Intervention de Philippe Frin

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 7 février 2017 à 14h00
Audition de Mm. Philippe Frin et michel mayol membres du collectif « naturalistes en lutte »

Philippe Frin, membre du collectif « Naturalistes en lutte » :

Nous vous adresserons une réponse écrite aux questions auxquelles nous n'aurons pas le temps de répondre durant cette audition. J'en viendrai donc à votre neuvième et dernière question : vous semble-t-il aujourd'hui possible de parvenir à un consensus sur la définition, la mise en oeuvre, le suivi et le contrôle des mesures de compensation ? Quels sont les principaux points de blocage ? Comment pourraient-ils être surmontés ? Au regard des manquements de ce dossier, qui ne respecte en rien la démarche ERC, il est évident qu'il faut abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. Au-delà, la démarche ERC nous semble devoir être améliorée. D'une part, il conviendrait de mieux encadrer l'évitement en définissant des écosystèmes complexes pour lesquels nous ne sommes pas en mesure d'établir des scénarii potentiels de réhabilitation. Au niveau scientifique, il est manifeste que certains milieux, comme les milieux oligotrophes ou encore les tourbières, ne peuvent être restaurés et ainsi qu'il faut abandonner tout projet les impactant. Il serait intéressant qu'une commission scientifique établisse une liste de ces écosystèmes complexes.

Il faudrait, d'autre part, revoir l'appréciation d'intérêt général puisque la séquence sert souvent de caution pour faire passer un projet. Ce n'est pas parce que l'aménageur propose des mesures compensatoires que son projet doit être autorisé ! De telles mesures ne devraient donc pas être négociées lors de l'étape de la déclaration d'utilité publique, afin que l'analyse du bilan avantages-inconvénients ne soit pas faussée. Il faut rappeler que ces discussions et ces négociations se tiennent entre les services instructeurs et les porteurs d'un projet ; ces mesures compensatoires devenant alors des composantes de l'appréciation de l'intérêt général bien qu'elles ne font pas partie, à proprement parler, du projet mais qu'elles influent sur la décision de délivrer une autorisation. Il faut également reconsidérer la notion d'utilité publique. En effet, pour les élus, tous les projets portés par un élu sont d'utilité publique et ainsi justifiés, depuis le plus petit lotissement jusqu'à un aéroport ! Le concept de reconstruire la ville sur la ville, pourtant fondamental en aménagement du territoire pour lutter contre les pertes de biodiversité et complètement ignoré. Ainsi, les zones d'activités continuent à grignoter le territoire sans qu'il n'y ait aucune réflexion en matière d'économie de l'espace ! Il convient aussi d'utiliser des métriques simples dans les méthodes de compensation afin de favoriser le suivi et l'analyse ; le projet de Notre-Dame-des-Landes constitue, à cet égard, une caricature puisqu'il est impossible de mettre un lien entre ce qui est détruit et ce qui est proposé à la compensation. Pour assurer plus d'objectivité, des mesures de suivi devraient être réalisées par des structures indépendantes, sans lien avec le projet. En effet, les bureaux en charge du suivi sont payés, la plupart du temps, par les aménageurs et les porteurs de projets.

Pour conclure, les mesures compensatoires doivent répondre aux impacts résiduels. Si la démarche ERC a bien été appliquée, la compensation ne devrait concerner que de petites surfaces et comprendre des mesures réduites. Nous pensons qu'il est impossible de mettre en oeuvre une politique de reconquête de la biodiversité, car la compensation vise à neutraliser une perte, mais ne permettra jamais d'obtenir un gain. Nous proposons de changer notre modèle de réflexion. On s'organise pour pouvoir détruire en élaborant de véritables usines à gaz à travers ces mesures compensatoires. Dans ce contexte, la compensation se construit de manière incohérente par rapport à l'objectif de reconquête de la biodiversité. D'après les études scientifiques, le risque d'échec pour ces mesures compensatoires demeure très important et elles parviennent, au mieux, à compenser à hauteur de 75 % les zones détruites. Il nous faut nous organiser pour privilégier l'évitement et la réduction et les éventuelles mesures compensatoires doivent s'inscrire dans des scenarii de réhabilitation scientifiquement fondés, en allant chercher des gains sur des territoires fortement dégradés dans les territoires impactés.

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