Avant chaque sommet européen, nous nous retrouvons, avec mon homologue allemand, Thomas de Maizière, pour le préparer. Il y va de la force du couple franco-allemand que nous passions ainsi du temps ensemble. C'est ce que nous ferons tout à l'heure ; je devrai donc vous quitter à 15 heures.
Je traiterai les points les uns après les autres.
L'Union européenne est à la fois confrontée à une menace terroriste sans précédent, laquelle nécessite un renforcement de l'espace Schengen, et à une crise migratoire euro-méditerranéenne également sans précédent. J'étais il y a deux jours au Niger et je peux vous dire que nous ne répondrons pas à l'enjeu migratoire qui pèse sur notre continent sans répondre à l'enjeu du développement des pays d'origine et de transit.
Ce double mouvement nous a conduits à faire preuve de responsabilité dans la décision et de fermeté dans l'action.
La première urgence était la sécurisation des frontières extérieures de l'Union européenne. En effet, si l'Europe n'a pas de frontières, alors, aux yeux de ses citoyens, elle n'existe tout simplement pas. La question des frontières est un élément fondamental de l'identité et du sentiment d'appartenance à un territoire, par-delà même l'urgence des deux problèmes que je viens de mentionner. Aucun avenir européen n'est possible sans sécurisation des frontières et sans définition desdites frontières partagée par l'ensemble des citoyens européens.
En avril 2016, après de longues négociations, nous avons abouti à un premier accord, donnant lieu à la publication de la directive établissant un registre d'enregistrement du nom des passagers des compagnies aériennes, le fameux PNR, Passenger Name Record, européen. L'Europe doit aujourd'hui redoubler d'efforts pour que cette directive trouve une traduction concrète dans chaque État membre. La France a anticipé la mise en oeuvre de cette démarche, dès janvier 2016, en lançant un PNR français qui sera bientôt entièrement opérationnel. Nous avons en outre décidé d'appliquer toutes les clauses facultatives de la directive et d'y intégrer les vols intraeuropéens et les vols charters.
Nous avons par ailleurs mis en place, avec un certain nombre de ministres de l'intérieur européens, un projet de PNR pour les lignes à grande vitesse qui traversent l'Europe, donc de registre des noms des passagers utilisant ces trains à grande vitesse.
Pour sécuriser les frontières, nous avons également obtenu l'adoption du règlement portant rénovation de l'agence Frontex, dont les moyens humains et financiers sont accrus, avec la création d'une réserve permanente de 1 500 agents mobilisables à tout moment, à laquelle la France contribuera à hauteur de 170 agents. Ce résultat a été obtenu en seulement six mois !
Autre étape franchie en décembre : la révision du code frontières Schengen. La France y voyait une urgence absolue. Cette sécurisation des frontières extérieures doit donner lieu à des contrôles, mais également à des enregistrements : nous devons savoir qui franchit les frontières ! Si à cet enregistrement pouvaient être jointes des données biométriques, cela permettrait d'aller plus loin. C'est la demande que je formulerai auprès de mon homologue allemand lorsque nous nous rencontrerons tout à l'heure.
Depuis le 13 novembre 2015, nous avons rétabli le contrôle à nos frontières intérieures. Je n'imagine pas, à très court terme, que nous puissions lever ces contrôles, qui produisent des résultats, d'autant plus que d'autres États membres ont pris les mêmes mesures. L'attentat de Berlin a démontré la nécessité de réviser le code frontières Schengen. Sur ce dossier, la France est à l'initiative auprès de la Commission pour permettre la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pour des durées supérieures à celles qui sont autorisées actuellement, qui sont de six mois. Nous souhaitons également que les conditions d'exercice de ces contrôles soient assouplies lorsqu'ils sont effectués dans les zones frontalières en dehors des périodes de rétablissement.
Enfin, nous avons soumis au Conseil une proposition de règlement portant création d'un système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages (ETIAS), équivalent de l'ESTA américain, pour renforcer les vérifications de sécurité relatives aux voyageurs exemptés de l'obligation de visa. Enfin, la directive sur les armes à feu a été révisée ; en la matière, l'ensemble des propositions de la France ont été suivies.
D'autres chantiers sont en cours, en particulier le renforcement des systèmes d'information et des bases de données visant à sécuriser nos frontières. L'objectif est d'assurer une totale interopérabilité entre les différents systèmes. Un groupe d'experts a été mis en place et doit aboutir à des propositions au plus tard au début du deuxième semestre de 2017, afin de faciliter le travail des services répressifs, lesquels doivent aussi pouvoir accéder aux données biométriques qui sont contenues dans le système d'information sur les visas (VIS) et dans Eurodac, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La Commission a répondu à une demande de révision du SIS, le système d'information Schengen, émanant de la France, en proposant trois niveaux de règlements. Les textes sont à l'étude.
J'ai pris acte des recommandations de la Commission lors de l'évaluation Schengen, en novembre dernier. Nous devons pouvoir répondre aux dysfonctionnements, aux incidents d'exploitation, en adaptant notamment la base française du SIS.
Pour compléter la sécurisation, la France demande la révision du futur règlement concernant l'enregistrement des entrées et des sorties aux frontières extérieures de l'Union européenne. Nous ne pouvons pas nous contenter d'enregistrer les allées et venues des ressortissants des pays tiers : tout le monde doit être contrôlé, y compris les citoyens européens.
Enfin, il est nécessaire de lutter contre la fraude documentaire qui est devenue une marque de fabrique de ceux qui combattent nos libertés. Des milliers de passeports vierges ont été volés par Daech en Syrie, en Irak et en Libye. Sur ce dossier, la réflexion débute seulement.
La seconde priorité consiste à apporter une réponse efficace et coordonnée à la crise migratoire. La France est le premier pays d'accueil des demandeurs d'asile au titre des programmes européens de relocalisation et de réinstallation ; plus de 3 600 Syriens ont été accueillis sur notre sol depuis le Liban, la Jordanie et la Turquie. Nous avons signé, hier matin à l'Élysée, un accord notamment avec la Fédération protestante de France afin de sélectionner 500 réfugiés syriens qui pourraient très rapidement rejoindre notre pays et y être pris en charge de la meilleure des façons. D'ores et déjà, au titre de la relocalisation et de la réinstallation, nous avons accueilli plus de 6 300 personnes fuyant la guerre civile en Syrie et la barbarie de Daech.
Par-delà cet effort de solidarité européenne, nous avons également accompli un travail, en étroite concertation avec l'Allemagne, qui conduira à assortir la libéralisation des visas vers l'espace Schengen d'une clause de sauvegarde dont le déclenchement sera rendu plus rapide, les critères le justifiant étant à la fois assouplis et étendus.
Toutes ces mesures constituent de véritables progrès. Cela est néanmoins loin d'être suffisant.
De ce point de vue, je voudrais d'abord évoquer le paquet législatif en matière d'asile présenté par la Commission, que la France soutient dans ses grandes lignes. Ce sujet n'est pas véritablement mis en avant par la présidence maltaise de l'Union européenne ; nous verrons comment nous pouvons le remettre au coeur du débat. La refonte du règlement Dublin constitue le point le plus délicat de nos discussions : elle pose la question du degré de solidarité des différents États membres, en matière de flux migratoires, les uns par rapport aux autres.
La France défend une position fondée sur deux principes : le principe de responsabilité, dont le respect incombe au pays dit de première entrée, chargé de la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne, au nom duquel la France s'oppose à tout mécanisme de relocalisation automatique, et le principe de solidarité, dont aucun État ne doit pouvoir se dispenser unilatéralement, par exemple en dressant des murs à ses frontières. Les États concernés sont bien identifiés ; au cours de nos réunions, lorsque ce sujet est évoqué, leurs représentants coupent leur micro ou baissent les yeux. C'est sur eux que doit peser la pression ! Il s'agit d'un devoir moral et humanitaire ; il y va de la préservation même de l'Europe.
Nous devons en outre oeuvrer à traiter la question migratoire à la source. J'étais il y a quelques jours au Niger avec mon homologue espagnol ; ce pays, l'un des plus démunis de la planète, voit chaque année transiter plus de 100 000 migrants sur son territoire.
Enfin, nous continuerons à défendre l'application de l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie.