Mon point de vue sera celui de l'utilisateur des textes applicables. La DGITM ou ses opérateurs sous tutelle, Voies navigables de France et SNCF Réseau par exemple, ont une longue expérience de la concertation du public.
Après un bref rappel de l'historique de la concertation, j'évoquerai le déroulement habituel des études de conception et des procédures de participation de nos projets ainsi que les implications assez faibles de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016 sur les démarches déjà mises en place. Je conclurai en faisant le point sur les calendriers et la durée moyenne d'avancement des opérations.
La première circulaire relative à la participation du public dans la conception des infrastructures de transport a été prise en 1992 par Jean-Louis Bianco, alors ministre de l'équipement. Ont ensuite été adoptées la loi du 28 février 2002 ratifiant la convention d'Aarhus et la loi « démocratie de proximité » du 27 février 2002 qui a créé de la Commission nationale du débat public (CNDP) telle que nous la connaissions jusqu'à aujourd'hui. Tous les porteurs de grands projets d'infrastructures ont vécu ces évolutions successives avec, je le crois, l'intime conviction que la concertation du public est un élément vital pour la réussite de la conduite du projet.
D'ailleurs, depuis fort longtemps, le code de l'urbanisme impose une concertation, dans la partie urbanisée des communes, pour les projets routiers d'un certain montant. Les directions départementales de l'équipement (DDE) avaient bien pris l'habitude d'utiliser cette concertation, y compris dans des zones où elle n'était pas réglementairement obligatoire, car cet outil paraissait important pour la connaissance des enjeux liés au territoire visé, la détection des blocages éventuels au projet et l'amélioration de celui-ci.
Comment sont conçus, aujourd'hui les projets d'infrastructures ? Quelles sont les procédures de participation du public ? J'évoquerai principalement les infrastructures routières, mais ces éléments peuvent aussi s'appliquer au ferroviaire, sous réserves de quelques différences juridiques.
En amont, c'est-à-dire avant l'enquête d'utilité publique, nous menons des études d'opportunité qui se déroulent en deux phases, conformément à une instruction technique et à une instruction gouvernementale d'avril 2014. Pour chaque projet, une commande est passée par l'administration centrale auprès du service déconcentré concerné.
La première phase des études d'opportunité a pour but de vérifier, très en amont, la pertinence du projet et de dégager ses modalités de réalisation.
Dès lors qu'il s'agit de projets importants - qui sont la plupart du temps référencés par le programme « Mobilité 21 » - la Commission nationale du débat public est saisie. Cette saisine est assortie de l'organisation, ou non, d'un débat, de la constitution d'un dossier par le maître d'ouvrage, de la désignation d'une commission particulière du débat public, chargée de l'animation du débat et de l'élaboration du compte rendu, le bilan étant dressé, quant à lui, par le président de la CNDP. Surtout, à l'issue de ce débat, la maîtrise d'ouvrage rend une décision sur les suites qu'elle envisage de donner à son projet.
Lorsque les projets sont moins importants et qu'ils ne sont donc pas soumis à la Commission nationale du débat public, il est néanmoins préconisé dans l'instruction technique d'engager une concertation préalable qui, dans cette phase très en amont, est à géométrie variable : a minima, il est demandé aux services de procéder à une concertation institutionnelle, sous la conduite du préfet, avec les élus, les collectivités territoriales et les associations représentatives locales ; mais la concertation peut également être plus ouverte au public et s'apparenter à l'étude de la seconde phase.
Cette seconde phase débute dès qu'est retenue l'opportunité d'avancer sur un projet. Il s'agit de préparer le choix du projet qui sera soumis à l'enquête publique ; il convient ainsi de préciser les enjeux de l'opération, de présenter plusieurs familles de solutions répondant aux enjeux, de définir les objectifs et les éléments de programmes permettant de choisir la solution privilégiée pour l'enquête publique. Bien évidemment, ce choix est proposé au public sous la forme d'une analyse « multicritères » des différentes solutions étudiées. Cette phase existe aussi pour les grands projets, en général dans le cadre d'une concertation avec garant que la Commission nationale du débat public recommande à l'issue du débat public initial.
La concertation mise en oeuvre par les services instructeurs a lieu pendant toute la durée des études. Elle est indispensable pour asseoir l'acceptabilité du projet, car elle permet d'informer régulièrement l'ensemble des acteurs. Elle constitue aussi une opportunité, pour le maître d'ouvrage, d'approfondir sa connaissance des enjeux et des contraintes liés au projet.
Cette concertation préalable s'inscrit clairement dans les obligations de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 et de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Elle présente donc, à nos yeux, un certain nombre de garanties, en répondant à une démarche d'information du public, mais aussi en assurant le recueil d'informations et de propositions. Elle s'appuie sur un dossier de concertation qui permet notamment de rappeler le cadre juridique du projet, ses objectifs, les modalités de la consultation, les enjeux du territoire, les objectifs du projet, les différentes solutions et l'analyse que nous avons conduite sur la solution préférentielle. Dans nos instructions, il est recommandé aux services de ne pas engager de concertation inférieure à un mois. Cette concertation fait l'objet d'un bilan, lui aussi formalisé, qui doit être joint à l'enquête d'utilité publique.
Dans la pratique, cette concertation peut s'inscrire dans trois cadres juridiques différents : la concertation avec garant recommandée par la Commission nationale du débat public sur les grands projets à l'issue d'un débat public, la concertation au titre de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme ou, tout simplement, au titre de l'article L. 121-16 du code de l'environnement qui permet, de fait, de dupliquer la concertation relevant de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme sur un territoire non urbanisé.
Après cette phase préalable, un travail important est nécessaire, pour lequel les efforts de concertation restent souhaitables jusqu'à la constitution du dossier de l'enquête publique à partir du projet retenu.
Compte tenu des éléments que je viens de vous décrire, je vous confirme, comme madame la commissaire générale au développement durable, les effets assez limités de l'ordonnance « participation » sur les modalités de la conduite de la concertation des grands projets d'infrastructures. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) a d'ailleurs été étroitement associée, aux différents travaux ayant permis l'aboutissement de cette ordonnance. Les évolutions ont déjà été évoquées par madame la commissaire générale au développement durable. S'agissant du débat public, figure désormais dans les dossiers soumis à la CNDP ou portés à sa connaissance, la notion d'élargissement des autoroutes et des voies express. De plus, cette commission peut être saisie par 10 000 citoyens.
Enfin, la concertation avec garant après le débat public est systématisée, ce qui ne changera pas fondamentalement les choses, puisque d'une manière générale, la CNDP recommandait la présence de ce garant.
Pour le reste, un dispositif de concertation sera obligatoire pour tous les projets soumis à étude d'impact environnementale. À la marge, cela signifie peut-être que des projets, qui ne semblaient pas nécessiter une concertation très poussée mais dont le coût ou l'impact environnemental n'est pas négligeable, pourraient être concernés par le dispositif. Au demeurant, avec la modification du périmètre des dossiers soumis à étude d'impact, cette mesure devrait être assez marginale.
La déclaration d'intention par les maîtres d'ouvrage et l'exercice du droit d'initiative par les citoyens méritent une attention particulière car ils pourraient encourager les maîtres d'ouvrage à choisir systématiquement une concertation avec garant, y compris pour les opérations non soumises à débat public. Concrètement, il s'agirait ainsi d'éviter de perdre du temps avec une première concertation sans garant et d'être contraint d'engager une nouvelle obligation de concertation sous l'effet de l'initiative citoyenne.
En revanche, l'allongement de cinq à huit ans du délai de validité du débat public, c'est-à-dire du délai qui peut séparer le débat du lancement de l'enquête publique, est positif eu égard au cycle de vie réel des projets.
Le dispositif de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme nous semble à la fois souple et efficace. Les services le maîtrisent très bien. La question des redondances entre le code de l'environnement et le code de l'urbanisme est souvent posée : nous sommes persuadés qu'elles ne sont pas défavorables à la compréhension des textes.
J'évoquerai, enfin, la durée de conception et de réalisation des grands projets d'infrastructure soumis à débat public. J'ai examiné dix projets ferroviaires et sept projets routiers ; certains ont déjà été mis en service, d'autres le seront bientôt ou à une date encore indéterminée.
Pour les projets ferroviaires, le délai moyen entre la fin du débat public et la mise en service des équipements est de vingt ans ; en moyenne, onze ans séparent la fin du débat public de l'obtention de la déclaration d'utilité publique (DUP), après quoi il faut encore neuf ans jusqu'à la mise en service.
Les projets routiers sont réalisés de manière un peu plus rapide : il se passe en moyenne seize ans entre la fin du débat public et la mise en service, dont neuf ans entre le débat public et la DUP. Le projet dont l'accomplissement aura été le plus rapide est la mise au statut autoroutier de la route Centre-Europe Atlantique ; le débat public a eu lieu en 2011, la DUP est attendue cette année, et on espère l'achèvement du projet à la fin de 2021, ce qui représentera un délai de onze ans.
Au-delà de ces grands projets, la variété des situations est telle qu'il est délicat de dresser une statistique. L'élargissement de la rocade de Bordeaux a fait l'objet d'une concertation selon les modalités de l'article L. 103 -2 du code de l'urbanisme en 2014 ; les travaux doivent commencer ce mois-ci, soit trois ans seulement après la concertation publique. À l'inverse, certains projets dont la DUP a été obtenue au début des années 2000 ne sont toujours pas entrés dans la phase de construction.
Les procédures de concertation sont indispensables à l'avancement des projets, et ne les retardent pas significativement ; les difficultés politiques et financières, mais surtout le nombre considérable et croissant de règles auxquelles les projets sont soumis jouent un rôle bien plus important. Je fais notamment référence à la contre-expertise socio-économique des investissements de l'État par le Commissariat général à l'investissement - prévue depuis 2013 - et l'avis de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) sur les concessions d'autoroute.
Par ailleurs, le renforcement de l'attention portée à l'environnement et à la biodiversité - dont témoigne la démarche « éviter, réduire, compenser », à laquelle nous adhérons sans réserve - augmente les difficultés : il est parfois très difficile de trouver le moyen de compenser plusieurs centaines d'hectares de boisement affectés par un projet. Des projets anciens se trouvent plus difficiles à mener par l'apparition de ces nouvelles règles.