J'ai fait l'expérience des spécificités des outre-mer, il y a plus de 25 ans, après le violent cyclone Hugo qui frappa les Antilles en septembre 1989. J'avais alors été envoyé en Guadeloupe pour examiner comment le corpus des règles Antilles pouvait évoluer pour tenir compte des événements. J'ai, à cette occasion, beaucoup travaillé sur les effets du vent.
En préambule, il me paraît important de rappeler que les outre-mer présentent des différences de statut importantes. Dans les DROM, en particulier, la loi du 4 janvier 1978 dite Spinetta s'applique, de même que le corpus de réglementation et de normalisation. Il y a par ailleurs les COM et enfin la Nouvelle-Calédonie au statut particulier. J'étais aux Antilles la semaine dernière et à La Réunion il y a trois mois. L'important me semble toujours de concentrer les innovations et les bonnes pratiques et d'en encourager localement la reprise dans des règles.
Du côté des groupes spécialisés rattachés à la Commission chargée de formuler les avis techniques, avec l'émergence d'une nouvelle génération d'entreprises, de maîtres d'oeuvre et de contrôleurs techniques bien implantés dans les DROM, les avis techniques ont peu à peu intégré certaines demandes, émanant des industriels, d'extension du domaine d'emploi de leur procédé aux DROM. Il faut l'encourager, en ayant conscience des problèmes de coûts, notamment pour mener les expérimentations.
En matière d'ossature et d'enveloppe du bâtiment, les problèmes locaux liés aux climats tropicaux humides sont connus. Il faut compter outre-mer avec le vent, avec les corrélats de l'humidité (corrosion, putréfaction, plantes qui poussent dans quelques millimètres d'eau, etc.), avec les chocs thermiques et l'exposition aux ultraviolets. En outre, le risque sismique ne peut être ignoré.
J'ai examiné, en préparation de l'audition, environ 80 dossiers que nous avons eu à traiter en outre-mer et je n'y ai pas trouvé plus de problèmes qu'en métropole. Les sinistres restent classiques à deux exceptions : d'une part, des sinistres de béton causés par une qualité insuffisante du produit avec des problèmes dus aux granulats locaux et des phénomènes de carbonatation ou d'alcaliréaction ; d'autre part, des effondrements de toiture causés par des évacuations insuffisantes, ainsi que des envols de toiture. On peut remarquer quelques pathologies plus prégnantes dans certains territoires. Ainsi, la Guyane est marquée par des tassements de terrain et la prégnance de la corrosion des structures métalliques. La Guadeloupe connaît plus de sinistres liés au vent, un peu plus même qu'en Martinique. C'est dans ces départements que l'on retrouve également des sinistres parasismiques. Sur ce point, je remarque que les bureaux d'études n'ont pas toujours connaissance de la nouvelle donne et qu'un besoin de formation et d'accompagnement des acteurs locaux se fait sentir. Enfin, beaucoup de sinistres à La Réunion viennent de ce que les terrains du bas de l'île ne sont plus disponibles, si bien qu'on construit à des altitudes plus élevées, sur de moins bons sols, à flanc de montagne, voire sur des poches de lave, d'où de la condensation sur parois et des tassements de sols.
Je suis assez favorable au développement des filières locales. Pour réussir, il faudrait commencer par référencer les opérations pilotes. Je signale l'existence d'opérations pilotes assez remarquables sur les bois composites On assiste, en Guadeloupe notamment, au développement de chantier en panneaux composites « bois cloué ». Il faudrait également encourager les initiatives locales fédérées principalement par les régions. Je prendrais volontiers l'exemple du programme DURAMHEN aux Antilles permettant de mieux définir l'étendue des classes de service de l'Eurocode 5 pour favoriser la construction en bois. Bureau Veritas y intervient à la demande du secteur professionnel local en tant qu'expert. Enfin, il faudrait créer la confiance tout le long de la chaîne des acteurs en rédigeant des documents paranormatifs - j'entends par là des textes consensuels susceptibles d'évoluer à très court terme comme les fascicules documentaires publiés par l'AFNOR. Cela devrait se faire sous l'égide d'une autorité reconnue pour garantir l'indépendance de jugement et la rigueur scientifique.
La reconnaissance des matériaux étrangers nécessiterait, en revanche, un travail très important. Nos services implantés à La Réunion ou en Nouvelle-Calédonie en reçoivent de nouveaux tous les jours. Il est très difficile d'investiguer et d'en définir le niveau de qualité. En outre, il faut ensuite analyser leur capacité d'incorporation dans des ouvrages en fonction de l'environnement.
La piste des centres techniques locaux peut se révéler intéressante, si elle répond à une volonté forte de faire émerger des filières. Il faudrait néanmoins réaliser un inventaire plus structurant sous la responsabilité d'une délégation générale pour éviter la dispersion.
Je suis, en revanche, très réservé sur une obligation d'extension de tous les avis techniques aux outre-mer, qui in fine reposera sur les demandeurs. Tout le système est fondé sur une démarche volontaire des industriels. Les obliger à déposer un dossier d'avis technique couvrant l'outre-mer renchérirait fortement les coûts. La qualification du risque sismique nécessite des expérimentations qui pèsent lourd économiquement. Il n'est pas sûr que cela soit tenable par tous. En revanche, il me paraît souhaitable de faire moins de démarches individuelles et d'encourager des demandes d'avis techniques de la part de structures collectives. Remarquablement, lorsqu'un avis technique sur un matériau ou une technique innovante couvre l'outre-mer, nous ne rencontrons aucun problème d'utilisation en tant que contrôleur technique. Le développement des avis techniques pour l'outre-mer est donc bien une piste à suivre. Cela mérite une nouvelle impulsion pour couvrir tous les territoires.