour des enfants de confession juive, de bénéficier de l'école publique, laïque et républicaine. C'est un véritable drame pour un grand nombre de parents, qui n'envisageaient pas de placer leurs enfants dans des écoles privées, ayant eux-mêmes toujours bénéficié de l'enseignement public. Toutefois, le regain d'antisémitisme a fait que bon nombre de familles ont été amenées à diriger leurs enfants vers les écoles juives privées, voire parfois vers des écoles catholiques privées, afin de préserver les enfants d'insultes, de coups, voire pire encore.
Les écoles juives, majoritairement, sont des écoles sous contrat avec l'éducation nationale. L'enseignement est identique à celui dispensé dans toutes les écoles, lycées ou collèges publics. Il existe dans ces écoles privées des cours portant sur la Bible, le Talmud, la pensée juive. Deux ou trois heures par jour, voire plus selon les écoles, mais l'objectif est toujours de faire en sorte que le programme de l'éducation nationale soit scrupuleusement respecté.
Vous avez évoqué le problème des conversions. La religion juive a une spécificité par rapport aux autres religions : elle n'est absolument pas prosélyte. Elle ne cherche d'aucune manière à convertir qui que ce soit, mais tout un chacun qui aurait la foi, la volonté de se convertir au judaïsme, peut le faire. Je connais bon nombre de personnes qui n'étaient pas juives et qui se sont converties au judaïsme. Ils ont eu une conviction très forte, ont fait des études très poussées, et sont devenus rabbin.
Le fait que l'on ne cherche pas à convertir les gens mais qu'on permette à toute personne qui le souhaite sincèrement d'adhérer à la religion juive et de devenir juif à part entière est une spécificité qui me paraît importante.
Comment cette conversion se fait-elle ? Il existe au Consistoire de Paris un tribunal rabbinique, appelé Beth Din. Il a diverses missions, notamment liées à la famille, dont celle de la conversion. Les candidats sont reçus par des rabbins spécialisés qui s'entretiennent avec eux. Je pense même qu'aujourd'hui des psychologues participent à ces réunions pour essayer de faire prendre conscience aux personnes voulant devenir juives de la difficulté d'être juif.
Au terme d'un parcours qui peut durer un à trois ans, si le rabbin chargé de la conversion estime que le candidat est à même de franchir le pas et de devenir juif, il comparait devant un tribunal rabbinique composé de trois rabbins. Il devient juif en manifestant son adhésion à la religion juive. Il passe ensuite par le bain rituel et devient juif à part entière.
C'est un problème extrêmement important. Vouloir diriger une école privée, qu'elle soit catholique, protestante, juive ou autres, est souvent très difficile.
Les écoles privées de confession juive sont financées par l'écolage. Ce sont les parents qui versent à l'école les frais de scolarité. Des bourses sont accordées aux familles défavorisées - et elles sont nombreuses hélas !
Ces écoles bénéficient également de dons. Elles peuvent bénéficier de legs, mais ce financement est privé. Cependant, lorsqu'elles sont sous contrat avec l'éducation nationale, ce qui est le cas de la quasi-totalité, les enseignements généraux, les salaires des professeurs sont pris en charge par l'éducation nationale, à l'exception des salaires des professeurs des disciplines religieuses qui, eux, sont financés par l'école privée.
Lorsqu'il y a une demande de construction ou d'ouverture d'une école juive, la demande d'agrément de l'éducation nationale se fait-elle concomitamment ou par la suite ? Il existe apparemment une difficulté avec les écoles musulmanes...
Généralement, elle se fait concomitamment mais un certain nombre de problèmes peuvent parfois se poser : le ministère de l'éducation nationale ne veut pas toujours accepter toutes les classes de l'école au moment de la création de l'établissement. Seules quelques classes, dans un premier temps, bénéficient alors de ce contrat, qui est au fur à mesure étendu aux autres classes.
Les écoles que je connais - et je pense connaître les principales écoles juives privées - font en sorte d'obtenir l'agrément de l'éducation nationale concomitamment à la création de l'école.
Pour le culte catholique, les écoles sont quasiment toutes sous contrat, donc exactement dans la même configuration que celle qui vient d'être décrite à l'instant.
Pour ce qui est du contrôle des conversions, nous ne sommes pas non plus prosélytes. Nous prenons extrêmement garde à la démarche personnelle.
Une personne qui demande le baptême entre dans une longue préparation, que l'on appelle catéchuménat, qui dure au moins deux ans, afin de s'assurer que la personne effectue bien une démarche personnelle et n'est pas sous influence.
Au moment de la liquidation, en 1882, les protestants ont remis leurs écoles à l'État. C'est ce qui explique qu'il n'existe que cinq écoles sous contrat, toute en Alsace, région qui, en 1882, n'appartenait pas à la France.
Depuis quelques années, il se crée des écoles privées évangéliques hors contrat, et je me permets de préciser que la réglementation exige cinq ans de fonctionnement avant de pouvoir y prétendre. Il y a donc nécessairement pour les écoles privées, une étape hors contrat avant d'y parvenir.
Quand la demande se fait concomitamment à l'ouverture, cela permet de raccourcir les délais. C'était le sens de ma question.
Les villes versent également aux écoles confessionnelles une certaine somme pour les enfants qui y suivent leur scolarité, qu'elles soient juives ou catholiques. Il est plus compliqué de faire reconnaître les écoles musulmanes par l'éducation nationale.
C'est le cas de ma ville, Aubervilliers, qui compte trois ou quatre écoles confessionnelles - catholique, juive ou musulmane.
Le conseil départemental pratique de la même façon pour les collèges privés confessionnels concernant les enfants du département.
Il est important de le souligner, car il s'agit d'une reconnaissance des villes, après celle de l'éducation nationale.
Il est compliqué, pour un enfant qui veut suivre son culte, d'être inscrit dans une école laïque. Ce n'est pas qu'une question d'antisémitisme. Si un enfant veut par exemple devenir rabbin, il a besoin d'un lieu où suivre le programme de l'éducation nationale, tout en pratiquant sa religion. On en revient à la laïcité : respect pour tout le monde !
Vous avez tout à fait raison. En effet, pour des familles observant les règles religieuses, il est plus facile de scolariser leurs enfants dans une école privée juive que dans une école publique. Pour en revenir à l'Alsace, j'ai fait toute ma scolarité dans le public - école primaire, collège, lycée. J'ai toujours été observant des règles religieuses, et cela ne m'a jamais posé le moindre problème. Je n'ai jamais eu la moindre difficulté, et je n'étais pas le seul dans ce cas. Tous les garçons les filles de l'époque qui fréquentaient les écoles publiques n'ont jamais eu la moindre difficulté !
Il est vrai que les écoles juives sont composées en premier lieu d'élèves convaincus de l'importance de l'éducation juive à côté de l'éducation classique. Il n'en demeure pas moins que les problèmes que j'ai évoqués ont, depuis le début des années 2000, conduit bon nombre de familles pas du tout prédestinées à mettre leurs enfants dans des écoles juives, à finalement les y inscrire ou, parfois, à les inscrire dans des écoles catholiques, afin de les préserver d'un entourage qui pourrait leur être préjudiciable.
L'église orthodoxe ne dispose pas d'enseignement confessionnel ni d'école privée - du moins jusqu'à aujourd'hui. On n'a pas ressenti le besoin d'aller vers cette logique. L'insertion se fait dans l'école républicaine ou dans les écoles privées.
S'agissant de la conversion, le schéma est pratiquement le même que celui présenté par Anne-Violaine Hardel. C'est une démarche essentiellement personnelle, qui reste dans une logique de conversion à un processus, puis à une foi en une église, jusqu'au moment de son baptême. Il n'y a aucun contrôle. La démarche se fait en relation entre un père spirituel, un prêtre et la personne qui entre dans un cycle de catéchuménat.
En tant que Libanais d'origine, je fais souvent le parallèle, pour ce qui est des écoles privées, avec la désintégration de l'État républicain au Liban à travers cette logique de concurrence entre valeurs nationales et valeurs communautaires. Qui va prendre le dessus, est-ce la valeur communautaire ou la valeur nationale ?
C'est pourquoi j'ai dit, dans mon exposé introductif, que la vraie menace réside dans le fait de trop promouvoir la communautarisation, qui peut remettre en cause la valeur nationale.
Les écoles privées peuvent avoir une logique historique ou communautaire, mais il faut aller vers l'intégration. La question du financement répond exactement à la même logique. Le problème n'est pas de savoir d'où viennent les financements, mais de les traiter de façon transparente, et d'en connaître les objectifs. S'agit-il d'aider à l'intégration dans le tissu national, ou cherche-t-on à développer la communautarisation, au risque de fragiliser le tissu républicain ? C'est là, selon moi, la véritable menace. La communautarisation, à la longue, revient à désintégrer la communauté nationale.
J'aurais aimé que l'on puisse reparler un instant du dialogue interreligieux.
En tant qu'Alsacien, je puis témoigner de la qualité de ce dialogue, qui fonctionne depuis de très nombreuses années. C'est feu le sénateur Marcel Rudloff, qui fut membre du Conseil constitutionnel, qui l'a amorcé le premier, suivi par feu Adrien Zeller, qui a beaucoup fait à cet égard en nommant pour la première fois un pasteur dans son cabinet pour s'occuper du dialogue interreligieux. Philippe Richert a continué en nommant également un pasteur pour suivre cette question.
J'aimerais vous rappeler une anecdote que vous ne connaissez peut-être pas. Avec Nathalie Goulet, nous étions co-présidents de la commission d'enquête sénatoriale sur la lutte contre les réseaux djihadistes, qui a duré six mois. Nous nous étions déplacés à Strasbourg. J'y tenais, car c'est de Strasbourg que sont partis les premiers djihadistes. Personne ne les avait vus venir, même si l'on savait que la radicalisation existait.
Ceux qui connaissent l'Alsace connaissent peut-être le lycée Matisse, qui se trouve dans une zone quelque peu difficile. Ce lycée est à la fois un lycée d'enseignement technologique, un lycée professionnel et un centre de formation d'apprentis (CFA). Cet établissement doit compter entre 1 200 et 1 400 jeunes.
Nous avions interrogé son proviseur à propos du respect de la minute de silence demandée aux établissements scolaires après les assassinats de Charlie Hebdo. Le proviseur nous avait dit qu'il n'y avait eu chez lui aucun problème. Passé l'étonnement de celles et ceux qui connaissaient les difficultés apparues dans certains établissements, nous lui avions demandé de nous expliquer pourquoi. Il nous avait dit que cela ne posait pas de problème, le dialogue interreligieux introduit depuis de très longues années fonctionnant parfaitement dans cet établissement.
Dans le passé, j'ai été membre du conseil d'administration de ce lycée en tant que représentant du conseil régional. Je savais que le dialogue interreligieux fonctionnait grâce à l'heure de religion. Votre serviteur a suivi cette heure de religion il y a déjà fort longtemps. Jusqu'à une période récente, cette heure de religion était obligatoire, sauf dispense. L'observatoire de la laïcité nous a d'ailleurs alertés à ce sujet. Je n'ai jamais été dispensé d'heure de religion. Je l'ai suivie de la onzième jusqu'en terminale. J'ai le sentiment que je n'ai pas trop mal tourné - mais peu importe !
Je suis chrétien et catholique. Il s'agissait quasiment d'une heure de catéchisme. Je n'habitais pas Strasbourg, mais Wissembourg, une petite commune de 5 000 habitants, tout au Nord. Là, on y tenait.
Peu à peu, cette heure de religion, dans certains établissements qui voulaient bien le faire, a évolué vers une heure d'information, de sensibilisation et de compréhension du fait religieux. Le proviseur nous a dit qu'il mettait chaque semaine tous les élèves intéressés, classe par classe, face à des enseignants habilités à traiter de la matière religieuse. Je ne sais comment il les formait. Il nous a précisé qu'aucune dispense n'était acceptée. Ce n'est pas lui qui l'avait introduit, mais ses prédécesseurs.
Il nous a confiés que cela fonctionnait bien, que les échanges étaient courants, avec une forte prépondérance de musulmans dans d'établissement. Lorsqu'une minute de silence a été demandée, il n'y a eu aucun souci.
Je lui ai demandé s'il avait procédé salle par salle, cours par cours. Il m'a indiqué avoir réuni la totalité des élèves dans le patio et leur avoir demandé de respecter une minute de silence. Généralement, plus il y a de monde, plus c'est difficile : là, on aurait entendu une mouche voler ! Personne n'a levé la main, personne n'a regardé ailleurs, personne ne s'est tourné. Cela m'a beaucoup ébranlé.
Vous êtes favorables au dialogue interreligieux et vous le pratiquez là où vous êtes. Pensez-vous que ce dialogue puisse, ailleurs qu'en Alsace, aboutir à des résultats de ce type ?
Il faut toutefois rester très humble : le dialogue interreligieux fonctionne depuis vingt ans et monte en gamme d'année en année, la minute de silence a été respectée, mais cela ne nous a pas empêchés d'avoir les premiers candidats au djihad, ce qui démontre que si c'est une façon de limiter les conduites déviantes, ce n'est pas la panacée.
Si c'est une des solutions, il faut naturellement développer massivement ce type de dialogue. Le conseil régional communique beaucoup sur ce sujet. Croyez-vous que ce soit duplicable, malgré les lacunes au plan national ?
Pensez-vous que cette heure d'information civique ou morale, chère à Mme Vallaud-Belkacem, pourrait être utilisée à cette fin ?
Peut-on envisager d'autres modes de dialogue interreligieux, et pas seulement à l'école ? Est-ce possible en milieu carcéral ? J'avais interrogé des aumôniers à Strasbourg. Ils l'affirmaient, mais personne n'a fait quoi que ce soit !
Croyez-vous à ce dialogue multireligieux national, en dépit de la loi de 1905 ? Estimez-vous que l'on puisse le dupliquer et lui donner suffisamment de poids pour lutter contre le communautarisme dont vous parliez et qui, selon moi, à n'en pas douter, est l'une des causes essentielles de ce que nous vivons actuellement ?
Nous avons dit les uns et les autres que le dialogue interreligieux est extrêmement fructueux. Je donnais l'exemple des représentants du CFCM, dont le président est venu à plusieurs reprises au Consistoire central. Le président du Consistoire de Paris s'est rendu quant à lui à la mosquée de Paris et dans d'autres lieux de culte musulmans de façon régulière.
Une initiative extrêmement intéressante émane du rabbin Michel Serfaty, professeur à Strasbourg et rabbin de Ris-Orangis. Il a créé les Amitiés judéo-musulmanes. Il sillonne régulièrement la France avec un bus qui permet de mettre en contact de jeunes musulmans et de jeunes juifs pour faire tomber les barrières qui pourraient exister.
Toutefois, si le recteur Dalil Boubakeur, l'iman Chalghoumi, l'iman de Bordeaux et d'autres, sont des gens extrêmement ouverts, je n'imagine pas que les milieux salafistes aient véritablement envie de dialogue avec les représentants de la communauté juive ou d'autres communautés.
J'ai moi-même connu l'heure religieuse, que l'on appelait « cours de religion » dans les lycées alsaciens, et que le reste de la France ne connaît pas. C'est extrêmement enrichissant.
L'heure de réflexion proposée par la ministre de l'éducation nationale pourrait permettre de faire connaître le fait religieux des uns et des autres aux élèves, contribuer à un rapprochement et faire tomber les préventions de chacun.
Nous avons déjà tous dit notre attachement au dialogue interreligieux, qui existe sur le terrain, mais il me semble que les difficultés ne proviennent pas de la loi de 1905, qui ne dit rien en la matière et qui n'empêche rien, mais plutôt de l'organisation de chaque ministère concerné.
Par exemple, en Alsace et en Moselle, il existe un budget pour rémunérer les intervenants en la matière. Ce sont des gens formés. Les églises ont fait beaucoup d'efforts depuis quelques années pour développer ce dont vous avez parlé, et ont beaucoup investi dans la formation. Qui va payer, dans la France de l'intérieur, pour mettre en place l'enseignement du fait religieux ? Je vois mal l'éducation nationale le faire, pas plus que l'administration pénitentiaire. Les aumôniers sont toujours favorables au travail interreligieux. La difficulté vient du fait que les dispositions réglementaires prévoient que c'est en théorie à chaque culte de s'en charger.
Nous ne sommes pas favorables à cette idée, il faut que tous les ministères concernés fassent évoluer les textes sur ce point.
Je voudrais apporter une précision terminologique. La notion de dialogue interreligieux, telle que nous la concevons entre différentes confessions, a aussi une dimension théologique qui n'intervient pas, j'imagine, dans le cadre de l'enseignement scolaire du fait religieux. Je préfère le rappeler pour éviter les confusions.
Cependant, la connaissance réciproque du culte de chacun est très importante. Je pense que cela se fait. J'ai connaissance d'une école catholique où l'on fait intervenir un imam, un rabbin, un pasteur, de façon que les élèves puissent connaître les différentes religions et la façon dont elles fonctionnent, afin de savoir qui ils sont. Si on sait qui on est, on peut discuter.
Je le confirme : mes propres enfants suivent cet enseignement à l'école catholique. Ils ont même des contrôles sur le sujet. On ne peut dialoguer que si l'on connaît l'autre et qu'on accepte de le connaître.
Je voulais, avant que Mme la présidente ne clôture cette session, vous remercier de votre participation, et indiquer que cette mission d'information est assez délicate compte tenu de son sujet. Chacun doit apporter sa pierre à l'édifice d'une meilleure compréhension de l'autre et de l'altérité.
M. Buchinger, au cours de ses interventions, a insisté sur l'antisémitisme et le sentiment d'insécurité qu'éprouve la communauté juive. Ainsi que nous l'avons précisé aux personnalités de la communauté musulmane qui sont venues à de très nombreuses reprises devant nous, cher collègue Rachline, les musulmans et les juifs ont toute leur place dans la République, et ont droit de vivre en sécurité. J'espère que ce sentiment pourra très rapidement se dissiper, car il ne correspond pas à la France plurielle telle que nous la concevons.
Je tenais, en tant que rapporteur, à faire cette observation.
Il me reste à vous remercier les uns et les autres pour votre présence et vos interventions extrêmement enrichissantes, qui vont alimenter notre réflexion dans le cadre des travaux de la mission d'information. Nous avons déjà réalisé de nombreuses auditions.
Quelques déplacements ont été effectués et d'autres sont prévus. Nous irons au Maroc dans quelques semaines, et nous nous rendrons à Strasbourg pour étudier concrètement la manière dont les choses sont organisées dans ce territoire de France, avec une spécificité dont vous avez parlé à plusieurs reprises les uns les autres.
Je voulais également confirmer le propos de ma collègue rapporteur. Cette mission d'information porte sur des sujets qui nous concernent tous dans notre vie quotidienne. Nous souhaitons l'effectuer dans le cadre de la République et dans le cadre d'un État laïc qui permet à chacune et chacun d'exercer sa religion, s'il le souhaite.
Ceci est pour nous l'occasion de réaffirmer que ces valeurs sont essentielles dans notre République. Notre pays se doit de permettre à tous de pratiquer sa religion en toute liberté, dans des lieux dignes, et en toute sécurité.
C'est ce à quoi s'attachent les responsables en haut lieu, pour que le sentiment de crainte que l'on peut éprouver ne perdure pas et que l'on puisse garantir à l'ensemble de nos concitoyens que ces valeurs sont portées très haut dans notre pays.
Je voulais le dire à ma façon et en convaincre chacun.
Merci enfin aux auditeurs de l'Institut du Sénat. Je souhaite que le temps que vous avez passé avec nous vous soit profitable dans le cadre de votre formation et vous donne envie d'engager des débats ici ou là.
La réunion est levée à 17 heures 28