Intervention de Marcel Gauchet

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 19 janvier 2017 à 13h30
Audition de M. Marcel Gauchet philosophe et historien directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales

Marcel Gauchet, directeur d'études à l'EHESS :

Dans le baromètre de la confiance politique du Cevipof, quelque 89 % des sondés estiment que les hommes politiques ne tiennent pas compte des problèmes de la vie quotidienne. Vous posez donc une question brûlante ! Les hommes politiques sont perçus comme des privilégiés. Toutefois, l'essentiel, selon moi, est une affaire de discours. Une expérience politique saisissante vient ainsi d'avoir lieu : l'élection présidentielle aux États-Unis. M. Donald Trump a été élu parce que les Américains ont eu le sentiment qu'il parlait comme eux. Lors des débats télévisés, le contraste était saisissant entre son niveau de discours, très faible, et celui, élaboré et sophistiqué, de Mme Hillary Clinton qui manipulait, par ailleurs, considérablement la langue de bois.

Même si cette dernière apparaissait plus convaincante aux initiés, il n'en demeure pas moins que les Américains se sont reconnus davantage dans le discours de M. Donald Trump, suffisamment en tout cas pour permettre à ce dernier de rattraper son retard initial.

Les citoyens veulent retrouver l'écho de leurs préoccupations dans le discours politique. Or celui-ci, par nature, procède par euphémismes, car il est destiné à parler à tout le monde, à ne blesser personne, ce qui n'a rien de coupable d'ailleurs. Toutefois, ce langage est déphasé face aux évolutions sociales récentes. Il convient alors d'inventer un nouveau discours politique pour exprimer ces dernières. Par exemple, alors que les gens sont exaspérés face aux « incivilités » - bel euphémisme - qui affectent la qualité de leur vie quotidienne, ce sujet n'est guère évoqué dans la parole publique, sinon sous la forme d'un discours très enrobé. Les gens ont alors le sentiment que les élus ne vivent pas les mêmes choses qu'eux, même si ce n'est pas vrai. Cela vaut aussi pour l'immigration, l'éducation ou le travail. L'une des erreurs du Gouvernement avec la loi « travail » du 8 août 2016 a été de ne pas donner le sentiment de répondre aux réalités du monde du travail, qui a fortement évolué et n'a plus rien à voir avec le prolétariat du siècle dernier. L'une des fonctions des représentants politiques est d'inventer un langage dans lequel la société puisse se reconnaître, tout en restant respectueux et digne ; un langage qui mette un mot sur les problèmes, sans blesser ni stigmatiser.

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