Intervention de Charles Baloche

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 9 février 2017 : 1ère réunion
Normes en matière de construction d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer — Table ronde

Charles Baloche, directeur général adjoint et directeur technique du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) :

Le CSTB est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) sous tutelle du ministre de l'équipement et du logement, exercée concrètement par la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Il répond à un double objet : la recherche appliquée, qui doit porter ses fruits sur le terrain, et l'évaluation technique. Sur ce deuxième volet, plus précisément, le CSTB est chargé d'apprécier l'aptitude à l'emploi de techniques innovantes de construction, au sens de ce qui n'est pas déjà largement connu et utilisé par la profession. L'idée est de donner confiance aux acteurs de la construction, aux maîtres d'ouvrage et aux assureurs en précisant les conditions de succès de l'emploi d'une technique innovante. Son activité de recherche apporte au CSTB la légitimité scientifique nécessaire à la juste appréciation de la fiabilité des innovations proposées par le monde industriel. Ses évaluations techniques reposent sur des avis volontairement sollicités, sans caractère obligatoire pour le demandeur.

Pour mener à bien l'évaluation technique, les modèles de calcul sont souvent insuffisants. C'est pourquoi le CSTB déploie une forte activité d'essais. Apprécier la performance de techniques nouvelles demande de bien qualifier les conditions de succès de leur utilisation, les risques encourus et leurs limites d'emploi. Une technique, au sens où nous employons le terme, est composée d'un ou plusieurs produits - de plus en plus sophistiqués et difficiles à mettre en oeuvre - qui doivent être incorporés à un ouvrage selon des conditions d'emploi spécifiques (séchage, température, prescriptions de l'industriel, etc.).

Le CSTB est l'organe de référence pour juger des techniques innovantes. Il réalise en propre 250 évaluations techniques environ par an. En outre, il est, depuis le 2 décembre 1969, la cheville ouvrière d'une procédure d'État sous l'autorité de la Commission chargée de formuler les avis techniques, mise en place auprès du ministère de l'équipement et du logement. Précisément, il mène l'instruction des demandes d'avis formulées auprès de cette commission. Sont mobilisés, à cet effet, un peu plus de 400 experts nommés par ladite commission. Ils sont répartis en une vingtaine de groupes techniques spécialisés, dont le CSTB anime les quelque 150 réunions par an. Dans ce cadre, ont déjà été rendus 25 000 avis techniques depuis 1969. Sont rendus environ 750 avis techniques par an. Au total, le CSTB produit donc approximativement 1 000 évaluations par an, soit directement pour 250 d'entre elles, soit indirectement pour les 750 restantes en tant que pourvoyeur d'informations techniques auprès des experts de la Commission chargée de formuler les avis techniques. D'après les assureurs, il ne se présente pas plus en moyenne de pathologies dans le domaine des techniques innovantes que dans celui des techniques courantes. C'est pour nous un gage de fiabilité de nos évaluations. Nous participons à créer le climat de confiance nécessaire à l'innovation et à sa diffusion.

Les demandeurs sollicitent un avis pour un couple procédé-emploi en précisant le champ géographique d'application. Pour l'essentiel, les industriels retiennent une application dans l'Hexagone. Seule une minorité opte pour une extension à l'outre-mer. Sur 750 avis techniques par an, 60 seulement répondent à des demandes couvrant aussi l'outre-mer. Pourquoi en est-il ainsi ? Pour pouvoir couvrir les outre-mer, nous devons tenir compte de conditions très particulières : risque sismique plus sévère qu'en métropole - surtout aux Antilles -, vents forts et cyclones, ambiance thermohygrosaline sévère qui entraîne une corrosion accélérée et pose des problèmes de durabilité. Pour examiner l'aptitude à l'emploi des matériaux et produits dans ces conditions, nous devons mener des essais de nature différente et d'intensité plus sévère. Cela renchérit le dossier de preuves que l'industriel doit déposer à l'appui de sa demande. Se pose alors la question du rapport entre coûts et bénéfices attendus : le marché potentiel peut-il justifier les frais supplémentaires aux yeux de l'industriel ? C'est un choix propre qui appartient au demandeur. En un mot, les preuves à apporter pour l'emploi en métropole ne peuvent pas couvrir les conditions réelles prévalant dans les outre-mer, d'où des surcoûts dans le montage des dossiers qui expliquent le faible taux de couverture des outre-mer par les avis techniques. C'est un frein indéniable à l'emploi de techniques innovantes outre-mer.

Pour abaisser le coût des matériaux de construction en outre-mer, peut-on suivre le chemin de la reconnaissance de normes étrangères et recourir à des matériaux étrangers ? Je n'y vois pas d'obstacle majeur. En effet, lorsque les demandes d'avis techniques englobent les outre-mer, les dossiers intègrent bien souvent des fournitures locales, ce qui amène le CSTB à examiner des produits provenant de l'environnement régional sur la base de leurs performances caractérisées par le pays d'origine. Il est devenu classique pour les experts des groupes spécialisés et pour le CSTB d'examiner des produits sud-africains lors de demandes d'avis visant La Réunion ou des produits américains pour les Antilles. Cela ne nous pose pas de problème. Une des voies les plus efficaces pour abaisser le coût de l'approvisionnement outre-mer serait justement de recourir davantage à des matériaux locaux, y compris ceux qui sont issus de l'environnement régional.

Le projet de constituer des commissions techniques locales me paraît a priori réalisable à condition qu'elles disposent bien des informations scientifiques dont elles ont besoin et qu'elles se raccordent aux instances nationales par un biais ou un autre. Pour garantir la crédibilité de ces instances, il faut s'assurer qu'elles disposent de toutes les informations scientifiques nécessaires pour apprécier et qualifier le risque. En outre, elles doivent être à l'abri de l'influence des groupes de pression et lobbys. En d'autres termes, il faut que les experts combinent la maîtrise scientifique et l'indépendance de jugement. Si cette double condition est remplie, les commissions locales pourront contribuer à ce que les innovations techniques soient employées aussi aisément outre-mer que dans l'Hexagone.

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