La réunion est ouverte à 14 heures.
Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre Dame des Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau. Nos trois premières auditions de cet après-midi seront consacrées au projet spécifique de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes mais devront nous permettre d'appréhender, à travers ce cas particulier, les enjeux plus généraux de l'efficacité et surtout de l'effectivité du système de mesures compensatoires existant. Je le rappelle, notre travail est entièrement centré sur les mesures compensatoires. La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.
Nous entendons donc tout d'abord le collectif « Naturalistes en lutte », représenté par deux de ses membres : MM. Philippe Frin et Michel Mayol.
Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Frin et Michel Mayol prêtent successivement serment.
Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?
Je n'ai aucun lien avec les projets que vous avez cités.
Je n'ai aucun lien avec les projets que vous avez cités.
Notre collectif de citoyens « Naturalistes en lutte » existe depuis 2012 et rassemble des scientifiques, des amateurs ainsi que des professionnels de l'environnement. Depuis cette date, nous conduisons des expertises et des inventaires sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Nous nous sommes en effet penchés sur les problèmes de compensation à travers ce dossier. Nous allons donc répondre aux différentes questions que vous nous avez adressées dans le cadre de cette audition.
Première série de questions : quel regard portez-vous sur la façon dont ont été mises en oeuvre les étapes éviter et réduire de la séquence ERC, pour le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ?
La conception de projet doit inclure les données environnementales au même titre que les autres éléments, tant techniques que financiers, y compris au niveau des choix fondamentaux liés au projet. Éviter est la priorité et la compensation doit être appréciée en dernier lieu. Il s'agit ainsi de prendre en compte l'environnement le plus en amont possible, d'autant que l'absence de faisabilité de la compensation peut, dans certains cas, remettre en cause un projet. Ainsi, l'analyse historique du projet de Notre-Dame-des-Landes démontre que les sites alternatifs ont été des faux-semblants. Le projet date des années 1960 et dès les années 1970, les services techniques sont favorables à un site entre Vigneux et Notre-Dame-des-Landes. En 1974, le préfet signe un arrêté délimitant la zone d'aménagement différé (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes sur 1 200 hectares. Cette décision entraîne un gel des exploitations sur les terrains fortement argileux. Tout cela amène à penser que ce projet risque d'induire un impact aggravant sur l'environnement. Le bocage est quasiment intact et nous sommes sur des terrains oligotrophes, qui n'ont pas connu d'intrants et sur lesquels se sont développées des zones humides avec une biodiversité associée. À ceci s'ajoute la problématique des bassins versants. Conformément à la doctrine ERC, l'impact environnemental est fort. Le respect de la loi sur l'eau, conformément au schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), conduit logiquement à conclure à l'infaisabilité de mesures de compensation.
Par ailleurs, la possibilité du réaménagement de l'aéroport Nantes-Atlantique a été écartée sans qu'ait été conduite une étude au préalable. Or, celle-ci a, pendant très longtemps, été demandée par les opposants au projet. En avril 2016, un rapport d'expertise du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a conclu que l'agrandissement et la rénovation de l'aéroport Nantes-Atlantique fournissaient une réponse possible à la hausse du trafic aérien. A minima, même la réduction du projet à la construction d'une seule piste, pour diminuer les incidences sur les milieux naturels, n'a pas été retenue, bien que permettant une exploitation tout à fait satisfaisante du projet d'aéroport. En l'absence de prise en compte de cette première étape, la séquence nous paraît ainsi invalide.
Deuxièmement : l'état initial était-il suffisamment exhaustif ? Dans quelle mesure et de quelle façon aurait-il pu être amélioré ? Un état initial dans une étude réglementaire ne vise pas l'exhaustivité, mais doit permettre de bien caractériser les milieux, les fonctions, ainsi que les différentes espèces d'intérêt patrimonial, dont les espèces protégées, présentes sur le site. Cet état initial doit être proportionnel au projet pour être de qualité. Depuis 2012, au gré des expertises et des inventaires que nous avons nous-mêmes conduits sur ce site, nous nous sommes aperçus que l'état initial présentait d'importantes lacunes. Il est en partie faux, comme l'a souligné le Conseil national protection de la nature (CNPN) ainsi que la commission des experts scientifiques qui a demandé deux années d'inventaire supplémentaires pour compléter cet état initial. De notre côté, nous avons également constaté une faible pression d'inventaire. Ainsi, pour cartographier les habitats naturels et les milieux, la prospection a été de 85 hectares par jour, ce qui paraît incompatible avec un travail sérieux.
D'une étude de Biotope figurant dans l'étude d'impact et concernant l'inventaire de la végétation.
Cette étude Biotope précise-t-elle les moyens qui ont été alloués à cette fin ?
Tout à fait. Les périodes d'inventaire n'ont pas permis de recenser toutes les espèces protégées, dont certaines plantes qui n'ont pas été visitées à la période automnale et qui n'ont pas été prises en compte dans le projet. Ces inventaires se sont concentrés sur des espèces connues, comme s'il n'y avait plus rien à découvrir sur le site où nous avons découvert de nombreuses espèces dont la présence était jusque-là ignorée. En outre, nous avons constaté l'absence de protocole d'estimation de la densité des populations locales, à l'exception de la grenouille agile. Faute d'une méthode satisfaisante, on ne peut estimer correctement la présence des espèces. Enfin, des erreurs d'interprétation de l'implantation des différentes végétations ont été constatées, ce qui a entraîné une sous-estimation des fonctions de ces différents milieux. Un grand nombre de prairies ont ainsi été classées comme mésophiles et considérées comme ne présentant qu'une faible dimension patrimoniale, alors que des inventaires ont démontré qu'elles étaient d'intérêt européen. À ce propos, les porteurs de projets ont conduit des inventaires complémentaires sur de petites parcelles dans ces prairies, suite notamment aux réserves des experts, qui les ont alors identifiés comme présentant un intérêt européen. Cependant, une telle découverte n'a induit aucune modification de la méthodologie et des modes de calcul compensatoire. Alors que le cabinet Biotope a identifié 24 types d'habitats naturels, dont 6 d'intérêt communautaire, les Naturalistes en lutte en ont, quant à eux, identifié 45, dont 11 d'intérêt communautaire. S'agissant des surfaces d'habitats remarquables qui peuvent présenter un intérêt européen, le cabinet Biotope a identifié 8,5 hectares de prairies oligotrophes, tandis que nous en avons identifié 37. Le calcul est assez flagrant et je pourrais également ajouter que nous avions identifié 6 plantes protégées contre 3 par Biotope. Je vais arrêter là les comparaisons, puisque je vous ai remis un document où figure notre inventaire.
S'agissant des pistes d'amélioration pour la réalisation des états initiaux, nous pensons qu'il faudrait définir des seuils minimums de pression d'inventaire. En effet, les seuils minimums étant exprimés en hectares par jour, une réflexion permettrait de cadrer une pression minimum par milieu. L'établissement de périodes d'inventaire permettrait également d'obtenir des comparaisons et d'éviter une course au moins-disant des bureaux d'études dans leur réponse aux cahiers des charges, en ayant un encadrement plus précis.
Sur ce point bien précis, le cabinet Biotope a conduit ses travaux sur une année complète.
L'étude Biotope s'est en fait échelonnée sur plusieurs années, mais ses résultats cumulés représentent une année de suivi. Toutefois, le cabinet n'a pas conduit ses travaux en période automnale, durant laquelle certaines espèces protégées peuvent être observées.
Oui. Nous vous remettrons ces informations à l'issue de notre audition et ces informations sont également publiées dans la revue Bretagne Vivante. Lorsqu'un bureau d'études répond à un marché, il fixe lui-même la pression d'inventaire à développer. Il conviendrait de s'inspirer de l'arrêté d'octobre 2009 en vigueur pour les zones humides pour cadrer la méthodologie et la délimitation. L'obligation de mise en oeuvre d'un protocole pour définir les effectifs des espèces protégées devrait être précisée, ainsi que la certification des personnels des bureaux d'études pour prévenir certaines erreurs d'interprétation de la végétation dans les relevés phyto-sociologiques qui ont pu être relevées par la commission des experts scientifiques. Il faudrait ainsi encourager la rédaction de cahiers des charges qui pourraient reprendre ces protocoles et améliorer la compréhension des états initiaux. Enfin, il faudrait permettre une contre-expertise indépendante afin de pallier la connaissance superficielle du milieu de certains services instructeurs. À ce propos, la commission d'expertise, qui a été constituée dans le cadre du projet de Notre-Dame-des-Landes, a apporté des éléments probants.
Troisième question : où en est l'action du maître d'ouvrage concernant les espèces protégées découvertes depuis la réalisation de cet état initial ? Nous n'avons pas la réponse. ? Nous avons identifié quatre nouvelles espèces protégées qui ne sont pas incluses dans les dossiers réglementaires et pour lesquelles, à notre connaissance, il n'y a pas eu de demandes de dérogation.
Cette démarche ne concerne que les plantes, puisque le campagnol a été identifié !
Il s'agit bien de quatre nouvelles espèces protégées qui n'ont pas été prises en compte par le bureau d'études Biotope. Nous avons sollicité en ce sens la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et le préfet, sans retour.
J'en viens à présent à la quatrième question : quelles ont été les difficultés engendrées par les méthodes de définition de compensation ? Le choix d'une méthode de compensation surfacique par le maître d'ouvrage aurait-il été envisageable et, le cas échéant, préférable ? La méthode de compensation a été conçue pour faire aboutir le projet. L'approche de surface, telle que définie dans les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et dans le SDAGE, aurait conduit à une approche surfacique de l'ordre de 200 % pour les zones humides. On est sur une emprise totale de l'ordre de 1 000 hectares, ce qui implique la restauration d'une zone humide de 2 000 hectares. Un tel chantier est considérable et implique de travailler sur la restauration de l'ensemble des fonctions de ces zones humides. Devant l'impossibilité de trouver une telle surface, une réflexion a été conduite pour définir une méthode permettant de contourner l'évitement qui aurait déjà dû être mis en oeuvre. Lorsqu'on ne peut compenser, on devrait renoncer à un projet trop impactant !
L'approche retenue a été invalidée scientifiquement par la commission des experts. Elle est mixte et expérimentale : à Notre-Dame-des-Landes, l'approche retenue est à la fois fonctionnelle et surfacique. On va hiérarchiser les milieux et déterminer des ratios qui permettront de définir des unités de compensation lesquelles donneront lieu à des mesures de compensation sur d'autres territoires. On va ainsi pouvoir échanger ! Cette méthode est magique puisqu'elle permet de tout compenser, y compris les milieux oligotrophes sans pour autant permettre la restauration des conditions nécessaires à l'habitat des espèces protégées. Ainsi, couper une peupleraie va permettre de gagner des unités de compensation, tout comme convertir une culture en prairie. Au final, restaurer un couvert en herbe sur une culture est certes intéressant, mais ne permettra pas l'implantation d'espèces présentant un intérêt patrimonial ! Cette méthode relève de la manipulation en transformant les surfaces en unités de compensation. Néanmoins, la destruction de 1 000 hectares présentant, conformément à la loi sur l'eau, une fonction hydraulique majeure représente quelque 500 unités de compensation. La méthode a manifestement servi à réduire le besoin compensatoire et à assurer une compensation qui n'aurait pas pu être atteinte sans un tel dispositif. Plus les méthodes tendent à hiérarchiser les milieux et à instaurer des coefficients, plus elles apparaissent incompréhensibles au grand public et incontrôlables sur le terrain, faute d'une mise en relation entre ce qui est détruit et ce qui est restauré. L'avantage premier est de diminuer les surfaces à compenser. En outre, différents points de cette méthode doivent être critiqués : d'une part, la non-prise en compte de certains groupes d'espèces par cette méthode de calcul d'impact résiduel global qui ne prend en compte que trois groupes d'espèces. Ainsi, les mammifères n'ont pas été pris en compte ! D'autre part, l'utilisation de ratios s'est avérée scientifiquement non fondée et malgré son invalidation par la commission scientifique, celle-ci n'a pas été modifiée ! Enfin, la taille des enveloppes de compensation doit être prise en compte. En effet, l'intérêt de Notre-Dame-des-Landes est de disposer d'un site étendu sur 1 600 hectares et situé en tête d'un bassin versant entre la Vilaine et la Loire sur un seul ensemble. Or, les mesures compensatoires vont s'égrener sur plus de 16 000 hectares, ce qui est tout bonnement incohérent ! Plus une zone humide est importante, plus les fonctions présentes vont s'y développer. Multiplier les petites actions sur 16 000 hectares ne va pas permettre de restaurer la capacité fonctionnelle de ce qui a été détruit. Enfin, je ne reviendrai pas sur le fait que les mesures compensatoires reposent sur la voie contractuelle et non sur l'acquisition de terrains.
J'en viens à la cinquième question : les réserves et observations formulées en 2013 par la commission de dialogue et par le collège scientifique ont-elles été prises en compte par le maître d'ouvrage ? Si oui, de quelle façon ? Les experts du collège scientifique ont été nommés par le préfet et leur avis était requis par les commissaires-enquêteurs. Je faisais partie de la délégation représentant les Naturalistes en lutte et la fédération France Nature Environnement (FNE) qui a rencontré à Jussieu le collège des experts le 5 mars 2013. Nous avons été écoutés. Ces experts ont rendu un avis, en avril 2013, qui s'avère particulièrement critique sur plusieurs questions soulevées par la commission sénatoriale. Sur les douze réserves, quatre n'ont pas fait l'objet d'une réponse, fût-elle formelle. Sur six qui ont fait l'objet d'une réponse, trois peuvent seulement être considérées comme satisfaisantes. Trois sont sujettes à discussion, quant à leur validation scientifique. Deux réserves me semblent avoir été occultées.
En fait, il y a dix réserves précises et deux plus générales. Disposez-vous d'un document qui reprend les réserves une par une ?
La réserve n°2 souligne l'excessive complexité de la définition de la méthode compensatoire qui a limité la capacité du public à participer à l'élaboration de la décision publique. La réserve n°3 porte sur le caractère injustifié de la valeur des coefficients d'équivalence. La réserve n°7 mentionne la non-prise en compte de l'importance des crues. Les crues, comme celles de 2013 à Blain et de l'Isac, n'ont manifestement pas été prises en compte. La réserve n°10 indique également une incertitude quant aux mesures de compensation. Où trouver les surfaces sur les terres agricoles, sachant qu'une mesure de compensation est mise en oeuvre dans l'espace rural ? Les experts demandaient deux ans d'étude supplémentaires pour comprendre le fonctionnement des zones humides. Il n'en a rien été et leur avis n'aura été considéré que parmi les autres avis, dont ceux des différents commissaires enquêteurs, émis à cette occasion. De tels avis ne faisaient ainsi que s'ajouter aux autres avis négatifs exprimés. Comme l'a montré le jugement du tribunal administratif, le raisonnement économique prévaut sur tous les autres motifs. D'évidence, les porteurs de projets et l'autorité administrative sont loin d'avoir levé l'ensemble des réserves du collège des experts. Entre avril et novembre 2013, l'État et l'AGO ont fait travailler plusieurs bureaux d'études pour compléter leurs connaissances sur les insuffisances soulevées par les experts. Ces nouvelles prescriptions et études ne fournissent qu'une réponse marginale par rapport à l'ampleur des griefs des experts.
J'en viens à la sixième question : quel regard portez-vous sur le rôle joué par l'État en tant qu'autorité environnementale sur ce projet ? Cette question est en effet complexe. Le préfet et la DREAL sont juges et parties, et les procédures sont sous la pression des politiques. Il a en effet été impossible aux associations de solliciter les pouvoirs publics pour faire constater que les porteurs de projet n'avaient pas inventorié l'ensemble des espèces protégées présentes sur le site. Les demandes des associations présentes sur le site sont restées lettre morte et aucun agent assermenté ne s'est rendu sur les lieux.
Comme je l'ai précédemment évoqué, l'excessive complexité de la méthode compensatoire a réduit la capacité du public à participer à l'élaboration de la décision. Dans la procédure, deux commissions sont associées : la commission locale de l'eau (CLE) et le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST). Ces avis doivent éclairer la décision de la préfecture. La complexité a été prise en compte lors de deux séances du bureau et de deux réunions plénières de la CLE, qui s'est prononcée favorablement avec un certain nombre de réserves. Lors de la séance du 10 juillet décisive pour l'avis, les trois collèges composant la CLE rassemblaient respectivement 26 des 50 représentants des collectivités territoriales, 14 des 25 usagers et des associations, et 16 des 19 représentants de l'État et de ses établissements publics. Cependant, lors de ses autres séances plénières, la participation de l'État était beaucoup plus faible. Concernant le passage en CODERST, un pré-CODERST, en date du 12 novembre 2013, a pris en compte la complexité du projet. Les documents papier ont été distribués par courrier à ses différents membres et les annexes mentionnées dans le rapport de présentation et les références citées ne correspondaient pas à celles de l'arrêté territorial. L'un des membres du CODERST a souligné qu'il fallait beaucoup trop de temps pour obtenir les informations requises en téléchargeant les documents via le site territorial.fr. Pour preuve, un agent de la préfecture a mis quarante minutes pour le faire ! Le compte-rendu mentionne ce point qui illustre la complexité de la démarche.
Nous vous adresserons une réponse écrite aux questions auxquelles nous n'aurons pas le temps de répondre durant cette audition. J'en viendrai donc à votre neuvième et dernière question : vous semble-t-il aujourd'hui possible de parvenir à un consensus sur la définition, la mise en oeuvre, le suivi et le contrôle des mesures de compensation ? Quels sont les principaux points de blocage ? Comment pourraient-ils être surmontés ? Au regard des manquements de ce dossier, qui ne respecte en rien la démarche ERC, il est évident qu'il faut abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. Au-delà, la démarche ERC nous semble devoir être améliorée. D'une part, il conviendrait de mieux encadrer l'évitement en définissant des écosystèmes complexes pour lesquels nous ne sommes pas en mesure d'établir des scénarii potentiels de réhabilitation. Au niveau scientifique, il est manifeste que certains milieux, comme les milieux oligotrophes ou encore les tourbières, ne peuvent être restaurés et ainsi qu'il faut abandonner tout projet les impactant. Il serait intéressant qu'une commission scientifique établisse une liste de ces écosystèmes complexes.
Il faudrait, d'autre part, revoir l'appréciation d'intérêt général puisque la séquence sert souvent de caution pour faire passer un projet. Ce n'est pas parce que l'aménageur propose des mesures compensatoires que son projet doit être autorisé ! De telles mesures ne devraient donc pas être négociées lors de l'étape de la déclaration d'utilité publique, afin que l'analyse du bilan avantages-inconvénients ne soit pas faussée. Il faut rappeler que ces discussions et ces négociations se tiennent entre les services instructeurs et les porteurs d'un projet ; ces mesures compensatoires devenant alors des composantes de l'appréciation de l'intérêt général bien qu'elles ne font pas partie, à proprement parler, du projet mais qu'elles influent sur la décision de délivrer une autorisation. Il faut également reconsidérer la notion d'utilité publique. En effet, pour les élus, tous les projets portés par un élu sont d'utilité publique et ainsi justifiés, depuis le plus petit lotissement jusqu'à un aéroport ! Le concept de reconstruire la ville sur la ville, pourtant fondamental en aménagement du territoire pour lutter contre les pertes de biodiversité et complètement ignoré. Ainsi, les zones d'activités continuent à grignoter le territoire sans qu'il n'y ait aucune réflexion en matière d'économie de l'espace ! Il convient aussi d'utiliser des métriques simples dans les méthodes de compensation afin de favoriser le suivi et l'analyse ; le projet de Notre-Dame-des-Landes constitue, à cet égard, une caricature puisqu'il est impossible de mettre un lien entre ce qui est détruit et ce qui est proposé à la compensation. Pour assurer plus d'objectivité, des mesures de suivi devraient être réalisées par des structures indépendantes, sans lien avec le projet. En effet, les bureaux en charge du suivi sont payés, la plupart du temps, par les aménageurs et les porteurs de projets.
Pour conclure, les mesures compensatoires doivent répondre aux impacts résiduels. Si la démarche ERC a bien été appliquée, la compensation ne devrait concerner que de petites surfaces et comprendre des mesures réduites. Nous pensons qu'il est impossible de mettre en oeuvre une politique de reconquête de la biodiversité, car la compensation vise à neutraliser une perte, mais ne permettra jamais d'obtenir un gain. Nous proposons de changer notre modèle de réflexion. On s'organise pour pouvoir détruire en élaborant de véritables usines à gaz à travers ces mesures compensatoires. Dans ce contexte, la compensation se construit de manière incohérente par rapport à l'objectif de reconquête de la biodiversité. D'après les études scientifiques, le risque d'échec pour ces mesures compensatoires demeure très important et elles parviennent, au mieux, à compenser à hauteur de 75 % les zones détruites. Il nous faut nous organiser pour privilégier l'évitement et la réduction et les éventuelles mesures compensatoires doivent s'inscrire dans des scenarii de réhabilitation scientifiquement fondés, en allant chercher des gains sur des territoires fortement dégradés dans les territoires impactés.
Nous n'intervenons pas, dans le cadre de cette commission d'enquête, sur l'opportunité du projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Vous l'avez bien compris. Imaginons qu'il n'y ait pas de contrainte économique et que l'on se place dans un intérêt public majeur absolu, quelles seraient, selon vous, les mesures compensatoires à la hauteur des pertes, quitte à aller chercher d'autres têtes de bassin ?
Les milieux concernés par le projet d'aéroport sont oligotrophes et ne peuvent être compensés. Il y a donc une perte nette de biodiversité. Sur un autre site, présentant des zones humides eutrophes, il aurait été possible de développer des scenarii de restauration supprimant des drainages pour restaurer la fonction hydraulique. Le site de Notre-Dame-des-Landes est vraiment exceptionnel, puisque même les talus y sont oligotrophes - l'oligotrophie étant la pauvreté du sol en nutriments accessibles aux plantes - et n'ont quasiment pas connu d'intrants provoquant la phosphorisation des sols. De tels milieux s'avèrent de plus en plus rares en France puisque la plupart des terres agricoles sont soumis à des intrants. En outre, les bassins versants sont extrêmement importants pour la régulation hydraulique. La méthode expérimentale a été développée pour répondre au problème surfacique et fonctionnel posé par ce milieu. On a ainsi élaboré des unités de compensation lesquelles, en soi, ne correspondent à rien.
Accorder des moyens considérables pour la restauration des têtes de bassin situées plus loin, en supprimant par exemple des drainages et en mettant en oeuvre une gestion agronomique visant à l'appauvrissement progressif des terres, vous paraît-il une démarche impossible ?
On ne sait pas arrêter le cycle de phosphorisation des sols une fois celui-ci amorcé. Il n'y a donc pas d'éventuel scénario en ce sens pour les milieux oligotrophes.
D'après le SDAGE et les SAGE, on est tenu à la reconquête de la qualité de l'eau. Un bassin versant ne saurait être sacrifié au profit d'un autre bassin versant !
Avez-vous le sentiment que l'aménagement du site, avec ses pistes, ses parkings et ses bâtiments, a pris en compte les prairies oligotrophes ?
Pas du tout, puisque l'état initial n'est pas de qualité. En effet, alors que le cabinet Biotope avait identifié 8,5 hectares de prairies oligotrophes, nous en avons identifié 36 ! La piste nord passe à travers le plus gros ensemble de prairies oligotrophes sur le site, qui étaient qualifiées de prairies mésohydrophiles sur le projet initial. Aucune recherche d'évitement n'a ainsi été conduite, puisque le porteur du projet ne disposait pas de cette information. Si l'état initial est lacunaire, le projet ne saurait être pertinent. Vu l'étalement des parkings, il va falloir drainer et modifier fortement les prairies ! Manifestement, le caractère vert de cet aéroport ne supporte pas la confrontation avec le terrain !
J'imagine que le mécanisme de compensation ne prend pas en compte la capacité des sols à stocker le carbone. Chacun sait que le stockage de carbone varie en fonction des sols et de leur usage. Qu'en est-il réellement ?
Les sols, sur un territoire tel que Notre-Dame-des-Landes, sont suffisamment riches en humus pour fixer le carbone d'une façon durable, puisque le taux de minéralisation de l'humus est relativement faible. Dans l'agriculture conventionnelle, les sols ont perdu leur faculté de fixer le carbone ; l'affaiblissement du taux d'humus entraînant une hausse de la minéralisation des sols et ne favorisant pas la microfaune du sol. Ainsi, on revient de plus en plus à une gestion du sol destinée à mieux assurer la fixation du carbone.
Avez-vous le sentiment que le traitement des autres projets sur ce territoire est identique ou qu'on met en place des mesures compensatoires plus ambitieuses ?
Je suis membre de la CLE et du bureau du SAGE. Nous pensons que les mesures compensatoires sont excessives pour les petites surfaces, mais nous ne disposons pas d'une base de données tenue par l'État qui assurerait la traçabilité des mesures. Les membres de la CLE n'ont pas les moyens de s'assurer qu'une même mesure compensatoire n'est pas utilisée pour plusieurs projets. En matière de gouvernance, il va falloir trouver des solutions.
Je rappellerai que notre collectif rassemble des citoyens bénévoles qui ne disposent pas des moyens nécessaires au suivi de la totalité des projets. J'ai travaillé pendant quinze ans dans un bureau d'études, comme d'autres membres de notre collectif, avant de devenir indépendant. Manifestement, les mesures compensatoires entraînent souvent un risque de dégradation des milieux dans lesquels elles sont mises en oeuvre. Ainsi, des petits projets peuvent induire des mesures compensatoires reposant sur des connaissances lacunaires et un manque d'expertise des bureaux d'études, comme la connexion de mares à un ruisseau pour assurer la circulation des amphibiens. Une mesure aussi absurde entraîne l'arrivée de poissons prédateurs et induit des conséquences contraires à l'objectif initialement fixé. Par ailleurs, certaines mesures compensatoires visent à rendre plus humides les prairies afin de les restaurer. Plutôt que de recourir à des prairies déjà drainées, on va ainsi essayer de monter des projets quelque peu bancals, comme le creusement de fossés aux effets eux aussi contre-productifs. Il faut développer un droit de regard et de suivi de ces expériences. Nous sommes dans un monde fini et nous détruisons des éléments particulièrement intéressants tout en proposant des mesures compensatoires expérimentales. Or, l'expérimentation ne garantit nullement un résultat. Certaines mesures compensatoires ne devraient pas être acceptées tant que l'expérimentation n'a pas fourni ses preuves ! Bien souvent, les mesures vont concerner des sites publics plus faciles d'accès pour faire de la compensation, mais qui présentent déjà des fonctions intéressantes au niveau hydraulique ou biologique. Au mieux, le résultat sera superficiel, et on aura pris le risque de causer des dégradations du fait des travaux conduits.
Que pensez-vous de la proposition de la création d'un comité de suivi évoquée dans la septième question ?
Pour assurer un suivi, il faut disposer d'un état de référence fiable. Or, l'état de référence de Notre-Dame-des-Landes est en partie faux, ce qui rend illusoire l'organisation d'une telle gouvernance et d'un tel suivi. Pour preuve, dans l'ensemble de la zone prévue, au sein de la ZAD, au titre des mesures compensatoires, aucun grand triton n'avait été recensé. Or, nous en avons trouvé. Il s'agit juste d'un défaut d'état initial et la présence de cette espèce ne témoigne nullement des conséquences bénéfiques de la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Il faut en outre savoir que la zone de compensation interne présente la même valeur que ce qui a été détruit, puisqu'on ne peut prétendre faire oeuvre de compensation dans un milieu aussi riche.
Selon vous, la densification des zones humides n'induit pas un gain de diversité ?
On va certes pouvoir favoriser une population donnée, en lui permettant d'accroître sa reproduction. Une telle démarche n'est nullement exponentielle, puisque la nature recherche un équilibre. On va ainsi accueillir une faune déjà présente et amorcer une mise en concurrence qui va aboutir à un nouvel équilibre. Or, ce nouvel équilibre va se constituer à partir d'un équilibre précédent et risque ainsi de déstabiliser les populations. Nous préconisons de ne pas mettre en oeuvre de mesures compensatoires sur un milieu déjà riche. La présence d'une espèce protégée s'explique par l'existence d'un milieu biologique qui a mis du temps à se constituer. Aussi, on risque, avec les travaux, de déstabiliser cet équilibre. Certaines mares compensatoires ont déjà été créées à cinq mètres d'autres mares qui accueillaient de grands tritons. Rien ne dit qu'il ne s'agit pas de la même population qui a colonisé ces nouvelles zones ! Si l'on veut obtenir des gains mesurables, il faut mettre en oeuvre les mesures compensatoires dans des milieux dégradés, afin de prévenir les combats d'experts. Ce n'est manifestement pas le cas sur le site de Notre-Dame-des-Landes.
Enfin, nous n'appartenons pas au comité de suivi et n'y avons pas été invités !
D'ailleurs, les grandes associations régionales de protection régionale n'ont pas été invitées à ce comité de suivi !
A ce stade du dossier et faute d'un état de référence pertinent, il me paraît difficile de conduire un réel suivi. Celui-ci ne saurait consister en un blanc-seing pour les autorités ! Les associations ne vont pas cautionner ce système qui ne permet pas de répondre aux réelles problématiques de cet espace !
Mes chers collègues, notre après-midi de travaux consacrés plus spécifiquement au projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes se poursuit avec l'audition de représentants de l'association « Des ailes pour l'Ouest » : M. André Taméza, M. Guillaume Dalmard et M. Dominique Boschet.
Pour rappel, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est l'un des quatre projets étudiés par notre commission d'enquête afin de tenter d'identifier, de manière générale, les difficultés portant sur la mise en oeuvre, le contrôle et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures ainsi que les difficultés actuelles d'application de la séquence « éviter, réduire, compenser ».
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo, est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et un compte rendu en sera publié.
Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. André Tameza, Guillaume Dalmard et Dominique Boschet, prêtent successivement serment.
Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.
Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête : l'autoroute A 65, la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?
Monsieur le président, au nom de mes collègues, je vous assure que nous n'avons pas de lien particulier avec ces projets.
Nous tenons tout d'abord à vous remercier d'avoir accepté d'entendre les associations citoyennes favorables au transfert de l'aéroport de Nantes sur le site qui lui est réservé à Notre-Dame-des-Landes. Permettez-nous avant tout de nous présenter.
Pour ma part, je représente le président de l'association « Des ailes pour l'Ouest », M. Alain Mustière, qui n'a pu se rendre disponible aujourd'hui.
Je suis quant à moi le président de l'ACSAN, l'association contre le survol de l'agglomération nantaise, membre de la commission consultative de l'environnement de l'aéroport de Nantes-Atlantique.
Je fais partie du comité de direction de l'association « Des ailes pour l'Ouest ».
Nos associations, monsieur le président, ont participé et apporté leurs contributions à toutes les phases de ce dossier, qu'il s'agisse du débat public, de l'enquête publique, de la commission de dialogue. C'est d'ailleurs ce qui nous distingue des associations opposées au transfert de l'aéroport de Nantes que vous avez reçues, puisqu'elles ont toujours refusé le dialogue avec les représentants de l'État, et ce à chaque fois que cela leur était proposé.
Nous avons pris une part active au référendum tenu en juin 2016, dont les résultats sont sans appel puisque le « oui » l'a emporté à plus de 55 %, soit une forte majorité. La population de Loire-Atlantique s'est ainsi largement exprimée, le taux de participation, supérieur à 51 %, étant plus important que celui constaté lors des élections départementales ou régionales.
Nous interviendrons à plusieurs voix, autour des trois axes que vous avez évoqués : éviter, réduire, et compenser (ERC).
Mais avant toute chose, comme nous avons regardé avec attention l'ensemble des auditions précédentes, nous aimerions vous faire part, en introduction, de quelques éléments de contexte.
Le transfert de l'aéroport s'inscrit dans une approche globale concertée d'organisation de notre territoire. Il s'agit de déplacer une activité rejointe par l'urbanisation, pour des raisons tenant tant à l'environnement qu'à la sécurité, sur un site réservé qui permettra son développement.
L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes devrait aujourd'hui être en service. Naturellement, en vingt ans, la réglementation est devenue progressivement plus contraignante, et les maîtres d'ouvrage ont dû s'adapter à ces évolutions. Ils l'ont fait avec succès car les différentes décisions des juridictions administratives ont toujours confirmé que le dossier avait respecté scrupuleusement la législation applicable, et ce à chaque étape.
L'opération de transfert de l'aéroport est assez classique au demeurant. Elle est comparable à celle ayant conduit au transfert de l'aéroport de Lyon, de Bron à Satolas - Saint-Exupéry aujourd'hui. Mais à Nantes, le transfert a été pris en otage par des mouvements radicaux qui ont mené une guérilla juridique dans le but de retarder l'engagement des travaux. Leur objectif est de rendre caduques les expropriations et la déclaration d'utilité publique (DUP). À ce jour, 178 recours ont été rejetés par la justice, ce qui constitue certainement un record pour ce type de dossier. Rien ne s'oppose donc aujourd'hui à l'engagement des travaux, qui auraient pu débuter dès la validation des arrêtés préfectoraux dits « loi sur l'eau » et « espèces protégées ». Je précise à ce stade que la cour administrative d'appel de Nantes a bien rejeté les recours et validé les arrêtés, contrairement à ce qui a été dit lors d'une précédente audition.
Demain, la justice sera peut-être saisie sur la validité des expropriations, ou de la DUP ! Nous pensons pour notre part que le juge serait tout à fait fondé à repousser les échéances au motif que les travaux n'ont pu commencer du fait d'une « insurrection civile ». Ce sont bien les mots qu'il convient d'employer car, si les travaux ne débutent pas, c'est en raison de l'impossibilité d'accéder au site du fait de cette insurrection civile.
Pourriez-vous en venir directement aux questions que nous vous avons adressées en amont de cette audition ? Notre commission n'a pas pour but d'étudier la jurisprudence.
Tout à fait, monsieur le président. Pour conclure cette introduction qui se borne à rappeler le contexte, je dirai que le transfert de l'aéroport vers le site de Notre-Dame-des-Landes est nécessaire, utile et inéluctable. Il ne s'agit plus d'un projet mais d'une opération en cours, dont la réalisation a été suspendue du fait de l'occupation illégale du site.
J'en viens à présent au coeur de notre exposé, selon les trois axes évoqués.
Le premier principe, « éviter », implique de se poser deux questions. Le transfert de l'aéroport actuel est-il nécessaire ? Le choix du site de Notre-Dame-des-Landes est-il pertinent ?
S'agissant de la première question, il ne serait plus possible, aujourd'hui, d'implanter un aéroport sur le site actuel. Il n'est donc pas envisageable de réaménager de manière durable, compte tenu des évolutions que nous connaissons, le site existant pour les raisons essentielles suivantes.
Première raison, la croissance soutenue du trafic, qui atteindra cinq millions de passagers dès 2017. La DUP, dans son hypothèse la plus haute, prévoyait ce niveau de trafic dans huit ans, en 2025.
Deuxième raison, le site actuel est exigu, enclavé dans l'urbanisation, implanté dans un écrin environnemental protégé par les règles européennes les plus contraignantes en matière environnementale : Natura 2000, Ramsar, etc. Tous travaux dans cet espace seraient donc extrêmement difficiles, voire impossibles.
Troisième raison, la piste est proche de l'agglomération nantaise, à moins de quatre kilomètres du centre historique de Nantes et dans l'axe du coeur historique. Je vous invite à consulter la photo en première page du document que nous vous avons remis.
Quatrième raison, l'arrêt définitif du transfert impliquerait la suppression des dérogations obtenues dans la perspective de ce dernier. En effet, l'aéroport bénéficie aujourd'hui de trois dérogations exceptionnelles aux normes internationales en matière d'aviation civile. Ces dérogations avaient été obtenues en raison de l'existence d'un projet de transfert de l'aéroport sur un autre site. Sans entrer dans les détails, il faudrait par exemple réaligner l'approche des avions sur la piste. En effet, la trajectoire d'atterrissage par le nord est actuellement décalée de treize degrés par rapport à la piste, et ce depuis le dépôt par les habitants de la zone, à la fin des années 1990, d'une plainte à l'encontre du bruit généré par des avions volant trop bas et de manière trop fréquente. Il a donc été décidé d'alléger la pression sur le centre-ville, en décalant l'approche « nord-sud » de treize degrés, du centre de la ville vers l'océan. En cas d'arrêt du projet de transfert de l'aéroport, cette dérogation deviendrait caduque et il faudrait réaligner les trajectoires sur la piste, conduisant les avions à survoler des populations aujourd'hui préservées.
En vue de l'élaboration de notre rapport, nous aimerions que vous abordiez plus directement la question des compensations.
J'y arrive, monsieur le président. Mais il me paraît important de souligner quelques points réglementaires qu'il conviendrait de respecter en cas d'arrêt du transfert. Il faudrait donc mettre en place un ILS (Instrument Landing System) et survoler de nouveau la ville. Le nombre de nantais exposés aux nuisances passerait donc de 42 000 personnes à 60 000, puis 80 000 à plus long terme. N'oublions pas que toutes ces personnes devraient être consultées dans le cadre d'une enquête publique, et refuseraient sans doute une telle extension.
Cinquième raison, l'obligation de reconstruction de la piste. Comme vous pouvez le voir sur la photo que j'évoquais à l'instant, la piste est bombée, et ne respecte pas les normes de planéité. Il faudrait donc reconstruire la piste et ainsi fermer l'aéroport durant plusieurs mois.
Enfin, sixième raison, il serait nécessaire d'allonger la piste vers le lac de Grand-Lieu. Comme vous pouvez également le voir sur le document que nous vous avons remis, la commune de Saint-Aignan-Grandlieu se situe entre la piste et le lac, à 1 400 mètres de la piste, empêchant presque tout allongement.
Voilà, monsieur le président, les éléments qu'il nous paraissait essentiel de rappeler pour la compréhension de ce dossier.
Si nous avons souhaité aborder ce premier point, « éviter », c'est, d'une part, parce que la question s'est posée au cours des auditions précédentes, et, d'autre part, car dans le triptyque ERC, on ne pense à compenser que lorsque l'on n'a pas pu éviter ni réduire.
La question est aussi celle du choix du site de Notre-Dame-des-Landes. D'autres options étaient-elles possibles ? Pour rappel, ce choix a été fait après une analyse de dix-huit sites pré-identifiés, puis dans un second temps de neuf sites. C'est à l'issue d'une étude approfondie, fondée sur plusieurs critères, que le site de Notre-Dame-des-Landes a été retenu. La densité de population est très faible, la terre agricole peu riche - il s'agit de landes -, et le site bénéficie d'une situation géographique idéale, entre les deux grandes agglomérations de l'Ouest - Nantes et Rennes - et au coeur de sa zone de chalandise, le grand Ouest. Enfin, le site est proche de Nantes, dont l'aéroport est transféré, et peut compter sur une desserte routière proche.
La question est aussi celle du caractère raisonnable d'un tel projet d'un point de vue environnemental, j'en ai bien conscience. Rappelons que 25 % du territoire de la métropole de Nantes relève d'une désignation en zone Natura 2000 ou en site classé. Il n'est évidemment pas question d'envisager l'implantation d'un nouvel aéroport sur ces territoires ! D'ailleurs, la direction de l'environnement de la Commission européenne soulignait devant la commission des pétitions, le 17 septembre 2013, que « Notre-Dame-des-Landes n'est pas dans une zone faisant l'objet de protections de l'Union européenne et n'a pas de raison de l'être ». De plus, la majorité des autres espaces naturels de la métropole relève de la réglementation applicable aux zones humides, car ils se trouvent dans un estuaire, du fait de la définition pédologique de telles zones.
Le site de Notre-Dame-des-Landes n'est de ce point de vue pas différent de tous les autres sites examinés lors des études initiales. Je rappelle d'ailleurs que dans le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), il est indiqué à la page 37 que « dans l'hypothèse de la construction d'un aéroport sur un nouvel emplacement, le site de Notre-Dame-des-Landes paraît encore aujourd'hui, indépendamment des avantages que constituent la maîtrise foncière partielle et la limitation de la périurbanisation, le meilleur site envisageable avec des difficultés à ne pas méconnaître. »
Vous avez tout à fait raison d'évoquer les autres sites étudiés pour la construction de cet aéroport. Au terme de l'audition précédente, il apparaît que c'est la présence de prairies humides oligotrophes qui constitue l'enjeu principal de biodiversité. Est-ce que l'on trouve ce type de prairie sur les autres sites ?
Pour l'essentiel, les autres sites étaient situés en Loire-Atlantique, en Maine-et-Loire, en Vendée ou en Ille-et-Vilaine. Comme Dominique Boschet l'a rappelé tout à l'heure, l'estuaire de la Loire bénéficie d'une protection maximum de l'Union européenne mais, en dehors de cet espace, les sols sont de caractère extrêmement semblable. Ainsi de Guémené-Penfao, à quelques kilomètres de Notre-Dame-des-Landes, qui présentait des résultats assez proches de ceux du site retenu à la lecture de la grille multicritères. En revanche, d'autres sites comme Broons, Pannecé ou encore Pouancé, présentaient des résultats bien différents.
Or, bien entendu, les études se fondaient notamment sur les caractéristiques des sols, car on ne peut faire construire un aéroport n'importe où !
Certes, mais permettez-moi d'être plus précis encore. Nous avons appris de l'audition précédente que la Loire-Atlantique abritait peu de prairies oligotrophes. Le site même de Notre-Dame-des-Landes en compte peu. Puisque vous avez étudié les caractéristiques des autres sites, êtes-vous en mesure de nous indiquer s'ils présentaient ce type de sols ?
L'ensemble des sites présentaient des caractéristiques identiques.
Mais il n'y a que 32 hectares de prairies oligotrophes sur le site de Notre-Dame-des-Landes.
Quand la réalisation d'un projet est bloquée pendant des années, ce n'est pas sans conséquence, je tiens à insister sur ce point. À la fin des années 1990, les critères d'analyse étaient différents d'aujourd'hui. Dominique Boschet a rappelé que la décision avait été prise au regard de critères économiques, démographiques, géographiques, et d'une analyse de la qualité des sols. Aujourd'hui, c'est indéniable, la sensibilité environnementale comme la réglementation en la matière ont évolué. Il est donc probable que si les études étaient réalisées aujourd'hui, elles intégreraient d'autres éléments.
Néanmoins, s'il y a bien un critère qui demeure, c'est la nécessité de faire de ce transfert une réussite sur le plan économique. Il ne fallait donc pas déplacer l'aéroport sur un site trop éloigné de ce qui constituait son trafic mère, qui se situe à Nantes. C'est la raison pour laquelle les choses ont été faites ainsi. La situation était différente, et je me souviens même qu'à cette époque, votre prédécesseur à la mairie de Nantes, M. Jean-Claude Demaure, avait fait procéder à l'installation de capteurs de bruit alors même que le nombre d'avions était trois fois moins important qu'aujourd'hui.
Croyez bien que je ne souhaite pas polémiquer, mais c'est précisément la nature des sols - que M. Boschet qualifie de pauvre - qui constitue une richesse en matière de biodiversité. Ces terres au faible rendement agricole sont les prairies oligotrophes que nous évoquions tout à l'heure. On comprend bien, comme le disait M. Taméza à l'instant, qu'à l'époque où les choix ont été faits, on a souhaité retenir des territoires à faible rendement agricole dont on ne s'aperçoit que maintenant de la valeur environnementale.
Monsieur le rapporteur, il s'agit là de votre interprétation car, comme vous le savez, les caractéristiques actuelles de ces territoires découlent de la mise sous cloche du secteur, constitué en zone d'aménagement différé (ZAD) dans les années 1970. La présence de haies bocagères par exemple s'explique par le simple fait que le territoire a été protégé par la constitution de la ZAD et les atermoiements de l'ensemble des acteurs, dont le conseil général qui s'est interrogé sur la pertinence de poursuivre le projet.
Rappelons également que la procédure de transfert d'un tel équipement prévoit la mise en place de négociations avec l'ensemble des partenaires. Or, s'il convient de prévoir des mesures de compensations pour les zones naturelles, c'est aussi le cas pour les terres agricoles vouées à disparaître. En l'espèce, le principal partenaire est la chambre d'agriculture et il semblait à l'époque évident de ne pas décider de l'implantation d'un nouvel aéroport sur une terre riche, fortement utilisée par les agriculteurs.
J'étais persuadé que nous parviendrions à la même conclusion. En conclusion de ce premier chapitre consacré au principe « éviter », le maintien de l'aéroport sur le site actuel maintiendrait selon nous les nuisances et les servitudes aériennes sur l'agglomération. Cela n'était pas envisageable dans les années 1990, et l'est encore moins aujourd'hui. Par ailleurs, le maintien de l'aéroport sur le site actuel contraindrait la densification urbaine, alors que l'agglomération nantaise, comme d'autres, a tendance à s'étaler. Près de 2 000 hectares peuvent ainsi être consommés annuellement par l'étalement urbain. C'est d'autant plus important que l'ensemble des collectivités cherchent à contenir l'étalement urbain, notamment pour préserver les espaces agricoles. Enfin, le maintien de l'aéroport serait incompatible avec les réglementations actuelles. Au risque de me répéter, le transfert de l'aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes est donc nécessaire et inéluctable.
J'en viens à présent au second principe : « réduire ». Avant de penser à compenser, il faut en effet essayer de limiter les atteintes au niveau du site. Je voudrais souligner que les partenaires de cette opération ont constamment eu la volonté d'intégrer cet équipement dans son environnement, de limiter les impacts et les emprises.
Cette préoccupation s'est traduite non seulement au niveau du site, mais plus largement de l'ensemble de la métropole. Il faut rappeler qu'il s'agit là d'un projet global. À titre d'exemple, le schéma de cohérence territoriale (SCoT) contient un objectif de réduction de la consommation d'espaces verts et agricoles. De même, les élus ont intégré la diminution chaque année de 10 % de la consommation d'espaces naturels, et le classement en zone agricole pérenne de 72 000 hectares sur l'ensemble du SCoT. Le SCoT contient également des mesures relatives à la remise en exploitation de friches agricoles, ce qui nous semble important alors que plus de 500 hectares ont été remis à la disposition de l'agriculture.
Par ailleurs, le département a procédé à la création du plus grand périmètre de protection d'espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) de France, d'une surface de 17 300 hectares. Vous trouverez la carte de ce PEAN à la page 4 du document que nous vous avons remis. C'est bien pour protéger les espaces naturels et agricoles et éviter l'étalement urbain vers l'aéroport que ce PEAN a été établi.
Enfin, le transfert de l'aéroport aura pour conséquence de lever certaines interdictions prévues par le plan d'exposition au bruit (PEB) de l'agglomération nantaise, permettant de densifier des secteurs les moins habités de la ville de Nantes. À terme, il sera ainsi possible d'accueillir près de 15 000 habitants supplémentaires, selon les estimations fournies par Nantes métropole, à l'intérieur du périphérique et à proximité des transports publics. En d'autres termes, le transfert de l'aéroport permettra de lutter contre l'étalement urbain qui est, nous vous l'avons dit, l'une des principales causes de disparition de terres agricoles et naturelles dans nos campagnes, mais aussi l'une des principales causes d'émissions de gaz à effet de serre. Il y a bien là une préoccupation environnementale, qui s'est bien évidemment traduite sur le site à toutes les phases des opérations, des études préalables à la DUP aux études d'avant-projet. C'est aussi ce qui a conduit, comme vous le verrez à la page 4 du document précité, à prévoir que l'aéroport soit composé de deux pistes de part et d'autre de la plateforme de manière à diminuer au maximum l'impact en termes de terres utilisées pour sa réalisation.
Le rapport du CGEDD établi en 2016 envisageait de réduire l'emprise de la plateforme aéroportuaire en ne réalisant qu'une seule piste. Je me permets de rappeler, à ce sujet, que tous les élus du secteur avaient exigé, lors du débat public de 2003, qu'aucun bourg ou village de la zone ne soit survolé. Dans la mesure où les règles aéronautiques obligent les avions à s'aligner sur la piste quinze kilomètres avant l'atterrissage, la construction d'une seule piste aurait imposé de retenir un site offrant la possibilité d'un alignement de plus de trente kilomètres, sans village ni bourg. C'était impossible. C'est pourquoi il a été décidé de construire deux pistes avec des alignements différents, garantissant que les atterrissages des deux côtés de l'aéroport n'entraînent aucun survol de bourg ou de village. Vous pouvez consulter, dans le document que nous avons remis, le PEB de Notre-Dame-des-Landes, et vous verrez que les communes et les bourgs en noir ne sont pas impactés par ce schéma. La construction de deux pistes présente un double intérêt environnemental. D'une part, elles permettent d'éviter le survol de tout village ou hameau grâce à leur orientation, ce qui réduit considérablement le nombre de personnes impactées par le futur PEB. En effet, seules 900 personnes seront désormais exposées. D'autre part, elles permettent de diminuer les temps d'attente et de roulement des avions, ce qui réduit les consommations. Il y a donc également un intérêt économique à ce projet.
Enfin, j'en viens à la question de la desserte routière. Je vous invite à nouveau à regarder la carte qui se trouve à la page 3 du document. Cette desserte présente l'intérêt de pouvoir rejoindre la route nationale 137 qui relie Rennes à Nantes et la route nationale 165 qui lie Nantes à Vannes, permettant aussi d'éviter aux véhicules de passer par le périphérique nantais. L'État, maître d'ouvrage du barreau routier, a décidé après la DUP de positionner ce barreau au plus près de la limite de la plateforme aéroportuaire, ce qui a permis de réduire les emprises nécessaires de 400 hectares à 210 hectares, conformément d'ailleurs aux demandes formulées par les opposants devant cette commission d'enquête. Comme l'indique le plan en page 5 du même document, 225 hectares ont pu être conservés à l'état agricole ou naturel au sud du barreau routier, et demeurent directement accessibles aux utilisateurs de ces espaces. C'est pourquoi, à nos yeux, sur le volet réduction, cette opération a bien pris en compte l'objectif de diminution des emprises.
Puisque vous l'avez évoqué, quel regard portez-vous sur le rôle de l'État en tant qu'autorité environnementale sur ce projet ?
L'État, à mon sens, a su associer les parties prenantes à toutes les étapes de la construction de cet aéroport, même si certaines associations n'ont pas toujours participé à la concertation.
Monsieur le président, deux éléments me viennent à l'esprit pour illustrer les propos de Dominique Boschet.
D'abord s'agissant des deux pistes, dont vous avez aussi parlé la semaine dernière avec le concessionnaire. Aujourd'hui, l'avion qui part de Nantes à 11h35 vers Roissy effectue un vol de trente-cinq minutes puis, après l'atterrissage, se transforme en bus pour vingt minutes de roulage au sol avant d'atteindre la passerelle. À Notre-Dame-des-Landes, avec deux pistes, on évite ce type de roulage, on économise du kérosène et on réduit les émissions de gaz à effet de serre grâce à un accès direct à l'aérogare.
Ensuite, puisque le barreau routier fait toujours l'objet de préoccupations, je tiens à rappeler qu'à l'origine, il devait se situer au nord de la plateforme, entre Bouvron et Héric, et faisait plus de quinze kilomètres de long. Aujourd'hui, le barreau routier, qui se trouve au sud, ne fait qu'onze kilomètres de long. Quatre kilomètres de moins sur une bande de trois cents mètres, cela fait un certain nombre d'hectares économisés à mettre au crédit de la réduction !
Il est temps à présent d'aborder le dernier principe : « compenser ». Nous n'entrerons pas dans le débat sur les méthodes de compensation, qui ont été précisées par un courrier du ministre en charge de l'environnement en décembre 2011.
Le choix de la méthode fonctionnelle plutôt que surfacique est conforme à la recommandation du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Loire-Bretagne approuvé le 18 novembre 2009, du SDAGE de la Vilaine, approuvé le 1er avril 2003 et du SDAGE de l'Estuaire de la Loire, approuvé le 9 septembre 2009. Il est difficile pour nous d'entrer dans le détail de ces dispositions. Nous ne sommes que les représentants d'associations citoyennes « de base » si j'ose dire. Vous avez évoqué ces questions avec les concessionnaires et le ferez sans doute de nouveau avec les représentants de l'État. Ils apporteront les réponses que nous ne pourrons pas vous donner.
Nous avons toutefois noté que l'instruction des dossiers dits « loi sur l'eau » ont bénéficié d'un avis favorable des commissions locales de l'eau (CLE), des SDAGE Vilaine et Estuaire de la Loire, et ont recueilli un avis favorable au terme d'une enquête publique en août 2012. Nous constatons également que le choix de la méthode fonctionnelle s'accorde avec le souhait de la chambre d'agriculture de limiter la perte de surface. La méthode fonctionnelle est plus contraignante, plus exigeante. Nous avons eu le sentiment que cette méthode est plus complexe puisqu'il ne s'agit pas seulement de remplacer une simple surface. Elle est plus contraignante, et certainement plus efficace sur un plan environnemental.
Malgré tout, plusieurs éléments peuvent être mis au crédit des mesures de compensation environnementale. Le financement de ces dernières a été évalué à 40 millions d'euros.
naturellement, qu'il s'agisse des financements, de la mise en oeuvre des compensations et du pilotage, nous demandons que ce qui a été convenu soit respecté. Il y a pour cela un certain nombre de comités de suivi qui veilleront à ce que les engagements soient tenus.
Permettez-moi une question sur ce point. Nous avons bien compris que l'objet de vos associations n'était pas principalement l'aspect scientifique ou la biodiversité. Vous nous l'avez parfaitement expliqué. Actuellement, 9 millions d'euros sont prévus dans la DUP pour la compensation biodiversité. Les 40 millions que vous évoquez couvrent un champ beaucoup plus large. Comme nous l'a effectivement indiqué la société AGO, 9 millions d'euros sont inscrits pour les mesures compensatoires de biodiversité, et 300 000 euros pour le suivi des compensations agricoles.
L'étude d'autres projets - nous nous sommes par exemple rendus sur la plaine de la Crau hier - nous montre que selon les milieux concernés, il faut parfois compter 50 000 euros par hectare à compenser, voire 100 000 euros pour les zones humides. Je reconnais bien volontiers que le calcul est grossier mais, s'agissant de Notre-Dame-des-Landes, le montant des mesures compensatoires pourrait ainsi être, pour le volet environnemental, de 50 à 100 millions d'euros en investissement, et de 1 à 3 millions d'euros en fonctionnement annuel. En tant qu'acteur économique, et alors même que vous jugez ce transfert vital pour l'agglomération, pensez-vous qu'un tel investissement remettrait en cause l'équilibre économique du projet ?
J'ai bien compris que cette question était au coeur de vos préoccupations puisque vous l'avez déjà exprimée lors de réunions précédentes. D'abord, je tiens à souligner que ce n'est pas parce que nous estimons que d'autres acteurs sont plus compétents que nous en la matière que nous ne nous intéressons pas à la préservation de l'environnement et à la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Comme vous le savez, les questions d'environnement, d'aménagement du territoire, de préservation des grands équilibres font partie de la culture de notre région.
S'agissant du coût des mesures compensatoires, il me semble que lorsque l'on parle de grands projets, il est compliqué de tout anticiper. Par exemple, lorsque l'on bâtit un réseau de tramway - vous avez-vous-même, monsieur le rapporteur, voté en faveur de l'extension des lignes du tramway de Nantes - il est facile d'estimer les coûts fixes, comme les rames, les poteaux voire les dallages, mais beaucoup plus compliqué d'évaluer le coût de la restructuration des réseaux ou de l'indemnisation des commerçants.
Concernant Notre-Dame-des-Landes, le budget prévu au terme de l'appel d'offres atteint 561 millions d'euros - en baisse de 20 millions d'euros par rapport au budget initial, ce qui témoigne de la performance de l'appel d'offres. Pour ce qui est des compensations, je suis d'avis de faire confiance - attention à l'effet boomerang - aux personnes chargées de procéder aux évaluations. Aujourd'hui, rien ne permet d'assurer que les évaluations dont nous disposons seront revues, et pourraient remettre en cause le projet.
Ce n'est pas comparable, j'ai bien entendu.
En l'espèce, on parle de 9 millions d'euros sur 561 millions d'euros de budget total. Pour d'autres projets, les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité représentent quasiment 10 % du budget. En appliquant ce ratio à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, on atteindrait donc un montant d'une cinquantaine de millions d'euros. Le calcul est grossier, je le reconnais.
Ma question est donc la suivante : en tant que spécialiste des questions économiques, et au vu du caractère vital de ce projet tel que vous l'avez expliqué, n'aurait-on pas dû élever le niveau d'investissement s'agissant de la protection de la biodiversité, et prévoir un budget de fonctionnement et d'accompagnement des mesures compensatoires bien plus important ? Il s'agit en effet d'un point qui nous apparaît assez faible, alors même que le site abrite des zones humides et des milieux rares en plus grande quantité qu'ailleurs.
D'une certaine manière, vous souhaitez obtenir les résultats avant même la mise en oeuvre des mesures issues de la méthode fonctionnelle. Or, je ne crois pas qu'il faille inverser ainsi les choses. La méthode fonctionnelle permettra, si elle est engagée, d'obtenir des résultats qu'il conviendra d'analyser en temps et en heure. Laissons les choses se dérouler - le concessionnaire lui-même vous a indiqué qu'il y avait des fourchettes sur les surfaces - n'anticipons pas, ne comparons pas l'incomparable. Poursuivons la démarche validée par toutes les instances au terme de nombreux contrôles, conforme à la réglementation. C'est ainsi que les projets doivent être menés. J'ai participé à la réalisation de grands projets, y compris à l'étranger, et c'est la seule méthode qui fonctionne. À partir du moment où on définit un cadre et une méthode, et à partir du moment où il y a un management et une organisation, il faut laisser les choses se faire. Puis, en cours de projet et à son terme, évaluer la situation via des instances de concertations, affiner et décider.
Je connais la réalité du terrain, tout aussi bien que certains. C'est l'absence de remembrement qui a permis la constitution d'un territoire de biodiversité à Notre-Dame-des-Landes. C'est donc bien le projet qui, paradoxalement, est à l'origine des richesses de biodiversité. En quelque sorte, c'est le diable qui se mord la queue ! Or, aujourd'hui, la rédemption par l'argent n'est pas une bonne solution car ce n'est rien d'autre que de la compromission. L'argent est bien produit quelque part, prélevé à quelqu'un, et destiné à un autre, que l'on ne veut pas nommer.
Ce n'est pas la voie à suivre. Il convient au contraire de rétablir tout ce qui peut l'être en matière environnementale. Or, en matière scientifique, et j'ai autant qualité pour en parler que certains autres, l'obligatoire n'existe pas ; ce sont les moyens qui sont obligatoires ! Le résultat n'est pas obligatoirement bon, il peut ne pas être obligatoirement mauvais ; il peut même être très supérieur à ce que l'on avait imaginé. Je tiens à dire combien j'apprécie les propos de M. Taméza sur la méthode à suivre pour mener à bien des projets. Aujourd'hui, je ne suis pas en train de chercher les voies d'obstruction d'un projet. Je pense d'ailleurs que « Des ailes pour l'Ouest » poursuit la même démarche. Il s'agit simplement de s'assurer du respect de l'ensemble des enjeux. J'ai parfaitement compris les revendications de l'association « Des ailes pour l'Ouest », et je les partage. Il convient de laisser au gestionnaire désigné la possibilité de trouver les moyens de faire aboutir le projet.
Je tiens néanmoins à rappeler que le vrai problème tient au fait que l'on se trouve sur un territoire où le droit a été abandonné depuis un certain nombre d'années.
Cet échange était tout à fait intéressant.
Pour revenir au volet « compensation » proprement dit, et en particulier des mesures de compensations sur le site, il convient de rappeler que si la concession aéroportuaire s'étend sur 1 240 hectares, le périmètre aménagé représente 537 hectares, comme cela vous l'a été confirmé, et les zones imperméabilisées 150 hectares. Le croquis présenté dans le document que nous vous avons remis présente la répartition des différents sites. Alors que l'on a entendu à de très nombreuses reprises que le projet prévoyait de bétonner 2 000 hectares, on ne parle en fait que d'une surface de 150 hectares. Ne pensons pas que tout le monde souhaite tout bétonner ! L'aéroport, ce n'est pas ça. Les matériaux sont de qualité, il répondra aux normes de haute qualité environnementale (HQE) et l'aérogare sera organisée à plat. Il me semble important de ne pas ouvrir de procès d'intention à l'encontre de qui que ce soit.
Comment aboutissez-vous à une surface de 150 hectares ? Même la société AGO nous a annoncé 800 hectares...
850 hectares, c'est l'aérogare et les deux pistes.
Non, pas le barreau routier, sur lequel on a économisé près de cinq kilomètres, je le rappelle.
Qu'en est-il des parkings par exemple ? Sont-ils compris dans les 150 hectares ? Les parkings seront construits sur une zone qui devra nécessairement être drainée puisque l'on se trouve en zone humide. La question des parkings est importante, notamment pour les chambres de commerce et d'industrie. Pour quelles raisons, selon vous, l'État n'a-t-il pas imposé, comme cela se fait ailleurs en Europe autour d'aéroports, des parkings en silo ? Cela aurait certainement permis d'économiser une surface très conséquente.
Il me semble que le concessionnaire a répondu à cette question lors de son audition. Ils ont souhaité intégrer cet aéroport dans le paysage. C'est la raison pour laquelle ils ont décidé de procéder de cette manière, en réduisant le nombre de places de parking, à la suite de négociations menées dans le cadre de la commission de dialogue.
C'est le juge administratif qui a imposé la réduction du nombre de places !
N'oublions pas qu'a été fait le pari de l'intégration de cet équipement dans son environnement. Je pense que les gens seront surpris quand l'aéroport sera réalisé. Il y aura beaucoup de « vert », de nombreuses haies bocagères, tandis que l'aérogare sera à plat ; il faudra vraiment arriver dessus pour le voir ! De plus, les toitures seront végétalisées. En fait, mon sentiment est que cet aéroport sera exemplaire, notamment compte tenu des contraintes en matière de biodiversité. Pour Nantes et notre région, il sera un atout.
Au cours de nos auditions, plusieurs intervenants ont préconisé que la question environnementale, et notamment les compensations des atteintes à la biodiversité, soit traitée en amont de l'enquête publique. Cela éviterait d'être confronté à cette question dans un second temps, et à ce que certains qualifient de guérilla juridique. Ne pensez-vous pas, avec le recul, qu'il y a eu là une erreur et que, pour des projets futurs, les choses devraient être faites en amont ?
Sur ce point, je serais tenté de me retourner vers les législateurs que vous êtes. Au fond, il s'agit de permettre à un maître d'ouvrage d'être en capacité de procéder à des analyses et d'effectuer des repères suffisamment précis en amont pour envisager des compensations environnementales à la hauteur de ce qui est nécessaire. De plus, comment gérer l'inscription dans le temps des projets ? Nous l'évoquions tout à l'heure, lorsque la procédure s'étend sur près d'une vingtaine d'années, les évolutions réglementaires, en matière environnementale notamment, obligent le maître d'ouvrage et le concessionnaire à s'adapter. Il faut prendre en compte cette réalité-là.
En effet, les contraintes d'il y a vingt ans n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Pour un dossier de ce type, la réglementation sera à nouveau différente dans dix ans. Il est donc possible que ce que vous proposez soit une solution à l'avenir.
Pour en revenir aux mesures concrètes de compensation, une première opération a eu lieu avec la création de mares et l'implantation d'espèces protégées. Les travaux ont été réalisés mais immédiatement vandalisés par les opposants, ce qui a détruit la faune implantée. Depuis, toute tentative d'intervention d'entreprises ou de bureaux d'études pour le compte du maître d'ouvrage a été rendue impossible du fait d'une opposition basée sur la violence. C'est quand même la réalité de choses ! Vous trouverez dans le document que nous vous avons remis une des lettres d'une entreprise, mais il y en a d'autres ! Vous avez entendu parler de la société Biotope lors des réunions précédentes. Cette entreprise a subi des vols d'ordinateurs et de disques durs. C'est cette situation de guérilla qui explique qu'aujourd'hui, on ne peut pas aller dans le sens que vous évoquez ! Il s'agit quand même d'une situation de guérilla urbaine par moments !
Pouvez-vous me confirmer que les inventaires ont été faits avant l'occupation sur le site ? D'après les chiffres dont nous disposons, cela représente près de 75 hectares par jour ?
Oui. Un état initial est toujours réalisé, puis amélioré par d'autres études complémentaires. Vous avez signalé qu'il y avait un certain nombre d'autres espaces classés, notamment pour la faune. Mais, je le répète, il faut pouvoir se rendre sur le site ! Or, pour l'heure, c'est impossible. Tant que les conditions de sécurité ne sont pas réunies, que les bureaux d'études se font casser leurs locaux et voler les disques durs, anéantissant ainsi le travail effectué durant six mois, c'est impossible d'avancer. Il faut d'abord normaliser les choses, peut-être avec l'aide des parlementaires du département.
En guise de conclusion, nous tenons à rappeler que nos associations considèrent que l'opération de transfert en cours, qui a été bloquée par un acharnement juridique et des actions jugées illégales, répond aux trois principes évoqués : « éviter », puisqu'elle permet d'éviter des atteintes à une zone Natura 2000 - le lac de Grand-Lieu - et que le site de Notre-Dame-des-Landes a été jugé pertinent par le CGEDD. ; « réduire », par les optimisations étudiées en préparation de la DUP, par les modifications apportées à l'issue de la commission de dialogue et les nombreuses initiatives des collectivités territoriales, que j'indiquais tout à l'heure, pour insérer cette opération dans le contexte local ; enfin, « compenser », par une méthode qualitative et non quantitative, certes, validée par les SDAGE et diverses décisions de justice dans ce domaine. Nous estimons que cette méthode est bienvenue dans ce département, où la grande majorité des territoires se situent en zone humide.
Nous sommes évidemment très sensibles à la défense de la biodiversité et attentifs aux mesures prises à cet effet, mais il nous semble que d'autres critères de décision doivent être pris en compte pour une opération de ce type: les impacts sur la population, et je vous invite à lire à ce sujet un article de M. Alain Pagano, maître de conférence en écologie à l'Université Angers, mais aussi l'économie, l'urbanisme, l'aménagement du territoire, l'énergie, ... ce sont aussi des éléments à prendre en compte !
En revanche, le battage médiatique et la violence engendrée par ce simple transfert d'un aéroport nous surprend. Ce site est devenu le symbole d'une lutte contre notre société, alors que dans le même temps des opérations beaucoup plus « impactantes » pour l'environnement se déroulent sans problème majeur. On pense notamment aux LGV Le Mans-Rennes et Tours-Bordeaux.
Nous vous soumettons quelques interrogations au plan législatif :
- comment rendre compatibles, sur le plan législatif, la durée longue des études et des démarches pour réaliser de grandes infrastructures et le temps juridique ? À cause des blocages, nous allons bientôt être confrontés à la fin de la durée de la validité de la DUP et des jugements d'expropriation ;
- comment permettre l'accès en sécurité du maître d'ouvrage au site, afin de lui permettre de réaliser les analyses et les études environnementales nécessaires ? Actuellement ce n'est pas possible ;
- comment limiter les effets d'un acharnement juridique et d'un blocage d'opposants par la violence sur une opération ayant reçu toutes les autorisations administratives et juridiques ? Il y a quelques années, on parlait du principe « pollueur-payeur » ; nous avons envie d'utiliser le slogan suivant : « les casseurs et ceux qui les soutiennent doivent être les payeurs » !
Je souhaiterais apporter une précision. Il vient d'être dit que l'aéroport actuel, Nantes-Atlantique, se trouvait en zone Natura 2000. Si ma mémoire est bonne, il se situe également dans une zone relevant de la loi « littoral ». En effet, la loi « littoral » traite du littoral français évidemment, mais aussi des estuaires et de tous les lacs d'une superficie de plus de mille hectares. Or, Grand-Lieu étant en hiver le plus grand lac de France, et le deuxième ou le troisième en été, il entre forcément dans le champ de la loi « littoral ».
Vous avez parfaitement raison. C'est d'ailleurs ce qui explique que la surface d'urbanisation libérée par le transfert est réduite : les contraintes posées par les dispositions de la loi « littoral » perdureront !
Pardonnez-moi, mais, lorsque l'on parle de la zone d'urbanisation rendue possible par le transfert, on parle des zones situées à l'intérieur du périphérique, où la surface est importante.
Non ! C'est le problème des chiffres Monsieur le rapporteur.
J'attends donc des précisions par écrit sur les zones libérées pour l'urbanisation !
Mon intervention sera brève car, étant élu du Jura, je ne connais pas du tout le secteur. Lorsque l'on parle de mesures de compensation, on évoque à juste titre la faune et la flore, mais on parle peu, à mon sens, de l'humain. Ma question est donc la suivante : la présence de l'aéroport à proximité de la ville de Nantes pose-t-elle des problèmes de nuisances sonores de jour ou de nuit ? Dans le Jura, les riverains de l'aéroport de Dole-Jura, anciennement Dole-Tavaux, sont très sensibles à cette question. Le transfert est-il positif pour les hommes de ce point de vue-là ?
Comme je vous l'indiquais, notre association est membre de la commission consultative de l'environnement de Nantes. À ce titre, nous étudions les dossiers des demandes d'isolation des maisons et, bien évidemment, nous ne sommes pas en mesure de répondre à la totalité des demandes. Il convient quand même de rappeler que le plan d'exposition au bruit concerne actuellement 42 000 personnes au niveau de l'agglomération nantaise. Or, si l'activité de l'aéroport de Nantes-Atlantique était maintenue, le nombre de personnes exposées passerait d'abord à 64 000, puis à 80 000 personnes ! En effet, les mesures évoquées tout à l'heure par André Taméza - le redressement de la trajectoire d'atterrissage par le nord - exposerait davantage le centre-ville de Nantes, beaucoup plus dense. Cela pose donc question en termes de nuisances sonores et environnementales, mais aussi en termes d'urbanisme puisque dans la zone C du PEB, on ne pourrait construire de logements collectifs...ce qui semble absurde.
Le nouveau projet concerne 825 personnes, sans compter les zadistes qui seront probablement partis au moment de la mise en service de l'aéroport... Dans le dossier de DUP, il est ainsi indiqué que 42 000 personnes sont exposées aujourd'hui, contre plus de 60 000 demain. Le transfert de l'aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes aurait pour conséquences de n'exposer plus que 900, à la louche. De même, 8 447 élèves sont, du fait de leur scolarisation, exposés aux nuisances de l'aéroport actuel, alors qu'aucun établissement scolaire ne se trouve dans le secteur de Notre-Dame-des-Landes. Ces rapports de force répondent à vos questions.
Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité dans le cadre de grands projets d'infrastructures par une table ronde avec les représentants du monde agricole de Loire-Atlantique.
Cette audition s'inscrit dans le cadre des auditions spécifiques que nous menons sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui est l'un des quatre projets étudiés par notre commission d'enquête.
Certains d'entre nous se rendront d'ailleurs sur place le vendredi 17 février prochain.
Notre objectif est de décrypter, à travers un certain nombre d'exemples, les difficultés que posent aujourd'hui la définition, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures, et de proposer des solutions pour y remédier.
Je le rappelle, notre travail est entièrement centré sur les mesures compensatoires.
Nous entendons donc M. Alain Bernier, président de la FNSEA 44, M. Christophe Sablé, secrétaire général de la chambre régionale d'agriculture des Pays de la Loire, M. Dominique Deniaud, président de la section locale de Loire-Atlantique de la Confédération paysanne, M. Cyril Bouligand et M. Daniel Durand, membres du collectif « Copain 44 ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Alain Bernier, Christophe Sablé, Dominique Deniaud, Cyril Bouligand et Daniel Durand prêtent successivement serment.
Pouvez-vous nous indiquer les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : autoroute A65, LGV Tours-Bordeaux et réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.
MM. Alain Bernier, Christophe Sablé, Dominique Deniaud, Cyril Bouligand et Daniel Durand déclarent successivement n'avoir aucun lien d'intérêts avec ces autres projets.
Nous vous écoutons.
La loi Grenelle, qui rend opposable la séquence éviter-réduire-compenser pour les atteintes à la biodiversité, est postérieure à la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet d'aéroport. Si elle s'était imposée à l'époque au maître d'ouvrage, la réalisation du projet aurait été impossible car il semble difficile d'éviter les impacts d'un tel projet sur le milieu.
L'évitement des impacts est une des composantes du triptyque que l'on peut soupçonner d'être trop rapidement esquivée. Tout le monde raisonne par le prisme des compensations, mais c'est accorder trop peu d'importance à l'évitement et à la réduction des impacts, qui doivent pourtant être primordiaux dans la réflexion entourant les projets. Preuve en est, la commission d'enquête qui se réunit aujourd'hui se penche seulement sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructure.
La position des exploitants et des propriétaires face à cette obligation réglementaire est loin d'être unanime. De la même manière que les avis sont partagés en ce qui concerne le projet d'aéroport en tant que tel, les partisans d'une large compensation des impacts sont au moins aussi nombreux que les opposants.
Pour l'heure, il est difficile d'estimer les impacts du projet d'aéroport, et plus encore les compensations qui en découleront. Faudra-t-il, par exemple, intégrer tous les projets connexes qui ne manqueront pas de s'y greffer ?
Quels que soient l'envergure d'un projet et ses impacts sur l'économie agricole et sur l'environnement, les porteurs du projet doivent mettre en oeuvre une concertation aboutie en amont du processus. La FNSEA 44 plaide pour que la profession agricole soit systématiquement associée et consultée en amont.
La chambre d'agriculture fait l'interface entre les protagonistes du projet d'aéroport du Grand Ouest, au travers d'un comité professionnel ad hoc. À ce titre, la séquence éviter-réduire-compenser a déjà fait l'objet de discussions dans le passé. Nous avions pu, par exemple, pointer l'opacité de la méthode de calcul de la dette environnementale. Début 2013, nous avions d'ailleurs regretté, auprès de la mission agricole et auprès de la commission du dialogue mises en place par le gouvernement, d'avoir été mis devant le fait accompli. Cette étape est pourtant cruciale puisqu'elle détermine la suite du processus.
Il est impératif que la concertation débute dès le stade des réflexions relatives à l'évitement. Encore une fois, la mise en oeuvre de compensations ne doit concerner que les impacts résiduels des projets, après épuisement des phases d'évitement et de réduction.
Enfin, la localisation géographique des compensations est un point fondamental sur lequel la profession agricole doit également être consultée.
Le comité professionnel présidé par la chambre d'agriculture réunit l'ensemble des organisations concernées par le projet. Cette instance permet de fixer les orientations agricoles, en déterminant les priorités et en relayant les attentes de la profession ou d'encadrer les interventions dans le cas où les porteurs de projets sont en relation directe avec les personnes.
Les mesures de compensation environnementale ont un effet évident sur l'activité agricole puisqu'elles en modifient le potentiel économique. Elles ne sont pas forcément incompatibles avec l'agriculture, à condition toutefois d'être mises en oeuvre avec discernement.
Nous demandons une mise en oeuvre de la compensation environnementale exclusivement par fonctionnalité équivalente et nous refusons une approche quantitative : il n'est pas question de faire du 2 pour 1 (2 mares reconstruites pour 1 mare détruite, par exemple).
Puisque les mesures de compensation s'appliquent principalement sur des terres agricoles, les agriculteurs sont inévitablement mis à contribution à des degrés divers selon le type de mesure choisie (création de mares, reprofilage de cours d'eau, plantation de haies ou restauration de prairies). Qu'ils participent à la réalisation des travaux ou qu'ils soient chargés uniquement de la gestion effective des mesures, les agriculteurs ont toutefois deux impératifs préalables : avoir la liberté de s'engager de manière volontaire dans le processus et être indemnisés pour perte de marge et, le cas échéant, pour service rendu.
L'attractivité des indemnisations est un véritable enjeu. Il faut parler d'indemnisation ou de compensation de perte de production et pas de rémunération. L'indemnisation doit compenser à sa juste valeur la perte de potentiel et être suffisamment attractive pour que les agriculteurs s'en saisissent. Mais il faut prendre garde à ce que cette indemnisation ne devienne pas une rente. Pour éviter l'effet d'aubaine et conserver le potentiel productif agricole, nous préconisons un plafonnement pour chaque exploitation. Il n'est pas question de dévoyer le métier d'agriculteur ou de concentrer des mesures environnementales sur des exploitations entières. Il en va de l'avenir de l'agriculture.
Bien souvent, les terres concernées sont celles à fort potentiel agronomique : construire des infrastructures sur des terres saines facilite, en pratique, la conduite d'un projet et présente l'avantage de réduire considérablement la facture du préjudice environnemental. Or ce sont précisément ces terres-là que les agriculteurs voudraient préserver en priorité.
Ce n'est qu'à la condition du double respect de l'environnement et de l'agriculture que les agriculteurs pourront se saisir de l'opportunité d'une compensation environnementale à des fins de valorisation d'espaces délaissés ou d'un moindre intérêt agricole. À cet égard, il serait souhaitable de limiter ces compensations aux seuls agriculteurs pour éviter un effet de rétention par des propriétaires qui pourraient être tentés de valoriser ainsi leurs parcelles, plutôt que de les louer à des agriculteurs. Si l'agriculteur n'est pas propriétaire des parcelles, la convention doit être tripartite (maître d'ouvrage, propriétaire, fermier) afin que l'exploitant en place donne son accord.
L'application de la séquence éviter-réduire-compenser est complexe. L'encadrement des dispositions prises sur le terrain est indispensable pour éviter les éventuelles dérives et garantir l'équité de traitement. La FNSEA 44 ne participe aujourd'hui à aucune instance de suivi des enjeux environnementaux. La profession agricole souhaite être acteur et pas seulement spectateur. Nombre d'habitats et d'espèces sont aujourd'hui en bon état de conservation grâce à l'agriculture.
Par ailleurs, quoiqu'il advienne de ce projet, il faudrait mettre fin à l'occupation illégale des terres.
Enfin, pour avoir une vision globale et mesurer les impacts de l'ensemble des projets prévus dans le département, il serait opportun de faire appel à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF).
Comme cela vient d'être dit, la notion éviter-réduire-compenser (ERC) appliquée aux atteintes à l'environnement est un principe qui a été renforcé par le Grenelle de l'environnement en 2007. Or le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le choix de sa localisation datent des années 1970, ce qui est bien antérieur. Si le principe ERC avait été appliqué, ce projet d'aéroport ne serait peut-être pas localisé à cet endroit.
De plus, la séquence ERC pour les atteintes aux zones humides et à la biodiversité vient s'ajouter aux expropriations et est perçue comme une « double peine » par les agriculteurs.
Notre département est attractif, en constant développement, et s'étend sur des espaces agricoles et naturels. Compte tenu de la diversité des espaces (marais, littoral, fleuve, bocage...) et du caractère humide des sols, tout projet d'aménagement génère inévitablement des impacts sur la biodiversité. La chambre d'agriculture a choisi d'apporter des outils et des méthodes pour encadrer cette problématique à l'attention de l'ensemble des exploitants agricoles du département.
En ce qui concerne l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les impacts liés directement aux emprises touchent 40 exploitations, sur 1 239 hectares. Les besoins de compensation cumulés au titre des zones humides et des espèces sont estimés entre 2 000 et 4 000 hectares selon les types de mesures et les ratios de compensation.
Les zones envisagées pour l'application de mesures de compensation environnementales sont estimées à 17 000 hectares environ et concernent potentiellement 262 exploitations agricoles.
Nous sommes arrivés au constat que la concertation agricole n'était généralement pas suffisamment anticipée, tant pour la localisation des projets d'aménagement que pour la définition des impacts.
C'est pourquoi, dès 2012, la chambre d'agriculture a pris l'initiative d'une concertation avec les services de l'État et le département, avec la mise en place d'un comité de pilotage composé de l'ensemble des représentants de la profession agricole. Ces travaux ont débouché sur un accord-cadre départemental qui permet de disposer d'outils-types de mesure de compensation environnementale en zone agricole et de règles d'indemnisation.
D'autres instances existent pour favoriser la discussion entre les maîtres d'ouvrages et la profession agricole. La chambre d'agriculture a, par exemple, mis en place un comité professionnel agricole réunissant les représentants de la chambre d'agriculture, la FNSEA 44, Jeunes agriculteurs (JA 44), la Confédération paysanne, la Coordination rurale, l'association de défense des exploitants concernés par l'aéroport (ADECA), la SAFER, la Propriété rurale, le syndicat des forestiers, et les coopératives d'utilisation du matériel agricole (CUMA). Ce comité professionnel, réuni à maintes reprises depuis sa création, valide toutes les décisions politiques propres au dossier de Notre-Dame-des-Landes. En parallèle, un comité consultatif foncier se réunit tous les deux mois pour examiner plus particulièrement les aspects fonciers (location, vente ou gestion temporaire du foncier agricole). Plusieurs réunions locales et communes avec l'ADECA ont également eu lieu. La chambre d'agriculture est aussi disponible pour accompagner individuellement chaque exploitant qui le souhaite. Enfin, les maîtres d'ouvrages entretiennent des relations directes avec certains exploitants agricoles.
Depuis 2007, nous avons fait un travail conséquent d'élaboration d'outils mis à disposition des exploitants agricoles concernés par le projet d'aéroport. En 2008, des protocoles d'accord ont été conclus sur plusieurs sujets - études préliminaires, topographie, sondages, indemnisation des préjudices subis par les propriétaires fonciers et les exploitants agricoles et contribution agricole du cahier des charges d'appels d'offres - et une convention a été conclue avec l'État pour le suivi général du projet.
En 2013, un accord-cadre pour l'ensemble du département a été signé, assorti d'une convention d'application départementale, d'un protocole spécifique à Notre-Dame-des-Landes pour la mise en oeuvre des mesures de compensation environnementale, et d'un accord préalable à la mise en oeuvre d'un fonds de revitalisation économique autour du projet d'aéroport.
Les mesures de compensation environnementale qui figurent dans les différents protocoles portent principalement sur la recréation de mares, la remise en fonction de zones humides, la conversion de parcelles exploitées en rotation avec des prairies de longue durée, la mise en place de bandes enherbées et la plantation de haies bocagères.
Dans ces protocoles, les agriculteurs sont libres de contractualiser ou non avec les maîtres d'ouvrages. Ils ont le choix, soit de réaliser certaines mesures compensatoires par eux-mêmes, soit de les faire réaliser par des prestataires extérieurs. Les mesures de compensation modifient profondément les parcelles en limitant fortement leur potentiel de production. Une généralisation de la mise en oeuvre de mesures de compensation pourrait modifier sensiblement les systèmes d'exploitation, allant même jusqu'à remettre en cause certaines filières sur un territoire.
Les exploitants sont indemnisés annuellement - et non rémunérés - selon les pertes de marge engendrées par la mise en oeuvre et l'entretien des mesures de compensation environnementale. Pour éviter l'écueil de l'effet de rente, il existe des mesures de plafonnement des niveaux d'indemnisation.
Pour Notre-Dame-des-Landes, le maître d'ouvrage propose un système de bonus pour rendre le dispositif plus attractif. Il appartient alors à chaque agriculteur de faire son calcul en fonction de la rentabilité de son exploitation et de la compatibilité avec son système de production.
Sans un effort de pédagogie envers les exploitants agricoles, la compensation environnementale est d'abord perçue comme une contrainte car elle limite le potentiel de production. Le même effort pédagogique doit être fait envers les maîtres d'ouvrages et les bureaux d'études en environnement, pour leur permettre de mieux appréhender la réalité agricole.
L'agriculture et l'élevage entretiennent les espaces, assurent la conservation des milieux fragiles et produisent de la biodiversité. Certaines expériences nous démontrent que l'on peut trouver un consensus avec les exploitants agricoles dès lors que l'on applique le principe ERC à la fois pour l'environnement et pour l'agriculture.
Les conventions proposées sont amiables et contractuelles, pour des durées allant de 5 à 10 ans renouvelables. Elles sont bipartites, ou tripartites si elles concernent également les propriétaires. Ces mesures compensatoires ont été déclinées à partir d'un cas-type, celui de la déviation de la RN 171 à Bouvron ; ce dossier, essentiellement suivi par la direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL), a permis de compenser la destruction de 16 hectares de zones humides ou portant des éléments de biodiversité à compenser et 9 exploitants ont contractualisé pour mettre en oeuvre ces mesures.
Nous n'avons pas connaissance de l'existence d'une instance de concertation au niveau départemental qui pourrait permettre d'avoir une vue d'ensemble des mesures engagées. Il serait important qu'un tel lieu existe.
Enfin, il faudrait résoudre le problème de l'occupation illégale des terres qui concerne 221 hectares.
Non, pas pour ce qui concerne les transferts de terres agricoles productives vers des mesures de compensation environnementale.
Le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ne permet-il pas non plus d'avoir une analyse avec les élus ?
Pour le cas spécifique de Notre-Dame-des-Landes, il y a régulièrement des concertations avec le milieu agricole dans le cadre du SCoT Nantes-Saint-Nazaire.
La zone de l'aéroport est classée en zone humide dans les SCoT et les plans locaux d'urbanisme (PLU), mais notre territoire a la particularité d'avoir des nappes perchées. Or, si l'on suivait à la lettre la définition technique d'une zone humide, 70 à 75 % du département serait classé en zone humide. Le choix des zones à aménager dans les SCoT et les PLU se retrouverait alors dans les meilleures terres agricoles. C'est une difficulté à laquelle nous sommes confrontés.
Nous vous remercions de votre invitation.
COPAIN - qui signifie « collectif d'organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes » - a été créé en 2011 pour défendre les terres agricoles et nourricières. S'y regroupent nombre d'organisations, dont la Confédération paysanne, le groupement des agriculteurs biologiques (GAB), les centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM), Terroir 44, Accueil paysans et Manger bio.
La profession agricole est devenue minoritaire dans notre société, puisqu'elle représente moins de 3 % de la population. Nous nous inquiétons de la raréfaction des terres nourricières au profit de multiples projets d'aménagement.
Certes, le trafic de l'aéroport Nantes-Atlantique est devenu conséquent (5 millions de voyageurs par an), mais, dans le même temps, on constate une augmentation significative de la population, donc de bouches à nourrir.
Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'agriculture française devra nourrir 72 millions d'habitants en 2050, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2010. Or la superficie agricole par habitant a diminué de 56 % depuis 1960 (100 ares par habitant en 1960, contre 46 aujourd'hui). Si l'on compare nos besoins alimentaires à notre capacité de production agricole, il manque aujourd'hui à la France 400 000 hectares. Notre pays n'est pas autosuffisant, ce qui devrait être pris en compte dans les divers projets d'aménagement du territoire. L'artificialisation des terres est quatre fois plus rapide que la démographie.
À la lumière de cet état des lieux, qui n'est pas exhaustif, nous considérons que, même si l'intention de la compensation reste noble, nous devons résolument concentrer nos efforts sur l'évitement et la réduction.
Si l'on veut aménager, il faut optimiser l'existant, densifier là où c'est possible, réquisitionner toutes les surfaces déjà artificialisées, comme les friches industrielles non réhabilitées.
Pour étayer notre argumentaire nous allons citer les études de plusieurs instances : la mission agricole et le collège d'experts scientifiques, le ministère de l'écologie et la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Tous ces travaux ont été menés après 2012, longtemps après le débat et l'enquête publique. Ils existent uniquement parce qu'une partie de la population s'est élevée contre un projet. Ceci démontre que tout n'a pas été mis en oeuvre en amont pour éviter ou réduire.
Pour que la séquence ERC réponde à la problématique d'économie de terres, il faut que la phase éviter soit réalisée consciencieusement. Nous doutons que cela ait été le cas pour Notre-Dame-des-Landes. Aucune étude indépendante demandée par l'État n'a été réalisée pour aménager Nantes-Atlantique. Or, la DGAC et le ministère de l'écologie ont reconnu sa faisabilité.
Pour rappel, le projet de départ faisait 1 250 hectares ; il est passé à 1 650 hectares en 2006, ce qui a eu pour conséquence directe la destruction de 400 hectares de terres, mais aussi d'une ferme et d'un village qui ont été rayés de la carte.
Les travaux de l'atelier citoyen, composé de pilotes, d'architectes, de retraités des travaux publics ayant travaillé à l'entretien de la piste, ont prouvé qu'il était possible de rénover Nantes-Atlantique à moindre frais. L'option du maintien de Nantes-Atlantique a toujours été écartée depuis le débat public et la dimension environnementale n'a été traitée qu'en dernier lieu.
Nous pensons que ce projet sert les intérêts immobiliers de la ville de Nantes et n'a pas de réelle motivation aéronautique. Le directeur de Vinci aviation déclarait en juillet 2012 au journal l'Express : « ce n'est pas une question d'aéronautique, mais d'aménagement du territoire ».
Pour en venir à la phase réduire, nous doutons là aussi que tout ait été fait pour réduire l'emprise et la consommation de terres agricole. Ainsi, la mission agricole mise en place lors de la commission de dialogue en 2012 reconnaît : « la mission est favorable à une réduction de la surface dédiée à l'activité économique. En ce qui concerne les parkings, les modifications du projet permettraient de gagner de 8 à 17 ha selon les hypothèses ».
Pour le barreau routier, la mission constate que « l'emprise aurait pu être minimisée d'une part par une meilleure articulation avec le projet d'infrastructure aéroportuaire, d'autre part par une conception plus économe en espace de la plateforme routière ». Le tracé a été réalisé selon une logique de constructeur pour limiter les volumes de remblai et déblai. Cela se traduit par une largeur d'emprise de 70 mètres qui est surdimensionnée et un espace entre le barreau routier et la plate-forme de 120 hectares. La mission agricole reconnaît également que « ce n'est qu'à compter de l'enquête publique de 2006 que la question agricole a commencé à peser dans la gestion du dossier avec un volet agricole substantiel au titre des engagements de 1'État ».
Nous voyons bien que la problématique de destruction de terres agricoles et de biodiversité passe au second plan.
Les agriculteurs sur le terrain ne veulent pas partir. Les fermes les plus impactées ont refusé l'accord à l'amiable, ce qui représente 450 hectares sur les 1 250 hectares des surfaces cultivées. Cette opposition est renforcée par la crainte des répercussions des mesures compensatoires.
Avec un projet de cette ampleur c'est toute une région agricole qui va être dévastée. La mission agricole citée plus haut le reconnait : « l'incertitude sur les tracés et sur les échéances de réalisation ne permet aucune visibilité sur le devenir des structures agricoles et handicape une réflexion anticipative pour l'adaptation des exploitations à leur futur environnement».
Ni le collectif Copain, ni les organisations qui le composent n'ont jamais été invités à travailler sur le protocole de mesures compensatoires. Nous n'avons donc pas connaissance des dispositifs de contractualisation proposés par AGO et la DREAL.
Les porteurs de projets ont délimité un territoire de 16 000 hectares pour réaliser leurs compensations environnementales. Sur cette emprise liée aux deux bassins versant, de nombreux agriculteurs, qui représentent 8 000 hectares, se sont engagés à ne pas contractualiser avec AGO ou la DREAL. De fait, il sera difficile pour les porteurs de projet de trouver les surfaces nécessaires.
La mission agricole conforte nos dires : « En appliquant un coefficient de 1,17 ha/UC, on obtient donc une superficie minimale nécessaire à la compensation comprise entre 1 150 ha et 1 350 ha. L'hypothèse [...] selon laquelle on pourra reconstituer exactement les mêmes milieux que ceux rencontrés sur le site de l'aéroport est très optimiste. On pourrait ajouter que la reconstitution d'un milieu ne va pas de soi et que des marges d'erreur et d'échec doivent aussi être prises en compte. Pour être plus réaliste quant à l'estimation des superficies nécessaires, la mission fait l'hypothèse in fine que le coefficient pourrait se situer entre 1,5 et 2 hectares par UC à compenser. Dans ces conditions, les superficies nécessaires à la compensation des zones humides et des espèces protégées à l'extérieur de l'emprise aéroportuaire pourraient être comprises entre 1 700 ha et 2 500 ha. Cette estimation a pour conséquence un taux de contractualisation de 10 % à 15,5 % des superficies de l'enveloppe de compensation qui totalise 15 968 ha. Ces taux sont supérieurs au taux de contractualisation des mesures agro-environnementales déployées au sein de la zone [...]. Ce constat conduit à estimer que la mise en oeuvre de toutes les MCE au sein de l'enveloppe envisagée sera difficile [...]. » Cette analyse de la commission agricole n'a, de plus, pas pris en compte les 8 000 hectares dont j'ai parlé plus haut.
Pour conclure, le collectif Copain tient à redire que la compensation est un leurre par rapport aux enjeux d'avenir de notre société.
Chaque hectare de terre représente un potentiel de biodiversité, d'alimentation, d'épuration de l'eau, d'économie et de tissu social. Nous vivons un véritable paradoxe, puisque nous savons que nous sommes déjà en déficit de foncier et que notre plus grand défi est de parvenir à nourrir tout le monde ; dans le même temps, la société demande à l'agriculture une alimentation plus saine, des pratiques plus respectueuses de l'environnement, ce qui implique des rendements moindres.
Autre paradoxe, nombreux sont ceux qui prônent les vertus de la relocalisation, et pourtant on continue à aménager pour favoriser encore plus d'exportation et plus de mondialisation. Là encore, c'est incompréhensible.
Nous nous considérons davantage comme des lanceurs d'alerte que comme des résistants. Nous sommes force de proposition et de progrès. Nous pensons qu'à tout projet peuvent être apportées des solutions plus vertueuses. Nous aimerions être associés à la réflexion.
La superficie de la France est de 55 millions d'hectares. En 1960, 35 millions d'hectares étaient dédiés à l'agriculture ; il n'y en avait plus que 28 millions en 2010. Si l'on se réfère au rythme de ces dernières années, l'agriculture devrait avoir encore perdu entre 2 et 3 millions d'hectares en 2050. Ces données, qui sont publiques et vérifiables, nous interrogent.
Je souscris globalement à ce qui a été dit précédemment sur la séquence ERC. Pour avoir déjà participé à un certain nombre d'auditions ou d'échanges au sein de diverses instances, j'ai constaté que la séquence éviter a souvent été partielle, voire inexistante, et que ni les agriculteurs, ni les citoyens n'ont été associés à ce processus. On est alors en droit de se demander quand et comment les décisions ont été prises. C'est une question à laquelle il faudra répondre tôt ou tard.
La population agricole ne peut comprendre que l'on ait besoin d'une emprise de 1 650 hectares - même si une partie concerne le barreau routier et une autre partie l'infrastructure - alors que certaines plateformes aéroportuaires de plus grande capacité n'utilisent que 350 à 500 hectares.
L'impact sur les exploitations a été mesuré pour les infrastructures aéroportuaires et le barreau routier. En revanche, pour les infrastructures attenantes, telles les lignes train-tram, la LGV, les parcs d'activités qui pourraient se développer, nous n'avons aucune donnée sur l'avenir. Nous avions soulevé ces questions au sein du SCoT Nantes-Saint-Nazaire, qui a été rejeté en commission départementale de consommation des espaces agricoles par l'ensemble des syndicats agricoles, avec un avis très réservé de la chambre d'agriculture. Nos questions sont restées sans réponse. Là encore, il faudra pouvoir y répondre.
La vie d'une exploitation agricole est largement conditionnée à l'absence de coupure dans son territoire. Les facilités de circulation, la densité du nombre d'exploitations présentes sur un territoire, permettent la vie collective - les CUMA, par exemple - et favorisent la présence nombreuse d'agriculteurs sur une même zone. Pour qu'une activité agricole perdure, il faut du foncier disponible, des paysans, mais aussi des conditions favorables. Or, si ces trois éléments ne sont pas réunis, cela ne fonctionne pas. J'en veux pour preuve la zone aéroportuaire actuelle, au sud de Nantes : là encore, il y a beaucoup d'hectares en friche et les exploitations ont énormément de difficultés à se maintenir sur le territoire.
Ce projet d'aéroport ne peut pas être accepté collectivement par les agriculteurs. Certains ont conclu individuellement des protocoles d'accord. Pour qu'un projet puisse progresser, on ne peut pas avoir que des intérêts particuliers qui s'ajoutent. La réussite d'un tel projet passe par une convergence globale et pas par l'empilement d'intérêts particuliers.
En dehors des conventions de mise à disposition temporaire du foncier, les relations entre les paysans locaux et le maître d'ouvrage sont quasi-inexistantes. Le sont-elles car le projet « s'éternise » ? D'une manière générale, le bon sens paysan conduit la profession à ne pas adhérer aux mesures de compensation. Au risque de vous paraître sévère, je dirais que lorsque l'on a compensé des terres, il faut les déclasser en termes de production. On part d'une surface qui a un certain potentiel et on la pénalise artificiellement, ce qui est difficilement acceptable par la profession agricole et qui n'a pas grand sens.
Les compensations financières restent assez imprécises à ce jour, même si nous avons obtenu quelques éléments lors de l'audition des représentants d'AGO. Un maître d'ouvrage qui souhaite compenser l'impact d'une infrastructure y mettra évidemment l'argent nécessaire. Il est évident que si les montants sont faibles, peu de personnes seront intéressées et que des sommes très attractives induiront des solutions individuelles, ce qui pose le problème de la marchandisation. C'est ce qui s'est produit avec la politique agricole commune (PAC) : des personnes en fin de carrière ont préféré ne pas prendre leur retraite et conserver leur foncier en y maintenant une activité réduite, entrant ainsi dans une agriculture de rente. Il y a là un vrai danger.
L'agriculture devra faire face à des besoins alimentaires croissants. Pour répondre à ces besoins, deux éléments sont à prendre en compte : le nombre d'hectares cultivés et leur rendement. C'est bien la multiplication de ces deux facteurs qui détermine notre capacité à nourrir la population. Nous, paysans, disons clairement à la société que nous ne pourrons pas produire plus d'alimentation avec moins d'hectares, et parfois moins de rendement - comme c'est le cas pour certaines cultures céréalières, dont la production régresse en raison de la réduction des phytosanitaires et des engrais minéraux. Cette équation est impossible à résoudre.
J'attire aussi votre attention sur la difficulté des élus à faire le lien entre les enjeux nationaux et internationaux pour la préservation de l'eau et des terres agricoles, d'une part, et leur concrétisation dans des projets locaux, d'autre part : cette connexion-là s'établit très difficilement et il y a un véritable travail à mener.
Enfin, à Notre-Dame-des-Landes, il est encore temps d'éviter les impacts, tant que les travaux n'ont pas démarré.
Vous avez bien compris que cette commission d'enquête ne revient pas sur la légitimité globale du projet, mais s'intéresse à la faisabilité des mesures compensatoires.
La séquence ERC date de 1976, elle aurait donc pu être intégrée en amont du projet. Vos propos liminaires ont été complets sur la séquence « éviter », je n'y reviendrai donc pas.
Les chiffres que vous avez donnés sur le volet « compensation » sont similaires à ceux fournis par AGO, à savoir environ 1 300 hectares de compensation et une fourchette de prix allant de 1 100 à 1 500 euros par hectare.
On nous a dit qu'il n'y avait pas d'agriculteurs prêts à s'engager. Le syndicat mixte a mis en cause la pression sur les exploitants ; parallèlement, AGO nous indique que, tant qu'ils n'ont pas de visibilité sur le calendrier des travaux, ils ne cherchent pas à contractualiser dans le cadre du protocole d'accord avec la chambre d'agriculture.
Ma première question est très simple : pensez-vous possible de trouver les 1 300 hectares nécessaires à la compensation dans les 16 000 hectares du périmètre ? Et l'enveloppe de 300 000 euros pour l'ensemble des compensations financières - ce qui équivaut à environ 250 euros de l'hectare - vous semble-t-elle raisonnable ?
La mission agricole a indiqué que la surface nécessaire était plutôt de 2 000 à 2 500 hectares. Cela double tout de même la surface envisagée...
Suite à l'enquête au titre de la loi sur l'eau, des contrats auraient été proposés. Nous avons interrogé les paysans, et, au final, ceux qui refusaient de contractualiser avec AGO et la DREAL ne détenaient pas moins de 8 000 hectares. Je pense que le projet n'est pas du tout accepté par la profession agricole. Par conséquent les porteurs de projets auront du mal à trouver l'intégralité des surfaces de compensation rien qu'en contractualisant. Cela étant, il n'y a pas eu, à ma connaissance, de pressions particulières ; je crois que le refus s'inscrit plutôt dans une logique paysanne de ne pas cautionner un projet qui ne nous semble pas d'utilité publique. Je connais bien ce territoire, puisque je suis moi-même un paysan habitant dans le périmètre des 16 000 hectares, et ni mes voisins ni moi n'avons été contactés par AGO ou la DREAL pour signer un contrat. Je crois que nous n'en sommes pas encore là.
La décision de faire ou de ne pas faire le projet n'a pas été prise : les porteurs de projet ne peuvent donc pas entrer dans une démarche de contractualisation. Or, sans ces démarches préalables, il est compliqué d'envisager la faisabilité des mesures compensatoires.
Nous avons cependant un exemple réussi de mise en oeuvre du protocole départemental, car celui-ci a été utilisé sur la déviation de Bouvron. Force est de constater que l'acceptabilité du projet par la population pèse fortement dans la mise en place des mesures compensatoires. La déviation de Bouvron était un projet bien accepté, et nous n'avons eu aucune difficulté à trouver des agriculteurs prêts à s'engager dans les mesures de compensation environnementales. Aujourd'hui, tant la capacité d'accusation du projet de la part des acteurs que l'absence de décision définitive sur la réalisation ou non du projet compliquent la gestion des choses sur le terrain.
Imaginons que la moitié des agriculteurs qui refusent de contractualiser aujourd'hui change d'avis. Consacrer 15 % à 20 % de surface agricole à des mesures compensatoires vous semble-t-il raisonnable ? Est-ce trop important pour permettre aux exploitants de conserver une finalité productive ?
L'agriculture est un secteur économique important. La première mission d'un agriculteur est de produire pour nourrir les hommes. C'est ce qu'il y a de plus noble, et c'est pour cela que les jeunes choisissent d'exercer ce métier. Jamais, quand un agriculteur choisit de faire ce métier, il ne lui vient à l'esprit qu'il sera peut-être obligé de mettre un jour ses terres en compensation environnementale. Nous l'avons tous dit, le principal outil de travail de l'agriculture, c'est la terre. Or, notre département, comme d'autres, perd tous les ans du foncier. En Loire-Atlantique, cette perte est d'environ 1 500 hectares par an, ce qui est particulièrement pénalisant pour l'agriculture.
En ce qui concerne les éventuelles pressions sur les agriculteurs, je ne peux pas vous répondre. J'ignore si c'est la raison pour laquelle certains refusent de s'engager. Ce que je peux vous dire, en revanche, c'est que les agriculteurs ne choisissent pas leur métier pour faire de la compensation. Ils le font parce qu'ils aiment les animaux ; ils le font parce qu'ils aiment cultiver la terre, et parce qu'ils veulent, tout simplement, nourrir les gens. Je reste persuadé que les compensations environnementales seront subies par une grande partie du monde agricole, même si des agriculteurs se disent qu'après tout, si leurs hectares sont rémunérés, ils peuvent engager certaines parcelles en compensation.
À nouveau, dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, je ne peux pas vous dire s'il y a eu des pressions.
Nous cherchons à savoir s'il est réaliste de penser trouver les 1 300 hectares nécessaires à la compensation dans le périmètre des 16 000 hectares.
Cela dépend de plusieurs facteurs : l'attractivité des contrats, l'état d'esprit et l'âge des agriculteurs, le projet du département pour l'agriculture. Je rappelle que la Loire-Atlantique est un département aux entreprises agro-alimentaires extrêmement dynamiques ; il y a sur le territoire de grosses coopératives, de grosses laiteries, qui ont besoin d'être soutenues par un fort potentiel de production. Mais c'est à nos élus de donner une vision à l'agriculture : veut-on garder un potentiel de production en Loire-Atlantique ou plutôt utiliser nos terres agricoles pour les compensations environnementales ? Là est la question.
Je vous répète que, quand un agriculteur choisit ce métier - et j'en fais partie ! - ce n'est pas pour faire des compensations environnementales.
Cela veut-il dire qu'une enveloppe globale de 300 000 euros par an vous semble sous-dimensionnée ? Qu'il va falloir monter les prix pour convaincre un certain nombre d'agriculteurs de s'engager ?
Pour moi, ce sera difficile. Je pense que l'enveloppe n'est pas assez importante. Après, il faut que les agriculteurs décident de s'engager, et cela ne dépend pas uniquement du montant de la compensation.
Je souhaite faire une remarque sur le foncier autour du projet et à l'intérieur de l'emprise de la DUP. Vous n'êtes pas sans savoir qu'entre la surface de travaux et la surface d'emprise, il y a un écart. Indirectement, il y a donc un potentiel pour le concessionnaire aujourd'hui de mettre en oeuvre, dans cet espace très rapproché du projet, une partie des mesures de compensation. C'est d'ailleurs un point qui n'a pas échappé à la profession agricole.
Aujourd'hui, on assiste à un véritable jeu de rôle : une certaine pression de la part du porteur de projet qui se demande s'il laisse des terres agricoles dans l'emprise prévue, ou si, au contraire, il ne fait que de la compensation environnementale - c'est possible aussi, et tous les scénarios sont imaginables. Vous avez demandé si l'enveloppe de 300 000 euros était suffisante ou non, si un montant supérieur permettrait d'attirer plus d'agriculteurs vers les mesures de compensation. C'est l'un des scénarios envisageables mais ce n'est pas le seul.
Pourquoi 1 600 hectares ? La raison est très simple. Le projet initial prévoyait l'achat de toutes les zones classées 1 et 2 du plan d'exposition au bruit, pour éviter des complications supplémentaires. Ce qui ne veut pas dire qu'il est impossible d'envisager des mesures environnementales dans une partie de ce territoire. Ce n'est pas du tout exclu.
Vous nous dites : « Nous ne sommes pas d'accord ». L'arrêté de zone d'aménagement différé (ZAD) remonte à 1974, c'est-à-dire que la décision a été prise il y a exactement 43 ans. On ne rebat pas les cartes parce que l'on est à la fois le bloqueur et la victime !
Concernant le foncier en Loire-Atlantique, une chose m'a toujours surpris : pourquoi ce département a-t-il la terre la moins chère de France ? Je ne peux parler que de ce que je connais, mais dans ma commune, le prix moyen à l'hectare est d'environ 1 400 euros. Cela étonne beaucoup les agriculteurs des autres départements. Peut-être a-t-on créé la tentation en baissant les prix ? Je m'interroge.
Par ailleurs, je ne comprends pas où nous en sommes des opérations de remembrement prévues sur cette zone. Vous avez évoqué les circulations des agriculteurs : permettre aux exploitations de fonctionner normalement est bien l'objectif de ces opérations foncières ! Tout cela est bloqué.
Je vais d'abord revenir sur la question financière.
Il est clair que, aujourd'hui, la profession agricole vit une situation économique compliquée. La Mutualité sociale agricole (MSA) a annoncé que plus de 40 % des paysans déclareraient pour 2016 un revenu annuel inférieur à 4 280 euros, ce qui veut dire qu'ils disposent de moins de 380 euros mensuels pour vivre. Si, face à cela, vous proposez des contrats qui peuvent générer de 250 à 1 000 euros à l'hectare, le débat ne peut être ni serein, ni intellectuellement honnête. Je tenais à souligner ces deux échelles, car elles créent de vraies difficultés.
Un porteur de projet peut se dire que s'il ne trouve pas les terrains nécessaires en proposant un prix de 250 euros à l'hectare, il peut toujours passer à 350 euros, puis à 500 euros, puis à 1 000 euros de l'hectare... Il finira toujours par trouver des terrains ! Et lorsque l'on voit l'enveloppe de départ, on peut très bien imaginer que la différence entre ce montant global de 300 000 euros et la somme qui sera réellement déboursée pour acquérir les terrains sera payée par les usagers. Reste que l'on n'a pas répondu politiquement à cette question.
Concernant les prix des terres agricoles, la Loire-Atlantique présente la particularité d'avoir un foncier qui, encore aujourd'hui, reste relativement abordable - je ne dis pas bas, je dis abordable. C'est sans doute l'histoire d'un grand nombre de luttes syndicales, qui ont pu être partagées par différentes tendances politiques, et qui ont conduit à un renforcement du poids des agriculteurs et des fermiers face à leurs propriétaires. Je pense que ce rapport de force permet des choses assez intéressantes dans notre département. Néanmoins, la valeur des terres agricoles correspond aussi parfois à leur potentiel : les terres de la Mayenne, du bassin parisien ou du Nord ont des potentiels bien différents ! N'oublions pas non plus que plus les prix de transaction des terrains sont élevés, plus l'installation est difficile pour les jeunes agriculteurs, même s'ils ne sont pas forcément acheteurs. Les dynamiques d'installation que l'on observe dans les régions où le foncier est abordable sont bien différentes de celles constatées dans les régions où les potentiels de terre sont très importants.
Je ne suis pas d'accord sur le fait que les prix bas auraient une incidence sur les choix d'installation des infrastructures. Malheureusement, dans certaines zones du département, les prix évoluent de manière très importante dans certaines zones ; pas de celle d'où vous venez, effectivement, mais on se rend compte que, dans un périmètre d'une trentaine de kilomètres autour des deux villes importantes du département, les choses commencent malheureusement à changer de façon inquiétante.
Concernant l'aménagement foncier autour du projet d'aéroport - parce qu'il y a bien un aménagement foncier engagé, notamment sur la commune de Notre-Dame-des-Landes - nous sommes aujourd'hui dans une phase de statu quo. Comme personne ne sait si le projet sera ou non réalisé, la restructuration des exploitations n'avance pas, que ce soit au niveau des propriétaires ou des fermiers. Et la raison est simple : le conseil départemental, qui est chargé de cet aménagement foncier, ne prend pas le risque de continuer à faire des aménagements coûteux sans savoir ni sur quel périmètre agir, ni si, au final, cela va servir. Aujourd'hui, on aménage le foncier à l'extérieur de l'emprise, sans savoir ce que deviendra l'intérieur du périmètre. Pour autant, même sans aménagement physique, la démarche continue : la chambre d'agriculture a engagé une restructuration des exploitations agricoles par échange de terres entre agriculteurs. Le propriétaire reste le même, mais les fermiers ou agriculteurs loueurs ont changé. Cela permet de restructurer les exploitations.
L'aéroport est une infrastructure linéaire, qui crée une coupure et nous oblige à restructurer le paysage agricole. Il existe des schémas collectifs, des CUMA, des groupes de travail entre agriculteurs : les choses bougent ! Quant à la séquence ERC, nous aimerions avoir une vision complète de toutes les infrastructures qui viendront, à terme, se greffer autour de l'aéroport, pour éviter que demain, une voie ferrée ne passe là où des mesures de compensation environnementales ont été mises en oeuvre. Ce serait quand même le comble !
Cela ne nous a pas échappé !
La carte du périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) est assez étonnante. On aurait pu penser que l'idée était d'avoir un PEAN qui englobe l'aéroport. Or, ce PEAN n'inclut ni le nord de l'emprise, ni la ville de Treillières, qui est pourtant un maillon important entre la métropole et l'aéroport.
Justement, ne craignez-vous pas qu'une partie des activités drainées par l'aéroport s'installent demain sur ces communes, que ce soit au nord ou à Treillières ? Avez-vous des discussions à ce sujet ?
J'étais présent, aux côtés de deux de vos collègues, dont le président de la chambre d'agriculture, M. Jacques Lemaître, à la réunion du CDPENAF qui a rendu un avis en juillet dernier.
C'était un avis défavorable, émis suite à un vote demandé par la FNSEA 44. Je le précise, parce que c'est vraiment important : il y a eu un vote.
Il s'agissait de donner un avis général sur le SCoT, avant d'entrer dans la phase d'enquête publique et de validation par les élus.
L'avis de la CDPENAF n'a pas influencé le cours de la procédure, puisqu'il n'est que consultatif, mais il a permis à la profession agricole et aux associations environnementalistes - l'INAO a émis des réserves, les fédérations de pêche et de chasse ont émis des avis négatifs - de dire, unanimement : « Il y a un problème ». Cet avis unanime doit poser question, je l'ai d'ailleurs souligné auprès des élus.
Les questions posées avec ce SCoT étaient très précises. L'une portait notamment sur la déduction des surfaces qui seront nécessaires demain pour des infrastructures complémentaires, comme la liaison train-tram ou des zones d'activités. Ces emprises sont-elles connues, et sont-elles déduites dans le document d'urbanisme ? La réponse est très claire : c'est non. Les emprises ne sont pas encore déduites. Or, on sait aujourd'hui que si ce projet venait à voir le jour, il y aurait forcément au minimum une liaison tram-train et une interconnexion avec la LGV. Ces infrastructures n'ont pas été intégrées au SCoT Nantes - Saint-Nazaire.
Pourtant, j'ai posé cette question de la déduction des emprises futures aux élus qui ont validé le projet de SCoT le 19 décembre ; je l'ai posée à mon maire ; je l'ai posée à deux autres maires, en leur disant : « Concrètement, savez-vous si les surfaces sont déduites ou pas ? ». On m'a répondu : « Bien sûr qu'elles sont déduites ! Il est évident que si le projet aéroportuaire figure dans le SCoT, les fuseaux sont déduits. » Et quand on leur dit que ce n'est pas le cas, ils nous répondent que l'on se trompe... Je crois qu'il y a un réel problème de connaissance du dossier. Je le comprends, c'est un dossier de 1 300 pages ! Nous n'avons épluché que le volet agricole, mais nous y avons trouvé des choses inacceptables. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les élus puissent avoir les éléments ? Je suis un peu provocateur, mais le problème est de taille !
Lorsqu'un représentant de la FNSEA a demandé au maire de Saint-Jean-de-Boiseau, qui est responsable de l'élaboration du SCoT, quelles étaient les zones d'activités prévues autour de Notre-Dame-des-Landes, la réponse a été : « Il n'y a pas de zone d'activité prévue autour de la zone aéroportuaire ». Cela est inscrit au compte rendu et facilement vérifiable. Je peux vous dire que le silence s'est fait dans la salle. Peut-être qu'il n'y a aucun projet à 5 ans, mais tout le monde sait très bien qu'à moyen terme, des zones se développeront. Il y a un vrai problème de transparence, et c'est une des raisons ayant conduit le CDPENAF à émettre cet avis défavorable.
Je trouve que le PEAN est une initiative intéressante de protection des terres agricoles. Nous avons cependant été plusieurs à souligner au président du conseil départemental, M. Philippe Grosvalet, que trois conditions étaient nécessaires à la survie de l'activité agricole : il faut du foncier, des paysans et une politique. Le foncier, dans cette zone du PEAN, nous l'aurons ; les paysans, nous ne les aurons que s'il y a une vraie politique. Concrètement, le PEAN est un triangle délimité à gauche par la route de Vannes, à droite la route de Rennes, et au sud par l'agglomération nantaise. Dans 50 ans, quand il y aura des zones d'activités à gauche de la route de Vannes et à droite de la route de Rennes, vous n'aurez plus de paysans au milieu. Et ce ne seront alors plus les 1 650 hectares du projet qui seront perdus, mais bien la totalité des 15 000 hectares. Vous n'aurez plus d'activité agricole, car il ne sera pas possible de travailler correctement dans cette zone. Tous les impacts conditionnés vont faire évoluer notre département de façon extrêmement dangereuse, il faut bien garder cela à l'esprit.
Je voudrais préciser les choses : les élus de la ville de Treillières n'étaient pas opposés au PEAN - le débat a été vif dans la commune et, suite au décès du maire, les habitants ont refusé d'entrer dans le périmètre de protection. En effet, pour changer la constructibilité de terrains situés dans le PEAN, pas moins de trois signatures ministérielles sont nécessaires.... Ce n'est pas forcément évident à obtenir. Rester en dehors du PEAN offre donc une certaine tranquillité.
En ce qui concerne les terres disponibles pour la compensation, il y a une zone dont personne ne parle : entre Saint Etienne de Montluc et les territoires du Grand port de Nantes, il y a 27 000 hectares qui appartiennent à un même propriétaire et qui ne semblent pas en très bon état. Mais on ne mélange pas l'agriculture et la compensation écologique ! Cette question n'a jamais été ouverte.
Un autre sujet n'a pas été abordé : actuellement, en Loire-Atlantique, un certain nombre de territoires, dont le parc de Brière, sont confrontés à de nombreux problèmes à cause de la jussie. Les agriculteurs savent très bien de quoi je parle. Ces territoires ont du potentiel, il faut continuer la réflexion.
Je rappelle également que la Loire-Atlantique compte 1 380 000 habitants cette année. C'est plus que le Val-de-Marne, il faut en tenir compte. Peut-être est-ce dû à l'attractivité des côtes... Quant aux zones industrielles, je pense que vous avez raison de vous interroger sur leur future localisation. Regardez le long de la route allant d'Atlantis à la Roche-Bernard : il n'y a que cela, des zones d'activités ! Elles sont pleines, et parfois de manière assez surprenante. La zone de Malville-La Croix Blanche, par exemple, compte à elle seule plus de 2 000 salariés : ce n'est pas rien, et je tenais à vous le dire ! Le développement de Notre-Dame-des-Landes ne s'effectuera pas forcément sur la zone de l'aéroport : les territoires dont on parle se situent bien souvent à moins de 3 kilomètres de là.
L'objet de notre commission d'enquête n'est pas tant l'étude précise d'un projet que celle de la réussite et de la faisabilité des mesures mises en oeuvre : il faut savoir que faire à l'avenir. C'est la raison pour laquelle les témoignages sont intéressants.
J'ai deux questions précises. Vous avez beaucoup parlé d'hectares de terres agricoles et de la fonction nourricière de la profession. Ne pensez-vous pas qu'il serait intéressant de parler de la diminution du volume productif plutôt que de la perte d'hectares ?
Avant de continuer, j'aimerais des éléments concrets : aujourd'hui, dans le cahier des charges, comment se traduit pour un exploitant la mise en compensation d'un hectare de terrain sur lequel il produit du blé ? Ce qui m'intéresse, c'est ce qui change dans le mode d'exploitation de l'agriculteur lorsqu'il a décidé de mettre ces hectares en compensation. Est-ce que cela va diminuer les volumes de production ? C'est le point de départ pour estimer la productivité future...
Les différentes mesures mises en place concernent essentiellement la préservation du bocage, la recréation de mares et le transfert de zones de cultures vers des prairies naturelles afin d'améliorer la biodiversité. Les compensations économiques dépendent, elles, du degré d'implication dans les parcelles considérées et du niveau des mesures mises en oeuvre. Il existe un cahier des charges pour chaque mesure, qui a été validé par différentes commissions nationales.
Je partage tout à fait votre point de vue sur l'estimation des volumes productifs. Les mesures de compensation environnementale sont un premier volet ; parallèlement, nous avons mis en place un fonds de compensation économique dédié à la revitalisation de l'agriculture que les porteurs de projet abondent. Ce fonds permet de mettre en place des projets visant à revitaliser un périmètre sur lequel on a mesuré une perte économique, que celle-ci soit due à la perte de surface ou à la diminution de la productivité. Le fonds, contractualisé avec AGO, dispose d'environ 1,3 million d'euros qui devront aider à compenser la perte de compétitivité des agriculteurs engagés dans la compensation.
Ce fonds permettra-t-il la modernisation des exploitations, l'agrandissement des bâtiments ? De cela aussi dépend la dynamique de l'agriculture...
À travers ce fonds, notre objectif est bien d'engager des projets collectifs pour gagner en compétitivité économique. On ne s'interdit ni le drainage, ni l'irrigation, ni la méthanisation, ni la valorisation de la biomasse, ni la création de filières courtes.
L'aéroport va créer de l'activité, attirer des gens qui seront autant de consommateurs potentiels : à nous de trouver comment mettre en valeur les produits locaux et comment garder la valeur ajoutée sur nos territoires. Nous avons une liste de projets dont la faisabilité peut être rapidement étudiée ; le fonds de revitalisation est une manière, pour les porteurs de projet, d'aider à recréer la dynamique que l'infrastructure a pu dégrader et à conserver la valeur ajoutée qui existait sur le territoire.
Au vu de cette perte économique pour les territoires, estimez-vous que le montant de la compensation est acceptable ?
C'est assez compliqué. Mon tour de France sur cette question a mis en évidence de grandes disparités : certains départements estiment des euros au mètre carré, d'autres privilégient les négociations à l'amiable avec les porteurs de projets... Faut-il légiférer et donner une ligne de conduite ? Le fonds de compensation économique mis en place en 2016 nous donne un premier aperçu. Mais pour que de tels fonds soient bénéfiques à l'agriculture, il faut qu'il reste suffisamment d'agriculteurs pour les activer.
Je voulais ces précisions, car aujourd'hui, nous constatons déjà des conflits entre la terre et la forêt. En tant que rapporteur de la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, j'ai pu vérifier les difficultés qui se présentent dès lors, par exemple, que l'on souhaite défricher. Sur de telles opérations, nous payons des taxes considérables ! Nos collègues du Massif central disaient qu'en 65 ans, la forêt a doublé sur leurs territoires.
En tant qu'agriculteur, je partage complètement votre point de vue : notre principale fonction est de nourrir les hommes. Prendre des terres pour la compensation semble une anomalie en termes de production agricole... Je crains que la productivité sur votre bassin, après le projet, soit moindre. Cependant, le territoire a aussi besoin de ces infrastructures ; l'agriculture pâtira de la situation si elle se met en travers de tous les projets de développement du territoire. Ces projets sont importants pour les habitants.
Je ne suis pas forcément d'accord avec mon collègue Ronan Dantec : j'estime que, dans nos réflexions, le potentiel agricole des terres doit être pris en compte autant que la biodiversité et les besoins des futurs projets. Il faut arrêter de prendre sans arrêt des terres agricoles, car cela diminue chaque fois le volume de production. C'est un point capital pour l'avenir. Nous avons tous, dans nos départements, des friches - d'anciens bâtiments industriels notamment - sur lesquelles il n'y a plus rien pour des tas de raisons, comme la présence d'amiante... Pourquoi ne pas les rendre à nouveau en état d'accueillir des habitations, plutôt que de consommer des terres agricoles ? Je me souviens d'un temps pas si lointain où l'on exigeait de chaque grande surface en bordure de ville qu'elle offre à ses clients un grand parking. On gaspillait le foncier. Aujourd'hui, nous critiquons ces espaces... C'est toujours un peu comme cela en France, un balancier... C'est pour cela que nous devons trouver un juste milieu entre la préservation des terres agricoles et le développement des infrastructures de transport, comme les lignes de TGV, les autoroutes et les aéroports. Mais prenons en compte la productivité agricole, je crois que cela est capital.
Je voulais répondre précisément à votre question sur l'acceptabilité de la perte économique. Vous avez développé et apporté plusieurs arguments, mais en tant que président de la FNSEA 44, ma réponse est claire : c'est non. Une perte économique n'est jamais acceptable ! Pas plus pour un agriculteur que pour un autre chef d'entreprise !
L'outil de travail des agriculteurs, c'est le foncier, et c'est la raison pour laquelle le monde agricole est particulièrement fragile. Le foncier se fait plus rare, il est très recherché et cela complique considérablement notre métier.
Concernant le développement de nos zones artisanales et industrielles, j'estime également qu'il y a du gaspillage. Monsieur Trillard parlait tout à l'heure des différentes zones présentes le long de la RN 165 ; il est vrai que de plus en plus de zones industrielles et commerciales, souvent concurrentes, voient le jour entre Nantes et Vannes. On observe la construction de bâtiments, de magasins en tous genres, et quelques années plus tard, on constate que bon nombre de ces enseignes sont fermées. Il y a donc un vrai problème de gaspillage dans l'aménagement du territoire de notre département. Chaque collectivité veut sa zone, sa grande surface, son magasin : mais cela devient problématique, car, nécessairement, cela consomme du foncier ! Les espaces verts intégrés dans les différentes zones constituent aussi un gaspillage : comme si le salarié, lorsqu'il part au travail à 5 heures du matin et qu'il fait noir, regardait les pelouses et les tulipes sur les parterres... je n'en suis pas persuadé !
Je souhaitais revenir sur trois points.
Tout d'abord, je souscris totalement à votre vision des choses sur la question des volumes produits. Pour maintenir le même volume productif malgré la réduction du nombre d'hectares, il faudra inévitablement intensifier la production à d'autres endroits. La question est donc de savoir comment intensifier, pourquoi le faire, et si cela est acceptable pour les agriculteurs.
Vous avez également évoqué les parkings immenses des grandes surfaces. Tout le monde connaît la photo du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes : je vous invite à regarder de près le parking, et vous vous rendrez compte de l'étendue du gaspillage. Cette photo nous a toujours choqués, parce que l'on nous a dit : « C'est un aéroport vert ». Et nous avons répondu : « Il est vert parce que sa couleur est verte, et parce qu'il est au ras du sol ». AGO a souligné, dans son audition, que le choix de ne pas construire de parkings en silos émanait d'une volonté de ne pas troubler le paysage. Ils ont oublié de dire aussi que cela coûtait moins cher... Mais je trouve que cette photo résume bien la situation, car c'est la photo d'un projet tel qu'on aurait pu le concevoir avant de savoir qu'un jour, nous manquerions de terres agricoles. Maintenant que nous le savons, nous ne pouvons plus faire des projets comme cela, ce n'est pas sérieux.
Enfin, il ne faut pas oublier que l'objectif initial de la séquence ERC était de dissuader la consommation foncière. Si cela fonctionne pour les petits projets, c'est parce que les mesures de compensation doivent être mises en place préalablement à la réalisation de l'aménagement. Les communes sont donc attentives au positionnement géographique de leur projet et à sa taille. Sur des projets à grande échelle comme ceux qui vous intéressent, on se rend compte que l'on se contente de promesses. On promet que l'on fera quelque chose pour la compensation, mais rien n'est mis en place avant la réalisation de l'infrastructure. Cela veut dire que l'on n'est pas dissuasif sur le plan de la technique. Par ailleurs, est-on suffisamment dissuasif sur le plan financier ? Nous avons partagé notre inquiétude sur la financiarisation des mesures de compensation et les conséquences de l'agriculture de rente pour le système. Néanmoins, on pourrait très bien imaginer des compensations financières extrêmement dissuasives pour les porteurs de projets ; un fonds comme celui évoqué tout à l'heure avec des apports réellement conséquents, dont une partie reviendrait à la profession agricole pour compenser les pertes, et une autre partie serait mise au service du développement. Aujourd'hui, qu'est-ce que 300 000 euros au regard du coût global du projet d'infrastructure ? Ce n'est rien du tout !
Je souhaite faire également une remarque sur l'esprit de la séquence ERC. Les mesures de la phase éviter sont une base, à laquelle viennent ensuite s'ajouter d'autres mesures de compensation pour les zones humides ou à fort intérêt écologique.
Pour autant, il ne faut pas que l'on développe systématiquement les infrastructures sur les bonnes terres agricoles, au simple prétexte qu'elles ne sont pas en zone humide. Si on continue dans cette voie, on ne s'en sortira jamais ! Il faut à la fois éviter que les infrastructures soient installées sur des zones humides et les bonnes terres agricoles, et éviter que les compensations environnementales soient mises en place sur ces mêmes terres : il y a un équilibre savant à trouver. Je rejoins l'analyse de M. Bailly : il faut absolument regarder l'impact économique global des projets sur la production agricole, qu'elle soit en zone humide ou en zone favorable.
Vous avez parlé tout à l'heure de drainage. Or, la zone de compensation se trouve sur deux têtes de bassins versants, ce qui pose beaucoup de questions sur la faisabilité des mesures compensatoires. Ne pensez-vous pas que l'Etat - qui a depuis la loi biodiversité une obligation de résultat - sera extrêmement attentif à ce que ce d'autres contraintes ne soient pas ajoutées à cette zone, par exemple à ce que le drainage n'y soit pas autorisé ? La pression de l'Etat et de la DREAL sur ces questions est-elle de plus en plus forte ?
L'Etat et la DREAL ne seront probablement pas tout à fait d'accord avec les propositions de la profession. Cependant, nous savons également que, demain, la gestion de l'eau sera l'un des enjeux majeurs, pour le changement climatique mais aussi la productivité des exploitations agricoles. Et quand je dis la gestion de l'eau, c'est la gestion des excès comme des manques.
Le drainage est une technique très décriée ; pourtant, aucune des raisons avancées par les détracteurs n'est avérée. En Loire-Atlantique, la ferme expérimentale d'Arvalis, la Jaillière, mène depuis plus de 30 ans des études sur deux parcelles quasi identiques, l'une drainée et l'autre non. Au final, la parcelle drainée s'est révélée plus efficace, à la fois dans l'écoulement des eaux et dans le filtrage des minéraux et des produits phytosanitaires. Les a priori sur le drainage ne sont pas scientifiquement prouvés. Tant que l'on s'en tiendra à ces idées préconçues, nous n'avancerons pas !
Ma question ne visait pas à lancer un débat sur le drainage. L'Etat a une obligation de résultat sur les mesures compensatoires, la pression sera très forte pour que les mesures mises en place portent leurs fruits. Je ne vois pas l'Etat accepter des drainages importants sur ces territoires, en tête de bassin, car il me semble qu'il y aurait là une contradiction.
AGO nous a indiqué qu'ils raisonnaient sur une additionnalité des mesures compensatoires. Sur l'ensemble des exploitations concernées par ces mesures, des « points zéro » de la biodiversité seraient réalisés pour évaluer les gains possibles. C'est un travail considérable si l'on considère les 16 000 hectares de la zone de compensation. À votre connaissance, ce travail a-t-il déjà été engagé ?
Je vis dans la zone des 16 000 hectares, et ni moi ni mes voisins n'avons entendu parler de ces études ou vu AGO.
Il faut garder à l'esprit que les 16 000 hectares autour de Notre-Dame-des-Landes qui doivent accueillir les mesures de compensation sont très similaires aux terres du projet. Autrement dit, cela veut dire qu'ils feront des compensations sur des zones qui ressemblent à Notre-Dame-des-Landes, dont une partie est humide, pas drainée, et ne pourrra être utilisée pour la compensation qu'avec des coefficients très faibles. Au final, on ne peut pas compter sur 16 000 hectares pour ces mesures compensatoires.
Pour répondre à M. Bailly, le collectif « Copain 44 » n'estime pas nécessaire de continuer à artificialiser les sols en raison du dynamisme de la Loire-Atlantique et de son développement économique. Aujourd'hui, on n'a plus le droit de continuer à détruire des terres agricoles. Alors oui, la Loire-Atlantique est très dynamique, mais les infrastructures bénéficient aussi aux autres territoires ; nous sommes plutôt dans une démarche de relocalisation de la production et de la consommation. Nous voulons continuer à pouvoir produire pour les nantais et les ligériens : pour cela, il nous faut des terres. Si demain, nous n'avons plus ces terres, nous serons obligés d'importer les produits depuis d'autres régions, et il faudra forcément plus de routes, plus d'aéroports. À nous d'engager cette relocalisation du territoire français dans son ensemble, et pas uniquement à l'échelle d'un département.
Vous avez parlé tout à l'heure d'hectares en friches au sud de Nantes, qui ne sont pas exploités pour des raisons inexpliquées. J'aimerais avoir des explications.
S'agissant des terres agricoles, j'ai échangé cet après-midi avec le rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable dans le cadre de l'examen sur la proposition de loi relative aux territoires littoraux sur l'implantation des champs photovoltaïques. Il faut tout faire pour éviter qu'ils ne soient installés sur de bonnes terres agricoles. Cela vaut de façon générale en matière d'urbanisation.
S'agissant des terres en friche, la réponse est assez compliquée. Leur utilisation dépend de plusieurs facteurs : d'abord, de leur potentiel agricole ; ensuite, de leur positionnement géographique, de leur accessibilité ; enfin, du positionnement du propriétaire. En effet, certains propriétaires font de la rétention foncière dans l'idée que leurs terres pourraient devenir constructibles. Dans une telle hypothèse, ils ne veulent pas risquer d'être empêchés par la présence d'un agriculteur.
La reconquête des friches n'est pas chose aisée. Je prends l'exemple de mon secteur, qui est plutôt littoral : nous essayons de reconquérir des friches, mais celles-ci sont en site classé. Du coup, il nous est impossible d'y construire les bâtiments nécessaires à l'installation d'un maraîcher ou d'un éleveur. Plusieurs couches de classements environnementaux se superposent et, d'un objectif initial de protection, on aboutit à la destruction de ces espaces puisqu'il n'est plus possible d'y faire quoi que ce soit. C'est la raison pour laquelle tant de friches se développent.
Je n'en suis pas persuadé.
Près de 80 % des terres en Loire-Atlantique sont en fermage, il y a donc un attachement très fort à la propriété. Les propriétaires fonciers préfèrent louer plutôt que vendre, ne serait-ce qu'en raison de la spéculation foncière. Celle-ci est d'ailleurs renforcée par le fort développement du territoire, qui le rend attractif et mènera, à terme, à repousser les limites de la constructibilité des terres.
Mais cette attractivité est également un atout, parce qu'il est évident qu'il est plus facile de mettre en place des circuits courts, de produire et de manger local, en Loire-Atlantique, avec 1,2 million d'habitants, que dans la Creuse ou en Lozère !
Les durées de contractualisation des mesures compensatoires sont très faibles aujourd'hui, presque étonnantes au vu de la durée globale de la concession. Est-ce une volonté de la profession agricole de ne pas se retrouver liée sur des temps longs ? Que se passe-t-il au bout de 5 ans ? L'exploitant a l'obligation de maintenir son volume de mesures compensatoires. Cela veut-il dire que tous les 5 ans, les prix vont augmenter car il sera de plus en plus difficile de trouver des agriculteurs prêts à s'engager ?
Cette durée de contractualisation est celle utilisée pour les mesures de compensation agri-environnementales dans les zones Natura 2000. Nous avons choisi de la conserver. Les protocoles font état de contrats pouvant aller de 5 à 10 ans. Nous avons préféré des contrats de 5 ans car cette durée courte donne plus de liberté aux agriculteurs en leur offrant la capacité de renouveler, ou non, ces mesures, et de rebondir. Mais la concession est prévue pour 55 ans, et rien n'empêche les agriculteurs qui le souhaitent de s'engager pour vingt ou trente ans. Le maître d'oeuvre aurait certainement préféré une contractualisation à 55 ans ; pas nous.
Je pense également que cinq ans, cela est suffisant. Il faut penser à la transmission des exploitations : ce n'est pas parce qu'un agriculteur, à un moment donné, a choisi les compensations environnementales, que son successeur va, lui aussi, vouloir s'engager dans un tel contrat.
Ensuite, la durée de cinq ans permet également de revoir la rémunération des mesures compensatoires à la hausse. Il ne faut pas se leurrer : en cinq ans, tout change, et il sera nécessaire de revoir régulièrement les compensations financières. En tant qu'éleveurs, nous aimerions que la viande soit payée plus chère d'année en année. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Pour les compensations économiques et environnementales, il faut absolument prévoir cette hausse.
Si les prix sont revus onze fois à la hausse, cela va finir par coûter cher en fonctionnement !
Simple point de précision : 55 ans, c'est la durée de la concession avec Vinci, pas la durée de vie de l'aéroport ! À la fin de la concession, l'aéroport redevient propriété publique. Ne parlons donc pas d'un aéroport qui dure 55 ans, mais d'un projet d'aéroport qui mérite des mesures de compensation.
Je ne me projette pas à plus de 55 ans la durée prévue pour les mesures compensatoires.
Mes chers collègues, nous finissons nos auditions de cet après-midi par l'audition de M. Fabien Raynaud, président de la 6e chambre de la section du contentieux du Conseil d'État.
En effet, notre commission d'enquête travaille sur l'application, la mise en oeuvre, mais aussi le suivi et le contrôle des mesures compensatoires découlant des grands projets d'infrastructures et sur les difficultés aujourd'hui rencontrées pour la bonne mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser.
Nous avons pris pour cela quatre exemples : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours Bordeaux, le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ainsi que la réserve d'actifs naturels de La Crau.
Nous avons conscience que ce sujet constitue un champ nouveau pour le juge administratif, qui a à connaître de plus en plus de contentieux en droit de l'environnement sur ces sujets.
Nous avons également conscience que le juge administratif n'est pas à proprement parler un « acteur » des politiques de biodiversité mais il nous a semblé important d'avoir votre éclairage sur l'état de la jurisprudence administrative en la matière.
C'est pour cela que nous entendons ce soir un représentant du Conseil d'État.
Je vous informe que la commission d'enquête a souhaité que notre réunion soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Fabien Raynaud prête serment.
Monsieur, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.
Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez éventuellement avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?
M. Fabien Raynaud, président de la 6e chambre de la section du contentieux du Conseil d'État. - Je n'ai aucun lien d'intérêt avec ces projets.
Vous avez la parole.
Je tenais tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à témoigner devant votre commission d'enquête. À titre liminaire, et comme le vice-président du Conseil d'État vous l'a indiqué par courrier, je ne m'exprime pas aujourd'hui comme un acteur de l'environnement ni comme un agent responsable d'une politique publique, mais comme juge administratif chargé d'appliquer les textes en vigueur dans ce domaine. Je ne peux donc apporter mon éclairage qu'au regard de la jurisprudence que nous élaborons au Conseil d'État en général, en particulier à la 6e chambre que je préside depuis seulement novembre 2016 et qui est chargée du contentieux sur l'environnement et d'une partie du contentieux en matière d'urbanisme.
Les mesures de compensation des atteintes à l'environnement, notamment à la biodiversité, sont entrées dans notre droit positif avec la loi du 10 juillet 1976 et les textes pris pour son application, comme le décret du 12 octobre 1977, dont l'article 2 prévoyait que l'étude d'impact d'un projet susceptible d'avoir un effet sur l'environnement devait notamment comprendre les mesures envisagées par le maître d'ouvrage pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement. Il s'agissait alors d'une innovation importante de notre droit, en reconnaissant que des projets d'urbanisme pouvaient avoir des effets significatifs sur l'environnement et en inscrivant l'obligation de prévoir un regard spécifique sur ce triptyque éviter-réduire-compenser (ERC) dans les études d'impact.
Dans un premier temps, le juge administratif a veillé au respect de ces obligations sous un angle procédural. Il s'agissait de vérifier que l'étude d'impact comprenait bien des mesures pour éviter, réduire et compenser, telles qu'exigées par les textes en vigueur. La jurisprudence se structure dans les années 1980 et 1990, avec un premier arrêt de section en 1983. Ces décisions rappellent l'obligation procédurale d'intégrer la séquence ERC dans les études d'impact. Dans les années 1990, une série de décisions optent pour une approche plus qualitative, en appréciant le caractère suffisant de ce volet dans les études d'impact.
Depuis les années 2000, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact eu égard à ce triptyque continue régulièrement à être soulevé mais il est plus rare qu'auparavant qu'il conduise à une annulation, pour plusieurs raisons : les études d'impact sont désormais beaucoup plus fournies sur ce triptyque ERC, les critiques se diversifient sur les études d'impact et ne portent plus uniquement sur cette séquence, et le Conseil d'État a relevé son niveau d'exigence en considérant que les inexactitudes, les insuffisances ou les omissions dans une étude d'impact ne peuvent constituer un vice de procédure de la décision prise sur la base de cette étude d'impact que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative, depuis sa décision Société Ocréal du 14 octobre 2011. Cette évolution permet d'éviter des annulations mécaniques, en les limitant aux cas dans lesquels les insuffisances en question ont eu un impact avéré sur la décision. Ce moyen reste souvent soulevé. Un exemple récent : la décision Association de sauvegarde du Trégor du 5 décembre 2016 dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir contre un décret autorisant l'exploitation de sables calcaires.
Dans un second temps, le juge administratif a intégré le triptyque ERC dans son contrôle de fond. Cela fait notamment suite à un renforcement des textes, notamment la loi du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, les évolutions législatives et réglementaires ayant suivi l'adoption de la Charte de l'environnement et le grenelle de l'environnement. Le cadre européen a par ailleurs été renforcé pendant cette même période. Le principe d'action préventive et de correction est désormais prévu à la base de notre droit de l'environnement, à l'article L.110-1 du code de l'environnement. C'est également le cas pour le code rural et de la pêche maritime, à l'article L. 200-1.
Dès 1998, le Conseil d'État a ainsi jugé que l'administration avait pu légalement refuser d'autoriser l'exploitation d'une carrière, au motif que « les mesures proposées par la société pétitionnaire pour prévenir, supprimer, réduire ou compenser les atteintes que l'exploitation de la carrière pouvait porter à la salubrité publique et à l'environnement n'étaient pas suffisantes pour réduire les inconvénients à un niveau raisonnable. »
En 2006, le Conseil d'État a jugé que le principe de prévention des atteintes à l'environnement, qui peut être proche dans son contenu du triptyque ERC, était invocable dans le cours d'un recours pour excès de pouvoir contre un acte réglementaire, en l'occurrence un décret du 10 janvier 2003 autorisant l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) à modifier le centre de stockage de déchets radioactifs dans la Manche. Mais il a précisé à cette occasion que le juge administratif n'exerçait dans ce domaine qu'un contrôle restreint, fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation.
Le juge administratif a appliqué ce cadre à plusieurs reprises, notamment dans une décision Amis de la Terre du 26 mars 2008 sur un arrêté inter-préfectoral portant approbation du plan de protection de l'atmosphère de l'Ile-de-France, une décision Fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne du 23 février 2009 à propos de la réintroduction des ours, ou encore une décision de l'assemblée du contentieux du 12 juillet 2013 contre le décret du 22 septembre 2010 relatif à la pêche à l'anguille.
Le contrôle de fond des mesures destinées à éviter, réduire et compenser s'est surtout exercé dans le cadre des recours contre les déclarations d'utilité publique (DUP), et ce dès les années 1980, avec notamment une décision Commune de Thiais du 13 janvier 1984 sur l'autoroute A86. Je citerai également une décision Fédération SEPANSO du 21 mai 2008 contre le décret du 18 décembre 2006 portant déclaration d'utilité publique sur l'A65, dans laquelle le Conseil d'Etat s'est fondé sur les mesures envisagées pour compenser les atteintes à l'environnement afin de rejeter le recours pour excès de pouvoir. Sur cette même affaire, le commissaire du Gouvernement concluait quant à lui à l'annulation du décret, considérant que l'étude d'impact était insuffisante et que le contenu des mesures proposées était lui-même insuffisant.
Un autre exemple célèbre : la décision Association interdépartementale et intercommunale pour la protection des sites du Verdon du 10 juillet 2006 dans laquelle le Conseil d'Etat a annulé un arrêté de décembre 2005 des ministres chargés des transports et de l'industrie portant déclaration d'utilité publique pour des lignes à haute tension dans les gorges du Verdon, considérant que les atteintes à l'environnement étaient trop importantes. La compensation n'était pas directement mentionnée mais le sujet était sous-jacent.
Enfin, sur la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le Conseil d'État n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur des recours, a fortiori car nous intervenons surtout en cassation.
Concernant la loi biodiversité, nous nous interrogeons sur l'obligation de résultats, et sur la façon dont le juge administratif va la mesurer et la juger. Lorsque le juge administratif sera saisi, restera-t-il plutôt dans une logique de moyens, en exigeant des mesures complémentaires ? Ira-t-il jusqu'à la suspension des projets ?
En tant que président de chambre, je ne peux pas prendre parti sur des questions sur lesquelles nous devrons nous prononcer plus tard. Ces exigences vont poser des questions nouvelles au juge administratif, c'est certain. Nous sommes habitués au recours pour excès de pouvoir, donc à un contrôle pour lequel le juge se place à la date à laquelle la décision a été prise.
L'obligation de contrôle dans le temps va poser des questions nouvelles, qu'il faudra bien résoudre. Je ne sais pas dire à ce jour comment le juge assurera l'effectivité de la loi, mais il le fera. Le juge administratif utilise au maximum la palette d'outils mis à disposition par le législateur, notamment avec le mécanisme des référés et des injonctions. Le juge administratif n'hésite plus à faire une forme d'hybridation entre le recours pour excès de pouvoir et le recours de plein contentieux.
La 6e chambre du Conseil d'État a, parmi ses compétences, le contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), pour lequel le juge administratif est depuis longtemps un juge du plein contentieux, qui doit apprécier au fil de l'eau le durcissement de la législation, au moment où il statue, notamment pour les installations autorisées par le passé sous un régime moins sévère. Tout en considérant, encore très récemment, que lorsque le juge examine l'autorisation au regard de l'environnement, il se place à la date à laquelle il statue et tient compte du durcissement, mais pour la décision d'urbanisme, il se place à la date d'autorisation, pour tenir compte des droits acquis du titulaire de l'autorisation.
Les juges administratifs sont-ils suffisamment formés pour trancher ces questions environnementales ?
Je serai prudent sur un jugement global de la juridiction administrative, mais c'est un sujet que nous pratiquons depuis longtemps, même si la législation a fait monter le niveau d'exigence.
Le juge administratif dispose de nouveaux moyens d'enquête comme le recours à l'expertise ou l'amicus curiae, plus ponctuel mais qui permet de verser au dossier l'appréciation d'un organisme extérieur, comme cela a récemment été fait pour l'affaire Lambert en faisant appel à l'Ordre des médecins, à l'Académie de médecine, à l'auteur de la loi qu'il fallait appliquer, Monsieur Leonetti. Le mécanisme des enquêtes à la barre tend aussi à se développer, en permettant de convoquer les parties et de les entendre lors d'auditions publiques afin de poser des questions très précises. Cela permet de compléter très utilement la procédure écrite, habituellement au coeur de l'activité du juge administratif. Cela peut être une solution pour renforcer notre capacité à maîtriser les enjeux environnementaux, dans des affaires particulièrement importantes.
Le juge administratif a-t-il tendance à se positionner différemment selon la taille des projets, en particulier sur des grands projets pour lesquels d'autres intérêts publics peuvent primer ?
Je ne crois pas. Les grands projets sont généralement ceux qui font aussi l'objet de l'effort le plus important en termes de qualité environnementale. Je ne dirai pas que le juge administratif fait preuve de plus de retenues sur les grands projets. Il arrive que la jurisprudence progresse en posant un principe sans l'appliquer au cas d'espèce ; cela était fréquent au XIXe siècle et cela peut encore arriver.
Le juge administratif est par ailleurs de plus en plus attentif à la sécurité juridique dans ses décisions et notamment aux évolutions de sa jurisprudence. Je pense à la possibilité de limiter la portée dans le temps d'une nouvelle jurisprudence, ou de préciser les effets dans le temps d'une décision d'annulation.
La difficulté des affaires que vous mentionnez, c'est qu'il s'agit de contentieux triangulaires, voire davantage. De nos jours, ces contentieux environnementaux sont sans doute les contentieux administratifs qui concernent le plus de personnes. Le juge doit en tenir compte lorsqu'il statue.
Il y a beaucoup d'avis consultatifs dans la chaîne de décision, comme celui du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) ou de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Si l'on se dispense d'une telle consultation, cela crée un vice de forme. Si l'on passe outre un avis consultatif défavorable, la procédure continue mais est-ce que le juge administratif en tient compte dans son appréciation?
En termes de procédure, dès lors que les avis consultatifs ont été rendus, il n'y a pas de difficulté. Les procédures d'avis conforme restent rares. Sur le fond, un avis négatif est bien sûr un élément du dossier, notamment quand il est très développé. Il n'aura pas d'effet mécanique sur la décision du juge mais il aura un réel poids. Je reste prudent car je ne suis président que depuis peu, mais la qualité des avis progresse vraiment, notamment les analyses des DREAL.
En termes de calendrier, certains avis environnementaux interviennent en aval de l'enquête publique, et peuvent engendrer des contentieux en tiroirs. Considérez-vous comme d'autres personnes entendues qu'il y a un empilement et un séquençage compliqué ? Ne gagnerait-on pas à restructurer les procédures environnementales plus en amont ?
Je me garderai bien de donner un avis sur les choix du législateur, mais en tant que juge administratif, nous nous interrogeons sur la meilleure manière d'assurer l'effectivité des textes, en évitant des annulations qui arriveraient très tard par rapport à des insuffisances intervenues très tôt dans la procédure. Nous essayons de rechercher des équilibres pour éviter de telles décisions incompréhensibles et un peu exaspérantes. Tout ce que le législateur décidera de faire en ce sens facilitera notre tâche, afin d'éviter des situations peu satisfaisantes.
Sur la LGV Tours-Bordeaux, il y a eu une condamnation d'une entreprise pour non-respect de certaines mesures de prudence lors des travaux. On peut avoir le sentiment que l'entreprise y a gagné, en privilégiant l'amende. Même si s'agit d'une décision pénale, le montant des amendes encourues ne vous semble-t-il pas désincitatif pour les maîtres d'ouvrage ?
Vous comprendrez bien qu'il ne me revient pas d'apprécier une décision prise par une juridiction de l'autre ordre.
Même si vous refusez, à juste titre, de nous donner des conseils, cela nous éclaire sur notre activité de législateur. Lorsque j'étais député, j'avais co-écrit avec François Sauvadet un rapport intitulé « L'insoutenable application de la loi ».
Si vous avez des suggestions d'analyses ou de réflexions produites sur ces sujets, nous sommes très preneurs.