Intervention de Michel Billout

Mission d'information Accord UE-Turquie sur la crise des réfugiés — Réunion du 3 mai 2016 à 13h35
Réunion constitutive

Photo de Michel BilloutMichel Billout, rapporteur :

Je vous remercie également pour cette désignation. Cette mission, dont mon groupe a demandé la création, examinera l'accord passé le 18 mars dernier entre l'Union européenne et la Turquie en vue de mettre un frein à l'arrivée en Grèce par la mer des réfugiés et des migrants depuis les côtes turques. Cet accord intervient dans le contexte d'une crise grave, liée à l'arrivée d'un nombre considérable et sans précédent de migrants - plus d'un million - en Europe en 2015, dont plus de la moitié sont des réfugiés syriens fuyant la guerre dans leur pays. Or la Grèce est devenue en 2015 la principale porte d'entrée de ces migrants dans l'Union européenne, puisque 850 000 d'entre eux sont entrés sur son territoire, essentiellement par la mer et les îles depuis la fermeture de sa frontière terrestre avec la Turquie.

Tant pour empêcher les drames liés à ces traversées trop souvent meurtrières que pour aider la Grèce, dépassée par ces arrivées massives, l'Union européenne a mis en oeuvre, à partir de l'automne dernier - tardivement, précipitamment et sans accord de fond entre les 28 États-membres - une réponse fondée à la fois sur l'instauration dans les points d'arrivées de centres d'enregistrement et de contrôle, les fameux hotspots, chargés d'enregistrer les migrants et d'orienter ceux pouvant y prétendre vers l'asile, et un programme de relocalisation des demandeurs d'asile dans les autres pays européens. Ces dispositifs ont peiné à démontrer leur efficacité alors que les flux, malgré l'hiver, se maintenaient à un niveau élevé : environ 2 000 candidats par jour. La fermeture progressive de la route des Balkans, décidée unilatéralement par plusieurs États membres, par laquelle les migrants gagnaient ensuite le nord de l'Europe, a imposé de trouver dans l'urgence une autre solution pour éviter l'asphyxie de la Grèce.

C'est dans ce contexte qu'a été signé le 18 mars dernier l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, au terme d'une négociation largement dominée par l'Allemagne. Ayant accueilli la plus grande part des migrants arrivés en Europe en 2015, celle-ci désirait particulièrement interrompre le flux incessant qui menaçait de se maintenir au même niveau en 2016. Elle a imposé cette solution à l'Europe entière et notamment à la France qui a paru s'y résigner. Notre pays a-t-il été passif ? Notre mission devra examiner cet accord qui a tout d'un expédient bricolé dans l'urgence, au mépris des valeurs et des principes que notre pays devrait s'attacher à défendre. Il ne s'agit d'ailleurs pas, à proprement parler, d'un accord mais d'une déclaration politique complétant un premier accord, également politique, passé avec la Turquie en novembre dernier.

Vous en connaissez les principaux termes : tous les nouveaux migrants en situation irrégulière arrivant en Grèce depuis la Turquie à partir du 20 mars 2016 sont renvoyés en Turquie. Pour chaque Syrien renvoyé, un autre Syrien sera réinstallé dans l'Union européenne - avec un plafond de 72 000 personnes. Ce programme dit « un pour un » devrait décourager les traversées et casser le modèle économique des passeurs qui en tirent honteusement profit.

La solidité juridique de l'accord a été particulièrement débattue. La mise au point d'un dispositif solide explique une finalisation assez laborieuse au mois de mars. Pour respecter les principes de non-refoulement et l'interdiction des renvois collectifs, chaque migrant pourra déposer une demande d'asile en Grèce, qui serait examinée de manière individuelle et pourrait être déclarée recevable s'il apparaît que la Turquie ne lui offre pas la garantie d'une protection suffisante. Cette procédure est extrêmement lourde pour la Grèce. La Grèce et la Turquie se sont empressées d'adopter des mesures pour se mettre en conformité avec les exigences des directives européennes sur les procédures d'asile et la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés. Est-ce suffisant? Il est permis d'en douter.

Si cet accord semble produire l'effet attendu en matière de flux, il soulève un certain nombre de problèmes au regard du respect des droits de l'homme, dénoncés à la fois par le Haut-Commissariat aux réfugiés, les organisations humanitaires mais aussi l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - que nous auditionnerons certainement. Ces atteintes tiendraient notamment aux conditions matérielles et juridiques de rétention des migrants dans les hotspots, dans l'attente de leur éventuel renvoi vers la Turquie, mais aussi aux garanties incertaines offertes par celle-ci comme « pays de premier asile » ou « pays tiers sûr » pour les migrants renvoyés.

Notre mission examinera tous ces points ainsi que les difficultés matérielles que pose la mise en oeuvre de cet accord, qu'il s'agisse du fonctionnement du système d'asile grec ou de l'organisation logistique des retours. Nous devrons vérifier l'effectivité des réinstallations auxquelles l'Union européenne s'est engagée dans le cadre de cet accord, plafonnées à 72 000 places.

Il faudra également tenir compte du risque que s'ouvrent d'autres routes, posant autant sinon davantage de problèmes.

Enfin, nous ne pourrons faire l'impasse sur les contreparties obtenues par la Turquie :

- une aide financière de 3 milliards d'euros, qui pourra être portée à 6 milliards d'euros, qui financera - nous le vérifierons - des projets au bénéfice des réfugiés syriens installés sur son territoire ;

- la relance du processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ;

- et l'accélération de la libéralisation des visas dans le but de parvenir à une levée des obligations pour les citoyens turcs à la fin du mois de juin 2016. Demain, la Commission européenne rendra son évaluation sur ce volet, à l'égard duquel la Turquie nourrit la plus forte attente.

Si l'aide financière promise constitue un soutien légitime à l'effort d'un pays qui accueille sur son sol plus de 2,7 millions de réfugiés, les deux autres contreparties prêtent davantage à discussion s'agissant d'un pays en proie à une inquiétante dérive autoritaire. Nous devrons veiller à ce qu'il n'y ait pas d'entorses au respect des 72 critères auxquels la libéralisation des visas est conditionnée et qui incluent, entre autres, le respect des droits fondamentaux. Je souhaite moi aussi que nous aboutissions à des conclusions communes fin septembre.

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