C'est assurément un problème général aux démocraties occidentales, plutôt que propre à notre pays ; son intensité varie toutefois selon les pays et les traditions nationales ; il se pose avec une grande acuité en France, du fait de l'idée républicaine que nous nous faisons - la France est toujours en avance pour les crises de la démocratie, pas toujours dans les solutions... L'état des lieux de cette crise dans les différentes démocraties occidentales serait d'ailleurs intéressant à conduire. La plus ancienne d'entre elles, la Grande-Bretagne, offre des exemples de blocages tout à fait édifiants : si nous ne parvenons pas à construire un aéroport à Notre-Dame des Landes, les Britanniques ne parviennent pas davantage à étendre l'aéroport d'Heathrow à Londres, pourtant saturé... Les exemples abondent également en Allemagne.
Le problème est-il appelé à durer ? Il est plus difficile de répondre à cette question. Je crois que nous assistons à un basculement du processus démocratique, comme d'autres déplacements se sont déjà produits dans l'Histoire - par exemple le déplacement de la légitimité du Parlement vers le Gouvernement, opéré au XXe siècle. Voyez le contraste entre l'évidence, pour le constituant de la IIIe République, de ce que le pouvoir appartenait au Parlement, en tant que souverain représenté, et ce qu'il en est advenu sous la Ve République. Nous assistons à un déplacement du même ordre, qui engage de nouvelles relations entre les représentants et les représentés, sous un jour inédit.
Mon éminent collègue Dominique Rousseau propose le concept de « démocratie continue », en ciblant l'intervalle des élections : nous élisons nos représentants, mais quelles relations entretenons-nous, de façon continue, avec eux entre deux élections ? La demande d'intelligibilité de la décision publique s'approfondit, de nouvelles exigences confuses apparaissent. Celles-ci ne sont, bien sûr, pas anticipées par la théorie et mettent du temps à trouver des réponses institutionnelles dans les procédures et les méthodes de la démocratie représentative.
Il nous faut donc trouver des moyens de traduire ces exigences, à partir de solutions relevant d'une invention collective ou d'une offre politique nouvelle. Nous le voyons bien, une carrière s'ouvre aux entrepreneurs politiques qui, même s'ils se présentent parfois sous un jour désagréables, tendent à proposer une offre adaptée à la demande. C'est là une évolution en profondeur de la démocratie, que nous devons anticiper, ou bien la discordance entre les élus et le peuple s'accentuera - et l'on sait d'expérience qu'il n'en ressort jamais rien de bon.