J'ai été manager opérationnel des filiales de Socotec dans l'océan Indien, comme directeur général de Socotec La Réunion-Mayotte et cogérant de Socotec Madagascar. J'ai également conduit des missions en Polynésie française. De mon expérience dans l'océan Indien, je tire deux enseignements pour l'outre-mer : d'abord, la spécificité de l'activité de construction dans un contexte très exposé aux risques naturels ; ensuite, une structuration économique très différente, avec des divergences également entre territoire ultramarins. Il suffit de comparer Mayotte qui fait face à des difficultés considérables et La Réunion, un département très actif, dont on peut heureusement s'inspirer pour trouver des solutions pertinentes pour Mayotte.
Pour illustrer les problèmes de contraintes pesant sur l'emploi des matériaux dans les outre-mer, je donnerai deux exemples. Nous sommes obligés d'utiliser le parpaing NF classique en zone sismique sur certains bâtiments, même s'il peut être pertinent d'essayer d'autres matériaux. Cela freine les économies potentielles. Les règles de sécurité incendie dans les établissements recevant du public (ERP) imposent en particulier l'emploi de matériaux marqués CE et il paraît très difficile d'y déroger si l'on veut obtenir l'avis favorable de la commission de sécurité sur le rapport obligatoire d'un organisme de contrôle. Cela freine encore l'emploi d'autres matériaux pour les ERP.
L'implantation de laboratoires et de centres techniques locaux me semble une piste intéressante. La Réunion offre des ressources utiles puisqu'elle dispose déjà de trois laboratoires très actifs au sein du Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (CIRBAT). Le CIRBAT joue un rôle important de recherche de solutions techniques adaptées et d'accompagnement de l'innovation auprès des entreprises locales. En tant que contrôleur technique, nous avons participé aux travaux du CIRBAT qui ont débouché sur l'élaboration d'un guide de bonnes pratiques pour la pose de bardages de bois. Pour faire face aux conditions climatiques locales, il faut en effet recourir à des modes de pose plus contraignants. L'Observatoire régional de lutte anti-termites (ORLAT) est un instrument précieux de la lutte anti-termites, qui est un sujet sérieux dans l'ensemble des outre-mer. Il contribue à optimiser les traitements pour améliorer la durabilité des bâtiments et faire baisser la sinistralité. Ce laboratoire réalise aussi des diagnostics sur demande. Le Laboratoire d'essais de menuiserie (LEM) apporte sa contribution au classement des performances des produits, notamment des menuiseries extérieures, selon la caractérisation AEV qui s'applique également à La Réunion. Le LEM a également pour mission de développer des menuiseries adaptées au climat tropical. Il faut aussi mentionner le laboratoire de vieillissement des matériaux (LVM) qui conduit des études prometteuses.
L'utilisation de matériaux locaux comme le bois mérite d'être encouragée. Le recours au cryptomeria, une essence de résineux, paraît prometteur. L'ONF participe à un projet de référencement permettant d'étendre son utilisation comme bois de construction au-delà du bardage. Le CIRBAT a réalisé des essais mécaniques, d'aptitude au séchage et au collage, etc. C'est un bois local plus économique dont l'exploitation permet aussi de maintenir l'activité des scieries sur place, donc de favoriser l'emploi local. Nous sommes optimistes pour l'emploi de cryptomeria d'ici cinq ans. Néanmoins, l'utilisation du bois local ne va pas sans difficultés en particulier dans les marchés publics ; il faudrait repenser la formulation des CCAG et CCTG car la réglementation n'est pas parvenue à une caractérisation suffisamment aboutie.
Il est dommage que les demandeurs d'avis techniques visent essentiellement l'Hexagone car l'outre-mer offre un terrain propice à l'expérimentation de solutions techniques nouvelles, en particulier dans le logement social où les besoins sont énormes. Nous sommes confrontés à des difficultés tant pour la construction neuve que pour la réhabilitation de logements sociaux anciens. Prenons un cas précis : la pose d'isolation thermique par l'extérieur. Des avis techniques existent en la matière mais ils ne couvrent que l'Hexagone et pas les outre-mer pour éviter d'avoir à réaliser des tests sismiques et cycloniques. C'est dommage car le besoin existe, donc le marché potentiel. En effet, ce type de technique offre de vraies réponses pour la réhabilitation des façades d'immeubles construits depuis 30 ou 40 ans à La Réunion. Une des difficultés vient de ce que la peau extérieure actuelle est amiantée. Pour maîtriser les coûts considérables du désamiantage, une des solutions est d'encapsuler les matériaux existants. L'outre-mer offre donc des pistes de recherche et des opportunités économiques intéressantes.
En matière de réglementation, le gros sujet demeure l'accessibilité extérieure aux personnes à mobilité réduite (PMR). Pour la sécurité incendie, on peut proposer en tant que contrôleur technique des mesures compensatoires aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et aux commissions de sécurité. Il reste toutefois la question de la conjugaison de la réglementation de sécurité incendie avec la RTAA DOM dans les logements. Les outre-mer se distinguent par le recours à une ventilation transversale du logement : les logements sont accessibles depuis l'extérieur par des coursives déportées. La superposition des réglementations contraint fortement les architectes et les constructeurs. Une étude a été menée à La Réunion par Efectis, laboratoire agréé pour la réalisation d'essais de résistance au feu des éléments de construction, pour réaliser une simulation de foyers d'incendie multiples, modéliser le flux thermique sur les façades et apporter des réponses techniques sur la construction de la coursive extérieure et sur les matériaux de façade. Il pourrait se révéler intéressant de reprendre cette étude, de la refondre et de l'annexer à un texte. Aujourd'hui, nous défendons systématiquement les bonnes pratiques préconisées dans cette étude dans chaque chantier local. Il serait bon de pouvoir apporter une réponse plus globale.
Les nouvelles règles parasismiques sont contraignantes pour La Réunion. Elles augmentent de 30 % le coût du gros oeuvre. Le ministère et l'AQC ont réalisé des plaquettes utiles et des documents passionnants. Demeure un gros besoin de formation auprès des entreprises et des bureaux d'études locaux. Le grand défi à venir demeure l'extension de l'application des nouvelles règles parasismiques à la rénovation et à la restructuration des ERP. Nous allons être confrontés à des bâtiments qui n'ont pas été faits pour cela.
Par ailleurs, le SYCODES (SYstème de COllecte des DÉSordres) s'est penché récemment sur la sinistralité à La Réunion. Certaines pathologies nouvelles vont se présenter de plus en plus massivement à l'avenir, notamment la condensation dans les parois qui augmente avec les constructions en altitude, de plus en plus fréquentes entre 500 m et 1000 m et qui demanderaient quelques compléments dans la RTAADOM. Par ailleurs, il faut savoir que les organismes de contrôle ajoutent localement des règles adaptées plus sévères en matière de fondation, de dallage, de couverture, d'étanchéité, de menuiserie, d'eaux pluviales, etc. Nous allons au-delà des minima réglementaires en nous appuyant sur nos retours d'expérience.