Au préalable, je souhaite rappeler que la construction est un domaine sous la double tutelle du ministre du logement et du ministre de l'environnement. Depuis 2013, le bureau de l'économie de la construction s'est doté d'une cellule outre-mer, qui emploie 2,5 équivalents temps plein (ETP), soit deux chefs de projet de catégorie A et la moitié de mon poste. Cette cellule est chargée de tout le champ de la réglementation technique, de la politique d'incitation à la rénovation énergétique, du soutien au développement de filières alternatives à la construction classique et de la veille sur les coûts de construction et le parc de logements dans les DOM.
L'adaptation aux outre-mer de la réglementation technique est un des axes forts de notre activité. Nous nous inscrivons dans la démarche de simplification du programme « Objectif 500 000 » engagée en 2013. Les professionnels ultramarins ont été interrogés à cette occasion et ils ont fait des propositions. La Réunion s'est montrée particulièrement réactive et productive. Un groupe de travail avait été mis en place en Guyane un an auparavant et ses conclusions ont été prises en compte. Les Antilles ont également participé. Les principales demandes de simplification ou de modification émises par les professionnels portaient sur l'accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR), sur la sécurité incendie, sur la réglementation thermique - aussi bien la réglementation thermique, acoustique et d'aération (RTAA DOM) que les réglementations thermiques régionales de Guadeloupe et de Martinique -, ainsi que sur la norme NF C 15-100 en matière électrique.
Il faut reconnaître qu'il est difficile d'examiner et d'évaluer leurs propositions dans le cadre d'un groupe de travail national parisien, et encore davantage pour inscrire celles qui ont été jugées pertinentes dans le travail de concertation interministériel. Par exemple, le régime de sécurité incendie est prévu par un arrêté de 1986 dont la révision est déjà engagée depuis bien longtemps, de telle sorte que les demandes des outre-mer sont très difficiles à intégrer dans le processus. Je pense en particulier à la question des coursives déportées et à l'obligation de mettre des portes coupe-feu en extérieur, qui renvoient à des problèmes de conception très spécifiques aux outre-mer. Il faut beaucoup d'exemples, de conviction et de ténacité pour faire avaliser le point de vue ultramarin par des instances nationales.
Nous avons toutefois la main sur certains pans de la réglementation, dès lors qu'elle est propre aux DOM. Je pense en particulier à la RTAADOM. Pour préparer la révision de 2016, nous avons mené pendant un an et demi un travail assez large et en profondeur de consultation des acteurs locaux. L'architecture du système demeure complexe puisque le volet acoustique et aération est commun aux cinq DOM, tandis que le volet thermique concerne seulement La Réunion et la Guyane, bientôt Mayotte, des réglementations thermiques régionales s'appliquant en Martinique et en Guadeloupe. En outre, la RTAA concerne uniquement la construction neuve et le logement, elle ne couvre pas l'existant, ni le tertiaire, pour lesquels il n'existe pas de réglementation. Il n'y a pas non plus de diagnostic de performance énergétique (DPE) pour asseoir des dispositifs incitatifs de rénovation énergétique. Par conséquent, il est difficile d'adapter l'application de la loi de transition énergétique aux DOM, en particulier les décrets qui ont un impact fort sur le bâtiment, car le rattrapage réglementaire demeure inachevé et certains outils n'existent pas encore.
Pour l'adaptation des règles de l'art, je mettrai l'accent sur le programme PACTE. Un important travail est mené depuis un an dans ce cadre, notamment pour décliner les cahiers des charges, pour financer les travaux d'actualisation des règles de l'art, en particulier les règles Antilles, et pour faire réaliser des études préalables à l'adaptation des documents techniques unifiés (DTU). Ce travail n'a pas été facile à organiser. Nous voulions créer des groupes de travail locaux pour y concentrer l'expertise. Nous n'avons pas réussi en Guyane, ni à Mayotte car nous n'avons pas reçu de réponse depuis ces territoires à notre appel à manifestation d'intérêt. Notre information sur ces territoires ne peut nous venir, en l'état, que des DEAL. Cela reste un problème, car nous ne pouvons pas travailler uniquement avec les acteurs de La Réunion, qui sont extrêmement dynamiques, et dans une moindre mesure avec les Antilles.
Au-delà du programme PACTE, nous aurons besoin de structurer des commissions locales pour pérenniser ces groupes de travail dont l'animation n'est pas aisée. Les groupes de travail existants sont aujourd'hui animés par les DEAL, mais est-ce bien leur rôle ? Certes, les DEAL occupent une position de neutralité mais ce n'est pas leur mission première. Si des commissions locales à vocation permanente sont constituées, il faudra réfléchir à leur poids face aux différentes commissions nationales et à leur articulation avec celles-ci. Nous aurons toujours un problème de timing et de délai d'engagement des travaux de révision des normes, qui se situent à un horizon de long terme. Il faut aussi considérer qu'au niveau national existent des ressources d'expertise que l'on ne trouve pas forcément dans les DOM. Les experts ultramarins ne seront, en effet, pas en mesure de suivre constamment la somme de tous les travaux visant à faire évoluer l'ensemble des normes portant sur le secteur au niveau national. Ces problèmes sont récurrents. Un autre point qu'il nous faudra résoudre est celui de la représentation et du poids des fédérations des DOM. Pour relire et réécrire les corpus de règles professionnelles, les fédérations régionales n'ont pas forcément les ressources, l'expertise et la compétence nécessaires.
Votre étude ne peut manquer de s'intéresser aux coûts de construction outre-mer. Malheureusement, nous ne disposons pas nous-même d'une vision claire du sujet. Nous avons lancé une coopération avec le ministère des outre-mer pour accroître notre information mutuelle. Quelques études existent. Certains facteurs sont identifiés comme les coûts d'importation et la fragilité de certaines filières. Nous pensons que la diversification et la structuration de filières de matériaux amélioreraient la qualité de la construction et la performance environnementale, tout en favorisant le maintien de l'emploi local et en contribuant à abaisser les coûts. Des expérimentations en ce sens sont menées. Quelques opérations sont engagées sur le bois en Guyane mais les surcoûts restent énormes et la filière très fragile. Nous fondons aussi des espoirs sur la brique de terre crue compressée (BTC) à Mayotte, et également en Guyane, mais nous rencontrons des problèmes, de nouveau, de structuration de la filière mais aussi de stabilité de la qualité du produit. Les biosourcés en Guadeloupe pourraient également offrir des perspectives intéressantes. Développer de telles filières demande une volonté locale forte.
Vous avez pointé la question des laboratoires locaux. Il existe deux structures intéressantes : la Maison du bois en Guyane, qui possède un laboratoire capable de qualifier certaines essences et le CIRBAT à La Réunion. Il est évident que la dépendance technique à l'égard des centres métropolitains pèse sur l'emploi des matériaux locaux et de techniques innovantes outre-mer. La réalisation d'un test dans l'Hexagone dure trois mois au moins. Au retour, l'échantillon n'est plus le même. Bref, tout cela est source de délais - plusieurs années parfois - et de surcoûts.
Les normes de matériaux, les obligations de marquage CE et les éventuelles équivalences avec d'autres pays de l'environnement régional méritent également de faire l'objet d'une réflexion. Sur proposition de la DEAL de Guyane, nous avons engagé avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) un travail de comparaison des normes en vigueur au Suriname et au Brésil avec les normes CE/NF. Ensuite, nous nous accordons la possibilité de réaliser des tests sur un matériau donné répondant à des normes étrangères. Nous avons choisi d'essayer le ciment brésilien pendant un an pour apprécier son comportement. Ces tests sont plus complexes à mener. Une des difficultés qui se posent, cependant, est de parvenir à récupérer les matériaux de façon constante et à en authentifier la provenance.