Mission d'information Revenu de base

Réunion du 22 septembre 2016 à 14h05

Résumé de la réunion

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  • RSA
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La réunion

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La réunion est ouverte à 14 heures 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, que je remercie de prêter aimablement son concours aux travaux de notre mission d'information sur le revenu de base.

Ce n'est pas à vous, monsieur le commissaire général, que j'apprendrai ce qu'est un revenu de base ; au reste, il en existe de nombreuses définitions, et ceux qui en défendent l'idée le font au nom d'objectifs variés.

La question, ancienne, de l'instauration d'un revenu de base connaissant depuis quelque temps une nouvelle actualité dans notre pays, il était opportun que le Sénat s'y intéresse de plus près, ce qu'il a décidé de faire sur l'initiative du groupe socialiste et républicain et de Daniel Percheron, rapporteur de notre mission d'information.

Nous nous efforçons de clarifier la notion de revenu de base, de passer en revue les expériences qui sont menées et les idées qui sont avancées, non seulement en France mais dans le monde entier, et d'examiner les modalités de financement d'un tel dispositif. Notre objectif est de trouver un chemin pour que cette idée, à supposer qu'elle soit recevable et intéressante, puisse être acclimatée dans notre pays, où 34 % du PIB sert à la protection sociale.

Les organismes distributeurs des allocations, dont nous avons entendu ce matin les représentants, réfléchissent eux-mêmes à la question, en particulier la Caisse nationale des allocations familiales. Leur réflexion prend appui sur le rapport Sirugue, mais dépasse celui-ci, tentant de trouver une voie de passage vers l'instauration d'un revenu de base en France.

En ce qui nous concerne, nous pensons qu'il faudrait mener une expérimentation ; les membres de la mission d'information s'accordent tous sur ce principe. Reste à définir le cadre précis de cette expérimentation, mais également ses objectifs, car aucune évaluation sérieuse ne pourra être opérée si les buts ne sont pas clairement formulés.

De ce point de vue, tout le monde s'accorde à penser qu'un revenu de base devrait servir la lutte contre la pauvreté, qui est un objectif national, mais aussi le retour à l'emploi. De fait, on objecte fréquemment que la distribution d'un revenu à tout le monde n'inciterait pas à reprendre un travail ou, s'agissant des jeunes, à en prendre un.

Pour mener ce travail de défrichage qui, nous l'espérons, sera utile à la collectivité, nous comptons sur votre aide, monsieur le commissaire général, et sur celle de France Stratégie, dont les travaux touchent au coeur des questions qui nous préoccupent.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Monsieur le commissaire général de France Stratégie, organisme chargé du sens pour la République, nous vous accueillons avec un respect et un plaisir très grands.

Hier après-midi, les représentants de la direction du Trésor nous ont parlé de centaines de milliards d'euros à propos du revenu universel inconditionnel pour tous les Français. Nos interlocuteurs disaient ne pas vouloir nous influencer, mais ils jonglaient si habilement avec les grands nombres que l'on peut se demander si les successeurs de M. Trichet ou les contemporains de M. Musca - qui joua dans le sauvetage de l'Europe lors de la crise de 2007-2008 un rôle qu'il ne faut pas oublier - ne nous disaient pas : « attention !»

Nous les écoutions avec d'autant plus d'intérêt que nous rentrions de Finlande, où le gouvernement nouvellement élu a annoncé : « faisons-le ! » Il est vrai que l'expérimentation qu'il a lancée porte sur 3,5 millions d'euros par an et un échantillon de 2 000 personnes, constitué en particulier de chômeurs parmi les plus éloignés de l'emploi.

Hier, sur BFM, un commentateur heureux disait du revenu universel ce que tout le monde en dit : que c'est une nouvelle approche, qui donne du temps pour vivre et renouvelle la manière de redistribuer. Reste à savoir si la France sociale, qui doute face à la mondialisation, peut progressivement se faire à l'idée, expérimentée lentement mais sûrement, du revenu universel inconditionnel.

Par ailleurs, ne perdons pas de vue que, depuis vingt ans, nous avons, collectivement, un peu sacrifié la jeunesse : tandis que les dépenses sociales rapportées au PIB ont augmenté d'environ 23 % pour les seniors, elles ont diminué de près de 2 % pour les 18-25 ans. Or, même si elle doute, la France renouvelle ses générations, contrairement à l'Allemagne.

Monsieur le commissaire général, que pensez-vous du revenu universel inconditionnel et de l'idée de l'expérimenter, ou encore de l'idée d'instaurer un revenu pour les jeunes de 18 à 25 ans, qui, à l'heure actuelle, sont totalement exclus de notre protection sociale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Les deux Pas-de-Calaisiens que nous sommes, le président Vanlerenberghe et moi, avons beau être très modestes, nous animons peut-être l'une des seules équipes dans le monde, si l'on met de côté la Finlande, qui s'attache à cette belle idée qui vient de loin dans notre histoire : le revenu universel inconditionnel. Monsieur le commissaire général, nous allons vous écouter avec passion !

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir convié à m'exprimer devant vous sur le revenu universel.

France Stratégie n'ayant rien publié sur le sujet, et comme vous avez déjà mené un certain nombre d'auditions, j'ai cherché comment je pourrais vous être utile. Je ne crois pas que ce soit en vous exposant la généalogie intellectuelle de cette idée, car d'autres l'ont fait avant moi, et fort bien. Je ne crois pas non plus que ce soit en vous faisant peur avec des centaines de milliards d'euros ; la direction du Trésor fait cela très bien. Au demeurant, je me souviens d'un article de François Bourguignon et Pierre-André Chiappori qui, voilà une vingtaine d'années déjà, faisait état de chiffres à peu près identiques.

Je reviendrai tout à l'heure sur l'expérimentation et son évaluation ; je suis tout à fait d'accord avec l'idée que, pour mener une expérimentation et l'évaluer, il est essentiel d'avoir précisément défini les finalités visées. Lancer des expérimentations me paraît une bonne idée, dont on ne fait pas suffisamment usage dans notre pays. Et, en l'occurrence, je crois qu'il y a matière à expérimenter.

Je commencerai par examiner les finalités d'un tel dispositif. J'en vois trois possibles : répondre à une mutation du progrès technique, faire face à l'instabilité et à l'intermittence du revenu, réformer l'assistance sociale. On peut peut-être en trouver d'autres, mais je me concentrerai sur celles-ci, en considérant pour chacune d'elles la nature du problème, son degré d'urgence et le type d'instruments que l'on peut mobiliser.

La première finalité est peut-être celle qui donne le plus d'actualité à la question dans le débat public. Je veux parler de l'idée que nous allons vers un monde d'extrême inégalité dans la valorisation marchande du travail humain, et donc dans la distribution du revenu : le travail routinier ne vaudra plus rien, tandis que le travail complémentaire des machines et de l'intelligence artificielle vaudra beaucoup, de sorte que la distance entre la valorisation du travail par la sphère marchande et ce qu'on estime souhaitable du point de vue collectif, celui de la justice sociale, va se creuser jusqu'à l'insoutenable. Il y a là une différence, que Daniel Cohen vous a déjà signalée, avec le progrès technique que l'on a connu au XXe siècle, qui, au contraire, valorisait l'ensemble du travail humain.

La polarisation du marché du travail, si elle reste discutée, non seulement en France, mais aussi aux États-Unis, n'en est pas moins frappante dans ce dernier pays. Voilà vingt ans, on assistait à la destruction d'emplois peu qualifiés et à la création d'emplois qualifiés. Aujourd'hui, la courbe représentant l'évolution des créations d'emplois en fonction du niveau de salaire tend vers un « U » : des emplois sont créés dans le premier quartile des salaires, essentiellement dans le domaine des services à la personne, ainsi que dans le dernier, tandis que des emplois sont détruits au milieu. Cette polarisation de la répartition des emplois soulève la question de l'avenir des qualifications intermédiaires.

Or pour répondre à ce phénomène, s'il est avéré, nous ne disposons que d'instruments très imparfaits. En effet, les minima sociaux ne sont pas conçus à cette fin : ils ont été pensés pour répondre à des situations individuelles, des accidents de parcours et, selon la formule de Michel Rocard citée dans le rapport Sirugue, pour « permettre à ceux que notre société laisse partir à la dérive d'avoir droit une deuxième chance », ce qui n'a rien à voir avec l'évolution du progrès technique.

Dans notre système, ce ne sont pas les minima sociaux qui assurent un revenu décent, mais le SMIC à temps plein. Or cet instrument devient un obstacle dans une situation où ce type de travail est de moins en moins demandé par la sphère marchande. Si les qualifications intermédiaires, rémunérées au-delà du SMIC, sont elles aussi de moins en moins demandées, quel est le bon outil ?

Il s'agit de mettre au point un instrument de socialisation et de redistribution des gains de productivité adapté à une économie dans laquelle, pour pousser les choses à l'extrême, une partie du travail humain n'aurait tout simplement plus de valeur.

Remarquez que cet outil n'est pas nécessairement le revenu de base général universel et inconditionnel. Même dans la perspective que j'ai décrite, d'autres instruments sont envisageables : des subventions aux salaires, que d'une certaine manière nous pratiquons déjà sous la forme de nos allégements de cotisations sociales et que certains pays, comme l'Australie, ont mises en place, mais aussi ce qu'Anthony Atkinson a appelé le revenu de participation, un revenu de base conditionné à un engagement dans des activités socialement utiles, comme une formation, l'éducation des enfants, des tâches associatives ou la recherche d'un emploi.

Selon moi, il faut se demander si cette vision d'un progrès technique qui divise en dévalorisant toute une partie du travail humain est exacte ou excessive.

Assurément, on observe une polarisation aux États-Unis, ainsi que de fortes inégalités salariales, d'ailleurs souvent liées au lieu ou à l'entreprise où l'on travaille davantage qu'à des qualités individuelles. En effet, l'un des principaux déterminants de l'inégalité salariale aux États-Unis est aujourd'hui l'entreprise dans laquelle on travaille : celui qui a la chance de travailler chez WhatsApp ou dans une autre entreprise qui se développe et réalise des profits considérables n'est pas dans la même situation que la moyenne des salariés.

Toujours est-il qu'il ne faut pas exagérer ces évolutions, en particulier en ce qui concerne la France. De fait, on a un peu tendance à projeter ce qui se passe aux États-Unis sur la situation française, ce qui, certes, est souvent utile pour comprendre quelles évolutions sont à l'oeuvre, mais conduit fréquemment à des conclusions très exagérées lorsqu'on en vient à penser que la situation française est à l'image de l'américaine.

Ainsi, nous avons mis en évidence que la contraction de la classe moyenne, définie comme l'ensemble des personnes percevant entre les deux tiers et le double du revenu médian, n'est pas du même ordre dans les deux pays : la classe moyenne représente aujourd'hui moins de 50 % de la population américaine, contre plus de 60 % voilà vingt ans, mais encore à peu près les deux tiers de la population française. De manière générale, les inégalités ne se creusent pas de la même manière en France et aux États-Unis. Il faut donc se méfier de la vision un peu excessive d'un avenir et même, selon certains, d'un présent qui seraient identiques en France à ce qu'ils sont aux États-Unis.

La même prudence est de mise en ce qui concerne l'automatisation. Selon une étude d'Osborne et Frey, qui a connu une large diffusion, plus de 40 % des tâches seraient automatisables, de sorte que les emplois correspondants seraient directement menacés. L'OCDE a mené de nouveaux travaux, et nous-mêmes avons fait les nôtres à partir d'enquêtes sur le contenu des tâches : les chiffres qui en ressortent sont bien inférieurs.

Certes, ces questions se posent, mais il ne faut pas avoir une vision excessive qui conduirait à prendre des mesures radicales, en ayant à l'esprit une situation dans laquelle le revenu tiré de l'activité économique ne permettrait plus à toute une fraction de la population de vivre décemment.

La deuxième finalité sur laquelle je souhaite insister, moins souvent liée à la question du revenu de base, mais néanmoins importante, est la réponse à l'instabilité et à l'intermittence du revenu.

Il faut bien mesurer que le socle de notre protection sociale et de notre droit du travail est le modèle de l'emploi salarié stable et à temps plein. Or, d'ores et déjà, la prédominance de cette forme d'emploi est mise en cause par la multiplication d'autres statuts. Aujourd'hui, le CDI à temps plein ne représente plus que 60 % des personnes travaillant dans la sphère marchande ; les autres sont des salariés à temps partiel, des salariés en CDD ou des apprentis et des non-salariés. Bien sûr, on a répondu à ces autres situations ; mais, fondamentalement, notre système de protection sociale repose sur le modèle de l'emploi stable et à temps plein, dont la réalité s'éloigne de plus de en plus.

Quant aux transitions d'un emploi vers un autre, elles ne représentent que 44 % du total des transitions, exception faite des passages par l'inactivité. Dans les autres cas, les personnes passent par des phases dans lesquelles leur revenu est inévitablement affecté, dans un sens ou dans l'autre. Ces situations sont très concentrées sur les jeunes, l'entrée dans la vie active étant marquée par une forte instabilité.

Ce constat fait écho à l'observation de M. le rapporteur sur la manière dont notre système de protection sociale répond aux risques des différents types de population. Il répond bien aux risques du vieillissement, mais, aujourd'hui, il répond mal aux risques d'instabilité pour les jeunes.

Par ailleurs, on observe dans un certain nombre de pays un regain du travail indépendant. En France, on connaît bien le phénomène des auto-entrepreneurs. Au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, on a assisté à une remontée d'environ cinq points de la part des travailleurs indépendants dans la population active. La polyactivité se développe également : je veux parler des personnes qui occupent simultanément ou à des intervalles très courts des statuts différents.

Ces évolutions soulèvent toute une série de questions, dans la mesure où notre système de protection sociale continue de reposer sur un statut de salarié et un statut d'indépendant conçus sur le modèle d'autrefois, alors que la réalité se transforme assez fortement.

La question de l'avenir du travail se pose aussi de ce point de vue, celui des modes d'organisation du travail. En particulier, toute une discussion, très difficile à trancher, s'est engagée sur les plateformes. Pour ma part, j'ai tendance à penser qu'il ne faut pas sous-estimer les plateformes, qui substituent à l'entreprise de nouvelles formes de coopération porteuses d'innovations génériques, comme la constitution d'un marché biface, l'organisation des contributions des différents offreurs de travail sur un mode différent du système hiérarchique, celui d'une économie de petits producteurs soumis aux normes de la plateforme, et le contrôle de qualité via la notation par les utilisateurs, qui remplace l'appréciation par la hiérarchie.

Ainsi, au-delà des questions de réglementation et de statut fiscal, qui certes sont importantes, les plateformes induisent une innovation radicale dans l'organisation de la production et de la coopération entre les producteurs.

Ces évolutions ont pour conséquences que des personnes ont plusieurs employeurs à la fois, ou pas vraiment d'employeur, et sont dans une situation de dépendance par rapport à plusieurs plateformes. Au total, ces personnes se trouvent dans un statut hybride : d'un côté, elles sont extrêmement soumises aux normes de la plateforme et à la standardisation du service qu'elles fournissent, mais, de l'autre, elles ont d'une certaine manière une très grande liberté, puisqu'elles peuvent changer de plateforme, décider de leurs heures de travail et prendre d'autres décisions qui, dans le modèle traditionnel, relèvent de la hiérarchie de l'entreprise.

Nous avons réfléchi aux types de réponses envisageables et identifié trois modèles possibles.

On peut d'abord essayer d'assimiler le nouveau statut à ce qui existe, en élargissant la définition du salariat pour faire entrer dans celui-ci ou dans le statut d'indépendant les nouvelles formes d'emploi. Ce bricolage à la marge peut sans doute suffire un certain temps, car les formes anciennes ont une capacité à assimiler des statuts nouveaux, mais, si le phénomène se développe, le cadre finira par ne plus correspondre à la réalité.

La deuxième réponse possible consiste à créer un statut intermédiaire. Des propositions en ce sens ont été avancées aux États-Unis, notamment par Alan Krueger. Il s'agit de considérer ces formes de travail comme un travail soumis du point de vue des normes de fourniture de services, mais libre du point de vue de la durée du travail. En d'autres termes, des procédures de négociation collective s'appliqueraient pour le premier aspect, tandis que le second serait traité selon les principes du travail indépendant. Cette solution présente l'inconvénient d'aggraver encore un peu plus le cloisonnement de la société.

La troisième solution serait de déterminer un statut de l'actif, en trouvant des réponses qui enveloppent les situations des salariés traditionnels et des indépendants. Il s'agirait d'élaborer un droit de l'activité professionnelle et des protections sociales. Du coup, on peut repenser à certaines formes de soutien au revenu pour couvrir des situations d'intermittence. En tout cas, dans de tels modèles, la protection sociale se détache de plus en plus de l'entreprise et du statut de salarié. Cette évolution est engagée depuis près de vingt ans, mais l'idée serait d'aller beaucoup plus loin.

Cette réflexion m'incite à faire le lien avec le compte personnel d'activité, le CPA. Aujourd'hui, ce dispositif a un potentiel, mais la réalité est très inférieure. On peut concevoir le CPA comme un instrument très ambitieux, mais on peut aussi le concevoir comme se limitant à la question de la formation et de la pénibilité, avec un réceptacle de droits et peu d'autonomie pour le salarié. On pourrait en revanche imaginer un CPA qui permette à l'actif d'être beaucoup plus autonome, avec une fongibilité des droits. Le titulaire peut, à un moment donné, « tirer » sur ces droits, pour se former par exemple. Le cas typique de fongibilité serait celui où quelqu'un a droit à quelques trimestres de chômage et serait autorisé à investir une partie de ces droits dans une formation.

Aujourd'hui, les droits sont séparés les uns des autres. Évidemment, on ne veut pas en mélanger certains avec d'autres, comme les droits liés à la santé. Le CPA peut être un instrument d'information sur la santé, mais il ne peut pas servir à transformer les droits en matière de santé en un je-ne-sais-quoi. En revanche, on peut créer une fongibilité, éventuellement asymétrique, pour d'autres droits, en favorisant certains types de comportements favorables à l'emploi. On peut aussi créer des dotations - c'est une dimension de capital qui s'invite dans ce débat - pour corriger les inégalités initiales, par exemple des inégalités de formation. On peut permettre de « tirer » sur ce capital ou même envisager des mécanismes de crédit.

Si l'enjeu est la forte variabilité du revenu, c'est-à-dire son instabilité, on n'est pas obligé d'y répondre par un instrument général qui couvre toutes les phases de la même manière, mais on peut essayer de construire des instruments spécifiques à partir du problème que l'on veut traiter, qui n'est pas nécessairement la réponse à l'évolution du progrès technique.

Le CPA peut être envisagé comme un instrument qui a une mémoire. Une allocation n'a pas de mémoire ; elle n'en a que dans la mesure où l'on arrive à un épuisement des droits. Le CPA a une mémoire, il permet de savoir comment vous êtes sortis de l'école, si vous avez fait usage d'un certain nombre de droits. Il accompagne donc mieux les différentes phases de la vie. La conception de cet outil amène à développer une réflexion sur la situation des jeunes, puisque l'idée est d'accompagner la sortie de l'appareil de formation, avec des situations individuelles très différentes.

La troisième finalité envisageable pour le revenu universel est liée aux perspectives de réforme de la protection sociale et vous y avez beaucoup réfléchi. Il me semble que la recherche de clarté, de portabilité, de décloisonnement et de lisibilité est très importante dans la phase actuelle. Je suis très frappé par le doute qui pèse sur la solidarité dans la société française. On fait semblant de croire que le mot « solidarité » nous unit encore, alors qu'il nous divise assez fréquemment. Les Français ne doutent pas de leur modèle social d'une manière générale, au moins pour la santé - c'est moins vrai pour les retraites, notamment pour les plus jeunes -, mais ils sont très critiques à l'égard des mécanismes d'assistance. Deux Français sur trois jugent que notre modèle social coûte trop cher ; ils sont huit sur dix à estimer qu'il y a des abus à l'égard des aides sociales et qu'il est souvent plus avantageux de ne pas travailler que de travailler.

Que cette méfiance ne reflète pas la réalité, que les Français surestiment massivement la fraude et sous-estiment le non-recours aux droits sociaux est une évidence, mais la réalité des perceptions compte malgré tout. L'idée que les abus constituent un vrai problème est bien ancrée.

Au-delà, la complexité crée une série de situations individuelles difficiles à justifier au regard de l'équité, le rapport Sirugue l'a bien montré. Il n'y a pas de raison que l'on ait des niveaux de prestations marginalement différents, du moins avec des sous-catégories. L'objectif de simplification, de clarté, de refondation d'une sorte de contrat collectif me semble important dans la phase actuelle. Nous ne sommes pas à l'abri d'une évolution à l'américaine : aux États-Unis, l'assistance a très mauvaise réputation. Cela s'explique notamment, comme l'ont montré certains chercheurs, par le fait que les Blancs pensent qu'elle bénéficie essentiellement aux Noirs. Une telle évolution ne doit pas être exclue en France.

Ces chercheurs s'étaient demandé pourquoi l'Europe et les États-Unis, qui sont issus d'une même histoire, ont divergé sur l'assurance sociale, comme on l'a bien vu lors des débats autour de l'Obama Care. La réponse qu'ils ont donnée était que la société américaine est beaucoup plus hétérogène. Nous ne sommes pas complètement immunisés contre ce genre de risque et l'objectif de clarté, de décloisonnement, de lisibilité, qui permet de fonder sur l'équité un contrat collectif auquel les Français adhèrent, est tout à fait important.

En ce qui concerne les jeunes, la couverture de leurs risques est une vraie question aujourd'hui. Le taux de pauvreté des plus de 60 ans est de 8 % ; il est de 15 % pour les 25-29 ans et de plus de 20 % pour les 18-24 ans. On constate donc une inversion des situations relatives par rapport à ce que nous connaissions dans le passé. L'étude des dépenses de protection sociale et d'éducation montre une déformation de la structure de la dépense, en partie inévitable compte tenu de la démographie, mais qui pose une question sur l'allocation des efforts entre les jeunes et les seniors. Par comparaison, l'Allemagne a réinvesti dans l'éducation et a économisé sur la protection sociale, quand nous avons fait l'inverse.

Certains risques, comme la vieillesse et la maladie, sont très bien couverts, alors que d'autres, notamment ceux liés à l'entrée dans la vie active et à l'instabilité des revenus, sont mal couverts. Ceux qui étudient ces questions disent que cette situation ne se traduit pas dans la consommation, mais c'est parce qu'il y a beaucoup de transferts à l'intérieur des familles. Or cela signifie que nous devenons une société d'héritiers : on transforme une inégalité entre générations en un renforcement de l'inégalité sociale, ce qui n'est pas souhaitable.

Il y a donc tout un champ de questions auxquelles vous devez relier vos interrogations. Les scénarios les plus ambitieux du rapport Sirugue sont intéressants. La faisabilité immédiate des réformes de ce type est incertaine. La question est de savoir vers quoi on veut aller : une unification, une simplification. On rejoint alors certaines des propositions sur lesquelles vous travaillez.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Vous avez été très pédagogue. Ce que vous avez dit sur le CPA est passionnant. Je voudrais vous interroger sur l'expérimentation : serait-il totalement absurde de donner à 20 000 jeunes de 18 à 25 ans, à la sortie du système éducatif, le droit d'utiliser un revenu universel de 560 euros par mois pendant trois ans, mobilisable en cas de difficulté ?

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie

Il s'agirait donc de créer une forme d'assurance chômage destinée à sécuriser les parcours, sans lien avec l'accumulation de droits...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Vous avez parlé de fongibilité des droits, c'est la première fois que nous entendons cette idée.

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie

Si vous voulez aller au bout de l'idée de fongibilité, il faut imaginer un système de points cumulables qui ouvre un droit de tirage, en formation, en activité socialement utile ou en revenu de soutien, sur une période assez longue.

Je pense beaucoup de bien de l'expérimentation, mais il faut résister à l'impatience, qui pousse à généraliser trop vite l'expérimentation, et à l'idée que l'on crée une injustice parce que tout le monde ne bénéficie pas en même temps du nouveau mécanisme. Il faut accepter l'idée que le temps d'évaluation du mécanisme n'est pas une insulte à l'égalité, mais une manière de bien utiliser les fonds publics. On peut même imaginer l'expérimentation parallèle de modalités différentes. Il faut surtout se donner des outils d'évaluation, afin de pouvoir tirer des leçons de cette expérimentation. En principe, il faut tirer au sort, parce que l'on ne peut pas se contenter de recourir au volontariat, sinon on expérimente dans les conditions les plus favorables, au risque de créer des biais.

Sous ces réserves, l'expérimentation ne me paraît pas déraisonnable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Elle sera nécessairement incomplète, parce que l'on ne peut pas changer le contexte fiscal. L'expérimentation est financée par une dotation de l'État, mais cela ne correspond pas à la réalité. Selon le professeur Van Parijs, chantre du revenu universel, toute expérimentation est biaisée.

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie

Si vous voulez réinventer l'ensemble de la fiscalité et de la protection sociale, vous ne pouvez pas expérimenter. Philippe Van Parijs a des convictions philosophiques très fortes et une pensée très structurée, je l'admire beaucoup, mais il ne cherche pas à réformer un dispositif, il veut réinventer le contrat social. Dans cette perspective, vous ne pouvez pas expérimenter, sauf à déplacer sur une île déserte une partie de la population.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

A contrario, nous avons entendu ce matin des représentants de la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF. Selon eux, les 45,4 milliards d'euros qui sont distribués sous différentes formes d'allocations sociales pourraient permettre de créer un revenu universel à 900 euros. Ils ont modélisé ce projet, tout en reconnaissant que leur réflexion n'est pas encore aboutie. Dans le périmètre fiscal actuel, ils estiment que l'on peut parfaitement utiliser différemment ces 45 milliards, en évitant de défavoriser ceux qui en sont déjà bénéficiaires, tout en permettant la distribution d'une allocation universelle. En réalité, ceux qui paient des impôts ne toucheront rien, ce sera un crédit d'impôt ou un impôt négatif.

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie

Le problème, c'est qu'il faut envisager l'effet d'équilibre général, comme diraient les économistes. Si votre réforme vous amène, pour des raisons de financement, à augmenter les prélèvements obligatoires, l'expérimentation n'apportera aucun enseignement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Dans le cas que je mentionnais, on ne change rien. Il me semble que l'on s'approche de quelque chose de praticable. Cette idée méritera d'être creusée et elle croise certaines propositions du Mouvement français pour le revenu de base, le MFRB, ou de l'Association pour l'instauration d'un revenu d'existence, l'AIRE. Nous avons entendu Lionel Stoleru et Daniel Cohen qui défendent l'idée d'un crédit d'impôt et pensent que l'on pourrait arriver à quelque chose dans un délai de dix à vingt ans. Le projet qui nous a été présenté ce matin est progressif, mais pourrait être mis en place plus rapidement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Dans votre esprit, quel est l'objectif visé avec la création du revenu de base ? S'agit-il de conforter dans leur situation celles et ceux qui bénéficient des minimas sociaux et de régler indirectement un problème de financement, ou bien s'agit-il, objectif beaucoup plus noble, de permettre à celles et ceux qui rencontrent aujourd'hui des difficultés de réintégrer la vie professionnelle et de dégonfler la somme importante consacrée à ceux qui sont devenus des marginaux, parfois de manière indépendante de leur volonté ? Pour certaines catégories, comme les handicapés, la solidarité nationale doit jouer, mais il existe de vrais assistés sociaux. Depuis des décennies, on a tout essayé pour les sortir de cette situation, avec le RMI, le RSA, les formations, un partenariat avec les départements, etc. Comment sortir de cette spirale infernale ? Vous avez évoqué ce fonds, qui est intéressant et sur lequel a rebondi le rapporteur de manière tout à fait pertinente, mais serait-il suffisant ?

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie

Vous avez indiqué une finalité particulière. D'autres finalités sont mises en avant par les promoteurs du revenu de base. Il est d'ailleurs intéressant de voir que cette idée attire des gens porteurs de projets extraordinairement différents.

Par rapport à la finalité que vous avez indiquée, il y a eu beaucoup de débats sur l'efficacité des incitations pécuniaires. Je suis convaincu qu'elles ne suffisent pas, mais qu'il est toujours dangereux, d'une part, d'afficher des injonctions et, d'autre part, de créer des incitations pécuniaires qui ne correspondent pas à ce message. La responsabilité des institutions publiques est d'assurer une cohérence entre les finalités mises en avant et les incitations matérielles.

Je ne crois pas que les efforts des dernières années pour raboter les taux d'imposition marginaux parfois extraordinairement élevés, effort qu'il faut toujours reprendre en raison des multiples aides conditionnées à un état à un moment donné, même s'ils étaient nécessaires, aient été suffisants. Il faut des actions d'accompagnement et de développement.

Comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, je me suis rendu récemment dans la région des Hauts-de-France. Si l'on compare le taux d'emploi, dans les pays qui vont bien en Europe, il est à 72 %, au niveau national, il est à 62 %, dans les Hauts-de-France, il est à 56 % et on tombe à 40 % dans certaines villes dans lesquelles la norme sociale s'est inversée, c'est-à-dire où il y a plus de chômeurs et d'inactifs que de gens au travail. Dans de telles situations, les incitations marginales ne suffisent pas. Ce n'est pas simplement en ajustant les curseurs que l'on parviendra à modifier la norme sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

J'ai apprécié vos propos sur le rejet profond de l'assistanat et le distinguo que l'on fait entre les inclus et les exclus du monde du travail tel qu'on l'imaginait. En revanche, vous n'avez pas suffisamment insisté, dans la deuxième partie de votre propos, sur la réalité des effets de la numérisation sur l'ensemble de l'économie, qui crée des emplois très qualifiés et peu qualifiés et détruit des emplois dans les catégories intermédiaires. J'ai trouvé votre approche un peu trop optimiste.

Toutes ces évolutions liées à l'intelligence artificielle, que nous avons du mal à définir, m'amènent à penser que la relation au travail doit être complètement refondée. La réflexion sur le revenu minimum doit s'inscrire dans cette refondation de la notion de travail ou d'emploi - il y a eu des rapports très intéressants sur ces questions, notamment celui de l'ancien directeur des ressources humaines de France Télécom. Un grand nombre de secteurs de l'économie sont touchés par l'uberisation et les plates-formes induisent une nouvelle relation de l'individu au travail.

Finalement, tout est affaire de financement. On ne pourra pas raisonner à volume constant, d'autant plus que l'uberisation de la société fait diminuer l'enveloppe qui servait au financement de la protection sociale, fondé sur le travail ou le salaire. Aujourd'hui, les plates-formes servent des salaires différés à des individus sans que leur protection soit prise en compte. Il est donc important d'élargir la réflexion à une nouvelle organisation de la relation de l'individu à la société, au travail et à l'emploi.

Les propos de Daniel Percheron m'amènent à dire que, si l'on veut lutter avec efficacité contre le rejet de la notion d'assistanat, la notion de contrepartie doit être mise en avant. J'ai apprécié ce que vous avez dit sur le CPA qui permet de compiler des mesures éparses et de les mobiliser à un moment donné, à condition que le demandeur accepte d'assumer des contreparties, en formation ou en activité sociale utile. Il faudra progresser dans deux directions : la mobilisation de la formation, pour réduire les inégalités initiales dans le parcours des individus, et la mobilisation de l'individu dans le corps social, avec des travaux d'intérêt général ou la participation à la vie associative, toutes activités qui contribuent au bien-être de l'ensemble de la société.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Vous avez beaucoup parlé de subventions aux salaires. Chez nous, les baisses de charges sociales représentent près de 60 milliards d'euros. J'ai toujours été séduit par ce que j'appelle le « théorème de Piketty ».

Thomas Piketty a comparé la population active des États-Unis et celle de la France. Il a expliqué qu'elles étaient des poupées gigognes, sauf dans deux domaines essentiels, l'hôtellerie-restauration et le commerce et la distribution, où les États-Unis ont quatre fois plus d'emplois que nous. Cette notion de subvention aux salaires ou de revenu de base - celui-ci peut en effet être interprété comme une subvention au salaire - est-elle de nature à favoriser ces activités ? Selon Piketty, si nous avions le même nombre d'emplois dans ces deux secteurs, le chômage de masse disparaîtrait dans notre pays. Lorsque le débat a eu lieu, on a choisi de baisser la TVA pour l'hôtellerie-restauration, sans mettre en perspective l'intuition de Piketty.

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie

Je vais d'abord répondre à la deuxième question. L'article de Thomas Piketty date, de mémoire, de la fin des années 1990. Il observait que la structure de l'emploi était très différente dans la restauration et le commerce. Ce constat a donné lieu à l'amplification des allègements de cotisations sociales. On ne l'a pas toujours fait de manière cohérente. Le dilemme était le suivant : les allègements de cotisation doivent-ils servir à développer ce type d'emplois ou sont-ils un moyen de financer les augmentations du SMIC ? Dans une première phase, les allègements se sont faits à SMIC net constant, dans la deuxième, il y a eu des augmentations du SMIC. La question s'est reposée avec le CICE, avec le débat sur le fait de savoir s'il fallait fixer la barre à 2,5 SMIC ou à 3,5 SMIC ou s'il fallait concentrer les allègements sur les bas salaires. Les économistes restent convaincus que le potentiel de création d'emplois se situe plus dans les bas salaires.

Se pose également la question des effets à long terme de ce genre de mesure sur la productivité et la compétitivité. On dispose de peu d'instruments pour mesurer ces effets. Les évolutions dont je parlais posent la question de la bonne structure des prélèvements. Si l'on croit que la demande de travail va continuer à se déformer, la première question est celle de la bonne structure de prélèvement qui permet de répondre à cette situation. Une étude sur la fiscalité que nous avons publiée récemment montre que la France continue de se caractériser par des prélèvements plus élevés sur le travail et l'activité productive et moins élevés sur la consommation, l'immobilier ou le rendement des actifs obligataires. La structure de notre fiscalité est donc assez particulière et ne correspond pas aux problèmes que l'on perçoit dans l'économie française ni à des préférences collectives assumées. Il y a certainement du travail à faire dans ce domaine.

Pour répondre à la première question, rien n'interdit de concevoir que les plates-formes soient soumises à une fiscalité normale. Qu'il y ait un problème de concurrence fiscale, d'évasion fiscale, de situations exorbitantes du droit commun, c'est une évidence. Mais une plate-forme peut être taxée comme une entreprise ordinaire, elle effectue des transactions marchandes. Prenez le cas d'Uber : le consommateur paie, Uber prélève sa marge et le reste revient au chauffeur. Cela n'a rien d'innovant. Ensuite se pose la question de la domiciliation fiscale, mais celle-ci n'est pas propre à l'activité des plates-formes. On rencontre le même problème avec McDonald's, Starbucks ou Apple, qui produisent des biens.

Ce qui pose un problème spécifique de fiscalité, ce sont toutes les activités qui consistent à fournir gratuitement des données en échange d'un service : il s'agit de transactions de troc. Lorsque vous utilisez une application gratuite sur votre téléphone, vous fournissez vos données personnelles, qui ont une valeur marchande, en échange d'un service. Ces transactions ne sont pas monétisées et elles échappent donc à la fiscalité.

Cela dit, je ne crois pas qu'il faille désespérer. La décision de la commissaire européenne Mme Vestager concernant Apple est extrêmement importante. Elle rompt un tabou consistant à exclure la fiscalité du domaine des distorsions de concurrence, qui ne concernaient que les subventions. Cette décision va faire jurisprudence, me semble-t-il. Comme un certain nombre d'États considèrent que cette question est de première importance, il est possible que les choses changent.

J'en viens au CPA et aux contreparties. Pour moi, le CPA est d'abord un instrument d'autonomie. Les contreparties sont déjà mises en oeuvre dans certaines prestations. La nouveauté du CPA, c'est qu'il est un instrument d'information et de choix individuel. On passe d'une logique où les bénéficiaires sont passifs à une logique qui leur permet de construire leur propre parcours. Si ce n'est plus l'entreprise qui forme ses salariés, il n'y a plus d'incitation pour elle, il faut donc que les individus se saisissent de leur formation.

C'est difficile, parce que les individus qui auront eu le plus de difficultés à l'école seront ceux qui auront le plus de mal à se saisir du dispositif. Il faut donc les aider, les accompagner, faciliter l'accès à l'information, créer de la clarté. Il faut faire en sorte que, lorsque quelqu'un fait l'effort de se former, il sache que son effort sera récompensé et sera valorisé dans la suite de son parcours professionnel. Rien n'est plus frustrant que d'avoir fait un effort et de se retrouver avec un certificat quelconque qui ne vaut rien.

L'autonomie vient du fait que l'on peut faire des choix. Il peut y avoir une conditionnalité, mais ce n'est pas l'élément principal.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Je vous remercie de votre synthèse. Vous nous permettez d'avoir une vision plus globale du problème. Nous devons faire le tri entre des demandes et des objectifs divers. Il était important de recadrer l'objet qu'est le revenu de base, car il répond à des problèmes présents et à des potentialités futures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Votre intervention nous confirme ce que nous avait dit Daniel Cohen : les chiffres sont incertains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

C'est un honneur de vous entendre, Monsieur Martin Hirsch, car vous êtes un peu le père du revenu de solidarité active (RSA) et que vous en connaissez l'application peut-être mieux que nul autre, de par vos fonctions passées de Haut-commissaire aux solidarités actives. M. Lionel Stoléru a rappelé devant nous qu'il avait fallu vingt ans pour que l'idée du RMI passe dans les faits, puis dix ans pour celle du RSA, et il a estimé qu'il faudrait probablement dix ans encore pour accréditer celle d'un revenu de base : c'est dire l'horizon dans lequel nous nous plaçons.

Si la lutte contre la pauvreté est le premier objectif du revenu de base, notre mission d'information y ajoute celui d'un retour à l'emploi ou, à tout le moins, d'une insertion via l'activité, en particulier pour les jeunes - qui ont été malheureusement écartés du RSA, sauf ceux qui ont travaillé au moins deux ans. Nous voulons clarifier la notion de revenu de base, examiner ce qu'elle recouvre et quel est le chemin pour l'acclimater dans notre pays ; votre expérience du RSA nous est très précieuse à ce titre. Je me souviens de vos propos devant la mission d'information qu'avait présidée notre collègue Mme Valérie Létard, en particulier l'idée que le revenu du travail devait rester supérieur aux revenus d'assistance, pour ne pas désinciter au travail : le revenu de base aplanit cette difficulté en étant distribué à tous, tout en donnant de l'autonomie aux plus pauvres.

Notre mission s'est rendue en Finlande, où le revenu de base devrait être expérimenté à une échelle réduite, quelque deux mille personnes, surtout des chômeurs en difficulté ; le Parlement finlandais doit décider de cette expérimentation qui pourrait être plus étendue, et qui n'est pas celle du revenu de base universel puisqu'elle ne vise qu'un échantillon spécifique de la population : qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

C'est un privilège de vous auditionner, Monsieur Hirsch, car vous êtes un prophète à la française en affirmant que, face au scandale que constitue la pauvreté, personne ne doit rester au bord du chemin ; c'est là l'ambition démesurée et sympathique du revenu universel...

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre mission et je sais d'expérience comment les réflexions du Sénat peuvent se traduire en réformes, puisque la plupart de celles auxquelles j'ai pris ma part ont été précédées par des travaux de la Haute Assemblée : le RSA, avec la mission de Mme Létard, le service civique, issu d'une proposition de loi sénatoriale, l'Agence sanitaire, elle aussi née sous les auspices de votre assemblée.

Le revenu de base ne me pose aucun problème en théorie : si j'étais gouverneur de la planète Mars et qu'il fallait y implanter une politique de revenus, j'opterais pour le revenu universel sans hésiter. En revanche, dans un pays tel que le nôtre, le coût de transition serait tel, que la mise en place du revenu universel nous conduirait à s'écarter de réformes nécessaires : les réserves que j'exprimerais sont donc d'abord d'ordre pratique.

Le revenu de base a trois objectifs principaux : lutter contre la pauvreté ; intégrer socialement les individus, en facilitant le recours à l'activité quelle qu'elle soit, bien au-delà du seul travail salarié ; simplifier, harmoniser et rendre plus équitable notre système de prestations et d'aides sociales. Nous partageons tous le constat que, sur chacun de ces trois objectifs, il y a beaucoup de travail à faire dans notre pays. Nous consacrons une part record de notre richesse nationale à la lutte contre la pauvreté, mais notre pays compte autant sinon davantage de pauvres que dans les pays comparables. Sur l'emploi et l'activité, le constat est le même : celui d'un rendement faible de nos politiques publiques. Enfin, la simplification de notre système est un impératif, auquel nous nous étions déjà attelé avec le RSA.

Quand nous avions conçu le RSA, nous étions partis du constat que la lutte contre la pauvreté ne dépendait pas que de l'État mais aussi des entreprises et des collectivités publiques dans leur ensemble - qui, chaque ensemble pris séparément, proposaient des mesures contradictoires entre elles ; nous avions donc commencé par réunir ces diverses parties autour d'une même table et le consensus s'était alors établi sur l'idée que le système devait être neutre sur le coût du travail et que chaque heure travaillée devait rapporter des revenus supplémentaires, quel que soit le niveau de revenu ; nous avions constaté que les règles d'alors ne répondaient pas à ces exigences et nous avions réfléchi aux façons d'y parvenir, pour être plus efficace contre la pauvreté, pour l'insertion par le travail et l'activité - et pour que l'ensemble de notre système soit plus simple et lisible.

Nous avions amorcé la simplification en regroupant dans le RSA l'ex RMI, des primes, l'allocation spécifique de solidarité (ASS) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), mais pas la prime pour l'emploi (PPE) ni les aides personnalisées au logement (APL). Nous avions pourtant souligné combien toutes ces aides avaient des temporalités et des modes de calcul différents, au prix d'un décalage avec les faits générateurs et d'effets indésirables - le plus connu étant l'effet inflationniste des APL sur le niveau des loyers : des études académiques ont démontré que les trois-quarts du montant des APL étaient captés par la hausse des loyers, ce qui pousse à prendre des mesures correctives comme l'encadrement des loyers, avec les polémiques que l'on sait et qu'on a encore vues dans le cadre de la loi Duflot. De leurs côtés, le calcul de l'ASS ne prend pas en compte la situation familiale et celui de l'AAH dissuade l'activité puisque les revenus ne sont pas cumulables.

La fusion des différentes aides paraissait aller de soi, elle faisait consensus, puis les oppositions se sont agrégées, de droite comme de gauche, pour des raisons parfois opposées, au point de laisser la réforme entre deux eaux.

Dans ces conditions et fort de cette expérience, je peux résumer ainsi mon propos : si le rapprochement et la rationalisation des aides sont indispensables pour rendre plus efficace la lutte contre la pauvreté et bien l'articuler avec l'activité et l'emploi, ces réformes sont complexes à conduire - bien trop complexes pour croire qu'on pourrait les traiter en passant à un revenu universel qui concernerait 60 millions de Français et le transfert de centaines de milliards d'euros. Il est paradoxal, du reste, de voir le revenu de base être proposé par des gens qui s'opposent à toute simplification de notre système, voire aux minimaux sociaux eux-mêmes...

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Je n'ai pas à livrer de noms...

Le débat actuel me semble se polariser entre ceux qui prônent le revenu universel pour toute la population, et ceux qui proposent de commencer par rationaliser, harmoniser et simplifier nos règles actuelles : je rejoins le second pôle parce qu'il me paraît plus efficace, mais aussi parce que j'ai toujours été gêné, dans le revenu universel, par l'idée que des revenus suffiraient à lutter contre la pauvreté, alors que l'action me paraît devoir passer par plusieurs leviers et d'abord la formation, l'emploi, l'accompagnement social. Je pêche peut-être par excès de pragmatisme, mais je crains dans le grand « chamboule tout » du revenu universel - on déplace quelque 400 milliards d'euros, ce n'est pas rien... - une diversion par rapport aux réformes nécessaires à la lutte contre la pauvreté, qui concernent l'éducation, la formation, l'accompagnement social. Harmonisons d'abord les revenus de solidarité, puis examinons la question du revenu universel : c'est dans cet ordre qu'il me semble préférable de procéder.

Enfin, je crois qu'il faut prendre garde à ne pas inverser la place des revenus du travail et celle des revenus de solidarité : dans le revenu universel, les revenus du travail peuvent apparaître accessoires, alors qu'il faut leur conserver leur place de premier plan ; des problèmes se posent incontestablement avec le modèle du salariat, nos règles sociales sont contournées, y compris par le statut de l'auto-entrepreneur, mais ce n'est pas une raison pour placer les revenus du travail au second plan et faire passer les revenus de solidarité en premier.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Vous êtes à la fois prophète et praticien et je vous rejoins parfaitement quand vous nous dites que la France n'est pas prête au grand « chamboule tout » - nous devons éviter, même, le véto de l'opinion publique, qui instruirait vite un procès d'intention contre toute réforme d'envergure à court terme, on l'a vu à la suite des annonces récentes de réforme fiscale... Je partage également votre position sur la nécessaire traçabilité des aides publiques : la France compte parmi les républiques sociales les plus avancées, mais nous ne traçons pas bien les aides sociales, bien moins que, par exemple, la vache folle : c'est pourtant un aspect capital des aides de solidarité. Il faut donc, comme vous nous y encouragez, commencer par y voir plus clair, faire mieux, éviter les confusions - et, éventuellement, expérimenter.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Le taux de non recours au RSA est important, du fait de la complexité des procédures ; vous étiez pourtant passé par une phase d'expérimentation, qui avait probablement anticipé des difficultés : quelles recommandations feriez-vous pour le cas où nous expérimenterions le revenu de base ?

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Effectivement, le taux de non recours atteint 30 % pour le RMI, 30 % pour le RSA « socle » et 60 % pour l'ancien RSA « activité » ; il atteint même 85 % pour l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé... Pour le RSA « activité », un tel niveau a été voulu et maintenu sciemment : en 2008, la hantise était l'excès de recours et la pression était très forte pour instaurer des verrous, ce qui a été fait par décret. J'ai été ensuite en désaccord ouvert, quand on m'a refusé de lever ces verrous : il suffisait de rendre possible une levée annuelle, plutôt que trimestrielle, pour distribuer davantage de droits. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Il y avait la querelle de l'assistanat, mais aussi le fait que, grâce à la prime pour l'emploi, la PPE, quelques milliards d'euros ont pu être « récupérés » sur le dos des travailleurs pauvres.

Nous avions prévu de fusionner le RSA et la PPE : cela m'a été refusé. Nous avons ensuite proposé d'arrêter l'indexation sur trois ans, ce qui représentait un levier de 800 millions d'euros, afin d'abonder le RSA : nouveau refus, mais on nous a cependant accordé la moitié. Cette séquence représente un véritable hold-up : les gouvernements successifs ont littéralement volé les travailleurs pauvres en toute impunité - mais avec des effets réels pour les personnes lésées. Les malfaçons signalées n'ont pas été corrigées, au point qu'on est allé contre les objectifs initialement affichés - avant que la prime pour l'activité ne change la donne.

La question du non recours est complexe et se pose pour de nombreuses prestations, ce qui offre bien des marges de progression. Un exemple : on a choisi de ne pas passer par l'employeur pour le RSA « activité », ceci pour éviter de diffuser l'information, alors que ç'aurait été garantir l'accessibilité ; mais une solution technique était possible, qui concilie mieux l'exigence de discrétion et l'accessibilité aux droits.

S'agissant de l'expérimentation, j'y suis bien sûr favorable pour toutes les politiques publiques fondées sur des hypothèses qui reposent sur des comportements sociaux. Nous avons expérimenté le RSA pendant dix-huit mois, et la mission conduite par M. François Bourguignon a conclu que c'était un puissant levier de retour à l'emploi - je me souviens que le rapport estimait que les effets positifs sur le retour à l'emploi étaient dus « à 80% » au RSA. Autre exemple d'expérimentation et d'évaluation utiles : la Cour des comptes, après avoir examiné l'effet sur l'emploi du subventionnement du permis de conduire pour quelque 10 000 jeunes, a conclu qu'il était préférable de réformer le permis de conduire plutôt que de continuer à le subventionner...

Cependant, l'expérimentation du revenu de base me paraît difficile sur le plan méthodologique même, car il est censé produire des effets sur les salaires, ce qui suppose une application généralisée, de même que sur les prix - ce qui a son importance sachant que les plus pauvres paient davantage que les autres certains services, comme par exemple l'assurance. L'expérimentation risque bien de ne présenter qu'une partie des effets, ce qui en limite l'intérêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Vous proposez donc de poursuivre sur la voie du RSA, avant de créer un revenu universel ?

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Oui, d'autant que des réformes utiles sont possibles, dans un agenda raisonnable

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Pensez-vous qu'il faille étendre le RSA aux 18-25 ans ?

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Dans la commission consultative que j'avais mise en place, à laquelle participaient des parlementaires, nous avions été unanimes contre une ouverture du RSA dès 18 ans...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

C'est que vous ne m'aviez pas invité, car vous n'auriez alors pas eu l'unanimité...

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

mais nous avions souligné aussi que la situation des 18-25 ans connaissait des ruptures inacceptables - c'est pourquoi, entre autres, nous avions prévu une ouverture des droits au RSA à compter de quelques mois de travail, et pas de deux années comme c'est devenu la règle. Plutôt qu'ouvrir le RSA à 18 ans, nous avions préféré chercher des solutions aux problèmes tels qu'ils se posaient : c'est le sens du dixième mois de bourse, que nous avons obtenu. Soit dit en passant, l'exclusion du RSA « activité » pour les jeunes salariés me paraît constituer une rupture d'égalité de nature inconstitutionnelle, même si le Conseil constitutionnel n'a pas eu à en connaître...

Nous avions également réfléchi à une solution d'ensemble, avec la dotation d'un capital à 18 ans, qui serait fonction du revenu familial et qui donnerait lieu à une contractualisation pour un parcours de formation.

Je suis pragmatique et, dans cette séquence, je me suis souvenu de ce qui s'était passé en 1994 avec le projet de SMIC jeune : il s'agissait d'autoriser l'embauche des jeunes à 70 % du SMIC, le projet a fait descendre un million de personnes dans la rue, il a été abandonné et, résultat, on a vu se multiplier les stages payés...à 30% du SMIC. Je crois qu'il faut subventionner l'emploi des jeunes plutôt qu'ouvrir le RSA dès 18 ans, car une telle ouverture aurait des conséquences directes sur le comportement des employeurs, qui n'iraient certainement pas dans le sens de l'insertion des jeunes dans l'emploi...

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Deseyne

Que pensez-vous d'une réforme consistant à remettre à plat les revenus de solidarité, puis à définir une allocation unique avec une seule année de référence ?

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Cela me paraît une réforme complexe, mais possible et, même, nécessaire. Des solutions techniques existent, où l'on tiendrait compte des revenus du travail, des charges de famille, du coefficient de handicap...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Lorsque vous prépariez le RSA « activité », Monsieur Hirsch, je vous avais alerté de vos faibles chances de réussir face à tous ceux qui dénonçaient une « trappe à inactivité » et je vous avais prévenu qu'une allocation trimestrielle serait peu commode pour les précaires; vous m'aviez répondu que les caisses d'allocations familiales, les CAF, devaient être maîtres d'oeuvre et que cela exigeait cette temporalité : c'est une conséquence technique, mais le taux de non recouvrement atteste aujourd'hui que ce choix n'était pas le bon !

Je vous avais prévenu, ensuite, des effets de seuil et des risques de conflit avec les smicards, en tout cas pour les RSA les mieux lotis : vous ne m'avez toujours pas répondu sur ce point, alors que l'un des grands avantages du revenu de base, c'est qu'étant servi à tous, il ne provoque pas de jalousie. Vous rétorquez aujourd'hui qu'un grand « chamboule tout » à plus de 400 milliards d'euros ne pourrait aboutir, que c'est trop difficile; mais la Sécurité sociale, qui représente 594 milliards, a pourtant été instituée, elle n'a pas toujours existé et c'est bien la preuve que c'est possible.

Enfin, nous avions constitué une mission d'information sur la précarité des jeunes, dont le rapporteur appartenait au groupe UMP et qui avait été unanime dans son constat que les jeunes étaient en moyenne plus pauvres que les autres classes d'âge, qu'il fallait envisager une extension du RSA aux 18-25 ans. Mais une fois cette mission achevée, les logiques partisanes ont repris le dessus, et on a raté l'occasion. Aujourd'hui, vous nous dites être défavorable à une telle extension : mais pourquoi tenir les 18-25 ans en dehors de ce droit, hors du système général ? Pourquoi un jeune de 18 ans n'aurait-il pas le droit de toucher un revenu s'il est pauvre ? L'argument paternaliste consiste en général à dire que le jeune risquerait de dépenser cet argent au café, à mauvais escient - mais chacun connaît des plus de 25 ans qui le font, l'argument ne tient pas ! Ce revenu doit être accessible dès 18 ans, c'est un moyen direct de lutter contre la pauvreté !

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Je vous rejoins parfaitement sur les difficultés liées au versement trimestriel : nous les avions signalées, mais les CAF ont fait valoir les coûts de gestion de calculs mensuels qui en aurait résulté ; la conséquence, ce sont les non recours importants dont j'ai parlé.

Sur les effets de seuil, ensuite, je rappelle que le RSA est dégressif et que je ne suis pas favorable à ce qu'il soit servi au-delà du SMIC - sachant que les deux tiers des travailleurs pauvres travaillent à temps plein, avec des charges familiales élevées. Je crois que le revenu de base accentuerait les effets de seuil : avec 1 000 euros pour tous...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Les hypothèses hautes tournent plutôt autour de 700 à 800 euros...

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Même à ce niveau, je suis prêt à parier que, rapidement, les employeurs distingueront davantage encore qu'aujourd'hui les salariés qualifiés, qu'ils continueront à payer correctement, et les salariés non qualifiés, qu'ils encourageront au bénévolat sous diverses formes - et vous aurez alors un écart de richesse et des effets de seuil plus importants qu'aujourd'hui, en particulier pour les jeunes.

Sur l'extension du RSA aux 18-25 ans, enfin, il est complexe de distinguer les revenus des jeunes de la solidarité familiale : les mécanismes de charge familiale pourraient conduire à payer deux fois, le sujet n'est pas simple. Et il faut compter aussi avec les effets d'adaptation du marché du travail, aussi bien qu'avec l'impact sur les parcours de formation : les revenus des jeunes posent des questions complexes, je n'en connais pas les bonnes réponses mais je crois qu'il faut être prudent et que l'expérimentation nous aidera à trancher nos différends.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

En demandant de l'expérimentation, vous faites plaisir à notre président...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

La question n'est pas de faire plaisir, mais de rechercher le meilleur chemin pour parvenir à nos objectifs...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

L'exclusion des jeunes du RSA « activité » vous paraît inconstitutionnelle, vous êtes pour la subvention du travail des jeunes, vous êtes sceptique face à l'idée d'expérimenter le revenu de base; pour autant, vous ne contesterez pas que, depuis un quart de siècle au moins, notre nation dépense toujours moins pour sa jeunesse, tandis qu'elle accorde une part plus importante à ses seniors. Comment cette situation est-elle tenable, dans une société vieillissante ? Ne devons-nous pas cibler davantage la jeunesse de notre pays ? La question se pose au législateur et aux élites...

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Oui, les politiques publiques conduites depuis plusieurs décennies ont lésé les jeunes, c'est un constat. Si j'avais 20 milliards d'euros à redistribuer en direction de la jeunesse - je prends un ordre de grandeur -, je consacrerais 6 milliards à compenser le coût du travail, 6 milliards à abonder un système de dotation dégressive à l'entrée dans la vie active, sur projet, et le reste à améliorer la formation et l'éducation. Ces choix me paraissent meilleurs, contre la pauvreté, que l'extension du RSA « socle » aux 18-25 ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Selon vous, la solidarité familiale peut apporter de la confusion et conduire à une allocation inutile d'argent public ?

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Exactement, avec le reproche d'être inéquitable. La question peut se résoudre cependant, via les parts fiscales, mais c'est complexe.

Pour répondre à M. Desessard, j'entends et je comprends l'argument consistant à dire que les jeunes sont des citoyens à part entière, des adultes libres d'arbitrer ; cependant, une dotation sur projets ouverte dès 18 ans et dégressive en fonction des revenus familiaux, me paraît préférable.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Dans notre pays, la majorité politique est à 18 ans, mais pas la majorité sociale : le revenu de base présente l'avantage de mettre fin à ce hiatus; quelle est, de votre point de vue de praticien, la meilleure piste pour y parvenir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Ce qu'on constate aujourd'hui, c'est que le RSA « activité » n'a pas fait ses preuves. Vous dites qu'il faut baisser le coût du travail des jeunes, mais c'est vrai pour le travail peu qualifié dans son ensemble, pas seulement pour les jeunes. C'est là votre faiblesse de praticien : vous vous focalisez sur votre secteur particulier, alors qu'il faut voir plus large et appréhender les mécanismes dans leur ensemble pour lutter contre la pauvreté.

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Je reconnais volontiers mes faiblesses... Mais ce que tout le monde constate, c'est que l'absence d'expérience professionnelle peut justifier un coût du travail moindre, et que l'emploi des jeunes augmente quand on peut compenser cet écart.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Au détriment des autres catégories d'actifs...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Ce point est à préciser : le Centre des jeunes dirigeants est favorable à un subventionnement.

M. Martin Hirsch. - Le marché du travail et les politiques d'emploi se focalisent sur le travail à forte productivité, c'est cela qu'il faut corriger, je le constate dans mes fonctions actuelles : il faut faire un effort particulier pour les emplois à faible productivité, accessibles en particulier aux jeunes. Je crois aussi utile de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, il faut agir sur plusieurs leviers ; ou bien, on en arrive à des décalages comme celui-ci, parmi tant d'autres : on relance sans arrêt la formation en alternance, tout le monde est pour, mais les jeunes trouvent difficilement des stages, au risque de compromettre leur parcours...

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Non, parce que je pense qu'il faut se concentrer sur l'accès à l'emploi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Les 6 milliards d'euros que vous mentionnez pour une dotation aux jeunes, correspondent au montant que Jean Pisani-Ferry estime nécessaire au versement d'un revenu de base pour les quelque 6 millions de jeunes qui ne sont pas en formation : comment aller jusqu'à une expérimentation ? Nous recherchons le chemin... Le revenu de base est une idée généreuse, certains disent géniale - mais le génie est toujours plus facile avec le portefeuille des autres... Je retiens que vous proposez d'harmoniser les revenus de solidarité, puis, éventuellement, d'expérimenter de nouvelles pistes pour les jeunes - mais nous n'oublions pas non plus les seniors, qui se sentent « largués », inutiles...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Il y a matière à débat. La catégorisation conduit aux demi-mesures : en période électorale, il est facile de s'intéresser aux jeunes, d'annoncer des mesures catégorielles dans leur direction, parce qu'on sait pouvoir toucher les familles dans leur ensemble. Mais encore faudrait-il démontrer que ces mesures catégorielles ne nuisent pas aux autres catégories sociales, ou encore que d'autres mesures ont une incidence bien plus importante sur les jeunes - voyez le recul de l'âge de la retraite, qui freine l'accès des jeunes à l'emploi : il faut penser global !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Le lien du revenu de base à l'emploi n'a pas été établi par Pôle emploi...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

C'est que ces praticiens ne savent pas évaluer cette hypothèse, trop loin de leurs pratiques...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Ce que l'on sait cependant, c'est que la perte de la complémentaire maladie universelle, la CMU, quand on atteint le SMIC, par exemple, désincite au travail ; nous avions pris position sur la question lors du RSA. Comment éviter de tels effets de seuil ?

Debut de section - Permalien
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active

Par l'harmonisation et par l'instauration d'une allocation unique, dégressive. Je rappelle que si le seuil pour la CMU a été fixé sous le minimum vieillesse, c'est pour éviter qu'un million de bénéficiaires âgés supplémentaires ne se présentent...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Au cours des quinze dernières années, nous sommes parvenus à assurer, en plus, un million de chômeurs, un million de retraités et cinq cent mille fonctionnaires des collectivités territoriales, ceci sur la même base d'emplois marchands : c'est donc qu'il y a des marges d'action. En Finlande, l'expérimentation est clairement ciblée sur l'emploi des jeunes ; mais, de notre côté, nous ne parviendrons pas à établir un lien entre le départ à la retraite et l'effet de levier du revenu de base sur l'emploi des jeunes, si nous ne parvenons pas, comme les Finlandais, à ce que 69% des personnes en âge de travailler, soient effectivement au travail...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Merci à chacun pour ce débat.

La réunion est levée à 16h40.