Intervention de Jean Pisani-Ferry

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 22 septembre 2016 à 14h05
Audition de M. Jean-Pisani-ferry Commissaire général de france stratégie

Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie :

Je vais d'abord répondre à la deuxième question. L'article de Thomas Piketty date, de mémoire, de la fin des années 1990. Il observait que la structure de l'emploi était très différente dans la restauration et le commerce. Ce constat a donné lieu à l'amplification des allègements de cotisations sociales. On ne l'a pas toujours fait de manière cohérente. Le dilemme était le suivant : les allègements de cotisation doivent-ils servir à développer ce type d'emplois ou sont-ils un moyen de financer les augmentations du SMIC ? Dans une première phase, les allègements se sont faits à SMIC net constant, dans la deuxième, il y a eu des augmentations du SMIC. La question s'est reposée avec le CICE, avec le débat sur le fait de savoir s'il fallait fixer la barre à 2,5 SMIC ou à 3,5 SMIC ou s'il fallait concentrer les allègements sur les bas salaires. Les économistes restent convaincus que le potentiel de création d'emplois se situe plus dans les bas salaires.

Se pose également la question des effets à long terme de ce genre de mesure sur la productivité et la compétitivité. On dispose de peu d'instruments pour mesurer ces effets. Les évolutions dont je parlais posent la question de la bonne structure des prélèvements. Si l'on croit que la demande de travail va continuer à se déformer, la première question est celle de la bonne structure de prélèvement qui permet de répondre à cette situation. Une étude sur la fiscalité que nous avons publiée récemment montre que la France continue de se caractériser par des prélèvements plus élevés sur le travail et l'activité productive et moins élevés sur la consommation, l'immobilier ou le rendement des actifs obligataires. La structure de notre fiscalité est donc assez particulière et ne correspond pas aux problèmes que l'on perçoit dans l'économie française ni à des préférences collectives assumées. Il y a certainement du travail à faire dans ce domaine.

Pour répondre à la première question, rien n'interdit de concevoir que les plates-formes soient soumises à une fiscalité normale. Qu'il y ait un problème de concurrence fiscale, d'évasion fiscale, de situations exorbitantes du droit commun, c'est une évidence. Mais une plate-forme peut être taxée comme une entreprise ordinaire, elle effectue des transactions marchandes. Prenez le cas d'Uber : le consommateur paie, Uber prélève sa marge et le reste revient au chauffeur. Cela n'a rien d'innovant. Ensuite se pose la question de la domiciliation fiscale, mais celle-ci n'est pas propre à l'activité des plates-formes. On rencontre le même problème avec McDonald's, Starbucks ou Apple, qui produisent des biens.

Ce qui pose un problème spécifique de fiscalité, ce sont toutes les activités qui consistent à fournir gratuitement des données en échange d'un service : il s'agit de transactions de troc. Lorsque vous utilisez une application gratuite sur votre téléphone, vous fournissez vos données personnelles, qui ont une valeur marchande, en échange d'un service. Ces transactions ne sont pas monétisées et elles échappent donc à la fiscalité.

Cela dit, je ne crois pas qu'il faille désespérer. La décision de la commissaire européenne Mme Vestager concernant Apple est extrêmement importante. Elle rompt un tabou consistant à exclure la fiscalité du domaine des distorsions de concurrence, qui ne concernaient que les subventions. Cette décision va faire jurisprudence, me semble-t-il. Comme un certain nombre d'États considèrent que cette question est de première importance, il est possible que les choses changent.

J'en viens au CPA et aux contreparties. Pour moi, le CPA est d'abord un instrument d'autonomie. Les contreparties sont déjà mises en oeuvre dans certaines prestations. La nouveauté du CPA, c'est qu'il est un instrument d'information et de choix individuel. On passe d'une logique où les bénéficiaires sont passifs à une logique qui leur permet de construire leur propre parcours. Si ce n'est plus l'entreprise qui forme ses salariés, il n'y a plus d'incitation pour elle, il faut donc que les individus se saisissent de leur formation.

C'est difficile, parce que les individus qui auront eu le plus de difficultés à l'école seront ceux qui auront le plus de mal à se saisir du dispositif. Il faut donc les aider, les accompagner, faciliter l'accès à l'information, créer de la clarté. Il faut faire en sorte que, lorsque quelqu'un fait l'effort de se former, il sache que son effort sera récompensé et sera valorisé dans la suite de son parcours professionnel. Rien n'est plus frustrant que d'avoir fait un effort et de se retrouver avec un certificat quelconque qui ne vaut rien.

L'autonomie vient du fait que l'on peut faire des choix. Il peut y avoir une conditionnalité, mais ce n'est pas l'élément principal.

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