Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire

Réunion du 8 mars 2017 à 9h35

Résumé de la réunion

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  • environnementale
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  • urbanisme

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Nous poursuivons les auditions de notre mission d'information en recevant ce matin deux entités du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer : Mme Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD), et M. Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

La mission d'information s'interroge sur l'efficacité et la légitimité des décisions publiques. Elle a choisi d'examiner des cas concrets, parmi lesquels figurent les conditions de conception et de réalisation des infrastructures. Pourquoi les procédures sont-elles si longues et, parfois, n'aboutissent-elles pas ? Comment les simplifier tout en incitant le public à donner son avis sur ces projets structurants pour l'aménagement de notre territoire et en évitant les situations de blocage ?

L'audition de ce matin nous permettra de poursuivre notre travail sur ces différents points : ancienne vice-présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Mme Monnoyer-Smith a participé à la rédaction des deux ordonnances du 3 août 2016 sur la démocratie environnementale et les fonctions de M. Hersemul l'amènent, au quotidien, à participer à la création d'infrastructures routières.

Enfin, je vous informe que cette audition est ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.

Madame la commissaire, monsieur le directeur, je vous propose d'intervenir à titre liminaire pour quelques minutes. Je donnerai ensuite la parole à M. le rapporteur, Philippe Bonnecarrère, puis à l'ensemble de nos collègues pour qu'ils puissent vous poser toutes leurs questions.

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation.

Je m'exprimerai à titre liminaire en ma qualité de commissaire générale au développement durable, mais informée par mon expérience au sein de la Commission nationale du débat public (CNDP).

J'évoquerai tout d'abord l'impact sur les grandes infrastructures de transport de l'ordonnance du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement.

En l'espèce, cette ordonnance « participation » implique peu de changements pour les grandes infrastructures. Je rappelle qu'aujourd'hui, les enjeux concernent moins la réalisation de nouveaux équipements, qui était autrefois une priorité, que la modernisation de l'équipement existant.

S'agissant des infrastructures soumises à débat public, le décret prévu pour l'application de cette ordonnance - qui est actuellement en discussion devant le Conseil d'État - ne comporte que des modifications mineures. J'en citerai deux : entrent désormais dans le périmètre de saisine de la CNDP l'élargissement des autoroutes -et non plus seulement leur création - ainsi que des équipements se situant dans le périmètre de ces infrastructures.

Par ailleurs, l'ordonnance du 3 août 2016 introduit une procédure de conciliation entre les différentes parties prenantes à la création d'une infrastructure. Cette procédure sera menée par la CNDP, mais ne pourra être activée que si l'ensemble des parties prenantes le demandent conjointement.

L'ordonnance précitée comporte également quelques mesures de simplification. Par exemple, un projet prévu dans le cadre d'un plan ou d'un programme ayant déjà donné lieu à un débat public ne sera pas systématiquement soumis à cette dernière procédure : il pourra faire l'objet d'une simple concertation préalable, sous l'égide de la CNDP. Dans ce cas précis, en effet, l'opportunité du projet peut ne pas être débattue de la même façon, puisqu'elle aura déjà été discutée dans le cadre du plan ou du programme.

De plus, la CNDP pourra être saisie par 10 000 citoyens dans le cadre d'un droit d'initiative citoyen.

Enfin, après une procédure de débat public organisée par la CNDP, un garant sera désigné par cette dernière de manière encore plus systématique, afin de poursuivre la concertation tout au long de la procédure, et ce jusqu'à l'enquête publique.

Le dispositif de concertation préalable que nous avons mis en place n'ajoute pas d'exigence complémentaire pour les projets entrant déjà dans le champ de la CNDP. Les projets qui font l'objet d'une étude d'impact environnementale seront soumis à cette concertation préalable. Leur nombre a toutefois vocation à diminuer du fait de la récente modification du périmètre de l'évaluation environnementale. De surcroît, les projets concernés par cette obligation de concertation préalable devront être financés par des fonds publics, à hauteur de 10 millions d'euros, selon le projet de décret en cours d'examen devant le Conseil d'État.

En conclusion, concernant la phase de concertation préalable sur les grandes infrastructures, l'impact de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016 est extrêmement limité, d'autant que la commande du Président de la République, exprimée lors de la conférence environnementale de novembre 2014, visait principalement les petits projets comme celui de Sivens qui, du fait des montants engagés, pouvaient échapper à toute procédure de concertation.

La deuxième partie de cette ordonnance vise, en aval de la concertation, la poursuite de la modernisation des enquêtes publiques. Elle s'inscrit dans le prolongement de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement qui avait déjà pour objet d'opérer un certain nombre de simplifications et de répondre à certaines critiques émises à l'encontre des enquêtes publiques. Je citerai notamment parmi les apports de cette loi la création de l'enquête publique unique, la possibilité de suspendre l'enquête ou d'effectuer une enquête complémentaire, sans nécessité de nommer un nouveau commissaire enquêteur. Je mentionnerai également la possibilité de dessaisir le commissaire enquêteur ou de réviser régulièrement les listes départementales des commissaires enquêteurs.

Il a ainsi été question, avec l'ordonnance « participation » du 3 août 2016, de parachever le processus de modernisation des enquêtes publiques, en se focalisant essentiellement sur la dématérialisation. Cette dernière est en effet propice à une plus large participation de nos concitoyens, dont certains peuvent éprouver des difficultés pour se déplacer, rencontrer les différents intervenants ou avoir accès aux dossiers des enquêtes publiques. À l'heure du numérique, ces mesures nous semblent donc indispensables.

En outre, l'enquête publique peut être réduite à quinze jours pour les projets qui ne sont pas soumis à une évaluation environnementale.

La possibilité d'organiser une enquête publique unique est renforcée et peut porter, dans un souci d'éviter une multiplication d'enquêtes pour un même projet.

De nombreux groupes de travail ont participé à la rédaction de cette ordonnance du 3 août 2016, en examinant notamment l'opportunité ou non de maintenir systématiquement les enquêtes publiques. Ils ont d'abord considéré que la durée de l'enquête publique avait une incidence relativement limitée sur la durée des procédures, qui peuvent être extrêmement longues. Ils ont ensuite estimé que la présence du commissaire enquêteur, jouant ce rôle de tiers garant extérieur au projet, était un gage de transparence et constituait un élément important pour la légitimité et la qualité du travail de concertation

La réflexion a été très nourrie à ce sujet. Votre mission d'information a entendu différents acteurs concernés, dont votre collègue sénateur Alain Richard. Pour notre part, nous avons produit plusieurs rapports successifs avant l'élaboration de cette ordonnance. Un travail de concertation extrêmement important a été mené, par l'intermédiaire du Conseil national de la transition écologique, auprès de l'ensemble des parties prenantes, promoteurs, associations, etc.

Nous en avons conclu qu'il était temps de stabiliser le droit applicable, après la réforme de l'évaluation environnementale et de la participation du public, ou encore la création de l'autorisation environnementale unique. Nous devons maintenant aider et accompagner les services déconcentrés de l'État pour appliquer ces ordonnances et mettre en place les outils nécessaires. À ce propos, nous avons beaucoup travaillé à la réalisation de formations spécifiques. Les services déconcentrés de l'État ont dû, quant à eux, se réorganiser de façon importante.

C'est pourquoi il nous paraît sage d'appliquer les textes existants, de favoriser les bonnes pratiques et de partager les expériences. Les maîtres d'ouvrage eux-mêmes réclament une certaine stabilité législative et réglementaire en vue d'une bonne assimilation de ces réformes, de gains de temps et d'une meilleure gestion des coûts induits. Il est important que les nouvelles mesures de simplification se traduisent dans les faits, avant toute nouvelle évaluation ou retour d'expérience. Il nous sera ensuite possible de modifier les textes.

Les groupes de travail que j'ai mentionné ont donné lieu à d'âpres discussions et ont permis d'aboutir à un certain nombre de compromis fondés sur des bases relativement solides. Nous ne souhaitons pas les modifier de manière substantielle ; nous préférons accompagner l'ensemble des services et collectivités territoriales en leur qualité de maîtres d'ouvrage, ainsi que les acteurs privés qui devront se soumettre aux nouvelles règles.

Comme cela a été souligné dans le rapport de la commission présidée par Alain Richard, il est important de développer une culture de la participation du public, un savoir-faire, qui ne figurent pas forcément dans les textes. Au demeurant, nous avons collectivement travaillé à l'établissement d'une charte de la participation publiée en octobre 2016. Celle-ci repose, certes, sur le volontariat, mais elle a vocation à accompagner les maîtres d'ouvrage, dont la majorité d'entre eux mettent en oeuvre de bonnes pratiques. Même si nous nous focalisons beaucoup sur les échecs, de nombreux projets d'infrastructure aboutissent et témoignent de la bonne volonté des acteurs concernés. Cette charte a vocation à constituer une communauté de bonnes pratiques, de comportements positifs, de favoriser l'écoute et les échanges en vue de trouver des solutions concrètes. J'ai mobilisé l'ensemble de mes services pour qu'ils s'inscrivent dans une démarche d'accompagnement, à mes yeux plus opportune qu'une évolution de la réglementation.

Debut de section - Permalien
Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

Mon point de vue sera celui de l'utilisateur des textes applicables. La DGITM ou ses opérateurs sous tutelle, Voies navigables de France et SNCF Réseau par exemple, ont une longue expérience de la concertation du public.

Après un bref rappel de l'historique de la concertation, j'évoquerai le déroulement habituel des études de conception et des procédures de participation de nos projets ainsi que les implications assez faibles de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016 sur les démarches déjà mises en place. Je conclurai en faisant le point sur les calendriers et la durée moyenne d'avancement des opérations.

La première circulaire relative à la participation du public dans la conception des infrastructures de transport a été prise en 1992 par Jean-Louis Bianco, alors ministre de l'équipement. Ont ensuite été adoptées la loi du 28 février 2002 ratifiant la convention d'Aarhus et la loi « démocratie de proximité » du 27 février 2002 qui a créé de la Commission nationale du débat public (CNDP) telle que nous la connaissions jusqu'à aujourd'hui. Tous les porteurs de grands projets d'infrastructures ont vécu ces évolutions successives avec, je le crois, l'intime conviction que la concertation du public est un élément vital pour la réussite de la conduite du projet.

D'ailleurs, depuis fort longtemps, le code de l'urbanisme impose une concertation, dans la partie urbanisée des communes, pour les projets routiers d'un certain montant. Les directions départementales de l'équipement (DDE) avaient bien pris l'habitude d'utiliser cette concertation, y compris dans des zones où elle n'était pas réglementairement obligatoire, car cet outil paraissait important pour la connaissance des enjeux liés au territoire visé, la détection des blocages éventuels au projet et l'amélioration de celui-ci.

Comment sont conçus, aujourd'hui les projets d'infrastructures ? Quelles sont les procédures de participation du public ? J'évoquerai principalement les infrastructures routières, mais ces éléments peuvent aussi s'appliquer au ferroviaire, sous réserves de quelques différences juridiques.

En amont, c'est-à-dire avant l'enquête d'utilité publique, nous menons des études d'opportunité qui se déroulent en deux phases, conformément à une instruction technique et à une instruction gouvernementale d'avril 2014. Pour chaque projet, une commande est passée par l'administration centrale auprès du service déconcentré concerné.

La première phase des études d'opportunité a pour but de vérifier, très en amont, la pertinence du projet et de dégager ses modalités de réalisation.

Dès lors qu'il s'agit de projets importants - qui sont la plupart du temps référencés par le programme « Mobilité 21 » - la Commission nationale du débat public est saisie. Cette saisine est assortie de l'organisation, ou non, d'un débat, de la constitution d'un dossier par le maître d'ouvrage, de la désignation d'une commission particulière du débat public, chargée de l'animation du débat et de l'élaboration du compte rendu, le bilan étant dressé, quant à lui, par le président de la CNDP. Surtout, à l'issue de ce débat, la maîtrise d'ouvrage rend une décision sur les suites qu'elle envisage de donner à son projet.

Lorsque les projets sont moins importants et qu'ils ne sont donc pas soumis à la Commission nationale du débat public, il est néanmoins préconisé dans l'instruction technique d'engager une concertation préalable qui, dans cette phase très en amont, est à géométrie variable : a minima, il est demandé aux services de procéder à une concertation institutionnelle, sous la conduite du préfet, avec les élus, les collectivités territoriales et les associations représentatives locales ; mais la concertation peut également être plus ouverte au public et s'apparenter à l'étude de la seconde phase.

Cette seconde phase débute dès qu'est retenue l'opportunité d'avancer sur un projet. Il s'agit de préparer le choix du projet qui sera soumis à l'enquête publique ; il convient ainsi de préciser les enjeux de l'opération, de présenter plusieurs familles de solutions répondant aux enjeux, de définir les objectifs et les éléments de programmes permettant de choisir la solution privilégiée pour l'enquête publique. Bien évidemment, ce choix est proposé au public sous la forme d'une analyse « multicritères » des différentes solutions étudiées. Cette phase existe aussi pour les grands projets, en général dans le cadre d'une concertation avec garant que la Commission nationale du débat public recommande à l'issue du débat public initial.

La concertation mise en oeuvre par les services instructeurs a lieu pendant toute la durée des études. Elle est indispensable pour asseoir l'acceptabilité du projet, car elle permet d'informer régulièrement l'ensemble des acteurs. Elle constitue aussi une opportunité, pour le maître d'ouvrage, d'approfondir sa connaissance des enjeux et des contraintes liés au projet.

Cette concertation préalable s'inscrit clairement dans les obligations de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 et de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Elle présente donc, à nos yeux, un certain nombre de garanties, en répondant à une démarche d'information du public, mais aussi en assurant le recueil d'informations et de propositions. Elle s'appuie sur un dossier de concertation qui permet notamment de rappeler le cadre juridique du projet, ses objectifs, les modalités de la consultation, les enjeux du territoire, les objectifs du projet, les différentes solutions et l'analyse que nous avons conduite sur la solution préférentielle. Dans nos instructions, il est recommandé aux services de ne pas engager de concertation inférieure à un mois. Cette concertation fait l'objet d'un bilan, lui aussi formalisé, qui doit être joint à l'enquête d'utilité publique.

Dans la pratique, cette concertation peut s'inscrire dans trois cadres juridiques différents : la concertation avec garant recommandée par la Commission nationale du débat public sur les grands projets à l'issue d'un débat public, la concertation au titre de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme ou, tout simplement, au titre de l'article L. 121-16 du code de l'environnement qui permet, de fait, de dupliquer la concertation relevant de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme sur un territoire non urbanisé.

Après cette phase préalable, un travail important est nécessaire, pour lequel les efforts de concertation restent souhaitables jusqu'à la constitution du dossier de l'enquête publique à partir du projet retenu.

Compte tenu des éléments que je viens de vous décrire, je vous confirme, comme madame la commissaire générale au développement durable, les effets assez limités de l'ordonnance « participation » sur les modalités de la conduite de la concertation des grands projets d'infrastructures. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) a d'ailleurs été étroitement associée, aux différents travaux ayant permis l'aboutissement de cette ordonnance. Les évolutions ont déjà été évoquées par madame la commissaire générale au développement durable. S'agissant du débat public, figure désormais dans les dossiers soumis à la CNDP ou portés à sa connaissance, la notion d'élargissement des autoroutes et des voies express. De plus, cette commission peut être saisie par 10 000 citoyens.

Enfin, la concertation avec garant après le débat public est systématisée, ce qui ne changera pas fondamentalement les choses, puisque d'une manière générale, la CNDP recommandait la présence de ce garant.

Pour le reste, un dispositif de concertation sera obligatoire pour tous les projets soumis à étude d'impact environnementale. À la marge, cela signifie peut-être que des projets, qui ne semblaient pas nécessiter une concertation très poussée mais dont le coût ou l'impact environnemental n'est pas négligeable, pourraient être concernés par le dispositif. Au demeurant, avec la modification du périmètre des dossiers soumis à étude d'impact, cette mesure devrait être assez marginale.

La déclaration d'intention par les maîtres d'ouvrage et l'exercice du droit d'initiative par les citoyens méritent une attention particulière car ils pourraient encourager les maîtres d'ouvrage à choisir systématiquement une concertation avec garant, y compris pour les opérations non soumises à débat public. Concrètement, il s'agirait ainsi d'éviter de perdre du temps avec une première concertation sans garant et d'être contraint d'engager une nouvelle obligation de concertation sous l'effet de l'initiative citoyenne.

En revanche, l'allongement de cinq à huit ans du délai de validité du débat public, c'est-à-dire du délai qui peut séparer le débat du lancement de l'enquête publique, est positif eu égard au cycle de vie réel des projets.

Le dispositif de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme nous semble à la fois souple et efficace. Les services le maîtrisent très bien. La question des redondances entre le code de l'environnement et le code de l'urbanisme est souvent posée : nous sommes persuadés qu'elles ne sont pas défavorables à la compréhension des textes.

J'évoquerai, enfin, la durée de conception et de réalisation des grands projets d'infrastructure soumis à débat public. J'ai examiné dix projets ferroviaires et sept projets routiers ; certains ont déjà été mis en service, d'autres le seront bientôt ou à une date encore indéterminée.

Pour les projets ferroviaires, le délai moyen entre la fin du débat public et la mise en service des équipements est de vingt ans ; en moyenne, onze ans séparent la fin du débat public de l'obtention de la déclaration d'utilité publique (DUP), après quoi il faut encore neuf ans jusqu'à la mise en service.

Les projets routiers sont réalisés de manière un peu plus rapide : il se passe en moyenne seize ans entre la fin du débat public et la mise en service, dont neuf ans entre le débat public et la DUP. Le projet dont l'accomplissement aura été le plus rapide est la mise au statut autoroutier de la route Centre-Europe Atlantique ; le débat public a eu lieu en 2011, la DUP est attendue cette année, et on espère l'achèvement du projet à la fin de 2021, ce qui représentera un délai de onze ans.

Au-delà de ces grands projets, la variété des situations est telle qu'il est délicat de dresser une statistique. L'élargissement de la rocade de Bordeaux a fait l'objet d'une concertation selon les modalités de l'article L. 103 -2 du code de l'urbanisme en 2014 ; les travaux doivent commencer ce mois-ci, soit trois ans seulement après la concertation publique. À l'inverse, certains projets dont la DUP a été obtenue au début des années 2000 ne sont toujours pas entrés dans la phase de construction.

Les procédures de concertation sont indispensables à l'avancement des projets, et ne les retardent pas significativement ; les difficultés politiques et financières, mais surtout le nombre considérable et croissant de règles auxquelles les projets sont soumis jouent un rôle bien plus important. Je fais notamment référence à la contre-expertise socio-économique des investissements de l'État par le Commissariat général à l'investissement - prévue depuis 2013 - et l'avis de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) sur les concessions d'autoroute.

Par ailleurs, le renforcement de l'attention portée à l'environnement et à la biodiversité - dont témoigne la démarche « éviter, réduire, compenser », à laquelle nous adhérons sans réserve - augmente les difficultés : il est parfois très difficile de trouver le moyen de compenser plusieurs centaines d'hectares de boisement affectés par un projet. Des projets anciens se trouvent plus difficiles à mener par l'apparition de ces nouvelles règles.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Les élus locaux sont persuadés qu'on les fait vivre dans un monde kafkaïen. Au fil des ans, des couches supplémentaires de procédure se sont empilées, compliquant les projets de création d'infrastructures ou de grands équipements publics. Partagez-vous ce constat ?

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Il est indéniable que l'attention portée aux impacts environnementaux, mais aussi les engagements internationaux et européens pris par la France ont conduit à considérablement augmenter, au cours de ces quinze dernières années, le nombre d'autorisations nécessaires à la réalisation d'un projet. Nous sommes amenés à développer des méthodologies pour comprendre les effets de seuil produits par les impacts cumulés des différentes normes applicables.

L'administration n'a pas tout à fait pris la mesure de la nécessité d'internaliser cette complexité. En effet, nous avons largement fait reposer ces demandes supplémentaires sur la maîtrise d'ouvrage. Une autorisation administrative dépend de différents services au sein de l'administration ; or chaque service définit le périmètre des documents qu'il demande à la maîtrise d'ouvrage. Nous devons rendre ce processus moins complexe et plus transparent pour faciliter les démarches du maître d'ouvrage. Un système d'information plus performant est nécessaire. En règle générale, on demande plusieurs fois les mêmes documents au maître d'ouvrage, ce qui est ressenti comme un « harcèlement administratif ». Nous nous sommes attelés à la tâche sur ce point. La France s'est engagée, dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), pour la mise à disposition des études d'impact réalisées par les maîtres d'ouvrage, ce qui bénéficiera à tous. Notre démarche va plus loin encore : nous entendons mettre en relation de très nombreuses bases de données, pour que, lors de l'enquête publique, tous les documents pertinents soient disponibles sous format numérique, ce qui éviterait à l'administration de les demander à nouveau au maître d'ouvrage. Cela suppose de créer des liens entre de nombreux services au sein du ministère.

De la même manière, la séquence « éviter, réduire, compenser » représente une charge importante pour la maîtrise d'ouvrage, même s'il s'agit d'une nécessité environnementale. Nous mettons actuellement en place une grande plateforme qui cartographiera l'ensemble des lieux pour lesquels la compensation est mise en place ; elle doit ouvrir fin 2017.

On assigne trop souvent à la concertation une responsabilité qui n'est pas véritablement la sienne, que ce soit par facilité - parce que c'est la dernière obligation en date - ou encore parce qu'il s'agit d'un catalyseur de contestations. Néanmoins, il me semble que, si nous parvenions à soulager la maîtrise d'ouvrage sur le plan des procédures administratives, les crispations ressenties envers la concertation diminueraient.

L'ordonnance « participation » du 3 août 2016 permettra la mise en cohérence des processus de concertation. Un travail de simplification plus poussé n'en reste pas moins nécessaire. Cela nécessitera des moyens conséquents, car les infrastructures informationnelles sont onéreuses à mettre en place ; néanmoins, l'internalisation de cette complexité par l'administration peut aussi conduire à des gains substantiels pour la maîtrise d'ouvrage.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

A raison, vous avez mentionné, madame la commissaire générale, les responsabilités supplémentaires qui sont imposées au maître d'ouvrage. La maîtrise d'ouvrage est parfois faible ou déléguée, ce qui empêche de savoir clairement qui prend réellement les décisions. Cela est vrai pour des opérations menées tant par des collectivités territoriales que par l'État. En effet, il arrive que ce dernier ne soit en réalité qu'un « faux » maître d'ouvrage : il porte des opérations demandées par les élus locaux sans être pour autant en mesure de les financer par les voies classiques, ce qui donne lieu à des délégations ou à des concessions. A contrario, j'ai pu observer, dans le cas de la Société du Grand Paris, une maîtrise d'ouvrage très forte, bénéficiant d'un réel consensus politique et de procédures dérogatoires.

Comment mener des procédures de concertation exigeantes tout en renforçant le maître d'ouvrage? Au risque de caricaturer, je poserai aussi la question suivante : ne faudrait-il pas, pour débloquer la situation, systématiser, pour certains projets, les législations ad hoc comme celle applicable à la Société du Grand Paris? En somme, qu'est-ce qu'une bonne maîtrise d'ouvrage aujourd'hui ?

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Les maîtrises d'ouvrages sont extrêmement hétérogènes, et les maîtres d'ouvrage sont parfois désarçonnés face à la complexité des projets. Plusieurs cas peuvent se présenter. Certains maîtres d'ouvrage n'ont pas d'expérience, ou très peu ; la Commission nationale du débat public (CNDP) a mis en place un accompagnement pour les aider à constituer le dossier de maîtrise d'ouvrage. Si cela ne concerne que les projets qui entrent dans le champ de la CNDP, les résultats sont globalement positifs, hormis les cas d'insincérité flagrante des maîtres d'ouvrage qui ne souhaitent pas une concertation réelle avec la population.

Les projets plus modestes qui ne relèvent pas de la Commission nationale du débat public sont plus problématiques. Il faudrait que les maîtres d'ouvrage de ces projets bénéficient d'un meilleur conseil. Je rappelle d'ailleurs, qu'au cours des quinze dernières années, on a observé une professionnalisation croissante des cabinets de conseil spécialisés dans la concertation avec le public.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Vous voyez dans cette professionnalisation des prestations de conseil un point fort ; pour ma part, j'y vois un affaiblissement de la maîtrise d'ouvrage.

Qu'il s'agisse d'une délégation ou d'une convention d'assistance à maîtrise d'ouvrage, l'élu perd en capacité de pilotage, et il n'y a plus de portage politique. La complexité des procédures conduit donc à un affaiblissement du maître d'ouvrage. Tel n'était pas le cas quand l'État pilotait l'ensemble de ces procédures pour son compte ou celui des collectivités territoriales.

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Nous n'avons pas étudié les problèmes posés par l'évolution de la réglementation dans ce domaine. Je suis très sensible à la nécessité d'une vraie réflexion avec les maîtres d'ouvrage avant de faire évoluer encore les textes.

Le statut d'opération d'intérêt national (OIN) ne peut être appliqué qu'à de très gros projets. L'arsenal juridique nécessaire existe pour ceux-ci ; peut-être faudrait-il imaginer de nouveaux dispositifs d'appui aux petits maîtres d'ouvrage.

Debut de section - Permalien
Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

La maîtrise d'ouvrage est aujourd'hui un exercice compliqué qui nécessite des compétences et des moyens financiers spécifiques.

Sur le domaine routier national, nous ne constatons pas un retrait de l'État. Sa maîtrise d'ouvrage s'exerce jusqu'à la déclaration d'utilité publique, même en cas de future concession de l'ouvrage à une société privée. C'est l'État qui conduit les débats publics, les concertations préalables et les déclarations d'utilité publique des autoroutes concédées. Le concessionnaire n'intervient qu'après l'appel d'offres, pour la réalisation des travaux. Une stabilisation des textes favoriserait évidemment leur appropriation par des maîtrises d'ouvrage moins dotées financièrement ou moins organisées. L'ordonnancement des procédures est trop souvent négligé par des maîtrises d'ouvrage faibles. Un bureau de conseil capable d'expliquer les démarches nécessaires au directeur des services techniques d'une collectivité territoriale ne peut que faciliter l'aboutissement effectif du projet.

Quant aux opérations d'intérêt national (OIN), ce qui est exceptionnel doit le rester. Le modèle de la Société du Grand Paris ne peut être appliqué à chaque projet.

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

Il me semble intéressant d'aborder les expérimentations relatives aux autorisations environnementales uniques. L'importance d'un accompagnement adapté des maîtres d'ouvrage durant la phase « amont » en est ressortie, notamment pour les porteurs de projet sans expérience préalable. Il faut que les services de l'État s'organisent pour répondre aux demandes des maîtres d'ouvrage d'une manière adaptée à leurs besoins, que ce soit en leur expliquant le déroulement des procédures, en les aidant à monter leur dossier ou, pour des porteurs de projet beaucoup plus organisés, en convenant d'un calendrier de déroulement des opérations. Ainsi, l'État pourrait internaliser une partie de la complexité des différentes procédures administratives, de façon à ce que le porteur de projet appréhende au mieux les procédures auxquelles il est soumis.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Ne surestimons pas la capacité de l'État à accompagner ces porteurs de projet sur nos territoires ! L'ingénierie est devenue une denrée rare depuis que l'État l'a remontée à l'échelon régional, voire national.

Je souhaite revenir sur les différences, dans un projet, entre les procédures « amont » et « aval ». Le renforcement des procédures en amont, notamment des débats publics et des concertations préalables, est évident. En revanche, il n'y a pas eu, me semble-t-il, d'allégement des procédures en aval, et notamment des enquêtes publiques. Il devrait pourtant y avoir une logique d'équilibre des efforts. Quels seraient, selon vous, les moyens de simplifier les procédures en aval?

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Ce sujet a fait l'objet d'âpres discussions au sein de la commission présidée par votre collègue Alain Richard. Plusieurs facteurs expliquent pourquoi nous sommes aussi peu intervenus sur les procédures en aval.

Le premier facteur est le délai des procédures. Il se passe souvent plusieurs années entre l'élaboration d'un projet et l'enquête publique. On voit mal, dès lors, comment on pourrait se passer de cette dernière, qui constitue une procédure de concertation en aval. Second facteur, les enquêtes publiques ont été réformées en 2010 puis par l'ordonnance « participation » du 3 août 2016; il est donc un peu tôt pour faire encore évoluer la réglementation sur ce point.

En revanche, grâce à la dématérialisation des enquêtes publiques, des procédures plus courtes et plus légères peuvent être mises en place. L'ingénierie de la participation en ligne fonctionne aujourd'hui relativement bien. La Compagnie nationale des commissaires enquêteurs a conscience de la nécessité de s'équiper et de se former à ces évolutions technologiques.

Il faut reconnaître qu'il est possible, aujourd'hui, d'adapter les procédures de concertation et d'enquête publique de manière à ce qu'elles correspondent mieux aux enjeux réels. On a parfois besoin d'une procédure lourde, notamment quand il s'agit d'un projet contesté ; dans d'autres cas, les procédures peuvent être plus souples. D'un point de vue juridique, cette souplesse existe ; il faut simplement qu'elle soit activée.

Par ailleurs, le droit communautaire nous oblige à mettre en place des procédures de concertation. Les procédures minimales comme la procédure supplétive, qui prévoit une consultation en ligne de quinze jours, ne sont pas très lourdes. Les supprimer aurait créé un problème au regard de la réglementation européenne, mais aurait aussi envoyé un signal extrêmement contestable sur le plan du droit de l'environnement, alors que le problème est plutôt dans la complexité interne de la procédure d'autorisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Les citoyens comprennent-ils les documents du dossier d'enquête publique ? Certes, la transparence doit être totale mais ces documents restent très complexes. La réalisation systématique d'un résumé pédagogique et non technique du projet en 10 ou 20 pages serait-elle possible ?

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

C'est non seulement possible, mais indispensable, à l'heure où, avec Internet, l'information circule aisément.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Ce résumé dans le dossier d'enquête publique doit-il être rédigé par le commissaire enquêteur ou par le maître d'ouvrage ?

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Le rôle du commissaire enquêteur est d'aider le maître d'ouvrage à fournir un tel résumé, comme lorsque la CNDP le fait pour élaborer le dossier, pour construire et rendre intelligibles les documents de communication. C'est le rôle que doit jouer le commissaire enquêteur et que, par le passé, il n'a pas suffisamment rempli. Il est à l'évidence nécessaire d'insister pour qu'un tel résumé soit disponible en ligne sur une plateforme dédiée !

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

L'autorité environnementale a aussi, en la matière, son rôle à jouer : elle doit veiller à ce que le résumé non technique de l'étude d'impact soit non seulement complet, mais aussi compréhensible par le grand public. Bien souvent, le grand public ne lit que ce document ! L'un des rôles de l'autorité environnementale est de veiller à la lisibilité de ce document au moment de l'enquête publique. Le maître d'ouvrage le rédige, mais en suivant les recommandations de l'autorité environnementale.

Par ailleurs, les textes en vigueur prévoient que, lors de l'enquête publique, les documents doivent être accessibles par Internet, mais aussi, en un lieu au moins, en version papier. Enfin, un poste informatique dédié doit être aménagé dans un lieu public.

Depuis la réforme d'août 2016, lorsque plusieurs communes sont concernées par une enquête publique, il est autorisé que l'une d'entre elles seulement conserve le dossier complet, le résumé non technique étant disponible en ligne. Cette souplesse évite d'avoir à rendre accessible dans chaque commune un dossier illisible.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Vous évoquez l'autorité environnementale. Commissariat général au développement durable, autorité environnementale : s'agit-il de deux instances distinctes ?

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

La fonction d'autorité environnementale, qui donne un avis sur les études d'impact, est exercée par le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), qui est un service d'inspection ministérielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

N'avez-vous pas le sentiment que, par l'avis de l'autorité environnementale et celui du commissariat général à l'investissement, l'État est parvenu à verrouiller de nouveau les dispositifs de réalisation d'infrastructures sur le territoire, revenant aux temps anciens ? Ces procédures sont, en outre, non contradictoires.

Debut de section - Permalien
Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

L'avis du commissariat général à l'investissement ne s'applique qu'aux investissements de l'État, et non aux opérations des collectivités territoriales. Seul l'avis de l'autorité environnementale est donc en question s'agissant de ces dernières.

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

La question de l'indépendance de l'autorité environnementale a fait l'objet d'âpres discussions ces deux dernières années. Notre exigence, en l'espèce, est extrêmement forte, conformément à l'avis motivé émanant de la Commission européenne.

Le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), autorité environnementale responsable des projets nationaux, travaille en toute indépendance, même si, depuis le point de vue de Sirius, on peut toujours dire qu'il se confond avec l'État. Certes, il ne s'agit pas d'une autorité administrative indépendante, mais d'un service d'inspection. Néanmoins, les personnalités qui le composent donnent un avis très technique et son fonctionnement est totalement découplé des strates administratives.

Concernant l'autorité environnementale dans les territoires, elle a été réformée, à la suite de la publication d'un avis motivé de la Commission européenne. Le dispositif devra être évalué prochainement.

En tout état de cause, l'autorité environnementale a gagné en indépendance ; l'enjeu était extrêmement fort dans le contexte du drame du barrage de Sivens. Le CGEDD est constitué de personnalités indépendantes sur lesquelles nous n'avons pas de prise. Son bon fonctionnement et sa légitimité ne seront assurés qu'à ce prix ; à défaut de telles garanties d'indépendance, il y a fort à parier que les contentieux ou manifestations plus ou moins violentes se multiplieront.

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

Ce qui est en jeu, c'est la transparence de la décision publique. La vocation de cet avis de l'autorité environnementale est d'éclairer le public et le maître d'ouvrage ; à l'issue de cette procédure, ce dernier peut revoir son projet ou compléter son étude d'impact pour tenir compte des observations formulées. En définitive, l'objectif est que la décision du maître d'ouvrage tienne compte de cet avis, ainsi que des autres enjeux liés au projet. Néanmoins, l'avis ne s'impose pas nécessairement et il n'a pas vocation à faire obstacle à la réalisation du projet même s'il est critique. Il doit permettre de l'améliorer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Une des observations formulées par des porteurs de projet porte sur la difficile articulation des concertations relatives, respectivement, au code de l'environnement et au code de l'urbanisme. Sans imaginer la création d'une réglementation unique - dont certains rêvent -, où en est-on, concrètement, du travail de coordination entre les deux codes ? Peut-on imaginer oeuvrer en cette matière ou est-il hors de question, du point de vue des services de l'État, de mettre fin à cette « bipartition » normative ?

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

Le dispositif prévu dans l'ordonnance « participation » du 3 août 2016, qui découle du travail de la commission Richard, consiste à compléter les règles existantes.

Avant que l'ordonnance soit prise, pour les très grands projets, le code de l'environnement prévoyait déjà l'organisation par la CNDP d'un débat public ou d'une concertation préalable ; la concertation au titre du code de l'urbanisme, quant à elle, s'appliquait à un certain nombre de projets, essentiellement en milieu urbain. Certains projets faisaient donc déjà l'objet d'une concertation obligatoire prévue par le code de l'urbanisme et d'un débat public prévu par le code de l'environnement.

La commission Richard a identifié les autres projets qui pouvaient mériter de donner lieu à une concertation. L'ordonnance prise en août dernier traite de ces autres projets, qui entrent dans le champ de la concertation préalable introduite dans le code de l'environnement et qui ne relèvent ni de la CNDP ni de la concertation obligatoire au titre du code de l'urbanisme.

La concertation prévue par le code de l'urbanisme est appréciée par certains maîtres d'ouvrage, critiquée par d'autres ; quoi qu'il en soit, il est apparu pertinent de ne pas la modifier. En revanche, des « trous » existaient en matière de concertation du public sur certains projets. L'ordonnance d'août 2016 était précisément dédiée à les combler.

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Par ailleurs, l'habilitation de l'article 106 de la loi « Macron » du 6 août 2015, de laquelle est issue l'ordonnance « participation », ne nous permettait pas de modifier ces règles du droit de l'urbanisme.

Néanmoins, en tant qu'usager, il est parfois difficile de comprendre pourquoi des procédures différentes s'appliquent suivant qu'un bâtiment est construit en ville ou en pleine campagne. On peut donc bel et bien parler, en la matière, d'un tropisme administratif.

Les discussions que nous avons eues au sein de la commission Richard ont révélé de la part des maîtres d'ouvrage une certaine réticence à homogénéiser les codes de l'environnement et de l'urbanisme. Leur impression était qu'ils risquaient de perdre en souplesse, notamment en ce qui concerne le droit de l'urbanisme. Le conservatisme est partout, côté administration et côté maîtrise d'ouvrage !

Nous aurions pu imaginer l'élaboration d'un système simplifié ; du point de vue de l'usager, c'eût été légitime. Mais la familiarité des maîtres d'ouvrage avec la procédure actuelle de concertation issue du code de l'urbanisme, renforcée par l'habitude des services ministériels, nous a conduits à renoncer à cette logique.

Nous avons néanmoins tenté de répondre en partie à ce problème d'articulation en travaillant sur la charte de la participation, laquelle a vocation à embrasser les questions environnementales et urbanistiques dans leur ensemble. Notre raisonnement a été le suivant : si nous pouvons promouvoir par les usages ce que nous ne pouvons promouvoir par le droit, peut-être parviendrons-nous, un jour - qui sait ? - à un rapprochement des procédures.

Debut de section - Permalien
Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

Mon éclairage sera un peu différent. Admettons que la concertation du public soit bien faite, que le dossier du projet soit fiable, que les enjeux soient posés, que le citoyen puisse donner son avis ; alors ce dernier se moquera de savoir si c'est l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme qui s'applique ou un autre texte ! En matière d'accompagnement juridique de la concertation, la souplesse dudit article nous paraissait vertueuse.

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Je suis tout à fait d'accord. Il existe quand même une certaine réticence, du côté des parties prenantes, et non de l'administration, à l'idée de modifier de manière substantielle la concertation du droit de l'urbanisme. La simplification ne passe pas nécessairement par le seul volet juridique ; elle est peut-être davantage à chercher dans les pratiques. Personne, si ce n'est les associations et certains usagers, ne voulait d'un rapprochement juridique, ni l'administration ni la maîtrise d'ouvrage.

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

Juridiquement, les plans et programmes qui ne faisaient pas l'objet d'une concertation préalable sont entrés dans le champ de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016. Il s'agissait d'une demande forte émanant des porteurs de projets eux-mêmes et des associations. La planification est le bon moyen pour discuter des options, des orientations, de l'opportunité des projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Des inquiétudes croissantes s'expriment concernant les délais, en termes de procédures d'expropriation et de risques de demandes de rétrocession sur les biens expropriés. L'allongement des délais des opérations est certes nécessaire à la bonne tenue du débat public, mais quelles sont ses conséquences sur le délai s'appliquant aux demandes de rétrocession consécutives à une expropriation ?

Par ailleurs, s'agissant des autorisations environnementales uniques, ce dispositif fonctionne-t-il ? Le délai de 9 mois, fixé par l'ordonnance du 26 janvier 2017, est-il ou non réaliste ? D'autres autorisations, dites sectorielles, auraient-elles vocation à intégrer l'autorisation unique ?

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

L'entrée en vigueur de l'autorisation unique est très récente. Nous organiserons un retour d'expérience.

Nous avions essayé de tirer les conséquences d'une première expérimentation, qui a donné lieu à l'ordonnance à laquelle vous faites référence. S'agissant du délai de 9 mois, c'était vraiment le minimum pour les services de l'État.

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

L'expérimentation nous laisse penser qu'il est possible de le tenir.

Nous avons intégré les permis de construire dans l'autorisation environnementale unique pour les éoliennes mais nous n'avons pas pu aller au-delà.

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

Deux expérimentations ont été mises en oeuvre sur l'autorisation environnementale unique ; elles ont été évaluées après deux ans par un rapport administratif que je peux vous communiquer. Un rapport a également été remis par le préfet Jean-Pierre Duport, qui présidait un groupe de travail sur la question. L'ordonnance instaurant l'autorisation environnementale unique est fondée sur les recommandations de ces deux rapports.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Vous avez parlé d'étude d'impact environnemental. Quel est le contenu de ce document ?

Vu les délais de réalisation des projets, au cours desquels un changement de biotope, sur le territoire concerné, est toujours envisageable, est-il possible d'actualiser l'étude d'impact? Un exemple : dans mon département, un projet d'installation photovoltaïque est à l'étude depuis une dizaine d'années ...

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

Vous êtes dans la moyenne, monsieur le président !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

entre-temps, une espèce protégée a été repérée dans la région, l'aigle de Bonelli. Par définition, l'étude d'impact n'en tient pas compte.

Debut de section - Permalien
Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

L'importance de l'enjeu de biodiversité rend nécessaire la réalisation d'enquêtes faune-flore sur des périodes couvrant une année. Il est clair que plus la réalisation de l'étude d'impact est proche de la réalisation effective des travaux, plus le risque que vous évoquez diminue.

Il arrive que les collectivités territoriales rencontrent ce genre de difficultés : modifier le tracé de leur projet d'infrastructure, c'est modifier le dispositif d'assainissement et de rejet des eaux dans les milieux, donc remettre en cause les dossiers « loi sur l'eau » et « espèces protégées ».

Par ailleurs, à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, nous sommes extrêmement attachés à l'idée suivante : lorsqu'une opération est déclarée d'utilité publique, c'est au regard d'un bilan global coûts-avantages réalisé sur une zone plus large que le tracé envisagé, ce qui ne préjuge pas d'un approfondissement ultérieur des détails du projet. Cela correspond à la technique des « fuseaux ». Je pense que cette latitude est tout à fait bénéfique en vue d'une optimisation de l'opération. Après tout, si l'on découvre un site archéologique sur la partie Ouest du fuseau, on se rabattra sur la partie Est, sans avoir à fournir une nouvelle étude d'impact ! Avant l'autorisation environnementale unique - nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec le commissariat général au développement durable sur ce sujet -, nous avions l'avantage de pouvoir présenter une succession d'autorisations, cohérentes entre elles et répondant aux problèmes au fur et à mesure de l'avancement du projet. Après discussions, nous avons obtenu plus de souplesse dans la mise en oeuvre de l'autorisation environnementale unique. En effet, il est inimaginable que, sur une infrastructure longue de plus de 50 kilomètres, on puisse d'un seul coup présenter un projet définitif qui soit irréprochable sur tous les points. Grâce à quelques mesures plus souples, par exemple, il est possible d'obtenir, pour le déroulement d'un chantier, une autorisation environnementale portant uniquement sur les espèces protégées. C'est le cas lorsque des fouilles archéologiques se révèlent incompatibles avec la préservation d'espèces éventuellement présentes, mais que les zones concernées par le projet n'ont pas encore été définies avec exactitude.

Si le projet est vraiment remis en cause par l'existence d'un enjeu environnemental qui n'avait pas été pris en compte, je ne dispose pas de solution. Pour ce qui est de l'autoroute Le Mans-Laval, à cause du scarabée pique-prune, le chantier a été arrêté un certain temps afin de trouver des solutions alternatives. Il a donc fallu progresser pour faire aboutir l'opération ; mais c'est le risque du maître d'ouvrage. Aujourd'hui, aucune procédure ne garantit contre ce genre de difficulté. Pour évoquer le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, une espèce protégée, le campagnol amphibie, s'est invitée très tardivement dans les discussions...

La question n'est pas seulement celle de l'étude d'impact environnementale. En effet, certains projets ne sont pas soumis à étude d'impact mais nécessite une dérogation sur les espèces protégées.

Le cas qu'a cité Michel Hersemul est celui d'un projet qui s'étale dans la durée parce que l'on ne peut pas faire autrement : après une première étape avec le débat public, intervient la déclaration d'utilité publique ; le projet et les études s'affinent au fur et à mesure. Par conséquent, la démarche d'actualisation de l'étude d'impact permet de traiter l'ensemble des conséquences lorsque cela est possible.

Debut de section - Permalien
Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable

Sur un projet, il faut éviter de formuler à un moment donné une demande d'autorisation qui nécessiterait des autorisations ultérieures. Il vaut mieux les regrouper comme la dérogation sur les espèces protégées, qui fait partie de celles intégrées dans l'autorisation environnementale. Le traitement de ces problématiques dans une autorisation administrative unique n'exclut pas qu'un évènement ultérieur conduise à modifier l'autorisation initiale. Mais en principe, avec l'autorisation environnementale, la demande porte sur l'ensemble des aspects visés et permet à la fois de traiter tous les impacts et d'éviter des autorisations successives susceptibles de soulever des difficultés.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Est-il possible d'évaluer le coût des différents instruments de concertation et d'information pour le maître d'ouvrage?

Debut de section - Permalien
Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD)

Cette évaluation est assez aisée pour les débats publics. Elle est plus difficile pour le reste, car nous n'avons pas accès à toutes les données.

Le coût du débat public est relativement fixe par rapport au coût total du projet. Il s'élève à près de 500 000 euros pour les plus petits débats et peut atteindre 1 million d'euros pour les débats nationaux importants, y compris pour les débats ferroviaires concernant les longs tracés. Le débat public le plus cher portait sur les nanotechnologies en 2009, mais la comparaison est délicate, car il s'agissait en réalité d'un débat de société.

La CNDP réalise des efforts considérables pour diminuer ces coûts. En outre, le dispositif de financement du débat public a été modifié dans l'ordonnance, comme cela était réclamé par la maîtrise d'ouvrage depuis très longtemps. Jusqu'à présent, les commissions particulières du débat public étaient financées par la maîtrise d'ouvrage, ce qui semblait quelque peu hétérodoxe. Désormais, le financement sera prévu directement par la CNDP, ce qui favorisera des économies d'échelle et la signature de marchés publics.

500 000 euros n'est pas un coût anormalement élevé, puisque tout est compté dans ce prix, pour un processus qui s'étale durant près d'une année, dont quatre mois pour le débat public en tant que tel. En moyenne, il faut plutôt compter de 700 000 à 800 000 euros pour les débats publics, qui restent réservés aux très gros projets.

Concernant les concertations préalables que nous évoquions au début de l'audition, qui nécessitent un site internet, quelques salles de réunion et un peu d'ingénierie participative, les coûts sont beaucoup plus raisonnables, de l'ordre de 50 000 euros pour une concertation minimale que le maître d'ouvrage souhaite mettre en place dans une petite infrastructure. SNCF réseau met en place des concertations « post-débat public » pour un coût unitaire d'environ 150 000 euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Monsieur Hersemul, vous avez parlé des délais à partir de la fin des débats publics jusqu'à la réalisation du projet, à savoir vingt ans pour les infrastructures ferroviaires et seize ans pour les infrastructures routières. Vous avez cité le délai de onze ans, le plus court qui ait été enregistré. J'ai bien compris que vous ne vouliez plus user de la législation pour faire évoluer les procédures et les outils existants ; vous préférez veiller à ce que les acteurs s'approprient ces mécanismes. Toutefois, l'un de vos objectifs est-il de diminuer ces délais ?

Debut de section - Permalien
Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

Pour faire mien cet objectif, il faudrait que je sois en mesure de maîtriser un certain nombre de difficultés inhérentes à ces situations. Malheureusement, certaines d'entre elles sont d'ordre politique ou financier, ce qui limite parfois les leviers d'action de l'administration.

J'ai évoqué la route Centre-Europe Atlantique. Depuis de longues années, nous étudions le projet d'une route deux fois deux voies pour un itinéraire très accidentogène. En la matière, nous, administration, avons mis les moyens pour avancer mais nous dépendons de choix politiques et financiers. En l'espèce, nous sommes satisfaits de constater que ce projet pourrait être réalisé à court terme.

Je pourrais également citer le contournement Est de la ville de Rouen, dont le débat public date de 2005. L'enquête publique n'a été achevée que l'an dernier, après presque douze ans d'efforts constants de l'administration. La déclaration d'utilité publique devrait être bientôt publiée mais reconnaissons que nous ne disposons pas de tous les leviers pour agir.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Madame la commissaire générale au développement durable, vous avez écrit dans un article de doctrine que la participation en ligne était révélatrice d'une évolution des pratiques politiques. Qu'entendez-vous par là ?