Je suis venu accompagné de deux praticiens de la Fondation. Nous avons choisi de vous présenter comment la Fondation en est venue à la psychiatrie et à quels enjeux elle répond. J'aborderai aussi la question des enjeux en matière de santé mentale tels qu'ils me semblent se poser au législateur.
Tout d'abord, quelques éléments historiques. La Fondation a été créée en 1923 par des étudiants tuberculeux qui souhaitaient poursuivre leurs études en sanatorium. Depuis les années 50, son activité s'est transformée, avec deux pôles principaux autour des soins de longue durée : les soins de suite et de réadaptation et la psychiatrie. La Fondation gère douze cliniques, dont neuf ont une activité en psychiatrie, ce qui représente 700 lits et places. Nous accueillons des patients de 14 à 24 ans.
Notre action repose sur un partenariat historique avec l'éducation nationale dont 300 membres travaillent au sein de nos établissements car chacun dispose d'un mini-lycée, lui-même annexe pédagogique d'un lycée de secteur, comme le lycée Lakanal à Sceaux par exemple. Nous disposons donc d'une expertise en ce domaine.
La Fondation est une association reconnue d'utilité publique. Son conseil d'administration est présidé par M. Christian Forestier, ancien recteur. Les associations étudiantes, qu'elles soient syndicales ou mutualistes, sont représentées au sein du conseil d'administration, ainsi que des personnalités qualifiées.
Nous assurons plusieurs types de réponses aux enjeux de la psychiatrie. Tout d'abord, la Fondation cherche à assurer une continuité et à éviter les ruptures, tant en matière de soin que de scolarité, que ce soit lors du passage de la 3e à la 2de, ou lors du passage de la Terminale à la vie étudiante. Il s'agit là d'une réponse d'aval, une fois la pathologie déclarée, voire chronicisée. Nous mettons aussi en place des solutions plutôt d'amont afin d'éviter la chronicisation des pathologies et les ruptures du parcours scolaire.
Docteur Philippe Lesieur, psychiatre, de la Fondation Santé des Étudiants de France (FSEF). - La Fondation des étudiants de France a mis en place des dispositifs de soins-études. Il ne s'agit pas d'associer, mais bien d'articuler, la prise en charge sanitaire et la scolarité. Le rapport des deux est en effet dynamique et l'échec de l'un peut renforcer les difficultés de l'autre.
La prise de charge que nous proposons se situe au moment de l'adolescence, qui est la période située entre deux bornes : la sortie de l'enfance d'une part, le passage à l'âge adulte de l'autre. L'enfant en effet se structure en se rendant compte qu'il appartient au groupe des humains, tandis que l'adolescent passe du « nous » au « je » en affirmant son identité. C'est un moment qui présente de grandes difficultés, qui se retrouvent au niveau de la scolarité. L'école en effet est le lieu de socialisation privilégié des adolescents et celui où leur sont donnés les moyens pour grandir. L'école est structurée pour scander ces temps de passage. L'école primaire permet une relation à l'adulte autre que les parents. Le collège pour sa part correspond à l'entrée dans le monde des adultes. L'identification des individus se fait au travers de la bande de copains qui crée un « nous » collectif et dont les membres s'identifient les uns aux autres, notamment par l'habillement. Le lycée prépare la période des orientations et du futur. Physiquement, c'est aussi un lieu différent du collège. Ceci se prolonge à l'université. Ainsi le temps scolaire est un temps d'accompagnement structuré pour la création de la subjectivité des individus.
Les programmes de soins-études permettent de revisiter avec les équipes pédagogiques les échecs de la scolarité dans des lieux et avec des personnes différentes. Dans le cadre d'une scolarité de un à deux ans, il s'agit, en séparant l'organisation des soins et de la scolarité, de travailler ensemble à éviter les ruptures. La Fondation tend à permettre une prise en charge continue de la Sixième au post-bac.
On n'effectue pas de scolarité complète au sein des établissements de la Fondation. Il s'agit d'un moment destiné à permettre de revenir le plus rapidement possible à une scolarité normale. De fait, comme on ne guérit que rarement des pathologies mentales, on apprend à vivre avec sa pathologie.
Docteur Georges Papanicolaou, psychiatre, médecin-chef du centre de psychanalyse de la clinique Dupré . - Je prendrai l'exemple de la clinique Dupré à Sceaux pour illustrer les types de patients pris en charge par la Fondation. Pour l'essentiel, ceux-ci souffrent de pathologies récentes, mais graves, comme la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive et les névroses. Nous avons aussi beaucoup de troubles du comportement alimentaires et ce que nous appelons des « états limites », entre psychose et névrose. Ceux-ci sont particulièrement difficiles à gérer car ils court-circuitent la pensée et entraînent beaucoup de passages à l'acte, que ce soit des comportements agressifs ou des tentatives de suicide. Nous cherchons à ne pas isoler ou enfermer ces patients, car ceci ne fait qu'aggraver leur état. On constate par ailleurs une augmentation des cas de troubles envahissants du comportement.
Notre action repose sur l'idée que même les patients les plus malades conservent une partie saine de leur personnalité. La scolarité renforce cette partie saine tandis que le soin limite la pathologie.
Je ne dispose pas de chiffres précis, mais d'expérience, je peux vous affirmer qu'un tiers de nos patients sort guéri de nos établissements, qu'un tiers aura besoin d'un suivi psychiatrique en ambulatoire, tandis que le dernier tiers nécessitera une assistance longue.
Nous constatons de plus en plus que nous arrivons trop tard dans la chaîne de soin et qu'il faut agir le plus tôt possible et faire de la prévention. Depuis 10 à 15 ans, la Fondation a amorcé une réflexion sur les nouveaux services qu'elle peut proposer en ce domaine. Nous avons donc mis en place un travail très préventif dans les milieux scolaires au travers des relais étudiants implantés dans des lycées et collèges pour permettre d'amener les jeunes qui en ont besoin vers la psychiatrie, ce qui n'est pas chose aisée. Nous nous appuyons pour ce faire sur des équipes mixtes, médicales et pédagogiques.
Docteur Georges Papanicolaou. - Les structures relais prennent en charge les enfants à partir de 12 ans afin d'essayer de mettre en place la prise en charge la plus précoce possible. Ce sont des structures sans rendez-vous, dans lesquelles on peut être reçu au bout d'une demi-heure. Les entretiens se font avec des psychologues, car on constate une moindre réticence. Ceux-ci conduisent l'évaluation, et l'orientation vers la structure adaptée. Nous organisons aussi l'accueil des familles en constituant des groupes de parents, mais aussi l'accueil des professionnels médico-sociaux et des enseignants qui font face à des difficultés.
Nos patients font face à une forte désinsertion sociale liée à leur pathologie et la mise en place d'une scolarité en parallèle aux soins permet une resocialisation.
Je souhaiterais pour conclure évoquer trois enjeux importants. D'une part nos structures font l'objet de financements très divers par les ARS : certaines bénéficient de fonds d'intervention, d'autres du FIR, d'autres d'une dotation annuelle de fonctionnement, et même parfois de fonds médico-sociaux. Pour une même approche, nous avons donc des modalités de financement variées. Il nous apparaît qu'il faut mettre en place un financement clair et efficient car l'impact de nos actions est mesurable : en évitant la chronicisation des pathologies à l'adolescence, elles constituent un investissement rentable pour la société qui devrait sinon supporter le coût d'une pathologie tout au long de la vie de ces personnes.
Le deuxième enjeu est qu'il y a une perte de chances pour ceux qui ne peuvent pas accéder à nos structures. Nous travaillons donc pour en créer dans le Grand Est et en Occitanie. Ceci nous est très demandé par les pédopsychiatres et les praticiens universitaires.
Le troisième axe enfin, que nous développons avec le Pr Marie-Rose Moro, est un travail sur la recherche. Nous souhaitons mettre en place rapidement des études médico-économiques pour démontrer l'impact positif de notre action.