Intervention de Jean-François Pilliard

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 11 janvier 2017 à 17h00
Audition de M. Jean-François Pilliard professeur affilié et président de la chaire « dialogue social et compétitivité des entreprises » à l'escp europe membre de la section du travail et de l'emploi au conseil économique social et environnemental cese ancien délégué général de l'union des industries et métiers de la métallurgie iumm et ancien vice-président et président du pôle social du mouvement des entreprisse de france medef

Jean-François Pilliard, président de la chaire « dialogue social et compétitivité des entreprises » à l'ESCP et membre du Conseil économique, social et environnemental :

ancien délégué général de l'UIMM et vice-président du Medef, président de la chaire « dialogue social et compétitivité des entreprises » à l'ESCP et membre du Conseil économique, social et environnemental. - Ayant mis un terme à tous mes mandats professionnels il y a déjà un an, je suis un « semi-retraité », mais je continue à m'engager sur les sujets qui me passionnent, l'entreprise et le dialogue social. J'interviens sur ces questions au Cese, où je siège comme personnalité qualifiée. Je viens, par ailleurs, de créer une chaire qui est la première traduction d'une recommandation du « rapport Combrexelle » sur le dialogue social. J'exerce enfin des activités de conseil auprès d'entreprises. Mes propos n'engagent que moi, puisque je ne représente plus aucune organisation. Je parle à la lumière d'une expérience de trente-cinq ans en entreprise, puis de huit ans dans les organismes professionnels, UIMM, Medef, ou Comité européen de dialogue social de la métallurgie. Je me considère comme un généraliste d'entreprise, pas comme un « expert ».

Il est bon de préciser les termes « paritarisme », « dialogue social », de mieux définir leur contenu, car ils font l'objet de propos réducteurs. Le paritarisme de décision renvoie à la question : qui fait quoi dans l'établissement de la norme sociale ? Le paritarisme de gestion intervient une fois la norme fixée - l'enjeu essentiel étant alors d'analyser ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et de proposer des pistes d'amélioration. Chacun a tendance à défendre l'organisation à laquelle il appartient, alors que celle-ci n'a de raison d'être que si elle apporte aux usagers, à la Nation, des résultats.

Le paritarisme de décision a été largement abordé par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, qui visait à définir qui fait quoi dans la définition de la norme, et quel rôle joue chaque catégorie d'acteurs. Dans le champ du temps de travail, elle a ainsi clarifié les choses par rapport au passé : la norme s'élabore au plus près du terrain, la branche intervient pour apporter des réponses aux petites et moyennes entreprises (PME) et la loi fixe un socle de droits essentiels pour les salariés. D'autres champs pourraient être pareillement abordés. Un groupe de travail sur la refondation du code du travail a été annoncée, mais aucune décision effective n'a été prise à ma connaissance.

Jusqu'à cette loi, faute de choisir qui faisait quoi, les robinets coulaient à tous les étages, si vous m'autorisez cette métaphore ! Accords d'entreprise, accords de branche, accords interprofessionnels, lois, règlements, directives européennes, sans oublier la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation : du point de vue des entreprises - les chefs d'entreprise, mais aussi les salariés et leurs représentants -, tout cela était synonyme de complexité, d'instabilité et d'insécurité.

Lorsque l'on est attaché au dialogue social, on souhaite que se dégagent des voies d'amélioration. Nous avons un modèle social de qualité, en apparence ; mais il est d'une telle complexité qu'un professionnel lui-même n'y comprend rien, sauf s'il est secondé par une armée de juristes. C'est le modèle « Canada Dry », qui donne l'illusion d'un contenu très dense... si dense et si complexe qu'il en devient impossible à appliquer. Sur l'hygiène et la sécurité, je défie quiconque de dire ce qu'est le contenu de la législation.

Je voudrais à cet égard signaler trois enjeux. L'enjeu économique, d'abord : quelles sont les performances de la France, par rapport à celles de pays comparables ? Deuxième enjeu : les décisions et les droits sont-ils appliqués ? Enfin, l'emploi. Un environnement complexe et instable contribue au fort taux de chômage, à la dégradation de la qualité de l'emploi, et à des formes de contrat de travail pénalisantes pour l'ensemble des parties.

Le paritarisme de gestion fonctionne plus ou moins bien selon les domaines. J'en citerai trois. La gestion de l'assurance-chômage est-elle satisfaisante ? Le système incite-t-il ou non au retour à l'emploi ? Quelle est sa pérennité après tous les déficits cumulés depuis 2008 ? J'ai été responsable, côté patronat, de la dernière négociation et j'ai présidé l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic). Quand j'entends certains réclamer que l'État reprenne la main, je ne peux m'empêcher de penser que celui-ci n'a pas montré un haut degré de performance dans la gestion de budget ! Évitons les slogans, et ne croyons pas qu'en passant le mistigri, tout va s'arranger. Le point essentiel, c'est que l'assurance-chômage a été créée à une époque de croissance économique élevée et que personne, alors, n'avait prévu la possibilité d'une croissance si faible, si durablement. C'est pourquoi, quand bien même l'État - ou les assureurs, autre possibilité clamée - reprenait la main, les choses n'iraient sans doute pas mieux.

La vraie question est : comment recréer un système adapté aux réalités nouvelles ? Ce que l'on appelait « crise » se révèle être plutôt une transformation permanente. Dans l'avenir, les taux de croissance resteront plus faibles qu'avant 2008. Et la structure de l'emploi change considérablement. Les nouveaux modèles économiques nous obligent à revoir l'assurance-chômage.

Les retraites complémentaires Agirc-Arrco font également l'objet d'une gestion paritaire. Celle-ci fonctionne plutôt bien, même si, sur le plan économique et financier comme sur le plan du service rendu, il y a des marges de progression. J'ai négocié et supervisé des négociations, j'identifie deux voies à suivre. D'abord, clarifier et simplifier le régime de gouvernance de la prévoyance et des retraites complémentaires, car les fusions intervenues entre systèmes différents ont débouché sur des gouvernances à plusieurs étages, exigeant de mobiliser de nombreux mandataires, qui n'ont pas toujours le professionnalisme nécessaire. Ensuite, améliorer les performances de gestion financière : j'avais proposé, lors d'une négociation, une réduction des frais de gestion de 10 % par an, qui correspond à un fonctionnement normal et qui fut acceptée après des débats très difficiles. Par ailleurs, les groupes de protection sociale ont un statut particulier et gèrent à la fois les retraites complémentaires et la prévoyance. Qui est responsable de quoi, en matière de retraite complémentaire et de prévoyance ? Je suis attaché à l'économie de marché, mais la santé n'est pas un produit comme un autre ; elle doit faire l'objet d'une régulation, et d'une gestion appropriée. Est-il sain de gérer à la fois la retraite complémentaire et la prévoyance ?

Troisième domaine où s'exerce la gestion paritaire : la formation professionnelle. Les intervenants y sont nombreux : entreprises, partenaires sociaux, branche, organismes interprofessionnels, État, régions. Faute d'une vraie réforme à la hauteur des enjeux, la situation entre 2009 et 2013 s'est peu améliorée. Tous les quatre ans, il faut y revenir. Or, procéder à des réformes à répétition contribue à l'inefficacité du système. En 2009, la négociation sur la formation professionnelle avait duré quatre mois. Nous avions créé le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Puis le Parlement a légiféré sur l'accord que tous les partenaires, fait rare, avaient signé. Or le texte a, durant un moment lors de la navette, divergé par rapport aux termes de l'accord ! Là encore, entre démocratie politique et démocratie sociale, il faudrait savoir qui fait quoi. En Allemagne, quand on signe un accord majoritaire, pas besoin de loi...

Quoi qu'il en soit, les décrets d'application ont ensuite été pris, les circulaires envoyées. Déjà un an de passé. Puis on a renégocié dans les branches. Encore six mois. Enfin, il a fallu informer les entreprises. Avant que les effets réels ne se produisent sur le terrain, trop de temps se passe, notamment dans la petite et moyenne entreprise ; en effet, on l'oublie trop souvent, la France est un pays dans lequel plus de 80 % des entreprises sont des PME, et non des grands groupes. Et, pour remédier à cette inertie, il faut clarifier. D'autant que la formation professionnelle donne lieu à une gestion pluripartite et non simplement paritaire. Au pays de Descartes, on aime les choix binaires : si le système fonctionne mal, il faut le mettre à bas, et le confier soit à l'État, soit au marché. La réponse n'est pas si simple... parce que la vie n'est pas si simple. Le paritarisme a tout son sens mais il est aujourd'hui aux limites de la rupture, probablement parce qu'il a insuffisamment anticipé les transformations permanentes de l'environnement économique. L'immobilisme - j'assume ma part de responsabilités - s'explique aussi par la tendance à privilégier les logiques d'appareil et d'organisation sur l'efficacité pour l'usager ou le citoyen.

Il importe donc de réfléchir à l'évolution du paritarisme, au bon équilibre entre démocratie sociale et démocratie politique. Une seule initiative a réellement été prise par votre président Gérard Larcher, alors ministre du travail, lorsque sa loi a posé l'obligation, avant tout dépôt de projet de loi sur un sujet social, de saisir les partenaires sociaux. Ceux-ci négocient s'ils le souhaitent. En sens inverse, un accord majoritaire ou unanime doit-il donner lieu à une loi ? Quelle en est la valeur ajoutée ? Les partenaires sociaux se demandent alors à quoi ils servent...

Je me souviens d'une négociation, Christine Lagarde étant alors ministre de l'économie et Laurent Wauquiez secrétaire d'État à l'emploi, où le groupe de travail qui s'était réuni avant la négociation a débouché sur des lettres d'orientation ministérielles portant sur les thèmes et les délais : il nous dictait presque le résultat des négociations !

Enfin, je le redis : il est temps d'intégrer le cadre économique actuel, qui change profondément.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion